Il existe à l’égard de la formation d’appels par la Couronne une aversion historique qui motive les limites différentes assujettissant l’accès à l’appel reconnu à la Couronne et à la personne déclarée coupable
[22] Le caractère limité du droit de la Couronne de faire appel d’un acquittement est profondément ancré dans les principes qui sous‑tendent notre système de justice criminelle et est « [i]ssu d’un contexte historique particulier caractérisé par la réticence du droit anglo‑canadien à permettre l’appel d’un acquittement » (LSJPA – 151, 2015 QCCA 35, par. 57 (CanLII), le juge Kasirer, maintenant juge de notre Cour). De fait, [traduction] « [i]l existe à l’égard de la formation d’appels par la Couronne une aversion historique qui motive les limites différentes assujettissant l’accès à l’appel reconnu à la Couronne et à la personne déclarée coupable » (R. c. Budai, 2001 BCCA 349, 153 B.C.A.C. 98, par. 123, le juge Ryan).
[23] Historiquement, au Canada, la possibilité pour la Couronne de faire appel d’un acquittement se limite aux questions de droit seulement. Bien que les dispositions énonçant le droit d’appel de la Couronne aient évolué au fil des ans, cette contrainte est demeurée la même. Par exemple, lorsque le Code criminel du Canada a été édicté en 1892, « un appel par le ministère public à l’encontre d’un acquittement n’était possible que lorsqu’une question de droit avait été réservée à l’opinion de la Cour d’appel », ou que, par le recours à un processus d’autorisation, l’affaire était autorisée à suivre son cours comme si la question avait été réservée (Morgentaler c. La Reine, 1975 CanLII 8 (CSC), [1976] 1 R.C.S. 616, p. 662; voir le Code criminel, 1892, S.C. 1892, c. 29, art. 743 et 744; voir aussi B. L. Berger, « Criminal Appeals as Jury Control : An Anglo‑Canadian Historical Perspective on the Rise of Criminal Appeals » (2006), 10 Rev. can. D.P. 1, p. 36). D’autres modifications ont été apportées en 1900[1] et en 1909[2], et le droit de la poursuite de la Couronne de faire appel d’un acquittement sur la base d’une question de droit a été complètement abrogé en 1923 (S.C. 1923, c. 41, art. 9). Il n’est pas clair que cette suppression était intentionnelle, mais ce droit a été par la suite « rétabli » en 1930 (Morgentaler, p. 662‑663; voir la note explicative accompagnant l’art. 38 du projet de loi 138 de la Chambre des communes, Loi modifiant le Code criminel, 4e sess., 16e lég., 1930 (1re lecture le 14 mai 1930)). Le texte modifié de la disposition pertinente, le par. 1013(4) du Code criminel, S.R.C. 1927, c. 36, reconnaissait au procureur général le droit de faire appel d’un acquittement prononcé à l’égard d’un acte criminel « sur tout motif d’appel qui comporte une question de droit seulement » (S.C. 1930, c. 11, art. 28). Contrairement aux versions antérieures du pouvoir de la Couronne de faire appel d’un acquittement, cette modification ne comportait pas l’obligation d’obtenir l’autorisation du juge du procès ou de la Cour d’appel (voir la discussion des modifications de 1900 et de 1909 dans Morgentaler, p. 662).
[24] Cette dernière modification — qui reflète aussi l’état actuel du droit — a été décrite comme un [traduction] « recours extraordinaire » (Ministère de la Justice et de la Sécurité publique, Guide Book of Policies and Procedures for the Conduct of Criminal Prosecutions in Newfoundland and Labrador, 2022 (en ligne), p. 23‑2). La capacité de la Couronne de faire appel d’un acquittement a été considérée comme [traduction] « une innovation procédurale en droit criminel » qui constituait une « rupture [. . .] frappante avec les principes fondamentaux relatifs à la sécurité de la personne » (Cullen c. The King, 1949 CanLII 7 (SCC), [1949] R.C.S. 658, p. 665‑666, le juge Rand, dissident), ayant [traduction] « créé une exception à la règle générale selon laquelle nul ne devrait être jugé deux fois pour la même accusation » (Guide Book of Policies and Procedures for the Conduct of Criminal Prosecutions in Newfoundland and Labrador, p. 23‑2). Certains commentateurs l’ont qualifiée de mesure [traduction] « radicale », « exceptionnelle », « spéciale », « inhabituelle » et « limitée » d’une manière « extrêm[e] » ou « étroite » (voir, p. ex., Wexler c. The King, 1939 CanLII 41 (SCC), [1939] R.C.S. 350, p. 358; Rose c. The Queen, 1959 CanLII 67 (SCC), [1959] R.C.S. 441, p. 442; R. c. Podetz (1981), 1981 ABCA 52 (CanLII), 26 A.R. 307 (C.A.), par. 10; R. c. W.F.M. (1995), 1995 ABCA 244 (CanLII), 169 A.R. 222 (C.A.), par. 5; M. L. Friedland, Double Jeopardy (1969), p. 295; R. c. Orlin, 1945 CanLII 239 (QC CA), [1945] R.L. 374 (B.R. Qc (Juridiction d’appel)), p. 378; R. c. Biniaris, 2000 CSC 15, [2000] 1 R.C.S. 381, par. 33;R. c. Rudge, 2011 ONCA 791, 108 O.R. (3d) 161, par. 35).
