LSJPA — 1840, 2018 QCCA 1985

L’arrestation d’un prévenu pour une infraction donnée n’empêche pas un policier de l’interroger relativement à d’autres infractions pour lesquelles il enquête. Il n’y aurait qu’une seule exception à cette règle, soit celle où un suspect est arrêté pour une infraction assez mineure, et que cette arrestation constitue en fait un prétexte pour permettre aux policiers d’interroger le suspect pour une infraction beaucoup plus grave.

[49]         Examinons maintenant le deuxième argument de l’appelant selon lequel il avait le droit de quitter la salle d’interrogatoire lorsque l’agent de la GRC lui a posé des questions sur des événements reliés au terrorisme. Selon l’appelant, à compter du moment où l’interrogatoire a porté sur ces événements pour lesquels il n’était pas en état d’arrestation, il était libre de quitter la salle d’interrogatoire parce qu’il était uniquement suspecté d’avoir commis un crime lié au terrorisme.

[50]         À mon avis, l’appelant a tort. Je note, au départ, que le policier lui a révélé qu’il était suspect pour des infractions liées au terrorisme. Des explications lui ont été données relativement à ces crimes. L’agent qui a mené l’interrogatoire s’est aussi assuré de sa compréhension quant à la gravité des crimes dont il est suspecté.

[51]          L’appelant ne pouvait pas se soustraire à l’interrogatoire de l’agent de la GRC pour les motifs qu’il invoque. Ce dernier pouvait l’interroger pour des délits autres que celui pour lequel il avait été arrêté. L’arrestation d’un prévenu pour une infraction donnée n’empêche pas un policier de l’interroger relativement à d’autres infractions pour lesquelles il enquête[31]. L’appelant était alors en état d’arrestation relativement à un vol qualifié. Les policiers le détenaient donc légalement. En conséquence, il ne pouvait décider de quitter la salle d’interrogatoire de son propre chef ni exiger de retourner dans sa cellule[32].

[31]    Fred Kaufman, The admissibility of confessions, 3e éd., Carswell, Toronto, 1979, p. 152. Cela dit, il n’y aurait qu’une seule exception à cette règle, soit celle où un suspect est arrêté pour une infraction assez mineure, et que cette arrestation constitue en fait un prétexte pour permettre aux policiers d’interroger le suspect pour une infraction beaucoup plus grave (un meurtre, par exemple) : R. v. Dick, 1947 CanLII 12 (ON CA), [1947] O.R. 105 (C.A. Ont.); R. c. Evans, 1991 CanLII 98 (CSC), [1991] 1 R.C.S. 869, p. 887-888 (motifs de la j. McLachlin).

Dans le contexte de la justice pénale pour les adolescents, la notion de promesse doit être évaluée avec souplesse pour protéger la vulnérabilité de l’adolescent

[36] Je rappelle ici la norme d’intervention applicable à une décision portant sur le caractère admissible d’une déclaration et à celle portant sur le respect des exigences de l’article 146 L.s.j.p.a. Le caractère libre et volontaire d’une confession requiert une analyse contextuelle[18]. Il s’ensuit qu’une cour d’appel ne peut intervenir qu’en présence d’une erreur manifeste et déterminante dans l’appréciation de la preuve par le juge du procès[19]. De plus, les conclusions d’un juge concernant le respect des exigences prévues à l’article 146 L.s.j.p.a. sont sujettes à la même déférence. Elles ne peuvent être écartées en appel qu’en présence d’une erreur manifeste et déterminante[20].

[37] L’article 3 L.s.j.p.a. expose la politique canadienne à l’égard des adolescents. Elle prévoit au sous-alinéa 3(1)b)(iii) L.s.j.p.a. que le système de justice pénale pour les adolescents doit être distinct de celui des adultes et mettre notamment l’accent sur des mesures procédurales supplémentaires destinées à leur assurer un traitement équitable et protéger leurs droits, notamment en ce qui touche leur vie privée.

[38] L’une des mesures procédurales supplémentaires prévues par le législateur porte sur les déclarations faites par un adolescent à une personne en autorité. L’article 146 L.s.j.p.a. confirme l’application aux adolescents des règles de droit usuelles portant sur l’admissibilité des déclarations faites par des personnes inculpées et y ajoute des conditions supplémentaires[21].

[39] En principe, la déclaration faite par un adolescent à une personne en autorité n’est pas admissible en preuve, sauf si : (1) elle est volontaire (al. 146(2)a)); (2) la personne en autorité à qui la déclaration a été faite lui a expliqué clairement, en des termes adaptés à son âge et à sa compréhension, son droit de garder le silence, celui de consulter un avocat ou un autre adulte de son choix et d’être interrogé en présence de la personne consultée (al. 146(2)b)); et (3) il s’est vu donner la possibilité d’exercer ces droits (al. 146(2)c)). L’adolescent peut, avant de faire une déclaration, renoncer à son droit de consulter un avocat ou un autre adulte et à son droit de faire sa déclaration en présence de cette personne, si les conditions du paragraphe 146(4) sont respectées. Finalement, les paragraphes 146(5) et 146(6) permettent au juge d’admettre en preuve une déclaration entachée d’irrégularités techniques, s’il est convaincu hors de tout doute raisonnable que l’article 146 L.s.j.p.a. « a été respecté quant au fond »[22].

[40] Il incombe au ministère public de prouver hors de tout doute raisonnable le caractère libre et volontaire de la déclaration de l’adolescent, le respect des conditions de l’article 146 L.s.j.p.a. et, le cas échéant, la validité de la renonciation de l’adolescent à ces droits[23]. Une telle renonciation est valide si le juge est convaincu que l’adolescent a véritablement compris ses droits et les conséquences de sa renonciation[24].

[41] Selon la règle des confessions, l’analyse du caractère libre et volontaire d’une déclaration faite à une personne en autorité nécessite une approche contextuelle[25]. Il s’agit de déterminer, en tenant compte de toutes les circonstances, si la volonté de l’accusé a été subjuguée par les autorités au point de vicier le caractère volontaire de sa déclaration[26]. Le juge qui procède à l’analyse contextuelle des circonstances qui entourent une déclaration doit tenir compte des facteurs suivants[27] : (1) les menaces ou promesses; (2) l’oppression; (3) l’état d’esprit conscient; et (4) les autres ruses policières.

[…]

[57]         À l’étape de l’analyse d’une promesse, il ne faut pas s’attarder seulement à la nature de celle-ci, mais il est nécessaire de s’intéresser aussi à l’effet qu’elle produit sur un accusé[36]. Je suis d’avis qu’ici ces échanges faits avec un adulte, un policier de surcroît, sont de nature à créer dans l’esprit de l’appelant – un adolescent de 15 ans – l’espoir que le policier l’aidera à prouver son innocence en contrepartie de sa déclaration. On lui dit de parler parce qu’on veut l’aider à prouver son innocence; on lui dit qu’une personne qui n’a rien à se reprocher répond aux questions; et on lui dit qu’on ne cherche pas à trouver de la preuve contre lui.

[58]         Dans le contexte de la justice pénale pour les adolescents, la notion de promesse doit être évaluée avec souplesse pour protéger la vulnérabilité de l’adolescent. Ici, il ne fait aucun doute que l’appelant voulait garder le silence. On l’a encouragé à répondre aux questions, lui laissant faussement croire qu’on veut l’aider et que cela est avantageux pour lui. Un interrogatoire peut être insistant, poussé, voire serré, mais il ne doit pas être abusif au point de miner le caractère volontaire de la déclaration.