Les éléments de preuve qui sont pertinents à l’égard d’une question en litige au procès sont admissibles, pourvu qu’ils ne soient pas visés par une règle d’exclusion et que le juge du procès ne les écarte pas dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.
[36] Les éléments de preuve qui sont pertinents à l’égard d’une question en litige au procès sont admissibles, pourvu qu’ils ne soient pas visés par une règle d’exclusion et que le juge du procès ne les écarte pas dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire (R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787, par. 2; D. M. Paciocco, P. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence (8e éd. 2020), p. 32; S. N. Lederman, M. K. Fuerst et H. C. Stewart, Sopinka, Lederman & Bryant : The Law of Evidence in Canada (6e éd. 2022), ¶2.48; M. Vauclair et T. Desjardins, avec la collaboration de P. Lachance, Traité général de preuve et de procédure pénales 2022 (29e éd. 2022), p. 905‑906). Il s’agit de l’analyse à trois volets qui régit l’admission de tout élément de preuve. Le juge doit se demander a) si l’élément de preuve est pertinent, b) si cet élément est visé par une règle d’exclusion et c) s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire afin de l’écarter.
[37] Lorsqu’une question relative à l’admissibilité d’un élément de preuve est soulevée, un voir‑dire est souvent nécessaire. Cela dit, notre Cour a souligné, dans une remarque incidente, qu’il est possible qu’un voir‑dire ne soit pas nécessaire dans le cas d’un aveu émanant d’une partie (R. c. S.G.T., 2010 CSC 20, [2010] 1 R.C.S. 688, par. 20). La question de savoir si la tenue d’un voir‑dire est nécessaire à l’égard d’une preuve de cette nature doit être tranchée au regard des circonstances propres à chaque espèce.
Les aveux émanant d’une partie, comme tout autre élément de preuve, ne deviennent pas inadmissibles parce que le témoin rend un témoignage équivoque. Le fait qu’un témoin ne se souvienne pas des mots exacts qui ont été utilisés ne signifie pas que son témoignage n’est pas pertinent.
Il arrive souvent que les témoins aient un souvenir imparfait des circonstances et manifestent de l’hésitation lorsqu’ils déposent. Dans la mesure où de telles imperfections ou hésitations portent sur des points liés à l’admissibilité (plutôt qu’au poids que le juge des faits accorde à l’élément de preuve), il est approprié que le juge qui préside un procès les prenne en considération dans la mise en balance de la valeur probante et de l’effet préjudiciable.
[43] En formulant cette observation, je suis conscient qu’il n’est pas nécessaire que la preuve soit sans équivoque pour être pertinente. Dans l’arrêt R. c. Evans, 1993 CanLII 86 (CSC), [1993] 3 R.C.S. 653, le juge Sopinka a souligné que, bien que les questions d’admissibilité relèvent du juge du procès, c’est au juge des faits qu’il appartient de décider si une déclaration a été faite et si elle est véridique (p. 664‑666; voir aussi Vauclair et Desjardins, p. 865‑866). Les aveux émanant d’une partie, comme tout autre élément de preuve, ne deviennent pas inadmissibles parce que le témoin rend un témoignage équivoque. Il arrive souvent que les témoins aient un souvenir imparfait des circonstances et manifestent de l’hésitation lorsqu’ils déposent. Dans la mesure où de telles imperfections ou hésitations portent sur des points liés à l’admissibilité (plutôt qu’au poids que le juge des faits accorde à l’élément de preuve), il est approprié que le juge qui préside un procès les prenne en considération dans la mise en balance de la valeur probante et de l’effet préjudiciable. En conséquence, le fait qu’un témoin ne se souvienne pas des mots exacts qui ont été utilisés ne signifie pas que son témoignage n’est pas pertinent.
Il va de soi que les parties ne sont pas autorisées à « rattacher » à l’ensemble de la preuve leur argument relatif à l’admissibilité d’un aveu émanant d’une partie. La partie qui sollicite l’admission de l’élément de preuve proposé doit limiter ses observations à la preuve contextuelle qui est pertinente afin de déterminer la signification de la déclaration litigieuse.
