« une injustice occasionnelle ne saurait être acceptée comme étant le prix à payer pour l’efficacité » (par. 61)
La norme sélectionnée concernant le rejet sommaire lors d’une audience de type Vukelich sera fondée sur les deux ensembles de valeurs sous‑jacentes en jeu dans de telles procédures : l’efficacité du procès et l’équité de celui‑ci.
[46] La norme sélectionnée concernant le rejet sommaire lors d’une audience de type Vukelich sera fondée sur les deux ensembles de valeurs sous‑jacentes en jeu dans de telles procédures : l’efficacité du procès et l’équité de celui‑ci. Ces valeurs coexistent et [traduction] « il faut tendre vers les deux pour que l’un[e] et l’autre se réalisent : [elles] sont, en pratique, interdépendant[es] » (R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631, par. 27, citant B.C. Justice Reform Initiative, A Criminal Justice System for the 21st Century (2012), p. 75).
L’efficacité ne vise pas, toutefois, la simplicité ou la rapidité comme fins en soi.
Les juges du procès devraient examiner attentivement les décisions prises au nom de l’efficacité afin de s’assurer qu’elles font réellement sauver du temps et des ressources judiciaires au tribunal. Les économies escomptées devraient être à la fois réelles et requises
[49] Les mêmes objectifs sont importants dans le contexte criminel, où il est évident que les délais excessifs doivent être réduits pour que les procès soient efficaces (voir R. c. Glegg, 2021 ONCA 100, 400 C.C.C. (3d) 276, par. 36; Jordan, par. 114 et 139; Cody, par. 36‑39). Le rejet des requêtes non fondées dans le contexte du droit criminel contribue à faire en sorte que les procès aient lieu dans un délai raisonnable, ce qui représente une « part essentielle de l’engagement de notre système de justice criminelle de traiter les inculpés présumés innocents de manière à protéger leurs droits à la liberté, à la sécurité de leur personne et à un procès équitable » (Jordan, par. 20). « [L]es procès instruits en temps utile ont des répercussions sur les autres personnes qui interviennent dans les procès criminels et qui sont touchées par eux, de même que sur la confiance du public envers l’administration de la justice » (par. 22).
[50] De fait, les limites de temps établies dans l’arrêt Jordan en ce qui a trait à la durée de la plupart des procès criminels devraient inciter ceux qui présentent des requêtes sous‑jacentes, ou qui réclament le rejet sommaire de telles requêtes, à se demander sérieusement si ces étapes sont nécessaires et à évaluer leur incidence sur la durée du procès. Tous les participants dans le système de justice criminelle ont la responsabilité d’adopter une « approche proactive qui permet de prévenir les délais inutiles en s’attaquant à leurs causes profondes » (Cody, par. 36, citant Jordan, par. 137). Le fait que les décisions concernant le rejet sommaire jouissent d’un degré élevé de déférence encourage les juges du procès à assumer cette responsabilité et à exercer ce pouvoir discrétionnaire au besoin (voir R. c. Samaniego, 2022 CSC 9, par. 25; R. c. Edwardsen, 2019 BCCA 259, par. 75 (CanLII); R. c. Orr, 2021 BCCA 42, 399 C.C.C. (3d) 441, par. 53‑54).
[51] L’efficacité ne vise pas, toutefois, la simplicité ou la rapidité comme fins en soi. La complexité dans les procès criminels constitue parfois un passage obligé et l’objectif est d’éviter les délais disproportionnés ou indus, qui portent atteinte aux intérêts de la justice (voir Jordan, par. 43). Les procès, et les requêtes soumises à leur égard, devraient avoir une durée proportionnée. Ce qui est requis pour l’examen juste et équitable d’une requête donnée dépendra de la nature de celle‑ci et du contexte du procès dans son ensemble. Les juges du procès devraient chercher à éviter toute « étape procédurale ou requête qui est engagée à tort ou qui dure plus longtemps que nécessaire » car elle « empêche[rait] d’autres plaideurs méritants de se pourvoir en temps utile devant les tribunaux » (par. 43). Ces étapes n’augmentent pas la qualité de la justice dans ce procès précis. De même, les juges du procès devraient examiner attentivement les décisions prises au nom de l’efficacité afin de s’assurer qu’elles font réellement sauver du temps et des ressources judiciaires au tribunal. Les économies escomptées devraient être à la fois réelles et requises. Il s’agit d’un facteur important lors de l’examen de motions en rejet sommaire qui se prolongent et qui sont axées sur le bien‑fondé, lesquelles occasionnent souvent d’autres formes de coûts et de délais (dans le contexte civil, voir Hryniak, par. 6).
