Catellier c. R., 2020 QCCA 850
Lorsque le détenu qui a fait preuve de diligence, mais n’a pas réussi à joindre un avocat change d’avis et décide de ne plus tenter de communiquer avec un avocat, l’al. 10b) oblige la police à l’informer expressément de son droit d’avoir une possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat et de l’obligation de la police de suspendre ses questions jusque‑là. Cette obligation d’information supplémentaire est justifiée dans de telles circonstances, car elle offre les garanties suivantes : le détenu est informé que ses tentatives infructueuses de joindre un avocat n’ont pas épuisé son droit garanti par l’al. 10b), le choix de parler à la police ne découle pas d’une telle méprise et la décision de renoncer au droit à l’assistance d’un avocat a été prise en toute connaissance de cause.
[10] L’appelant a tort de prétendre que son droit protégé par l’article 10b) de la Charte a été violé. La juge a conclu, à bon droit, que les policiers ont respecté les deux obligations découlant du volet « mise en œuvre » du droit à l’avocat, soit l’obligation de lui donner la possibilité raisonnable d’exercer son droit et de s’abstenir de tenter de lui soutirer des éléments de preuve jusqu’à ce qu’il ait eu cette possibilité raisonnable[10].
[11] Il convient de rappeler les faits retenus par la juge, la preuve étant ici contradictoire sur cette question.
[12] Le volet « mise en œuvre » du droit à l’avocat, soit l’obligation de donner à l’appelant la possibilité raisonnable d’exercer son droit à l’avocat et l’obligation corrélative de s’abstenir de lui soutirer des éléments de preuve, prend naissance au poste opérationnel vers 11h40. D’après la preuve retenue par la juge d’instance, c’est à ce moment que l’appelant demande à parler avec Me Larouche pour la première fois. Cette demande démontre qu’à 11h40 l’appelant a été bien informé de son droit à l’avocat et qu’il l’a bien compris.
[13] À 11h42, le policier Legault fait un appel à l’avocat choisi par l’accusé. Comme celui-ci ne répond pas, le policier laisse un message. Il informe l’appelant qu’un message a été laissé à Me Larouche.
[14] À 13h40, la policière Dupont se rend dans la cellule de l’accusé et le conduit dans une salle d’entrevue. Elle lui explique la raison de son arrestation et s’assure qu’il a bien compris. À 13h41, elle lui fait à nouveau la lecture de ses droits à partir d’un formulaire de déclaration. Essentiellement, elle lui dit qu’il a le droit de recourir, sans délai, à l’assistance de l’avocat de son choix et que s’il est admissible, il pourra bénéficier du programme d’aide juridique. Elle lui mentionne également qu’il peut appeler immédiatement un avocat de garde et obtenir gratuitement des conseils juridiques préliminaires. Elle lui demande « Avez-vous bien compris? Désirez-vous le faire? » L’accusé répond par l’affirmative et l’informe qu’il a déjà demandé d’appeler Me Larouche. La policière apprend alors de ses collègues que Me Larouche n’a toujours pas donné suite à l’appel.
[15] En reformulant dans ses mots, la policière Dupont lui offre de communiquer avec un autre avocat : « c’est gratuit, t’as le droit de parler à un avocat, il y a un avocat de garde qui est là tout le temps ». L’accusé refuse. Il répond : « non, je veux pas parler à quelqu’un d’autre ». Il souhaite parler à Me Larouche.
[16] La policière Dupont poursuit en faisant une mise en garde à l’accusé. Elle lui dit qu’il n’est pas obligé de dire quoi que ce soit, qu’il n’a « rien à espérer d’aucune promesse ou faveur, ni rien à craindre d’aucune menace ». Qu’il parle ou non, ajoute-t-elle, tout ce qu’il dira sera pris par écrit et pourra servir de preuve contre lui. Elle s’assure qu’il comprend puis débute l’entrevue.
