(Ordonnance de non-publication en vertu de l’article 486.4 C.cr. interdisant la diffusion de toute information pouvant établir l’identité de la victime)
Nonobstant l’importance de la dénonciation et de la dissuasion, la réhabilitation et le peu de probabilité de récidive peuvent, dans certains cas, militer en faveur d’une peine plus clémente.
[32] La juge constate qu’avant Friesen, la fourchette applicable est de six mois purgés dans la collectivité à six mois ferme. S’il est plus difficile d’établir avec certitude une fourchette depuis l’arrêt Friesen en raison du faible nombre de décisions, la juge prend toutefois acte du constat des auteurs Hugues Parent et Julie Desrosiers selon lequel, pour un leurre de courte durée poursuivi par voie sommaire, une peine entre six et douze mois semble être la norme[60]. Elle ajoute toutefois, jurisprudence à l’appui, qu’une peine d’emprisonnement à être purgée dans la collectivité peut revêtir un caractère dissuasif et punitif[61].
[33] L’analyse faite par la juge l’amène à déclarer que la peine non carcérale (probation et travaux communautaires) imposée en l’espèce par la Cour du Québec, est manifestement inappropriée. Cette conclusion doit être lue avec les paragraphes 162 et suivants de son jugement dans lesquels elle calcule la peine appropriée. Dans cette partie du jugement, elle constate d’autres éléments essentiels à son étude, par exemple – la réhabilitation de l’intimé et l’individualisation de la peine.
[34] La prétention des appelants selon laquelle les motifs de la juge sont insuffisants ou inadéquats afin de justifier l’imposition d’une peine hors fourchette est inexacte. Tout d’abord, cela n’est pas soulevé expressément comme moyen d’appel. Mais plus important encore, les appelants font abstraction du fait que la juge ne constate pas, à juste titre, l’existence bien établie d’une telle fourchette. Surtout, les appelants ignorent des dizaines de paragraphes de l’analyse minutieuse de la juge pour arriver à sa conclusion résumée aux paragraphes 182 et 183. Un tribunal d’appel doit considérer les motifs du jugement sous appel globalement[62]. Les motifs du jugement entrepris sont adéquats et exigent déférence.
[35] Surtout et pour répéter, les appelants prétendent erronément à l’existence d’une fourchette de 12 à 24 mois qui, au moins en matière sommaire, trouve peu de soutien dans les causes rapportées. Par exemple, dans la cause Rayo[63] invoquée par les appelants, les douze mois imposés dans une poursuite par acte criminel résultent de circonstances beaucoup plus graves que celles présentes en l’espèce. La Cour réfère à l’inculpé au tout début du jugement comme étant un « prédateur sexuel » accusé par acte criminel d’une série d’infractions sexuelles contre deux enfants incluant le leurre. Les douze mois imposés pour leurre étaient la peine minimum obligatoire. La validité constitutionnelle n’était pas soulevée. Une lecture attentive de Rayo nous convainc que les quatre mois imposés à l’intimé respectent le principe de l’harmonisation des peines, tel que requis par l’article 718.2(b) C.cr.
[36] Surtout, et en gardant en tête l’argument des appelants selon lequel la juge de la Cour supérieure se serait erronément écartée d’une fourchette de 12 à 24 mois, il convient de rappeler ces propos énoncés dans l’arrêt Friesen au sujet des fourchettes et de la norme de contrôle :
[37] Notre Cour a maintes fois déclaré que les fourchettes de peines et les points de départ sont des lignes directrices, et non des règles absolues (R. c. McDonnell, 1997 CanLII 389 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 948, par. 33; R. c. Wells, 2000 CSC 10, [2000] 1 R.C.S. 207, par. 45; R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, [2010] 1 R.C.S. 206, par. 44; Lacasse, par. 60). Les cours d’appel ne peuvent considérer l’écart par rapport à une fourchette de peines ou à un point de départ ou l’omission de mentionner une fourchette de peines ou un point de départ comme une erreur de principe. Elles ne peuvent non plus intervenir du simple fait que la peine diffère de celle qui aurait été fixée si l’on avait utilisé la fourchette de peines ou le point de départ (McDonnell, par. 42). Les fourchettes de peines et points de départ ne sauraient être contraignants en théorie ou en pratique, et les cours d’appel ne peuvent interpréter ou appliquer la norme de contrôle afin de les utiliser, contrairement à ce qui a été dit dans l’arrêt R. c. Arcand, 2010 ABCA 363, 40 Alta. L.R. (5th) 199, par. 116‑118 et 273. Comme l’a mentionné notre Cour dans Lacasse, cette façon d’agir reviendrait à usurper le rôle du législateur en créant des catégories d’infractions (par. 60‑61; voir aussi McDonnell, par. 33‑34).
[37] Récemment dans Parranto[64], la Cour suprême a souligné le fait que les fourchettes ne sont que des « lignes directrices » et que le choix de s’en écarter est un choix discrétionnaire[65]. Ce choix ne peut, à lui seul, justifier l’intervention en appel[66]. De plus, dans Friesen, la Cour suprême souligne que, nonobstant l’importance de la dénonciation et de la dissuasion, la réhabilitation et le peu de probabilité de récidive peuvent, dans certains cas, militer en faveur d’une peine plus clémente[67]. Nous estimons que c’est le cas en l’espèce.
Devant la déclaration d’invalidité de l’art. 172(2)(a) C.cr. dans Bertrand Marchand, l’intimé est sujet à une peine plancher de six mois, alors qu’il n’existe plus de tel plancher lorsque l’infraction est poursuivie par acte criminel. Même si le mode de poursuite relève de la discrétion du ministère public, cet état de fait heurte notre idée de la cohérence eu égard aux principes d’harmonisation et individualisation des peines.
[52] Vu le jugement dans Bertrand Marchand, la possibilité qu’un contrevenant soit obligé de recevoir une peine de six mois lorsque l’infraction est poursuivie par procédure sommaire alors qu’un autre contrevenant peut recevoir une sentence moindre lorsque celui-ci est poursuivi par acte criminel pourrait mener potentiellement à des situations injustes et incohérentes. Les appelants prétendent qu’un tel argument s’applique uniquement dans le scénario inverse où la peine minimale applicable à la poursuite par acte criminel est sous examen à la suite d’un précédent qui déclare la peine minimale sommaire invalide[80].
[53] Les appelants n’ont pas raison. Devant la déclaration d’invalidité de l’art. 172(2)(a) C.cr. dans Bertrand Marchand, l’intimé est sujet à une peine plancher de six mois, alors qu’il n’existe plus de tel plancher lorsque l’infraction est poursuivie par acte criminel. Même si le mode de poursuite relève de la discrétion du ministère public, cet état de fait heurte notre idée de la cohérence eu égard aux principes d’harmonisation et individualisation des peines. Il peut aussi donner lieu à des conséquences collatérales n’ayant rien à voir avec les circonstances de la commission d’infraction, par exemple, les droits d’un accusé de porter en appel une ordonnance d’expulsion, en contexte d’immigration, rendue à la suite d’une déclaration de culpabilité[81].