[52] Malheureusement, un examen de la jurisprudence révèle qu’à mesure que les audiences de type Vukelich proliféraient, devenant presque monnaie courante, leur objectif d’accroître l’efficacité des procès ne s’est pas réalisé en pratique. Dans bien des cas, elles sont inutilement longues et axées sur le bien‑fondé de la requête sous‑jacente. Une audience de type Vukelich [traduction] « réclamée avec insistance par la Couronne » peut se transformer en un « long examen préalable à l’audience du menu détail de la requête déposée par l’accusé » et donner lieu à une répétition des arguments lors du voir‑dire final (R. c. Tse, 2008 BCSC 867, par. 21 (CanLII); voir aussi par. 23). Par conséquent, l’audience [traduction] « consomme, inutilement, les ressources très limitées dont l’audience visait elle‑même à éviter le gaspillage » (R. c. Ali‑Kashani, 2017 BCPC 358, par. 52 (CanLII)).
[53] Le fait que l’objectif initial de l’audience de type Vukelich ne se soit pas toujours concrétisé est illustré par la présente affaire. En l’espèce, l’audience de type Vukelich qui a duré six jours comprenait des observations détaillées des avocats, une preuve substantielle et un examen en profondeur du bien‑fondé des requêtes en arrêt des procédures. Elle a engendré une longue procédure d’appel qui entraînera une répétition des mêmes arguments lorsque les requêtes seront finalement instruites sur le fond.
[54] De toute évidence, on ne peut pas simplement tenir pour acquis que le rejet sommaire est une façon sûre d’accroître l’efficacité. Pour faire preuve de pragmatisme et tenir compte de la proportionnalité, les juges devraient recenser et soupeser toutes les répercussions des divers choix de procédure. Les ressources qui seraient théoriquement économisées s’il n’y avait pas instruction de la principale requête sous‑jacente ne constituent qu’une partie du tableau. Les juges doivent aussi prendre en compte leurs vastes pouvoirs de gestion de l’instance, qui leur permettent de maîtriser le déroulement de l’instance et les processus et procédures de la requête sous‑jacente. Ces pouvoirs contribuent à atténuer les préoccupations légitimes concernant les procès prolixes, les recherches à l’aveuglette, les processus disproportionnés et les délais indus. Ils ne constituent pas une réponse complète, mais ils jouent un rôle important parce qu’ils favorisent les procédures proportionnées.
Dans les affaires criminelles, l’équité du procès est plus qu’un objectif de politique générale : c’est un impératif constitutionnel.
Établir une norme trop souple pour le rejet sommaire risque de faire en sorte que des requêtes qui auraient pu être accueillies après une audience complète sur le fond soient rejetées sur la base d’un dossier limité ou incomplet.
L’approche doit être généreuse et permettre, dans la mesure du possible, l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable ».
[56] Dans les affaires criminelles, l’équité du procès est plus qu’un objectif de politique générale : c’est un impératif constitutionnel. Un procès criminel porte sur des allégations faites par l’État contre un accusé dont la liberté est souvent en jeu. Le rejet sommaire de requêtes en droit criminel peut restreindre le droit de l’accusé à une défense pleine et entière et son droit à un procès équitable, garantis par l’art. 7 et l’al. 11d) de la Charte, en empêchant celui‑ci de présenter en détail ses arguments et d’obtenir des éléments de preuve à l’appui de sa requête (voir Dersch c. Canada (Procureur général), 1990 CanLII 3820 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 1505; R. c. Rose, 1998 CanLII 768 (CSC), [1998] 3 R.C.S. 262). Il y a, évidemment, des limites à ces droits. Par exemple, les personnes accusées n’ont pas droit à un voir‑dire et, si un voir‑dire est ordonné, elles n’ont pas droit au style de voir‑dire qu’elles préfèrent (Vukelich, par. 26). Le juge du procès décide s’il y a un voir‑dire et, le cas échéant, de la façon dont celui‑ci se déroule et s’il devrait comprendre une audition de la preuve. Néanmoins, le rejet sommaire de requêtes présentées dans le contexte du droit criminel met en cause les droits de l’accusé et, dans certaines circonstances, peut les restreindre.