[25] De nombreux autres pays limitent eux aussi les appels par la Couronne en cas d’acquittement. De fait, le droit dont dispose la Couronne de faire appel d’un acquittement est plus étendu au Canada que dans la plupart des autres pays de common law (voir R. c. Barton, 2019 CSC 33, [2019] 2 R.C.S. 579, par. 46, et R. c. Graveline, 2006 CSC 16, [2006] 1 R.C.S. 609, par. 13, citant tous les deux R. c. Evans, 1993 CanLII 102 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 629, p. 645‑646). Le Royaume‑Uni impose d’importantes restrictions à l’égard des appels par la Couronne (voir la Criminal Justice Act 2003 (R.‑U.), 2003, c. 44, art. 57(4), 63, 67, 76(3), 76(4), 77, 78 et 79; H. Stewart, « Procedural Rights and Factual Accuracy » (2020), 26 Legal Theory 156, p. 170‑171), et bon nombre de pays étrangers ne permettent pas du tout les appels à l’encontre des acquittements (voir S. Coughlan, Criminal Procedure (4e éd. 2020), p. 587).
Le droit d’appel limité de la poursuite vise à empêcher un appel sur les faits afin de protéger les personnes acquittées du double péril associé à un nouveau procès.
Permettre que le droit d’appel restreint de la Couronne soit élargi au‑delà de son champ d’application compromettrait la protection qu’offre cette disposition contre les déclarations de culpabilité erronées et le double péril
[26] Le fait que « le processus criminel ne comporte aucun principe de parité en matière de droit d’appel » entre la Couronne et l’accusé s’explique par le fait que des considérations de politique d’intérêt général différentes s’appliquent au droit d’appel de la Couronne contre des acquittements (Biniaris, par. 33).
[27] La volonté d’éviter des déclarations de culpabilité erronées est l’une des raisons qui expliquent pourquoi la portée du droit d’appel de l’accusé est plus étendue que celui de la Couronne. Comme l’a expliqué notre Cour dans l’arrêt Biniaris, « [l]es procès dénués de toute erreur sont souhaitables en soi, mais à plus forte raison en tant que moyen d’éviter les déclarations de culpabilité erronées » (par. 26).
[28] Dans le cas des procès devant jury, le respect que manifestent les cours d’appel envers les verdicts d’acquittement prononcés par les jurys est une autre raison justifiant de limiter le droit d’appel de la Couronne aux questions de droit seulement (T. Desjardins, L’appel en droit criminel et pénal(2e éd. 2012), par. 72).
[29] La raison la plus importante qui justifie de limiter le droit d’appel de la Couronne réside toutefois dans le principe de la protection contre le double péril. Aux États‑Unis, c’est la raison pour laquelle la Cour suprême a conclu que l’appel d’un acquittement contreviendrait au Cinquième amendement (voir, p. ex., McElrath c. Georgia, 601 U.S. 87 (2024), p. 94). La protection contre le double péril fait aussi partie du cadre qui régit la capacité de la Couronne au Royaume‑Uni d’obtenir un nouveau procès après un acquittement (Criminal Justice Act 2003, al. 76(4)(c)).