[17] Dans ces circonstances, c’est à bon droit que la juge conclut que le délai d’attente de deux heures était raisonnable et que, de ce fait, l’appelant avait manqué de diligence en refusant de communiquer avec un autre avocat. Les motifs de sa décision révèlent qu’elle s’est livrée à un examen contextuel en tenant compte de l’ensemble des facteurs pertinents[11]. Le caractère raisonnable du délai et la diligence d’un prévenu sont des questions éminemment factuelles qui dépendent de l’ensemble des circonstances. La juge d’instance a appliqué correctement les règles de droit applicables et a statué, quant aux faits devant elle, que la possibilité accordée à l’appelant était raisonnable. Il n’y a aucune raison de modifier cette conclusion[12]. Face au refus catégorique de l’appelant à 13h42, qui équivaut à une renonciation explicite de consulter un avocat sans délai, la policière Dupont n’avait plus l’obligation de s’abstenir de tenter de lui soutirer des éléments de preuve[13].
[18] Demeure ensuite la question de la mise en garde de type Prosper[14] : cette obligation d’information supplémentaire s’imposait-elle aux policiers en l’espèce?
[19] Les parties ne contestent pas que l’appelant a fait preuve de diligence en demandant de consulter un avocat. Le fait que les policiers ont entrepris des démarches raisonnables pour faciliter le contact entre l’appelant et Me Larouche au moment où la demande leur a été faite n’est également pas contesté. En outre, tous s’entendent sur le fait qu’à 13h41, les policiers ont offert à l’appelant de consulter un autre avocat ou un avocat de garde. L’appelant a indiqué qu’il avait compris cette offre, mais l’a refusée et a insisté pour parler avec Me Larouche.
[20] Dans ces circonstances bien particulières, il faut déterminer si les policiers étaient tenus à l’obligation d’information supplémentaire de type Prosper. La juge a conclu qu’une telle mise en garde n’était pas nécessaire puisque l’appelant avait fait preuve d’un manque de diligence en refusant de consulter un autre avocat que Me Larouche. À notre avis, il est inutile de statuer sur le degré de diligence de l’appelant pour répondre à la question telle que posée. Force est de constater que, dans les faits, une mise en garde de type Prosper fut communiquée à l’appelant par la policière Dupont à 13h41. Les propos de cette dernière concordent parfaitement avec l’obligation d’information supplémentaire telle que décrite par la Cour suprême dans l’arrêt Willier :
[32] Par conséquent, lorsque le détenu qui a fait preuve de diligence, mais n’a pas réussi à joindre un avocat change d’avis et décide de ne plus tenter de communiquer avec un avocat, l’al. 10b) oblige la police à l’informer expressément de son droit d’avoir une possibilité raisonnable de communiquer avec un avocat et de l’obligation de la police de suspendre ses questions jusque‑là. Cette obligation d’information supplémentaire, appelée obligation de faire une « mise en garde de type Prosper » dans le présent pourvoi, est justifiée dans de telles circonstances, car elle offre les garanties suivantes : le détenu est informé que ses tentatives infructueuses de joindre un avocat n’ont pas épuisé son droit garanti par l’al. 10b), le choix de parler à la police ne découle pas d’une telle méprise et la décision de renoncer au droit à l’assistance d’un avocat a été prise en toute connaissance de cause.[15]
[21] L’appelant a été informé qu’il pouvait consulter un autre avocat que Me Larouche. L’avis, donné par la policière Dupont vers 13h41, équivaut en substance à une mise en garde de type Prosper et la juge conclut que l’appelant a bien compris son contenu. Cette conclusion de fait ne justifie pas l’intervention de la Cour. En définitive, que l’appelant ait pu ou non être plus diligent dans l’exercice de son droit à l’avocat importe peu. Les policiers ont rempli chacune des obligations qui leur incombaient, tant à l’égard de l’obligation d’information que du devoir de mise en œuvre.