[57] En raison de cette dimension constitutionnelle, les règles et les critères préliminaires dans le domaine civil peuvent donner des indications limitées, mais ne peuvent pas simplement être adoptés ou transposés dans le domaine criminel. Dans ce domaine de droit public, les droits de l’accusé garantis par la Charte doivent être pris en compte, particulièrement lorsque la requête sous‑jacente est présentée par la défense en vue du respect de ses droits à un procès équitable. De plus, les réalités qui sont propres aux procès criminels doivent être respectées. Cela comprend une appréciation des vastes nature, étendue, portée et variété des requêtes possibles dans un contexte de droit criminel — des questions qui vont bien au‑delà de celles soulevées par les déclarations dans les affaires civiles. Dans le contexte criminel, certaines requêtes sont régies par un ensemble distinct de règles de procédure criminelle, de processus et de normes d’origine législative, et d’autres sont régies par des précédents de longue date. Les caractéristiques distinctes du contexte criminel ont des incidences à la fois sur la norme qu’il convient d’appliquer concernant le rejet sommaire et sur la façon dont elle doit être appliquée dans des cas individuels.
[58] Les préoccupations concernant l’équité du procès peuvent naître de nombreuses façons. Établir une norme trop souple pour le rejet sommaire risque de faire en sorte que des requêtes qui auraient pu être accueillies après une audience complète sur le fond soient rejetées sur la base d’un dossier limité ou incomplet. Ce risque devient particulièrement pertinent lorsqu’une partie présente des arguments inédits, qui peuvent avoir une grande valeur de précédent et permettre au droit d’évoluer. Comme il a été reconnu dans le contexte civil, « [l]’approche doit être généreuse et permettre, dans la mesure du possible, l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable » (Imperial Tobacco, par. 21). Cette préoccupation s’applique tout autant dans les affaires criminelles : les tribunaux ont reconnu le risque que des demandes inédites soient réprimées, étant donné que [traduction] « les contours des droits constitutionnels sont établis grâce aux litiges relatifs à des questions nouvelles, non réglées et litigieuses » (R. c. McDonald, 2013 BCSC 314, par. 44 (CanLII); Teal Cedar Products Ltd. c. Rainforest Flying Squad, 2022 BCSC 429, par. 14‑15 (CanLII)). Certains intervenants ont souligné qu’une requête inédite pourrait exiger un examen approfondi de la preuve pour que les questions puissent être cernées adéquatement. Je suis aussi de cet avis.
[59] Ces préoccupations sont à la base de la jurisprudence actuelle et concordent avec celle‑ci, laquelle reconnaît que l’équité du procès exige un critère préliminaire peu élevé pour la tenue d’un voir‑dire, de sorte que la plupart des requêtes sont instruites au fond (voir R. c. Frederickson, 2018 BCCA 2, par. 33 (CanLII)). De fait, les parties devant notre Cour s’entendent généralement toutes pour dire qu’il ne devrait pas y avoir de difficulté à ce que la requête présentée par un accusé fasse l’objet d’un voir‑dire, bien qu’elles ne s’entendent pas sur la norme exacte devant être appliquée.
Les juges du procès devraient donc pécher par excès de prudence lorsqu’ils se voient demander de rejeter sommairement une requête présentée dans le contexte du droit criminel.
Une injustice occasionnelle ne saurait être acceptée comme étant le prix à payer pour l’efficacité
[60] Les valeurs sous‑jacentes de l’efficacité du procès et de l’équité de celui‑ci commandent la conclusion qu’un critère préliminaire rigoureux devrait être appliqué aux motions en rejet sommaire lors de procès criminels. Comme son nom l’indique, une procédure sommaire est censée être sommaire : préliminaire, brève et s’apparentant plus à un survol qu’à un examen en profondeur. Le rejet sommaire repose sur des allégations et est étayé par l’artifice consistant à tenir pour avérés les faits allégués. En revanche, une instruction sur le fond suppose une décision définitive sur les faits et sur la question de savoir si, après un examen complet, les faits établis étayent les allégations et justifient la réparation demandée.
[61] Une norme rigoureuse est aussi étayée par les caractéristiques particulières des procès criminels, notamment la façon dont les vastes pouvoirs de gestion de l’instance du juge du procès peuvent contribuer à assurer l’utilisation efficace, efficiente et proportionnée des ressources judiciaires, ainsi que le respect des droits de l’accusé à un procès équitable. Les juges ont une fonction de gardien et l’objectif est que seules les requêtes qui devraient être visées par le pouvoir de rejet sommaire soient dans les faits rejetées sommairement. Les juges du procès devraient donc pécher par excès de prudence lorsqu’ils se voient demander de rejeter sommairement une requête présentée dans le contexte du droit criminel. Cela est particulièrement vrai à la lumière de la norme de contrôle empreinte de déférence appliquée en appel aux décisions d’un juge en matière de gestion de l’instance (Samaniego, par. 25; Edwardsen, par. 75). Le critère préliminaire et la norme choisis concernant le rejet sommaire doivent respecter l’observation de notre Cour (dans le contexte de la sélection des jurés) selon laquelle « une injustice occasionnelle ne saurait être acceptée comme étant le prix à payer pour l’efficacité » (R. c. Find, 2001 CSC 32, [2001] 1 R.C.S. 863, par. 28).
