* Voir aussi R. c. Foster, 2020 QCCA 1172 ;
Premièrement, la jurisprudence constante établit que dans des dossiers de voies de fait graves, la nature et l’importance des blessures subies par la victime sont pertinentes non seulement à l’égard de la détermination de la culpabilité, mais également à l’égard de la détermination d’une peine proportionnelle et appropriée.
Deuxièmement, la jurisprudence reconnaît que la nature et l’importance d’une blessure doivent être prises en compte conjointement avec d’autres facteurs pertinents et objectifs dans la détermination d’une peine appropriée parce que l’importance des blessures, et donc la dénonciation et la dissuasion, ne peuvent être les seuls objectifs dans la détermination d’une peine appropriée.
[19] La juge note que les éléments essentiels d’une infraction ne peuvent, en soi, être considérés à titre de facteurs aggravants et elle affirme appuyer ce propos en isolant une seule phrase d’un jugement de cette cour dans l’arrêt Lacelle Belec[4]. Cette large proposition doit être considérée avec prudence puisqu’elle peut induire en erreur et, sans être nuancée, elle est inexacte pour deux raisons. Premièrement, la jurisprudence constante établit que dans des dossiers de voies de fait graves, la nature et l’importance des blessures subies par la victime sont pertinentes non seulement à l’égard de la détermination de la culpabilité, mais également à l’égard de la détermination d’une peine proportionnelle et appropriée. Deuxièmement, la jurisprudence reconnaît que la nature et l’importance d’une blessure doivent être prises en compte conjointement avec d’autres facteurs pertinents et objectifs dans la détermination d’une peine appropriée parce que l’importance des blessures, et donc la dénonciation et la dissuasion, ne peuvent être les seuls objectifs dans la détermination d’une peine appropriée. Il est vrai que la nature et l’importance des blessures subies dans une cause de voies de fait graves ne peuvent être invoquées afin d’aggraver d’avantage ce qui est déjà définit comme un facteur aggravant dans le libellé même de l’infraction. Cela dit, la jurisprudence ne supporte pas la large proposition avancée par la juge d’instance, tel que l’illustre le récent arrêt Lacelle Belec :
[84] Dans sa décision, il est indéniable que le juge mentionne le jeune âge de l’appelant au moment de l’accident, qu’il était sans antécédents judiciaires, avait un bon emploi et bénéficiait d’un bon encadrement. Le juge mentionne également la situation actuelle de l’appelant, soit sa vie familiale avec sa conjointe et un enfant de deux ans.
[85] Il est aussi indéniable que les blessures et les conséquences pour la victime représentent un facteur pertinent : Brais c. R., 2016 QCCA 356, par. 27; Silbande c. R., 2014 QCCA 1952; R. c. Michaud, 2012 QCCA 891, par. 20. Le Code criminel façonne d’ailleurs la sévérité de la peine en rapport avec la présence de blessures. En d’autres termes, la présence de lésions corporelles est déjà un élément de l’infraction et cela ne peut pas, en principe, devenir un élément aggravant distinct.
[86] Néanmoins, pour déterminer la peine appropriée à la faute, elle-même aggravée par la présence de lésions, la logique veut qu’il faille tenir compte de la nature et de l’étendue des lésions corporelles causées. Cela ne demeure toutefois qu’un facteur parmi d’autres. Il ne doit pas devenir déterminant au point d’occulter les autres, plus favorables.
[87] Avec égards pour le juge, l’appelant a raison et, en donnant à ce facteur un poids déterminant au détriment d’autres facteurs, le juge commet une erreur dont la portée est évidente au vu de ses motifs.[5]
La jurisprudence de la Cour d’appel du Québec indique clairement que les impacts de la dissuasion individuelle ou générale sont incertains, mais elle indique tout aussi clairement que, dans des cas de voies de fait graves, ces objectifs devraient être pris en compte par le juge qui prononce la peine dans son évaluation des divers objectifs de la peine, tout particulièrement dans un cas de violence gratuite.
[22] La jurisprudence de cette cour indique clairement que les impacts de la dissuasion individuelle ou générale sont incertains, mais elle indique tout aussi clairement que, dans des cas de voies de fait graves, ces objectifs devraient être pris en compte par le juge qui prononce la peine dans son évaluation des divers objectifs de la peine, tout particulièrement dans un cas de violence gratuite. Par ailleurs, la dénonciation et la dissuasion, tout comme les autres objectifs, peuvent avoir un poids trop important ou insuffisant dans la détermination d’une peine proportionnée et appropriée. En l’espèce, la juge a mentionné ces deux objectifs, mais ses motifs n’indiquent pas le poids qu’elle attribue à l’un et l’autre d’entre eux, exception faite de son affirmation selon laquelle les perspectives de réhabilitation devraient être privilégiées. À cet égard, il y a une différence évidente entre tenir compte avec circonspection des objectifs de dénonciation et de dissuasion et ne pas en tenir compte du tout, et encore davantage lorsque le rapport présentenciel mentionne explicitement que les passages de l’intimé au sein du système de justice criminelle paraissent avoir eu peu d’impact dissuasif à son endroit[8].
R. c. Martinez Abarca, 2020 QCCA 1196
Le caractère permanent des blessures pour une accusation de voies de fait grave n’est pas un élément essentiel de l’infraction prévue à l’article 268 C.cr.
[1] La juge de première instance a acquitté l’intimé d’une accusation de voies de fait graves (art. 268 C.cr.), et l’a déclaré coupable de l’infraction incluse de voies de fait causant des lésions corporelles (paragr. 267b) C.cr.).
[2] Le seul motif pour lequel la juge rejette l’accusation de voies de fait graves est que les lésions ne sont pas permanentes. Or, le caractère permanent des blessures n’est pas obligatoire : Dubourg c. R., 2018 QCCA 1999, paragr. 46; R. v. McPhee, 2018 ONCA 1016, paragr.41; R. v. Pootlass, 2019 BCCA 96, paragr. 109 et 113 (sans toutefois retenir l’exigence d’une rupture de la peau évoquée dans cet arrêt); R. v. Richards, 2020 ABCA 63, paragr. 27. La juge a donc commis une erreur de droit en ajoutant un élément essentiel à la notion légale de voies de fait graves. Comme le souligne à juste titre la Cour d’appel de l’Ontario au paragr. 41 de McPhee, en rapport avec la notion de mutilation :
This acknowledgment that permanence is not always required also makes sense, given modern medicine’s increasing ability to correct or repair what were once thought to be permanent injury.
[3] Les blessures dont il est question (dents cassées, fracture ouverte de la mâchoire, nécessité d’une plaque de titane pendant un an, mâchoires immobilisées pendant six semaines empêchant l’absorption de toute nourriture solide, impossibilité de parler pendant cette période, deux interventions chirurgicales) se qualifient tant au chapitre des blessures graves que de la mutilation, deux possibilités envisagées par l’art. 268 C.cr.
[4] Par ailleurs, toute la preuve acceptée par la juge mène inexorablement à une déclaration de culpabilité.
[5] En ce qui a trait à la peine infligée par la juge (absolution conditionnelle), elle devient illégale puisqu’elle ne peut être accordée en cas de voies de fait graves. Il y a alors lieu de rendre une ordonnance conforme à la suggestion des parties, soit de retourner le dossier en première instance aux fins de la détermination de la peine.