Rendre justice en temps utile est l’une des caractéristiques d’une société libre et démocratique, et l’instruction des procès dans un délai raisonnable est d’une importance capitale pour l’administration du système de justice criminelle du Canada.
[22] Rendre justice en temps utile est l’une des caractéristiques d’une société libre et démocratique, et l’instruction des procès dans un délai raisonnable est d’une importance capitale pour l’administration du système de justice criminelle du Canada (Jordan, par. 1 et 19). L’alinéa 11b) de la Charte reflète l’importance de ce principe en garantissant à la personne inculpée le droit « d’être jugé[e] dans un délai raisonnable ». Cette disposition a pour objectif de protéger à la fois les droits des personnes accusées et l’intérêt de la société dans son ensemble (R. c. K.J.M., 2019 CSC 55, [2019] 4 R.C.S. 39, par. 38). Sur le plan individuel, l’instruction du procès dans un délai raisonnable est essentielle à la protection des droits à la liberté, à la sécurité et à un procès équitable que possède tout inculpé, lequel, rappelons-le, est présumé innocent (Jordan, par. 20; voir également R. c. Godin, 2009 CSC 26, [2009] 2 R.C.S. 3, par. 30, citant Morin, p. 801‑803). Sur le plan collectif ou social, un procès instruit dans un délai raisonnable favorise une meilleure participation des victimes et des témoins, réduit au minimum l’« angoiss[e] et [la] frustration [qu’ils ressentent] jusqu’au témoignage lui‑même » et leur permet de tourner la page plus rapidement (Jordan, par. 24, citant R. c. Askov, 1990 CanLII 45 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1199, p. 1220; voir également Jordan, par. 23). L’instruction du procès en temps utile contribue également à maintenir la confiance du public envers l’administration de la justice (Jordan, par. 25; Askov, p. 1220-1221).
L’arrêt Jordans’attaque à la culture de complaisance qui permet que s’accumulent des délais excessifs pour traduire l’accusé en justice (K.G.K.,par. 34, citant Jordan,par. 2, 4, 13, 117, 121 et 129).
Ce nouveau cadre d’analyse s’applique aux délais écoulés entre le dépôt des accusations et la conclusion réelle ou anticipée du procès, soit « lorsque la participation des parties quant au fond du procès est terminée, et que l’affaire est remise au juge des faits ».
[27] Les plafonds présumés fixés dans Jordan ne portent pas sur l’ensemble de la période où l’accusé est inculpé. Le cadre formulé dans cet arrêt a une portée limitée, puisqu’il offre une solution à un problème déterminé. En effet, l’arrêt Jordan s’attaque à la culture de complaisance qui permet que s’accumulent des délais excessifs pour traduire l’accusé en justice (K.G.K., par. 34, citant Jordan,par. 2, 4, 13, 117, 121 et 129). Ce nouveau cadre d’analyse s’applique aux délais écoulés entre le dépôt des accusations et la conclusion réelle ou anticipée du procès, soit « lorsque la participation des parties quant au fond du procès est terminée, et que l’affaire est remise au juge des faits » (K.G.K., par. 31; voir également par. 33; Jordan, par. 47; R. c. Rice, 2018 QCCA 198, 44 C.R. (7th) 83, par. 41). Le temps consacré au délibéré est exclu de ce cadre (K.G.K., par. 50). Les procédures de détermination de la peine sont également exclues du cadre d’analyse. Si la Cour reconnaît dans Jordan que l’al. 11b)continue de s’appliquer entre la déclaration de culpabilité et le prononcé de la peine, elle ne se prononce pas sur la façon de considérer ces délais (par. 49, note 2).
Chacun doit prendre des mesures proactives pour remédier aux délais et pour s’assurer que l’accusé est jugé en temps utile, et ce, à toutes les étapes du procès.
