Depuis l’arrêt Kalanj, il n’y a aucune ambiguïté quant au moment qui marque le début du calcul aux fins de l’alinéa 11 b) de la Charte : une accusation réelle et non une accusation éventuelle, et ce, même si cette éventualité est connue de l’accusé.
[6] Le pourvoi de l’appelant pose la question suivante : lorsqu’un accusé fait l’objet, lors d’une enquête préliminaire, d’un renvoi à procès à l’égard de chefs d’accusation ajoutés selon l’alinéa 548(1)a) du Code criminel, à partir de quel moment l’horloge constitutionnelle débute-t-elle le calcul du délai? Celui de la dénonciation initiale ou celui du renvoi à procès?
[7] C’est le renvoi à procès à l’égard de nouvelles accusations qui marque le moment de l’inculpation au sens de l’alinéa 11 b) de la Charte. Dès lors, si on calcule le délai écoulé à partir du renvoi à procès de l’appelant, ceux-ci respectent les plafonds établis dans l’arrêt Jordan, peu importe celui qui s’applique.
…
[67] Bref, depuis l’arrêt Kalanj, il n’y a aucune ambiguïté quant au moment qui marque le début du calcul aux fins de l’alinéa 11 b) de la Charte : une accusation réelle et non une accusation éventuelle, et ce, même si cette éventualité est connue de l’accusé.
[68] Toutes les parties reconnaissent qu’il n’existe aucune décision qui tranche spécifiquement la question soulevée par l’appelant.
[69] J’en viens à l’arrêt Guimont sur lequel repose l’argumentaire de l’appelant. L’appelant se méprend sur la portée de celui-ci.
[70] Rendu avant l’arrêt J.F., l’arrêt Guimont n’aborde pas l’interprétation de la notion d’inculpé et il ne traite pas de l’inculpation qui dépend de l’ajout de chefs d’accusation lors du renvoi à procès à la fin d’une enquête préliminaire.
[71] L’arrêt Guimont considère la situation des accusés qui avaient fait l’objet de « trois séries d’accusations intimement reliées entre elles et découlant d’une même enquête policière ». Dans ces circonstances particulières, la Cour a conclu que le calcul du délai commence avec le dépôt de la première sommation et non la deuxième sommation.
[72] Avec respect pour l’opinion contraire, l’arrêt Guimont est inapplicable, car la situation juridique en cause est complètement différente.
[73] D’une part, les nouveaux chefs d’accusation constituent une nouvelle inculpation au sens de l’alinéa 11 b) de la Charte[41]. En effet, le juge qui renvoie l’accusé pour qu’il subisse son procès à l’égard de tout autre acte criminel qui découle de la même affaire doit, comme cela a été fait dans la présente affaire[42], mentionner dans la dénonciation les nouvelles accusations à l’égard desquelles l’accusé doit subir son procès[43].
[74] D’autre part, une nuance importante s’invite dans le débat. Bien que l’appelant ait été formellement renvoyé à son procès selon l’alinéa 548(1)a) du Code criminel, les chefs ajoutés ne concernaient pas des infractions découlant de la même affaire au sens retenu par la jurisprudence[44], ce qui constitue une distinction supplémentaire entre la présente affaire et les circonstances examinées dans l’arrêt Guimont. De toute façon, si la poursuite avait plutôt choisi de déposer une nouvelle dénonciation pour les infractions qui n’étaient pas reliées aux premières, le calcul du délai aurait commencé à partir du dépôt de celle-ci.
[75] À mon avis, le renvoi à procès vise de nouvelles accusations qui ne découlent pas de la même affaire au sens de l’article 548 du Code criminel.
[76] Bien que le renvoi à procès ait été fondé, à tort et en l’absence d’un débat sur la question, sur l’alinéa 548(1)a), cela ne change pas la qualification juridique de la « situation réelle et concrète » de l’appelant, pour reprendre l’expression de l’arrêt Guimont, aux fins de l’alinéa 11 b) de la Charte; il s’agissait de nouvelles accusations.
[77] La juge de gestion n’a donc commis aucune erreur de droit en retenant la date du renvoi à procès pour fixer le moment de l’inculpation au sens de l’alinéa 11 b) de la Charte. Il s’agissait d’une nouvelle inculpation. De plus, les nouveaux chefs d’accusation ne découlaient pas de la même affaire, mais visaient des infractions distinctes et autonomes sans lien avec les accusations originalement portées, si ce n’est que leur nature.
L’application des plafonds de l’arrêt Jordan : cadre général.
[102] À la lumière des arguments présentés par les parties, un rappel rapide des principes encadrant l’application des plafonds de l’arrêt Jordan s’avère utile avant de déterminer l’effet du retrait du plaidoyer de l’appelant sur le calcul des délais, une question qui n’a jamais été tranchée par la Cour et ni par aucune autre cour d’appel au pays.
[103] Tout d’abord, la portée temporelle de la protection garantie par l’al. 11 b) de la Charte au droit à un procès dans un délai raisonnable « s’étend au‑delà de la fin de la présentation de la preuve et des plaidoiries dans le cadre du procès, jusqu’à la date du prononcé de la peine inclusivement »[55].
