R. c. Aubuchon, 2018 QCCQ 1736

L’accusé prétend à plusieurs violations des droits garantis par la Charte canadienne des droits et libertés (Charte), plus précisément à une arrestation illégale et arbitraire ainsi qu’une fouille et une perquisition abusives. Il demande par conséquent, l’exclusion de la preuve ainsi obtenue.

[31]        Le requérant soutient que son arrestation dans sa résidence constitue une arrestation illégale au sens de l’article 9 de la Charte.

[32]        La poursuite allègue que les policiers agissaient dans le cadre d’une prise en chasse ce qui leur permettait de pénétrer dans la résidence.

[33]        L’article 529.3 C. Cr., entré en vigueur suite à l’arrêt Feeney[10] de la Cour suprême, prévoit :

529.3 (1) L’agent de la paix peut, sans que soit restreint ou limité le pouvoir d’entrer qui lui est conféré en vertu de la présente loi ou d’une autre loi ou d’une règle de droit, pénétrer dans une maison d’habitation pour l’arrestation d’une personne sans être muni du mandat visé aux articles 529 ou 529.1 s’il a des motifs raisonnables de croire que la personne s’y trouve, si les conditions de délivrance du mandat prévu à l’article 529.1 sont réunies et si l’urgence de la situation rend difficilement réalisable son obtention.

(2) Pour l’application du paragraphe (1), il y a notamment urgence dans les cas où l’agent de la paix, selon le cas :

[…]

  1. b)a des motifs raisonnables de croire que des éléments de preuve relatifs à la perpétration d’un acte criminel se trouvent dans la maison d’habitation et qu’il est nécessaire d’y pénétrer pour éviter leur perte ou leur destruction imminentes.

[34]        Cette disposition impose donc la réalisation de plusieurs conditions très semblables à celles imposées par l’article 487.11 C. Cr.

[35]        Tout d’abord, les policiers, qui se rendent à l’adresse du requérant en raison des informations obtenues, constatent une fois sur place que son véhicule y est stationné et voit un homme par la fenêtre. Il est donc évident que les policiers avaient les motifs raisonnables de croire que la personne propriétaire du véhicule se trouvait à l’intérieur de la résidence.

[36]        Les policiers doivent ensuite s’assurer que les conditions de délivrance d’un mandat en vertu de l’article 529.1 C. Cr. sont réunies. Comme indiqué précédemment, les policiers avaient les motifs raisonnables et probables de croire que la personne suspectée de conduite avec les facultés affaiblies se trouvait à l’intérieur de la résidence.

[37]        Enfin, tel que pour la perquisition, l’urgence de la situation devait rendre difficilement possible l’obtention d’un mandat. Pour les raisons énoncées plus haut, la preuve soumise démontre qu’il y avait urgence d’agir et que les policiers étaient justifiés d’intervenir sans attendre passivement l’émission d’un mandat.

[38]        Tout comme lors de leur entrée dans la résidence, la preuve démontre que les gestes posés par les policiers, lors de l’arrestation, étaient empreints de respect et n’avaient rien d’abusif. Ils ont aidé le requérant à mettre ses chaussures et l’ont soutenu en tout temps pour lui éviter de tomber. De plus, ce n’est qu’une fois à l’extérieur qu’ils ont procédé à son arrestation.

[39]        La poursuite soulève le fait que les policiers agissaient dans le cadre d’une prise en chasse. Il y a lieu d’examiner plus précisément cette éventualité qui, selon la jurisprudence, constitue effectivement une exception à la nécessité d’obtenir un mandat avant de procéder à une arrestation dans une maison d’habitation.

[40]        En 1993, le juge en chef Lamer définissait ainsi la prise en chasse[11] :

Généralement, l’essence de la prise en chasse est qu’elle doit être continue et effectuée avec diligence raisonnable, de façon à ce que la poursuite et la capture, avec la perpétration de l’infraction, puissent être considérées comme faisant partie d’une seule opération.

[41]        La Cour d’appel[12] reprend les justifications du juge en chef Lamer dans Macooh, qu’elle résume ainsi:

[…] 1. Il n’est pas acceptable que des policiers s’apprêtant à procéder à une arrestation tout à fait légitime en soient empêchés du seul fait que le contrevenant s’est réfugié dans sa maison ou dans celle d’un tiers.  On ne saurait forcer les policiers à mettre fin à une poursuite au seuil de la demeure du contrevenant, sans faire de cette demeure un véritable sanctuaire.