[30] Si l’arrêt Jordan n’indique pas à quel moment l’accusé doit présenter une requête en vertu de l’al. 11b), les enseignements de la Cour sont toutefois clairs en ce qui concerne le comportement qu’elle souhaite voir adopter par tous les participants du système de justice criminelle : chacun doit prendre des mesures proactives pour remédier aux délais et pour s’assurer que l’accusé est jugé en temps utile, et ce, à toutes les étapes du procès (Jordan, par. 137-139; R. c. Thanabalasingham, 2020 CSC 18, par. 9).
[31] Le nouveau cadre d’analyse abandonne l’approche rétrospective et adopte un point de vue prospectif qui permet aux différents participants de connaître dès le début de l’instance les limites du délai raisonnable (Jordan, par. 108; K.G.K., par. 43). La prévisibilité du nouveau cadre responsabilise les parties et les encourage à adopter des mesures proactives à l’égard des délais (Jordan, par. 112; R. c. Cody, 2017 CSC 31, [2017] 1 R.C.S. 659, par. 36). Pour ce qui est du ministère public, l’approche prospective clarifie l’obligation que lui fait la Constitution de traduire l’accusé en justice dans un délai raisonnable (Jordan, par. 112). Pour ce qui est de l’accusé, la prévisibilité qu’apporte le nouveau cadre exige de lui qu’il prenne activement part à la résolution du problème des délais en matière criminelle (Jordan, par. 84-86 et 113).
[32] Comme l’écrivait notre Cour dans l’arrêt Morin, « [l]’alinéa 11b) a pour but d’accélérer les procès et de réduire les préjudices et non pas d’éviter qu’une personne subisse son procès sur le fond » (p. 802). Cet alinéa n’a pas été conçu pour permettre à l’accusé de faire échec aux fins de la justice (Jordan, par. 21, 60 et 63). Comme la Cour l’a d’ailleurs rappelé récemment, l’inculpé ne peut profiter d’un allongement des délais qu’il a causé par sa propre conduite (R. c. Boulanger, 2022 CSC 2, par. 6; R. c. Ste-Marie, 2022 CSC 3, par. 11).
[33] La conduite de la défense est prise en compte dans le cadre établi par l’arrêt Jordan,puisque les délais qui lui sont imputables sont soustraits du délai total brut (par. 60). Le délai imputable à la défense comprend deux volets : (1) le délai auquel la défense a renoncé et (2) le délai qui est causé uniquement ou directement par la défense (Jordan, par. 61 et 63; Cody, par. 26). L’inaction peut constituer une conduite illégitime de la part de la défense, étant donné que « [l]’illégitimité peut s’étendre tant aux omissions qu’aux actions » (Cody, par. 33). Comme le dit notre Cour dans l’arrêt Cody, la défense ne saurait tirer avantage de sa propre inaction ou tardiveté à agir; elle doit agir de façon proactive :
Les accusés doivent garder à l’esprit que le « droit d’être jugé dans un délai raisonnable » garanti par l’al. 11b) a pour corollaire la responsabilité d’éviter de causer un délai déraisonnable. L’avocat de la défense est donc censé « faire valoir activement les droits de son client à un procès tenu dans un délai raisonnable, collaborer avec l’avocat du ministère public lorsque cela sera indiqué et [. . .] utiliser de façon efficace le temps du tribunal » (Jordan, par. 138). [par. 33]
[34] L’accusé qui constate l’allongement des délais doit donc prendre des mesures proactives à cet effet. Agir de façon proactive peut vouloir dire déposer une requête fondée sur l’al. 11b) lorsqu’il considère que son droit d’être jugé dans un délai raisonnable n’est pas respecté ou ne le sera pas (Jordan, par. 85). Comme toute autre demande formulée par l’accusé, une requête de ce genre doit être présentée de manière « raisonnable et expéditive » (par. 85). Soulever tardivement les délais est contraire à la saine administration de la justice, car une telle pratique favorise le gaspillage de ressources judiciaires. Le cadre de l’arrêt Jordan vise d’ailleurs précisément à éliminer les pratiques inefficaces qui impactent le système judiciaire (par. 41 et 116). La présentation d’une requête fondée sur l’al. 11b) avant la conclusion du procès permet à l’accusé d’alerter le ministère public ainsi que le tribunal de ses préoccupations concernant les délais. De cette façon, toutes les parties peuvent prendre des mesures proactives et coopérer pour accélérer le déroulement de l’instance.