[104] Toutefois, « les plafonds fixés par l’arrêt Jordan — au‑delà desquels le délai est présumé déraisonnable pour l’application de l’al. 11b) — s’appliquent jusqu’à la fin de la présentation de la preuve et des plaidoiries dans le cadre du procès, et pas plus. Ils ne comprennent pas le temps de délibération en vue du prononcé du verdict »[56]. Ainsi, « les plafonds présumés ne visent que les délais liés à la tenue du procès »[57].
[105] De plus, « [l]es procédures de détermination de la peine sont également exclues du cadre d’analyse »[58] de l’arrêt Jordan.
[106] Finalement, lorsqu’une cour d’appel ordonne la tenue d’un nouveau procès, « [l]e prononcé d’une ordonnance de nouveau procès a pour effet de ramener à zéro les aiguilles de l’horloge constitutionnelle calculant le délai »[59] et l’accusé « ne peut dans le cadre du deuxième procès présenter en vertu de l’al. 11b) une requête invoquant les délais survenus lors du premier »[60], même si « dans certaines circonstances exceptionnelles, [il est possible] de considérer les délais liés au premier procès dans l’évaluation du caractère raisonnable des délais liés au second »[61].
L’appelant ne peut à la fois exiger qu’on le libère d’un plaidoyer invalide et qu’on ignore les conséquences incontournables que celui-ci entraîne.
[115] Puisqu’un plaidoyer de culpabilité doit être « libre, sans équivoque et éclairé »[66], lorsque le retrait de celui-ci est accordé, il constitue la reconnaissance de son invalidité. De même, la renonciation de l’appelant au droit constitutionnel d’être jugé dans un délai raisonnable qui fait partie intégrante du plaidoyer était invalide, car celle-ci doit aussi être « claire et sans équivoque »[67].
[116] Une fois remis en état par le retrait de son plaidoyer, le droit de l’accusé d’être jugé dans un délai raisonnable doit être respecté. L’horloge constitutionnelle recommence à marquer le temps et le délai net déjà accumulé dans le cheminement de l’affaire ne peut et ne doit pas être déduit. Le calcul des délais ne repart pas à zéro, contrairement à la situation qui résulte d’une ordonnance de nouveau procès[68].
[117] Dans ces circonstances, la bonne approche consiste à procéder au calcul du délai total et du délai net en soustrayant les délais imputables à l’accusé. Ceci vise assurément la période entre le plaidoyer de culpabilité et le retrait de son plaidoyer, ce que l’appelant reconnaît d’emblée.
[118] Qu’en est-il du délai entre le jour où la date du procès est fixée et le début du procès?
[119] L’appelant est responsable des délais nécessaires à la fixation d’une nouvelle date pour la tenue de son procès. Qu’ils soient qualifiés de délais qui lui sont imputables ou d’événements distincts qui étaient « raisonnablement imprévisibles ou inévitables »[69], le délai nécessaire pour finalement tenir le procès de l’appelant doit être « déduit dans la mesure où il ne pouvait raisonnablement être réduit par le ministère public et le système judiciaire »[70].
[120] Après un retrait de plaidoyer, le temps requis pour établir la date du procès et commencer ce procès est inévitable.
[121] Dans l’arrêt Allen, le juge Doherty de la Cour d’appel de l’Ontario aborde la question des délais qui découlent de la nécessité de réserver de nouvelles dates pour terminer un procès qui n’a pu être complété selon le temps qui avait été initialement prévu, un cas de figure semblable à celui de l’espèce :
When addressing s. 11(b), one must consider the inherent time requirements needed to get a case into the system and to complete that case: R. v. Morin, supra, at p. 16. Those time requirements can include adjournments necessitated by the need to find additional court time when initial time estimates prove inaccurate […]. The inherent time requirements needed to complete a case are considered to be neutral in the s. 11(b) calculus. The recognition and treatment of such inherent time requirements in the s. 11(b) jurisprudence is simply a reflection of the reality of the world in which the criminal justice system operates. No case is an island to be treated as if it were the only case with a legitimate demand on court resources. The system cannot revolve around any one case, but must try to accommodate the needs of all cases. When a case requires additional court resources the system cannot be expected to push other cases to the side and instantaneously provide those additional resources[71].
[122] Bien que ces observations aient été formulées dans le cadre d’analyse de l’arrêt Morin, elles conservent néanmoins leur pertinence[72]. L’appelant ne peut à la fois exiger qu’on le libère d’un plaidoyer invalide et qu’on ignore les conséquences incontournables que celui-ci entraîne.
[123] Puisqu’on doit déterminer une nouvelle date pour la tenue du procès, la fixation de cette nouvelle date de procès emporte des délais inévitables qui sont certainement imputables à l’appelant parce que ceux-ci ont été causés « uniquement ou directement par sa conduite »[73]. Cette déduction « vise à empêcher [que la défense] ne puisse tirer avantage de “sa propre action ou de sa propre inaction lorsque celle‑ci a pour effet de causer un délai” »[74].