[44] Il va de soi que les parties ne sont pas autorisées à « rattacher » à l’ensemble de la preuve leur argument relatif à l’admissibilité d’un aveu émanant d’une partie. La partie qui sollicite l’admission de l’élément de preuve proposé doit limiter ses observations à la preuve contextuelle qui est pertinente afin de déterminer la signification de la déclaration litigieuse. Dans une affaire criminelle, la Couronne ne peut pas prétendre que tout élément de preuve tendant à indiquer que l’accusé est coupable constitue un élément contextuel pertinent. L’analyse doit demeurer axée non pas sur la solidité globale de la preuve de la Couronne, mais sur la question de savoir si le jury est en mesure d’attribuer à la déposition du témoin une signification d’une manière qui n’est pas conjecturale.
La preuve par ouï‑dire, le type de preuve en cause dans le présent pourvoi, est visée par une règle d’exclusion et par diverses exceptions.
Souvent qualifiées de compartiments, ces exceptions ont été élaborées dans des cas où les circonstances de la preuve par ouï‑dire atténuaient les préoccupations relatives à sa fiabilité ou dans des cas où la preuve par ouï‑dire était la meilleure disponible. Ces exceptions sont « devenue[s] rigide[s] », et le formalisme foisonnait.
En réponse, notre Cour a élaboré une approche raisonnée à l’égard du ouï‑dire dans l’arrêt R. c. Khan, 1990 CanLII 77 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 531. Suivant cette approche raisonnée, la preuve par ouï‑dire peut être admise sur la base de deux facteurs : la nécessité et la fiabilité
[47] La preuve par ouï‑dire comporte trois éléments : (1) une déclaration (ou une action) faite extrajudiciairement par un déclarant, (2) qu’une partie cherche à présenter en cour pour établir la véracité de son contenu, (3) sans possibilité pour l’autre partie de contre‑interroger de façon contemporaine le déclarant (Khelawon, par. 35; Evans, p. 661‑662; voir aussi R. c. Smith, 1992 CanLII 79 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 915, p. 924).
[48] Pendant longtemps, la common law écartait la preuve par ouï‑dire (Smith, p. 924‑925; R. c. Starr, 2000 CSC 40, [2000] 2 R.C.S. 144, par. 153; R. c. Mapara, 2005 CSC 23, [2005] 1 R.C.S. 358, par. 13). Les tribunaux basaient cette exclusion sur deux préoccupations principales. Premièrement, la preuve par ouï‑dire peut ne pas être fiable, et les parties n’ont pas la possibilité de vérifier sa fiabilité par voie de contre‑interrogatoire (Khelawon, par. 2; Mapara, par. 14). Deuxièmement, une preuve directe est préférable et, par conséquent, il est possible que la preuve par ouï‑dire ne soit pas la meilleure preuve disponible (Mapara, par. 14). La preuve par ouï‑dire était donc, en règle générale, écartée pour prévenir les conclusions de fait inexactes.
[49] Toutefois, l’exclusion de la preuve par ouï‑dire dans certaines circonstances avait pour effet d’entraver la constatation exacte des faits plutôt que de l’aider (Khelawon, par. 2; Mapara, par. 14). Avec le temps, les tribunaux ont créé des exceptions à l’exclusion générale du ouï‑dire (Mapara, par. 14). Souvent qualifiées de compartiments, ces exceptions ont été élaborées dans des cas où les circonstances de la preuve par ouï‑dire atténuaient les préoccupations relatives à sa fiabilité ou dans des cas où la preuve par ouï‑dire était la meilleure disponible. Ces exceptions sont « devenue[s] rigide[s] », et le formalisme foisonnait (Mapara, par. 14; Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 151). Le droit relatif au ouï‑dire est devenu un ensemble complexe de catégories, chacune définie par des règles étroites, donnant parfois lieu à des résultats arbitraires et nuisant à la constatation exacte des faits.