La défense est en effet encouragée à agir avant le début du procès, parce que le cadre établi dans l’arrêt Jordan permet « aux parties de connaître “à l’avance, les limites du délai raisonnable et [de] prendre des mesures proactives pour remédier aux délais” ».
[35] Il est généralement reconnu qu’un accusé qui soulève le caractère déraisonnable des délais après la tenue du procès (R. c. Rabba (1991), 1991 CanLII 7073 (ON CA), 64 C.C.C. (3d) 445 (C.A. Ont.)), et particulièrement après la déclaration de culpabilité (R. c. Warring, 2017 ABCA 128, 347 C.C.C. (3d) 391, par. 11; R. c. C.D., 2014 ABCA 392, 588 A.R. 82), n’agit pas en temps utile. Dans K.G.K.,le juge Moldaver a interprété l’approche prospective adoptée dans l’arrêt Jordancomme ayant pour effet d’« encourage[r] la présentation de demandes fondées sur l’al. 11b) préalables au procès » (par. 43 (je souligne)). La défense est en effet encouragée à agir avant le début du procès, parce que le cadre établi dans l’arrêt Jordan permet « aux parties de connaître “à l’avance, les limites du délai raisonnable et [de] prendre des mesures proactives pour remédier aux délais” » (K.G.K.,par. 43, citant Jordan, par. 108 (en italique dans l’original)).
[36] En somme, le devoir d’agir de façon proactive incombe également à l’accusé. En conséquence, ce dernier doit signaler que son droit d’être jugé dans un délai raisonnable n’est pas respecté et, lorsque les circonstances l’imposent, présenter une requête en arrêt des procédures en temps utile. En règle générale, cela signifie avant la tenue du procès. Au moment où les dates du procès sont fixées, les parties seront généralement en mesure de savoir si les délais du procès excéderont le plafond présumé applicable et la défense pourra, s’il y a lieu, faire état de ses préoccupations. Il n’est toutefois pas exclu que, de façon exceptionnelle, la violation du droit prévu à l’al. 11b) ne se manifeste qu’une fois le procès amorcé. Dans un tel cas, l’accusé devra également agir de façon proactive.
Une requête en arrêt des procédures présentée pour la première fois en appel, sans que le juge de première instance ait eu l’occasion de se prononcer sur son bien-fondé, doit généralement être rejetée.
[37] Si une requête fondée sur l’al. 11b) est considérée comme tardive lorsqu’elle est présentée après la conclusion du procès, ce n’est qu’exceptionnellement que l’accusé peut soulever cette question pour la première fois en appel.