[30] Cette justification est également cruciale en droit canadien. Notre Cour a jugé que la capacité de la Couronne de faire appel d’un acquittement ne viole pas l’al. 11h) de la Charte canadienne des droits et libertés (R. c. Morgentaler, 1988 CanLII 90 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 30, p. 155‑156, le juge McIntyre, dissident, mais non sur ce point). Néanmoins, ainsi que l’a souligné le juge Kasirer dans l’arrêt LSJPA – 151, « le droit d’appel limité de la poursuite vise à empêcher un appel sur les faits afin de protéger les personnes acquittées du double péril associé à un nouveau procès » (par. 57 (note en bas de page omise)). Comme il a été expliqué dans l’arrêt Cullen, [traduction]« [à] la base du droit criminel repose le principe fondamental selon lequel [personne] ne doit être mis en péril deux fois pour la même affaire [. . .] Constitue une atteinte suprême aux droits d’une personne le fait de [la] soumettre, par le pouvoir de contrainte physique de la communauté, à une épreuve susceptible d’entraîner la perte de sa liberté ou de sa vie; et il existe une répugnance viscérale envers l’exercice répété de ce pouvoir à l’égard des mêmes faits, sauf pour de solides raisons de politique d’intérêt général » (p. 668)[3].
[31] Ainsi, l’élargissement du droit d’appel de la Couronne au‑delà de son véritable cadre d’application aurait une incidence profonde sur les intérêts des personnes accusées, en particulier en raison de l’angoisse considérable créée par la perspective d’un nouveau procès après qu’une personne a été acquittée (voir Budai, par. 125, citant R. c. Potvin, 1993 CanLII 113 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 880, p. 890, la juge McLachlin, souscrivant au résultat). Permettre que le droit d’appel restreint de la Couronne soit élargi au‑delà de son champ d’application compromettrait la protection qu’offre cette disposition contre les déclarations de culpabilité erronées et le double péril.
La portée du droit de la Couronne de faire appel d’un acquittement est fonction de ce qui est considéré comme une question de droit. Cette détermination dépend généralement du caractère de l’erreur alléguée plutôt que de sa gravité. Une question de droit découle généralement d’une situation factuelle admise ou non contestée; la cour d’appel peut alors tirer de la preuve une conclusion purement juridique sans remettre en question l’appréciation de la preuve par le juge du procès.
[32] L’historique et la raison d’être de l’al. 676(1)a) sont importants afin de comprendre l’objet et la portée du droit d’appel limité de la Couronne et de répondre à la « question épineuse de savoir en quoi consiste une erreur de droit seulement » (voir R. c. J.M.H., 2011 CSC 45, [2011] 3 R.C.S. 197, par. 24). Dans l’arrêt Biniaris, notre Cour a conclu que l’expression « question de droit seulement » était « utilisée par opposition au droit de l’accusé d’interjeter appel autant sur des questions de droit et des questions de fait que sur des questions mixtes de fait et de droit » (par. 30). La Cour a décliné l’invitation qui lui était faite d’établir une distinction entre les expressions « question de droit seulement » et « question de droit », estimant que ces deux expressions « ne diffère[nt] guère » l’une de l’autre et qu’elles doivent recevoir la même interprétation (par. 31).
[33] En conséquence, la portée du droit de la Couronne de faire appel d’un acquittement est fonction de ce qui est considéré comme une question de droit. Cette détermination dépend généralement du caractère de l’erreur alléguée plutôt que de sa gravité (R. c. George, 2017 CSC 38, [2017] 1 R.C.S. 1021, par. 17). Une question de droit découle généralement d’une situation factuelle admise ou non contestée; la cour d’appel peut alors tirer de la preuve une conclusion purement juridique sans remettre en question l’appréciation de la preuve par le juge du procès (M. Vauclair, T. Desjardins et P. Lachance, Traité général de preuve et de procédure pénales 2023 (30e éd. 2023), par. 51.55). Parmi les exemples évidents de questions de droit qui ne sont pas tributaires des faits d’une affaire donnée, mentionnons l’interprétation d’une loi, la portée d’un droit constitutionnel et la définition des éléments essentiels d’une infraction (par. 51.58).