[50] En réponse, notre Cour a élaboré une approche raisonnée à l’égard du ouï‑dire dans l’arrêt R. c. Khan, 1990 CanLII 77 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 531 (Mapara, par. 12). Cette approche visait à mettre un terme à l’établissement d’exceptions spécifiques à la règle d’exclusion du ouï‑dire fondées sur des circonstances particulières — des compartiments — et à « conférer une certaine souplesse à la règle du ouï‑dire » pour éviter les solutions arbitraires (Mapara, par. 15). Suivant cette approche raisonnée, la preuve par ouï‑dire peut être admise sur la base de deux facteurs : la nécessité et la fiabilité (Khan, p. 540‑542; Starr, par. 153; Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 152‑154; Vauclair et Desjardins, p. 1078‑1089).
Dans l’arrêt Mapara, la Cour a indiqué que les exceptions traditionnelles continuent présomptivement de s’appliquer (par. 15, indication confirmée dans les arrêts Khelawon, par. 42; R. c. Baldree, 2013 CSC 35, [2013] 2 R.C.S. 520, par. 34). Toutefois, un plaideur peut contester une exception au motif que l’élément de preuve concerné « ne présenterait pas les indices de nécessité et de fiabilité requis ».
[51] Dans l’arrêt Mapara, la Cour a indiqué que les exceptions traditionnelles continuent présomptivement de s’appliquer (par. 15, indication confirmée dans les arrêts Khelawon, par. 42; R. c. Baldree, 2013 CSC 35, [2013] 2 R.C.S. 520, par. 34). Toutefois, un plaideur peut contester une exception au motif que l’élément de preuve concerné « ne présenterait pas les indices de nécessité et de fiabilité requis » (Mapara, par. 15).
Bien que la question de savoir si les aveux émanant d’une partie constituent ou non du ouï‑dire soit l’objet de débats, je souscris à l’opinion dominante énoncée par la juge Charron : « . . . les aveux d’un accusé relèvent d’une exception bien connue à la règle du ouï‑dire ».
La common law justifie l’admission en preuve de ce type d’aveux par le fait qu’une partie ne peut « se plaindre de la non‑fiabilité de ses propres déclarations » (Evans, p. 664). Contrairement à plusieurs autres exceptions, la justification de l’admission des aveux émanant d’une partie n’est pas liée à des considérations de nécessité ou de fiabilité.
Par conséquent, des aveux émanant d’une partie sont admissibles en preuve sans égard à leur nécessité et à leur fiabilité.
[52] L’exception en cause dans la présente affaire est celle fondée sur des aveux émanant d’une partie. De tels aveux incluent tout [traduction] « act[e] ou propos d’une partie présent[é] en preuve contre cette partie » (Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 191 (je souligne)). Bien que la question de savoir si les aveux émanant d’une partie constituent ou non du ouï‑dire soit l’objet de débats, je souscris à l’opinion dominante énoncée par la juge Charron : « . . . les aveux d’un accusé relèvent d’une exception bien connue à la règle du ouï‑dire » (R. c. Couture, 2007 CSC 28, [2007] 2 R.C.S. 517, par. 75; voir aussi Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 192).
[53] Dans un procès criminel, un aveu émanant d’une partie constitue une preuve à charge que la Couronne présente contre l’accusé. Comme il a été expliqué dans Evans, la common law justifie l’admission en preuve de ce type d’aveux par le fait qu’une partie ne peut « se plaindre de la non‑fiabilité de ses propres déclarations » (Evans, p. 664). Contrairement à plusieurs autres exceptions, la justification de l’admission des aveux émanant d’une partie n’est pas liée à des considérations de nécessité ou de fiabilité (Vauclair et Desjardins, p. 911). Il s’agit d’un aspect sur lequel ces aveux dérogent aux règles générales.
[54] La juge Charron a confirmé ce point dans l’arrêt Khelawon : « Certaines exceptions traditionnelles ont une assise différente, tels les aveux de parties [. . .] [L]es critères d’admissibilité ne sont pas établis de la même façon » (par. 65). Voir aussi Hart, par. 63; Couture, par. 75; S.G.T., par. 20; R. c. Bradshaw, 2017 CSC 35, [2017] 1 R.C.S. 865, par. 82.