[38] Soulever de nouveaux moyens en appel est généralement découragé dans les affaires criminelles, car l’intérêt supérieur de la justice commande que ces affaires soient tranchées de façon définitive en première instance, comme l’a expliqué la juge L’Heureux-Dubé dans ses motifs dissidents, mais non sur ce point, dans R. c. Brown, 1993 CanLII 114 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 918 :
Le ministère public et la défense seraient plongés dans l’incertitude si les avocats des deux parties, ayant découvert que la stratégie adoptée au procès n’a pas entraîné le verdict souhaité ou escompté, concevaient de nouvelles façons de procéder. Les coûts augmenteraient et le règlement des affaires criminelles pourrait prendre plusieurs années dans les cas les plus courants. De plus, cela aurait pour effet de miner l’attente qu’a la société à ce que les affaires criminelles se règlent équitablement et complètement en première instance, ainsi que le respect qu’elle a pour l’administration de la justice. Les jurés auraient raison de ne pas être certains d’avoir rempli une fonction sociale importante ou d’avoir simplement perdu leur temps. Pour ces raisons, les tribunaux ont toujours observé scrupuleusement la règle interdisant le recours à ces tactiques. [p. 923-924]
[39] Une requête en arrêt des procédures présentée pour la première fois en appel, sans que le juge de première instance ait eu l’occasion de se prononcer sur son bien-fondé, doit généralement être rejetée (Rabba; R. c. G. (L.), 2007 ONCA 654, 228 C.C.C. (3d) 194, par. 42-43; Phillips c. R., 2017 QCCA 1284, par. 29-31 (CanLII)). Le tribunal de première instance est le mieux placé pour statuer sur une telle requête, puisque c’est lui qui dispose d’un tableau complet de l’instance. Dans l’arrêt Jordan,la Cour rappelle d’ailleurs que les juges de première instance sont particulièrement bien placés pour qualifier les différents délais survenus (par. 71 et 79).
Les cours d’appel sont généralement réticentes à entendre des nouveaux moyens, parce qu’elles sont privées de l’éclairage du tribunal de première instance
Lorsqu’un moyen est présenté pour la première fois en appel, le tribunal d’appel doit déterminer s’il s’agit d’une situation exceptionnelle qui, au vu de l’ensemble des circonstances, justifie l’utilisation de son pouvoir discrétionnaire.
[40] Les cours d’appel sont généralement réticentes à entendre des nouveaux moyens, parce qu’elles sont privées de l’éclairage du tribunal de première instance (R. c. Roach, 2009 ONCA 156, 246 O.A.C. 96, par. 6; Ontario (Labour) c. Cobra Float Service Inc., 2020 ONCA 527, 65 C.C.E.L. (4th) 169, par. 19). Cela vaut également pour les questions de nature constitutionnelle (Roach, par. 6; R. c. Chambers, 2013 ONCA 680, 311 O.A.C. 307, par. 45). Ce n’est qu’en présence de circonstances exceptionnelles qu’une partie peut être autorisée à présenter un nouveau moyen en appel (Guindon c. Canada, 2015 CSC 41, [2015] 3 R.C.S. 3, par. 20-23; Phillips, par. 14).
[41] Lorsqu’un moyen est présenté pour la première fois en appel, le tribunal d’appel doit déterminer s’il s’agit d’une situation exceptionnelle qui, au vu de l’ensemble des circonstances, justifie l’utilisation de son pouvoir discrétionnaire. Pour ce faire, il doit notamment considérer « la teneur du dossier, l’équité envers toutes les parties, l’importance que la question soit résolue par [le tribunal], le fait que l’affaire se prête ou non à une décision et les intérêts de l’administration de la justice en général » (Guindon, par. 20). Par « teneur du dossier », on entend la présence au dossier d’une preuve suffisante pour permettre au tribunal de trancher la question (voir Phillips, par. 19; R. c. Kitaitchik(2002), 2002 CanLII 45000 (ON CA), 166 C.C.C. (3d) 14 (C.A. Ont.), par. 36). Dans tous les cas, une cour d’appel « ne doit exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui permet d’examiner puis de trancher une question nouvelle qu’à titre exceptionnel et jamais sans que le plaideur ne démontre que les parties n’en subiront pas un préjudice » (Guindon, par. 23; Performance Industries Ltd. c. Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd., 2002 CSC 19, [2002] 1 R.C.S. 678, par. 33; Phillips, par. 14; Ontario (Labour), par. 20; G (L.), par. 43).
[42] C’est donc seulement à titre exceptionnel que l’accusé peut soulever pour la première fois en appel la violation de son droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Il faut maintenant se pencher sur le sort d’une demande pour cause de délais déraisonnables présentée après le prononcé d’une ordonnance intimant la tenue d’un nouveau procès.