[34] Dans d’autres situations, tracer la ligne de démarcation entre les questions de droit et les questions de fait ou mixtes de fait et de droit peut s’avérer plus difficile. C’est souvent le cas lorsque l’erreur alléguée concerne l’appréciation de la preuve par le juge du procès. Comme l’a expliqué notre Cour dans l’arrêt R. c. Chung, 2020 CSC 8, [2020] 1 R.C.S. 405, « [u]n lien doit pouvoir être établi entre l’erreur susceptible d’appel et une question de droit, plutôt qu’une question sur la manière d’apprécier la preuve et de vérifier si celle‑ci satisfait à la norme de preuve » (par. 10 (références omises)). Il existe cependant des situations dans lesquelles « les lacunes dont souffrirait l’appréciation de la preuve par le juge du procès constituent une erreur de droit qui permet au ministère public d’interjeter appel d’un acquittement »(J.M.H., par. 24).
1. Une conclusion de fait qui n’est appuyée par aucun élément de preuve. Par contre, pour l’application de cette règle, la conclusion que le juge des faits entretient un doute raisonnable n’est pas une conclusion de fait.
2. L’effet juridique des conclusions de fait ou des faits incontestés.
3. Une appréciation de la preuve fondée sur un mauvais principe juridique.
4. L’omission de tenir compte de toute la preuve qui se rapporte à la question ultime de la culpabilité ou de l’innocence.
Compte tenu du champ d’application circonscrit du droit d’appel de la Couronne en cas d’acquittement et des considérations de politique d’intérêt général importantes qui sous‑tendent ce droit d’appel limité, les cours d’appel doivent indiquer expressément les erreurs de droit reprochées.
[39] Compte tenu du champ d’application circonscrit du droit d’appel de la Couronne en cas d’acquittement et des considérations de politique d’intérêt général importantes qui sous‑tendent ce droit d’appel limité, les cours d’appel doivent indiquer expressément les erreurs de droit reprochées. Les tribunaux et les procureurs doivent demeurer vigilants à cet égard, parce qu’il est parfois difficile de distinguer les questions de droit seulement des questions mixtes de fait et de droit ou des questions de fait. Les tribunaux en particulier doivent demeurer vigilants, car [traduction] « [o]rdinairement, il n’est pas difficile pour un procureur de la Couronne expérimenté de formuler l’appel en des termes qui laissent entendre qu’une question de droit est en jeu » alors que ce n’est pas le cas (R. c. Odeon Morton Theatres Ltd., 1974 CanLII 1126 (MB CA), [1974] 3 W.W.R. 304 (C.A. Man.), p. 304‑305; voir aussi R. c. Chatwin Motors Ltd., 1980 CanLII 193 (CSC), [1980] 2 R.C.S. 64, p. 76, citant et approuvant ce passage).
[40] L’omission d’indiquer précisément l’erreur de droit risque d’entraîner l’élargissement des appels de la Couronne au‑delà du champ d’application de l’art. 676. Ce risque est particulièrement élevé lorsque l’erreur porte sur de prétendues lacunes dans la façon dont le juge du procès a traité la preuve. Un tel élargissement minerait des principes importants, notamment celui interdisant le double péril. En conséquence, il ne suffit pas d’affirmer ou de déclarer que le juge du procès a commis une erreur de droit dans l’appréciation de la preuve. Les cours d’appel doivent énoncer avec précision en quoi le juge du procès a commis une erreur de droit.
…
[43] Nous ne sommes pas d’accord. L’erreur alléguée n’est pas une erreur de droit. Comme l’a expliqué notre Cour dans l’arrêt Chung, les deuxième et troisième catégories d’erreurs mentionnées dans l’arrêt J.M.H.concernent des « situations où l’application des principes juridiques à la preuve, par les juges de première instance, révèle une compréhension erronée du droit, soit parce que les juges concluent à l’existence de tous les faits nécessaires pour satisfaire au critère mais commettent une erreur de droit dans son application, soit parce que les juges apprécient la preuve d’une manière qui indique autrement une mauvaise compréhension du droit » (Chung, par. 11(nous soulignons)). C’est cette « compréhension erronée » ou cette « mauvaise compréhension » du droit qu’une juridiction d’appel doit identifier et énoncer avec précision lorsqu’elle annule un acquittement. Par exemple, si la cour conclut que le juge du procès a commis une erreur dans son appréciation de la preuve en se fondant sur un mauvais principe juridique, elle doit expliquer quel principe est en jeu, lequel des éléments ou aspects de ce principe est à l’origine de l’erreur et comment les motifs du juge du procès démontrent une compréhension erronée ou mauvaise compréhension de cet élément ou de cet aspect. Avec égards, la Cour d’appel n’a pas énoncé l’erreur de droit précise à l’origine de son intervention. Nous ne sommes pas en présence d’une affaire où la cour d’appel peut tirer une conclusion purement juridique de la preuve sans remettre en question l’appréciation de celle‑ci faite par le juge du procès.