[56] Je vais ouvrir ici une brève parenthèse pour souligner un point. Il ne faut pas confondre l’exception à la règle d’exclusion du ouï‑dire touchant les aveux émanant d’une partie avec d’autres exceptions qui présentent certaines similitudes, par exemple l’exception relative aux déclarations faites par une personne qui n’est pas partie à l’instance et qui va à l’encontre de ses intérêts. Voir Lo, par. 65‑66; Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 192. Les aveux émanant d’une partie incluent les « actes ou propos d’une partie présentés en preuve contre cette partie » (Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 191 (je souligne)). Par contraste, les déclarations contraires à l’intérêt de leur auteur ne sont pas présentées contre la personne qui les a faites, étant donné que cette personne n’est pas partie à l’instance. Les aveux émanant d’une partie et les déclarations contraires à l’intérêt de leur auteur possèdent des fondements qui leur sont propres. Les tribunaux ont commencé à autoriser l’admission de déclarations contraires à l’intérêt de leur auteur en partant du principe que [traduction] « les gens ne font pas volontiers des déclarations dans lesquelles ils admettent des faits qui sont contraires à leur intérêt, à moins que ces déclarations ne soient véridiques » (Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 208). Comme je l’ai indiqué plus tôt, les tribunaux admettent en preuve les aveux émanant d’une partie sur la base que « les déclarations antérieures d’une partie peuvent être admises contre la partie qui ne peut se plaindre de la non‑fiabilité de ses propres déclarations » (Evans, p. 664). Le fait que les déclarations et aveux susmentionnés possèdent des fondements qui leur sont propres se traduit par des conditions préalables d’admission différentes.
[57] Dans le présent pourvoi, les aveux émanant d’une partie correspondent à des paroles que l’accusé a formulées, que le témoin a entendues et que la Couronne a présentées en preuve pour établir la culpabilité de l’accusé (Evans, p. 664; Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 191‑192). Cependant, des aveux émanant d’une partie peuvent être autre chose que des paroles; en common law, il a été jugé que peuvent constituer des aveux émanant d’une partie, notamment, le silence d’une partie, des actes de celle‑ci et son comportement (voir, p. ex., R. c. Scott, 2013 MBCA 7, 288 Man. R. (2d) 188; voir aussi Lederman, Fuerst et Stewart, ¶6.470‑6.512; Vauclair et Desjardins, p. 911). Ainsi que l’a fait observer le professeur I. Younger, selon une règle pratique, [traduction] « [t]out ce que l’autre partie a pu dire ou faire est admissible tant que cet élément est en lien avec l’affaire » (An Irreverent Introduction to Hearsay (1977), p. 24, propos cités dans Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 191‑192). Je ne cherche pas ici à définir les limites précises de la notion d’aveux émanant d’une partie, car il ne s’agit pas d’une question en litige.
[58] La décision par le juge qui préside un procès qu’un élément de preuve constitue du ouï‑dire, mais qu’il est visé par une exception à la règle générale d’exclusion, est une question de droit susceptible de contrôle suivant la norme de la décision correcte.
Enfin, les juges doivent décider s’il y a lieu qu’ils exercent leur pouvoir discrétionnaire afin d’écarter un élément de preuve après avoir soupesé la valeur probante de celui‑ci par rapport à ses effets préjudiciables.
La valeur probante s’entend du degré de pertinence d’un élément de preuve par rapport aux faits en litige et de la solidité des inférences qui peuvent être tirées de celui‑ci. L’effet préjudiciable a trait à la probabilité que le jury fasse un mauvais usage de l’élément de preuve litigieux.
[59] Enfin, les juges doivent décider s’il y a lieu qu’ils exercent leur pouvoir discrétionnaire afin d’écarter un élément de preuve après avoir soupesé la valeur probante de celui‑ci par rapport à ses effets préjudiciables. Le juge qui préside un procès avec jury doit se demander dans quelle mesure il est possible d’atténuer les effets préjudiciables d’un élément de preuve en donnant au jury des directives appropriées sur l’utilisation qui peut régulièrement être faite de cet élément. De plus, un élément de preuve peut être écarté lorsque son obtention a été marquée par une injustice importante, de telle sorte que cela rendrait inéquitable le procès de l’accusé (Mohan;Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 47‑48; Lederman, Fuerst et Stewart, ¶2.75‑2.77; Vauclair et Desjardins, p. 905‑906). Aucune considération de ce genre n’est en jeu dans les circonstances de la présente affaire.