Le silence ou l’inaction de l’accusé ne saurait en soi permettre d’inférer une renonciation de sa part à soulever les délais, bien que cela puisse être un facteur pertinent et important dans son analyse.
La présentation tardive d’une requête en arrêt des procédures fondée sur l’al. 11b) demeure néanmoins un facteur important pour décider si l’accusé a renoncé à invoquer les délais.
[45] La Cour a maintes fois rappelé que les conditions applicables pour conclure à la renonciation à un droit constitutionnel doivent être interprétées de manière restrictive, mais que cela n’empêche pas un accusé de renoncer à un droit procédural (R. c. Hebert, 1990 CanLII 118 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 151, p. 203; Korponay c. Procureur général du Canada, 1982 CanLII 12 (CSC), [1982] 1 R.C.S. 41, p. 48-49). Un accusé peut renoncer à une règle procédurale tant qu’il le fait « en pleine connaissance des droits que [cette] procédure vise à protéger et de l’effet de la renonciation sur ces droits » (R. c. Tran, 1994 CanLII 56 (CSC), [1994] 2 R.C.S. 951, p. 997).
[46]L’alinéa 11b) de la Charte précise que tout inculpé a le droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Celui-ci peut renoncer à invoquer un délai donné et, lorsqu’il le fait, ce délai est soustrait du délai total (Jordan, par. 61). Il importe de préciser qu’une « renonciation » qui touche au droit prévu à l’al. 11b) de la Charte « ne vise pas le droit lui‑même, mais simplement l’inclusion de certaines périodes dans l’appréciation générale du caractère raisonnable » (R. c. Conway, 1989 CanLII 66 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 1659, p. 1686, cité dans Jordan, par. 61).
[47] La renonciation « peut être explicite ou implicite, mais elle doit être claire et sans équivoque dans les deux cas » (Jordan, par. 61; voir également Morin, p. 790; Askov, p. 1228). En ce sens, comme la Cour l’a indiqué dans l’arrêt Askov, le simple silence de l’accusé ou l’inaction de celui-ci ne peut emporter renonciation à un délai :
L’omission de l’accusé de revendiquer son droit n’autorise pas le ministère public à lui imposer un procès inéquitable. L’omission de l’accusé de faire valoir son droit ne suffit pas, à elle seule, à mettre en doute ses intentions comme elle peut le faire relativement à d’autres droits garantis par l’art. 11. Il faut plutôt, dans la conduite de l’accusé, quelque chose qui permette de conclure qu’il a compris que l’al. 11b) lui garantissait un droit, qu’il a compris la nature de ce droit et qu’il a renoncé au droit ainsi garanti. Bien qu’il n’y ait pas de formule rituelle pour renoncer à un droit, il faut que la renonciation soit exprimée d’une façon ou d’une autre. Le silence de l’accusé ou l’absence d’opposition de sa part ne saurait constituer une renonciation valide. [Je souligne; p. 1228-1229.]
(Voir également Mills c. La Reine, 1986 CanLII 17 (CSC), [1986] 1 R.C.S. 863, p. 929.)
[48] La preuve d’une renonciation incombe à la poursuite (Askov, p. 1229). Il faut donc « un acte exprès dont on peut déduire l’acquiescement au délai » de la part de l’accusé pour que le tribunal puisse conclure qu’il y a eu renonciation (Askov, p. 1229). Le « simple silence de l’accusé ne suffit pas à faire conclure à sa renonciation à un droit garanti par la Charte » (Askov, p. 1229; voir également Mills, p. 929). Pour inférer l’existence d’une renonciation implicite, « il doit y avoir un acte précis et non seulement un manque d’attention. Si l’accusé ou son avocat ne pense pas expressément à la renonciation et qu’il n’est pas au courant de ce que signifie sa conduite, alors cette conduite ne constitue pas une renonciation » (Morin, p. 790).
