Par Me Félix-Antoine T. Doyon

Vendredi dernier, la Cour suprême a rendu deux décisions (R. c. Mabior, 2012 CSC 47 et R. c. D.C, 2012 CSC 48) dans lesquelles elle clarifie les éléments essentiels à prouver hors de tout doute raisonnable relativement à l’infraction d’agression sexuelle commise par une personne porteur du VIH.

Le présente article cite des passages de la décision de la Cour suprême 

Le contexte

M a été inculpé de neuf chefs d’agression sexuelle grave par suite de son omission d’informer les neufs plaignantes de sa séropositivité avant d’avoir des rapports sexuels avec elles (al. 265(3)c) et art. 273 C.cr.). Aucune des plaignantes n’a contracté le VIH. La juge du procès a déclaré M coupable de six chefs d’accusation et l’a acquitté des trois autres au motif qu’avoir des rapports sexuels en utilisant un condom lorsque la charge virale est indétectable n’expose pas le partenaire sexuel à un « risque important de lésions corporelles graves » comme l’exige l’arrêt Cuerrier. La Cour d’appel a modifié la décision, concluant qu’une faible charge virale ou l’utilisation du condom pouvait écarter tout risque important. Dès lors, M ne pouvait être déclaré coupable que de deux chefs, et la Cour d’appel a inscrit des acquittements pour les quatres autres. Le ministère public a interjeté appel de ces acquittements.

La problématique

L’omission de révéler la séropositivité lorsqu’il n’existe aucune possibilité réaliste de transmission du VIH peut-elle constituer une fraude viciant le consentement?

Les principes juridiques applicables depuis l’arrêt Cuerrier

Dans l’arrêt Cuerrier,[la Cour suprême considère] que l’omission de révéler sa séropositivité peut constituer une fraude viciant le consentement aux relations sexuelles pour l’application de l’al. 265(3)c) C.cr. Étant donné que le VIH présente un risque de lésions corporelles graves, l’infraction applicable est celle d’agression sexuelle grave (art. 273 C.cr.). Pour obtenir une déclaration de culpabilité sous le régime de l’al. 265(3)c) et de l’art. 273, le ministère public doit démontrer, hors de tout doute raisonnable, que le consentement du plaignant aux relations sexuelles est vicié par la fraude de l’accusé concernant sa séropositivité. Le critère exige essentiellement deux choses : (1) un acte malhonnête (le mensonge sur l’état de santé ou l’omission de révéler la séropositivité) et (2) la privation (d’éléments d’information qui auraient causé le refus du plaignant d’avoir des relations sexuelles l’exposant à un risque important de lésions corporelles graves ou inflige effectivement de telles lésions.

Les critiques de l’arrêt Cuerrier

Le critère issu de l’arrêt Cuerrier fait l’objet de deux critiques principales. Premièrement, on lui reproche son caractère incertain en ce qu’il ne permet pas de départager clairement actes criminels et actes non criminels. Deuxièmement, il confère au droit criminel une portée soit trop grande, soit trop restreinte (le problème de la portée). Bien qu’il puisse être difficile à appliquer, le critère de l’arrêt Cuerrier demeure valable sur le plan des principes. Il circonscrit avec justesse la portée du droit criminel – réprimer les actes qui exposent à un « risque important de lésions corporelles graves ». La notion de consentement qui le sous-tend s’inspire de la sagesse de la common law (qui s’abstient de criminaliser toute tromperie incitant à consentir à un rapport sexuel) tout en accordant une grande importance au consentement.

Le ratio decidendi de la décision (voir R. c. Mabior, 2012 CSC 47)

L’exigence  d’un « risque important de lésions corporelles graves » formulée dans l’arrêt Cuerrier doit être interprétée comme obligeant une personne à révéler sa sérépositivité lorsqu’il existe une possibilité réaliste de transmission du VIH. Cette interprétation est étayée par l’évolution de la common law et des lois en matière de fraude viciant le consentement aux relations sexuelles. Elle est en outre dans le droit fil des valeurs d’autotnomie et d’égalité de la Charte qui ont pour effet de protéger le droit de chacun de consentir ou non à des rapports sexuels avec une personne en particulier. Aussi, cette interprétation tient dûment compte de la nature du préjudice causé par la transmission du VIH, l’omission de dévoiler sa séropositivité ne constitue pas une fraude viciant le consentement aux relations sexuelles pour l’application de l’al. 265(3)c).

Les éléments à retenir d’un point de vue pragmatique

Il appert généralement de la preuve admise au procès que la possibilité réaliste de transmisison du VIH n’est pas établie dans la mesure où, (i) au moment considéré, la charge virale de l’accusé était faible et (ii) un condom a été utilisé. [La Cour suprême est d’avis que] cet énoncé général n’empêche pas la common law de s’adapter aux futures avancées thérapeutiques et aux circonstances où des facteurs de risque différents sont en cause.