[60] La valeur probante s’entend du degré de pertinence d’un élément de preuve par rapport aux faits en litige et de la solidité des inférences qui peuvent être tirées de celui‑ci (R. c. Handy, 2002 CSC 56, [2002] 2 R.C.S. 908, par. 26, citant R. c. Robertson, 1987 CanLII 61 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 918, p. 943; Hart, par. 94‑98). L’effet préjudiciable a trait à la probabilité que le jury fasse un mauvais usage de l’élément de preuve litigieux (Hart, par. 106; Paciocco, Paciocco et Stuesser, p. 52). La mise en balance de la valeur probante et de l’effet préjudiciable a été qualifiée d’« analyse du coût et des bénéfices » (Mohan, p. 21‑22; Hart, par. 94; Vauclair et Desjardins, p. 905‑906).
[61] Comme je l’ai signalé, il est possible d’atténuer le « coût » associé à l’élément de preuve litigieux (c.‑à‑d. son effet préjudiciable) par des directives appropriées au jury. Des directives appropriées peuvent effectivement permettre aux jurés de comprendre comment utiliser un élément de preuve de manière judiciaire (R. c. Khill, 2021 CSC 37, par. 116; R. c. Griffin, 2009 CSC 28, [2009] 2 R.C.S. 42, par. 69).
[62] La décision par le juge présidant un procès que la valeur probante d’un élément de preuve l’emporte sur son effet préjudiciable est une décision discrétionnaire qui commande la déférence en cas de contrôle (R. c. Araya, 2015 CSC 11, [2015] 1 R.C.S. 581, par. 31; R. c. Shearing, 2002 CSC 58, [2002] 3 R.C.S. 33, par. 73). En outre, les cours d’appel doivent examiner les erreurs susceptibles d’avoir entaché les directives au jury « dans le contexte de l’ensemble de l’exposé au jury et du déroulement général du procès » (R. c. Jaw, 2009 CSC 42, [2009] 3 R.C.S. 26, par. 32, cité dans Araya, par. 39), de manière à laisser aux juges qui président des procès « une certaine latitude dans la formulation de [leurs] directives » (Araya, par. 39). Je tiens à souligner à quel point il est important que le juge du procès expose une analyse claire de la valeur probante et de l’effet préjudiciable d’un élément de preuve afin de faciliter le contrôle de cette question en appel.
L’arrêt Ferris portait sur l’admissibilité d’un élément de preuve par ouï‑dire que la Couronne souhaitait présenter en tant qu’aveux émanant d’une partie. Dans un court jugement prononcé à l’audience, le juge Sopinka a affirmé que, même si la preuve basée sur les mots entendus avait eu quelque pertinence que ce soit, sa signification était « si conjecturale et sa valeur probante si faible que le juge du procès aurait dû l’exclure pour le motif que son effet préjudiciable l’emportait sur sa valeur probante ».
[65] Je vais maintenant me pencher sur l’arrêt Ferris, la décision de notre Cour qui, comme l’ont reconnu la juge du procès et la Cour d’appel en l’espèce, régit l’admissibilité de l’élément de preuve.
[66] L’arrêt Ferris portait sur l’admissibilité d’un élément de preuve par ouï‑dire que la Couronne souhaitait présenter en tant qu’aveux émanant d’une partie. Dans cette affaire, la police a arrêté M. Ferris pour meurtre et l’a amené au poste. Ce dernier a alors demandé à faire un appel téléphonique. Un policier a passé l’appel, a remis le téléphone à M. Ferris, puis s’est dirigé vers son bureau. En quittant la pièce, le policier a entendu M. Ferris dire [traduction] « J’ai été arrêté » et ensuite « J’ai tué David » (Ferris (C.A.), par. 7). Le juge du procès a admis le témoignage du policier concernant ce qu’il avait entendu M. Ferris dire. Ce dernier a été déclaré coupable par le jury de meurtre au deuxième degré.