  1. Il n’est pas souhaitable d’encourager les contrevenants à chercher refuge chez eux ou chez un tiers, car des dangers importants peuvent être associés à de telles fuites et aux poursuites qui peuvent en résulter.
  2. Le policier, dans le cadre d’une prise en chasse, peut avoir une connaissance personnelle des faits qui justifient l’arrestation, ce qui diminue grandement les risques d’erreur.
  3. La fuite indique généralement une certaine conscience de culpabilité de la part du contrevenant.
  4. Il peut être difficile d’identifier le contrevenant sans l’arrêter immédiatement.
  5. La preuve de l’infraction qui a donné lieu à la poursuite ou la preuve d’une infraction connexe peut être perdue (par exemple, des signes d’ébriété).
  6. Il y a un risque que le contrevenant fuie de nouveau ou commette une infraction, et l’on ne peut exiger des policiers qu’ils assurent indéfiniment la surveillance de sa demeure au cas où ce dernier se déciderait à sortir[7].

[42]        En 1997, la Cour suprême[13], sous la plume du juge Sopinka, réitérait l’existence de cette exception en ces termes :

[…] Dans le cas d’une prise en chasse, le droit à la vie privée doit céder le pas à l’intérêt qu’a la société à garantir une protection policière suffisante. […]

[43]        Comme le confirme la Cour d’appel en 2010[14], l’adoption des articles 529 et suivants du Code criminel n’a pas eu pour conséquence l’abolition de l’exception de la prise en chasse.

[44]        Dans la situation qui nous occupe, la preuve démontre que l’enquête des policiers s’est faite de façon continue, sans interruption et qu’elle a été enrichie d’informations concordantes qui leur étaient transmises au fur et à mesure. Cette situation répond, aux yeux du Tribunal, à la définition de la prise en chasse.

[45]        Ceci donnait une raison supplémentaire aux policiers d’intervenir sans mandat dans la résidence du suspect.

[46]        Bien que le Tribunal traite de cette question de la prise en chasse dans le cadre de l’arrestation, comme nous l’enseigne la Cour suprême, le Tribunal partage les propos du juge Alain Morand dans sa décision rendue en 2010[15], lorsqu’il étudie la légalité de la perquisition faite au domicile. Il s’exprime en ces termes :

Comme les policiers poursuivaient simultanément le double objectif de protéger les éléments de preuve et d’arrêter le fuyard le plus rapidement possible, il y a lieu d’examiner ici, pour partie, l’urgence en lien avec l’arrestation sans mandat dans la maison d’habitation.

[47]        C’est cette même urgence, qui répond parfaitement à la définition d’une prise en chasse, qui peut à la fois justifier la perquisition et l’arrestation sans mandat.

[48]        La défense a indiqué au Tribunal que les faits de la présente affaire étaient semblables aux faits ayant donné lieu à la décision de la juge McKenna en 2012[16]. Dans ce dossier, le policier avait vu un véhicule rouler à vive allure, mais n’ayant pas de cinémomètre dans son véhicule de patrouille, a décidé de le poursuivre dans le seul but d’avertir le conducteur. Après avoir perdu de vue le véhicule pendant un certain temps, il finit par voir un véhicule semblable stationné dans l’entrée d’une résidence. Sans vérification préalable de la propriété du véhicule, il entre dans la maison par une porte entrouverte au sous-sol. Il discute alors avec une personne qui lui avoue avoir conduit le véhicule et constate des signes d’intoxication. Des accusations de conduites avec les facultés affaiblies sont alors portées. Comme l’exprime la juge McKenna[17] :

[…] Les circonstances de la présente affaire sont très différentes de celles décrites dans les arrêts Tétard[12] et Pichette[13]. En effet, dans ces arrêts de nombreux éléments fiables permettaient de croire que les fuyards se trouvaient aux endroits visés.

Conclusion

[49]        Tout en réitérant le principe fondamental de l’inviolabilité de la maison d’habitation, la preuve soumise dans le présent dossier permet au Tribunal de conclure que la poursuite s’est déchargée de son fardeau de démontrer que tant la perquisition que l’arrestation au domicile du suspect étaient justifiées. Il y a donc lieu de conclure que la preuve ainsi soumise est admissible en preuve.

[50]        La défense a admis le caractère libre et volontaire de la déclaration faite par l’accusé. L’issue de la requête scellant l’issue du procès, l’accusé sera déclaré coupable sur le premier chef.