Il n’existe pas de « règle juridique » découlant des arrêts Lemmon ou Cooper quant à la dangerosité générale des prises d’étouffement.
Le juge du procès ne doit pas dans chaque cas conclure que toute prise d’étouffement ou action qui affecte les voies respiratoires d’une personne est toujours un acte intrinsèquement dangereux.
La dangerosité d’une prise d’étouffement peut varier en fonction de facteurs tels que sa nature ou sa durée, et la force exercée.
[60] Soit dit en tout respect, on interprète trop largement l’arrêt Lemmon si l’on estime qu’il établit une proposition juridique générale voulant qu’une prise d’étouffement constitue toujours un acte intrinsèquement dangereux. L’arrêt Lemmon est une décision en matière de détermination de la peine dans laquelle la Cour d’appel de l’Alberta a formulé des commentaires sur la gravité des infractions prévues à l’art. 246 du Code criminel, c’est‑à‑dire les cas où une personne tente d’étouffer, de suffoquer ou d’étrangler une autre personne dans le but de la rendre insensible, inconsciente ou incapable de résistance : essentiellement, de « vaincre la résistance à la perpétration d’une infraction » (par. 26). Dans l’affaire Lemmon, l’accusé avait étouffé la victime jusqu’à ce qu’elle soit inconsciente dans le but de la maîtriser et de l’agresser sexuellement. Dans un tel cas, le but et l’intention mêmes de l’acte d’étouffement commis par l’accusé étaient de vaincre la résistance de la victime en la rendant inconsciente afin de commettre un autre acte criminel. Le fait que de telles actions présentent un caractère intrinsèquement dangereux ne signifie toutefois pas que le juge du procès doit dans chaque cas conclure que toute prise d’étouffement ou action qui affecte les voies respiratoires d’une personne est toujours un acte intrinsèquement dangereux.
[61] La Cour d’appel a également cité les propos formulés par notre Cour dans l’arrêt Cooper, suivant lesquels, « [é]tant donné que la respiration est essentielle à la vie, il serait raisonnable [même si cela n’est pas nécessaire] de déduire que l’accusé savait que l’étranglement était susceptible d’entraîner la mort » (motifs de la C.A., par. 6 (texte entre crochets dans l’original), citant Cooper, p. 159).
[62] Dans Cooper, l’accusé était en colère contre la victime, il l’a saisie à deux mains à la gorge et l’a étouffée pendant deux minutes jusqu’à ce qu’elle décède. Sur la foi de cette preuve précise, il était loisible au juge des faits de « déduire que l’accusé savait que l’étranglement était susceptible d’entraîner la mort », parce que « la respiration est essentielle à la vie » (p. 159). Toutefois, la Cour a expressément insisté sur le fait qu’« il n’était évidemment pas nécessaire que le jury fasse cette déduction » (p. 159 (nous soulignons)). En conséquence, l’arrêt Cooper ne devrait pas être considéré comme un énoncé juridique général sur la dangerosité de toutes les formes d’étouffement dans tous les cas de figure.
[63] La dangerosité d’une prise d’étouffement peut varier en fonction de facteurs tels que sa nature ou sa durée, et la force exercée. En guise d’exemple, le Dr Milroy a expliqué que, dans certaines formes d’arts martiaux récréatifs, pour rendre une personne inconsciente ou proche de l’inconscience, on pratique des prises d’étouffement similaires à celle que M. Hodgson a utilisée. Même dans ce contexte, cependant, il est possible que les prises d’étouffement aient des conséquences fatales. Chaque fois qu’il apprécie les faits d’une affaire donnée, le juge du procès doit être pleinement conscient de la dangerosité potentielle de la prise d’étouffement dont il est question. Toutefois, notre Cour ne peut pas établir par anticipation une seule et unique manière de caractériser les prises d’étouffement. Il n’existe donc pas de « règle juridique » découlant des arrêts Lemmon ou Cooper quant à la dangerosité générale des prises d’étouffement. Chaque affaire doit plutôt être jugée sur la base des faits qui lui sont propres.
Même avant l’arrêt Khill, la jurisprudence appliquait constamment une approche objective aux aspects de l’analyse de la légitime défense qui mesurent les actions de l’accusé au regard de celles d’une personne raisonnable dans des circonstances similaires.