[67] La Cour d’appel de l’Alberta a infirmé la décision du tribunal de première instance, concluant qu’un jury ayant reçu des directives appropriées n’aurait pas été en mesure d’attribuer une signification aux propos que le policier avait entendus. Des propos incapables de signification ne pouvaient avoir de valeur probante à l’égard de quelque question que ce soit et n’étaient donc pas pertinents. Un élément de preuve qui n’était pas pertinent n’était pas admissible. La question en litige n’était pas de savoir quel poids devait être accordé au témoignage du policier, mais plutôt si les propos qu’il avait entendus avaient quelque signification. La Cour d’appel a fait observer que [traduction] « les règles relatives au ouï‑dire n’écartent pas l’exigence relative à la pertinence » (par. 32).
[68] La Cour d’appel a expliqué qu’il était possible que les mots « J’ai tué David » aient été un aveu. Il était également possible qu’ils aient fait partie d’une réponse à la question [traduction] « qu’est‑ce que la police pense [que vous] avez fait? » (par. 17). [traduction] « [E]n soi », ces mots ne pouvaient « permettre de comprendre et d’apprécier véritablement la signification de la déclaration » (par. 24). Le témoignage du policier était inadmissible parce que le jury ne pouvait interpréter la signification des mots en question sans se livrer à [traduction] « de flagrantes conjectures » (par. 49).
[69] Notre Cour a confirmé en définitive la décision de la Cour d’appel dans Ferris. Dans un court jugement prononcé à l’audience, le juge Sopinka a affirmé que, même si la preuve basée sur les mots entendus avait eu quelque pertinence que ce soit, sa signification était « si conjecturale et sa valeur probante si faible que le juge du procès aurait dû l’exclure pour le motif que son effet préjudiciable l’emportait sur sa valeur probante » (p. 756). Il ressort d’une lecture attentive des motifs du juge Sopinka que ce dernier n’a pas dit que la preuve était inadmissible pour des raisons de pertinence. Notre Cour n’a pas confirmé l’analyse de la pertinence effectuée par la Cour d’appel ou l’application par celle‑ci de l’approche raisonnée. Le juge Sopinka a plutôt déclaré que, même si le témoignage avait été pertinent, il aurait dû être écarté après une mise en balance de sa valeur probante et de son effet préjudiciable.
La preuve présentée au procès dans l’affaire Ferris était différente de celle dont il est question en l’espèce. Dans Ferris, l’accusé et le policier étaient des étrangers l’un par rapport à l’autre.
[70] La preuve présentée au procès dans l’affaire Ferris était différente de celle dont il est question en l’espèce. Dans Ferris, l’accusé et le policier étaient des étrangers l’un par rapport à l’autre. Il n’y avait dans cette affaire absolument rien de similaire aux circonstances, à la chronologie des événements et aux conversations qui ont précédé, dans le présent cas, les paroles que le frère a entendues durant la conversation de l’accusé avec son épouse.
[71] Encore une fois, il faut garder à l’esprit la différence entre la pertinence et la fiabilité en dernière analyse. La fidélité avec laquelle le frère se rappelait des paroles prononcées par l’accusé se rapporte à la fiabilité en dernière analyse, une question qui relève du juge des faits. Peu de gens seraient en mesure de se souvenir des paroles exactes qui ont été prononcées lors d’une conversation récente qu’ils ont écoutée attentivement. Néanmoins, bon nombre d’entre nous seraient capables de se rappeler l’essentiel de cette conversation. Les règles de preuve doivent tenir compte de cette réalité. L’analyse de la valeur probante et le poids accordé à un élément de preuve par le juge des faits sont des mécanismes suffisants pour tenir compte des lacunes de la mémoire. Il n’est pas nécessaire que ces lacunes soient aussi prises en compte dans la détermination de la pertinence.