…
[52] En résumé, la proposition du ministère public ne peut donc être adoptée. Le silence ou l’inaction de l’accusé ne saurait en soi permettre d’inférer une renonciation de sa part à soulever les délais, bien que cela puisse être un facteur pertinent et important dans son analyse. Cette conclusion s’impose, étant donné que le droit d’être jugé dans un délai raisonnable appartient à l’inculpé sans qu’il n’ait besoin d’affirmer explicitement son désir d’être protégé par ce droit (Rabba; voir également Morin, p. 802). L’accusé conserve néanmoins l’obligation de soulever en temps utile la violation de son droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Au risque de me répéter, il ne peut tirer avantage de sa propre inaction ou tardiveté à agir. Le nouveau cadre sanctionne l’inaction ou la tardiveté à agir de l’accusé. L’inaction peut être considérée à titre de conduite illégitime, et les délais qui y sont associés peuvent être imputés à la défense lors de la détermination du caractère déraisonnable des délais(Jordan, par. 63, 113 et 121; Cody, par. 33).
Agir tardivement nuit à la saine administration de la justice et contribue au maintien de pratiques inefficaces qui ont des incidences négatives sur le système judiciaire et sur ses ressources limitées (Jordan, par. 41 et 116).
Le fait de présenter lors d’un deuxième procès une requête en arrêt des procédures fondée sur les délais survenus lors du premier est contraire à ce devoir et nuit à la saine administration de la justice.
[56] Agir tardivement nuit à la saine administration de la justice et contribue au maintien de pratiques inefficaces qui ont des incidences négatives sur le système judiciaire et sur ses ressources limitées (Jordan, par. 41 et 116). Comme l’approche prospective de l’arrêt Jordan permet aux parties de connaître d’entrée de jeu le délai raisonnable applicable à leur instance, elles ont la responsabilité de prendre des mesures proactives pour éviter qu’il soit dépassé. Cette responsabilité incombe tant au ministère public qu’à la défense. L’accusé qui constate l’allongement des délais doit agir de manière raisonnable et expéditive (Jordan, par. 85). Le fait de présenter lors d’un deuxième procès une requête en arrêt des procédures fondée sur les délais survenus lors du premier est contraire à ce devoir et nuit à la saine administration de la justice. Agir de la sorte occulte la raison même pour laquelle un nouveau procès a été ordonné, puisque cela a en quelque sorte pour effet d’entraîner un procès mort-né. Qui plus est, considérant qu’en règle générale la présentation d’une telle requête alors que le procès a débuté est reconnue comme tardive, il serait illogique de permettre à l’accusé de le faire plus tardivement encore, à savoir lors du deuxième procès.
Le prononcé d’une ordonnance de nouveau procès a pour effet de ramener à zéro les aiguilles de l’horloge constitutionnelle calculant le délai.
[60] Le prononcé d’une ordonnance de nouveau procès a pour effet de ramener à zéro les aiguilles de l’horloge constitutionnelle calculant le délai (Gakmakge c. R., 2017 QCCS 3279; JEV, par. 37; Masson c. R., 2019 QCCS 2953, 57 C.R. (7th) 415, par. 91). Ainsi, seuls les délais liés au deuxième procès peuvent être comptabilisés lorsqu’une demande fondée sur l’al. 11b) est présentée dans le cadre de ce nouveau procès. Cela ne veut toutefois pas dire qu’il n’est pas permis, dans certaines circonstances exceptionnelles, de considérer les délais liés au premier procès dans l’évaluation du caractère raisonnable des délais liés au second.
L’arrêt Jordan établit des plafonds de raisonnabilité et non des seuils de déraisonnabilité, et que, dans la plupart des cas, l’accusé devrait être traduit en justice dans un délai inférieur à ces plafonds.
Un délai peut être jugé déraisonnable « même s’il est inférieur au plafond présumé applicable ».