[79] La juge du procès s’est ensuite penchée sur la question clé de savoir si, après avoir apprécié tous les facteurs pertinents, l’acte de M. Hodgson était raisonnable dans les circonstances. Cette appréciation des facteurs énoncés au par. 34(2) ne révèle aucune erreur de droit. Le fait que la juge du procès a parlé de M. Hodgson en le désignant par son nom ne visait qu’à particulariser l’analyse en fonction des circonstances de l’espèce. Cette personnalisation n’a pas eu pour effet de transformer son analyse en une opération uniquement subjective. De fait, il ressort clairement des motifs de la juge du procès que celle‑ci comprenait qu’elle devait déterminer si les actions de M. Hodgson étaient raisonnables dans les circonstances, et elle a mentionné de façon répétée et explicite la norme objective appropriée. Par exemple, elle a dit ce qui suit :
[traduction] De même, si l’on ajoute foi au témoignage de M. Hodgson, il existe des éléments de preuve tendant à indiquer que ses actions ont été raisonnables dans les circonstances . . .
. . .
La Couronne a‑t‑elle prouvé hors de tout doute raisonnable que la prise d’étouffement appliquée par M. Hodgson n’était pas raisonnable dans les circonstances?
. . .
. . . Une technique connue « d’apaisement » pouvant être exécutée par derrière aurait paru proportionnelle eu égard à l’ensemble des circonstances.
. . .
. . . la Couronne n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable que la prise d’étouffement n’était pas raisonnable eu égard à l’ensemble des circonstances. [Nous soulignons; par. 104, 112, 120 et 122.]
[80] Bien que l’arrêt Khill ait été rendu après le prononcé des motifs de la juge du procès, celle‑ci a néanmoins effectué la bonne analyse. Même avant l’arrêt Khill, la jurisprudence appliquait constamment une approche objective aux aspects de l’analyse de la légitime défense qui mesurent les actions de l’accusé au regard de celles d’une personne raisonnable dans des circonstances similaires (voir, p. ex., R. c. Rasberry, 2017 ABCA 135, 55 Alta. L.R. (6th) 134, par. 12; R. c. Curran, 2019 NBCA 27, par. 16 (CanLII); R. c. Berry, 2017 ONCA 17, 345 C.C.C. (3d) 32, par. 73; R. c. Grant, 2016 ONCA 639, 351 O.A.C. 345, par. 63; R. c. Richter, 2014 BCCA 244, 357 B.C.A.C. 305, par. 37; R. c. Constantine, 2015 ONCA 330, 335 O.A.C. 35, par. 30; R. c. A.A., 2019 BCCA 389, par. 33 (CanLII); R. c. Androkovich, 2014 ABCA 418, par. 9 (CanLII)).
[81] Il ressort clairement des motifs de la juge du procès qu’elle a correctement analysé la question de savoir si les actions de M. Hodgson étaient raisonnables dans les circonstances suivant l’al. 34(1)c), et qu’elle n’a pas mis l’accent de manière inappropriée sur ce que M. Hodgson lui‑même pensait au moment de la conduite reprochée.
…
J. Rowe
[85] Au paragraphe 34, mes collègues écrivent ceci : « Il existe [. . .] des situations dans lesquelles “les lacunes dont souffrirait l’appréciation de la preuve par le juge du procès constituent une erreur de droit qui permet au ministère public d’interjeter appel d’un acquittement” » (citant R. c. J.M.H., 2011 CSC 45, [2011] 3 R.C.S. 197, par. 24). Dans J.M.H., la Cour a fait état de quatre situations de ce genre, l’une étant une « appréciation de la preuve fondée sur un mauvais principe juridique » (motifs des juges Martin et Moreau, par. 35).
[86] Les « mythes » concernant les agressions sexuelles ont été qualifiés d’erreurs de droit (R. c. Kruk, 2024 CSC 7). Ils ne se limitent pas aux « deux mythes » mentionnés à l’art. 276 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C‑46. Il s’agit plutôt d’une catégorie ouverte, d’autres mythes étant identifiés de temps en temps. Par conséquent, dans les cas où la Couronne dit d’un aspect des motifs du juge du procès qu’il comporte un « mythe », cela satisferait à l’exigence énoncée à l’al. 676(1)a) selon laquelle l’appel doit porter sur « une question de droit seulement ».