[72] L’arrêt Ferris demeure valable, mais il doit être lu avec soin. Effectivement, « [l]’exclusion d’une conversation partielle n’est [. . .] pas automatique et l’analyse est avant tout contextuelle » (Vauclair et Desjardins, p. 970). Je tiens à souligner l’application de cet arrêt dans trois décisions : R. c. Bennight, 2012 BCCA 190, 320 B.C.A.C. 195, R. c. Buttazzoni, 2019 ONCA 645, et R. c. Hummel, 2002 YKCA 6, 166 C.C.C. (3d) 30. Voir aussi R. c. Reierson, 2010 BCCA 381, 259 C.C.C. (3d) 32, par. 40.
[73] L’arrêt Bennight est factuellement assez similaire à la présente espèce. Dans cette affaire, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique avait admis en preuve le témoignage d’une agente correctionnelle qui n’arrivait pas à se souvenir des paroles précises que lui avait dites le contrevenant. La cour a estimé qu’il suffisait que [traduction] « le témoin puisse témoigner à la fois à l’égard de “l’essence” de la déclaration et du contexte dans lequel elle a été faite » (par. 92). Le fait que l’agente était incapable de se rappeler les paroles précises n’était pas pertinent pour l’analyse de la pertinence effectuée par le juge; le caractère incomplet du témoignage était un facteur à soupeser par le jury. En l’espèce, l’accusé a fait valoir devant notre Cour que l’arrêt Bennight différait de la présente instance en ce que dans Bennight l’agente correctionnelle avait entendu les paroles prononcées par les deux parties à la conversation. J’estime qu’il s’agit d’une distinction sans conséquence. Ce qui importe, c’est la question de savoir si l’élément de preuve tend à accroître ou à diminuer la probabilité de l’existence d’un fait, et non les circonstances particulières à l’origine de cette preuve.
[74] Dans l’affaire Buttazzoni, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que le juge du procès avait à juste titre admis en preuve [traduction] « des propos relatés [qui] ont été qualifiés de “presque textuels” », et également admis à bon droit des propos relatés qui constituaient « un résumé paraphrasé » (par. 56). La question de l’exactitude des souvenirs ne concernait pas la pertinence, mais constituait plutôt un facteur qui devait être soupesé par le juge des faits. Tout comme dans l’affaire Bennight, le témoin avait entendu les paroles prononcées par les deux parties à la conversation. Toutefois, comme je l’ai souligné, il ne s’agit pas d’une justification raisonnée permettant d’établir une distinction entre ces affaires et les circonstances du présent pourvoi.
[75] Dans l’affaire Hummel, l’accusé soutenait en appel que le juge du procès avait erronément admis un témoignage suggérant qu’il avait dit [traduction] « J’entends la voix d’une femme appelant mon nom » et « d’outre‑tombe » (par. 8). La Cour d’appel du Yukon a conclu qu’il y avait [traduction] « amplement de contexte au regard duquel les paroles pouvaient être considérées », puisque l’accusé avait prononcé ces paroles le matin qui avait suivi le moment où la victime avait été vue vivante pour la dernière fois et qu’il y avait d’autres éléments de preuve le rattachant à celle‑ci avant sa disparition (par. 32). Le jury pouvait inférer que l’accusé exprimait des remords par ces paroles.
[76] Ces décisions montrent qu’il ne faut pas considérer que l’arrêt Ferris permet d’affirmer que le souvenir incomplet d’aveux émanant d’une partie entraîne l’exclusion d’un tel élément de preuve, ou que seul le « micro‑contexte » peut éclairer la signification des paroles prononcées et, par conséquent, la pertinence. Dans l’appréciation de la pertinence (logique), ce qui importe c’est de savoir si l’élément de preuve tend à accroître ou à diminuer la probabilité de l’existence d’un fait en litige (Arp, par. 38).
[77] Même s’il n’était pas en mesure de se rappeler les paroles exactes qu’avait prononcées l’accusé, le frère a témoigné qu’il avait entendu une conversation téléphonique au cours de laquelle l’accusé avait admis avoir tué Mme Kogawa. Si le jury y prête foi, le souvenir du frère concernant l’appel téléphonique (pour reprendre les termes utilisés dans Arp) « ten[d] à [traduction] “accroître [. . .] la probabilité” » que l’accusé ait été responsable de la mort de la victime. À la lumière des autres éléments de preuve, le témoignage du frère rapportait des propos capables de signification non conjecturale et il était pertinent.