[67] Je tiens en outre à rappeler, comme l’a souligné le juge Moldaver dans K.J.M., que l’arrêt Jordan établit des plafonds de raisonnabilité et non des seuils de déraisonnabilité, et que, dans la plupart des cas, l’accusé devrait être traduit en justice dans un délai inférieur à ces plafonds :
Bien que les plafonds présumés soient un élément important de l’arrêt Jordan, ils ne disent pas tout. En effet, cet arrêt a établi des plafonds et non des seuils. Même si ces plafonds offrent une approche claire, ils sont complétés par une approche plus souple et au cas par cas pour les délais inférieurs au plafond. Ainsi, l’arrêt Jordan combine l’uniformité et la souplesse.
. . .
Lorsqu’ils adoptent cette approche proactive, les procureurs doivent garder à l’esprit que le plafond présumé n’est « pas un objectif ambitieux ». Des délais de 18 ou de 30 mois sont quand même « de longs délais pour que justice soit rendue », et la plupart des affaires peuvent et devraient être réglées en moins de temps (Jordan, par. 56-57). [Je souligne; par. 69 et 82.]
[68] Le cadre établi dans l’arrêt Jordan offre donc suffisamment de souplesse pour permettre aux tribunaux de décider si le délai dans lequel a été tenu le deuxième procès est raisonnable ou non, et ce, même si ce délai est inférieur au plafond présumé. Un délai qui respecte le plafond applicable n’est pas de ce seul fait raisonnable, mais uniquement présumé l’être. En effet, un délai peut être jugé déraisonnable « même s’il est inférieur au plafond présumé applicable » (Jordan, par. 82).
Lorsqu’une ordonnance intimant la tenue d’un nouveau procès est prononcée, les participants au système de justice criminelle, en particulier le ministère public et le tribunal, doivent agir de façon proactive afin de fixer rapidement les dates de ce nouveau procès, dont la tenue doit habituellement être priorisée. L’accusé a lui aussi, rappelons-le, un rôle à jouer à cet égard, et il doit prendre des mesures proactives à cette fin.
Les délais liés au nouveau procès doivent, en règle générale, être plus courts que ceux liés au premier.
[70] Le premier facteur est la nécessité de prioriser la tenue des deuxièmes procès lors de l’établissement du calendrier des audiences. Les parties s’entendent sur ce point. Les cours d’appel et les tribunaux de première instance l’ont d’ailleurs reconnu à diverses reprises (JEV, par. 38; MacIsaac, par. 23-25; J.A.L., par. 14; R. c. Richard, 2017 MBQB 11, 375 C.R.R. (2d) 61, par. 32). Lorsqu’une ordonnance intimant la tenue d’un nouveau procès est prononcée, les participants au système de justice criminelle, en particulier le ministère public et le tribunal, doivent agir de façon proactive afin de fixer rapidement les dates de ce nouveau procès, dont la tenue doit habituellement être priorisée. L’accusé a lui aussi, rappelons-le, un rôle à jouer à cet égard, et il doit prendre des mesures proactives à cette fin.
[71] Le second facteur va de pair avec le premier : les délais liés au nouveau procès doivent, en règle générale, être plus courts que ceux liés au premier. Les parties s’entendent également sur ce point. Il est communément admis que les délais liés au deuxième procès seront plus courts que ceux du premier, étant donné que la preuve et les positions respectives des parties ont été présentées une première fois (JEV, par. 38; MacIsaac, par. 27; Masson, par. 91). Je signale cependant qu’il n’est pas exclu qu’un deuxième procès d’une durée comparable à celle du premier soit justifié dans certaines circonstances. À titre d’exemple, il pourrait arriver qu’un changement de stratégie de la part de la poursuite ou de l’accusé fasse en sorte que le travail accompli lors du premier procès ne soit plus utile (JEV, par. 41; Masson, par. 89). C’est pourquoi l’analyse des délais doit demeurer contextuelle et prendre en compte les circonstances particulières de chaque affaire.