La norme de la « frivolité manifeste », qui évoque la nécessité évidente de l’échec, est le critère préliminaire qu’il convient d’appliquer pour le rejet sommaire des requêtes présentées dans le contexte du droit criminel.
Le critère préliminaire de la « frivolité manifeste » protège aussi les droits à un procès équitable en veillant à ce que les requêtes qui pourraient être accueillies, notamment les demandes inédites, soient jugées au fond.
[70] La Cour d’appel du Québec a récemment eu recours à la norme de la « frivolité manifeste », notamment dans le contexte du rejet sommaire proposé d’une requête en arrêt des procédures (Accurso, par. 323 et 329; Brûlé, par. 31; voir aussi Ouellet c. R., 2021 QCCA 386, 70 C.R. (7th) 279, par. 12, note 3, renvoyant à une requête « à sa face même frivole »). La Cour d’appel a appelé les juges à faire preuve de prudence lors de l’application de cette norme avant de rejeter sommairement une requête, car un tel rejet prive le requérant (souvent l’accusé) d’une audience sur le fond (Accurso, par. 314‑315, citant Brûlé, par. 31). Dans le cadre de motions en rejet sommaire, la Cour d’appel, plutôt que d’exiger que l’accusé prouve l’existence d’une violation de la Charteau moyen d’une requête sous‑jacente fondée sur celle‑ci, a seulement exigé que l’accusé démontre qu’il est possible que la demande soit accueillie (Accurso, par. 323).
[71] Ainsi, la norme de la « frivolité manifeste », qui évoque la nécessité évidente de l’échec, est le critère préliminaire qu’il convient d’appliquer pour le rejet sommaire des requêtes présentées dans le contexte du droit criminel. Si le caractère frivole de la requête n’est pas manifeste ou évident au vu du dossier, la requête ne devrait pas être rejetée sommairement et devrait plutôt être jugée au fond.
[72] Cette norme est celle qui sert le mieux les valeurs de l’efficacité et de l’équité du procès. Il s’agit d’une norme rigoureuse qui permettra aux juges d’écarter les requêtes qui ne seraient jamais accueillies et qui, par définition, feraient perdre du temps à la cour. Le rejet sommaire, outil brutal qui empêche le requérant d’aller de l’avant, n’est pas la seule façon par laquelle les juges peuvent protéger l’efficacité. La panoplie des pouvoirs de gestion de l’instance du juge lui permet d’adapter les procédures et contribue à atténuer les préoccupations selon lesquelles les « recherches à l’aveuglette » peuvent faire avorter le progrès d’un procès, engendrer des délais indus ou causer une utilisation disproportionnée du temps du tribunal.
[73] Le critère préliminaire de la « frivolité manifeste » protège aussi les droits à un procès équitable en veillant à ce que les requêtes qui pourraientêtre accueillies, notamment les demandes inédites, soient jugées au fond. La protection des droits à un procès équitable est toujours importante, mais revêt une importance accrue lorsque la requête en cause comporte de graves conséquences. En général, plus les conséquences associées à une requête donnée sont graves, plus l’incidence possible sur les droits d’un accusé est grande en cas de rejet sommaire de celle‑ci. Certaines requêtes entraînent des conséquences plus importantes simplement en raison de leur nature et des questions qu’elles soulèvent. Par exemple, les requêtes en arrêt des procédures fondées sur un abus de procédure ont une énorme importance pour l’accusé et le public. Elles comportent souvent de graves allégations de conduite répréhensible de la part de l’État, et exigent toujours des conséquences sérieuses, à savoir un arrêt permanent de la poursuite (Babos, par. 30, 35 et 37; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, 1997 CanLII 322 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 391, par. 91). De même, il peut être allégué dans une requête sous‑jacente que les droits que la Charte garantit à l’accusé ont été violés, de sorte que le rejet sommaire de celle‑ci empêche l’accusé de plaider ces droits au cours du procès.
La norme de « l’absence de perspective raisonnable de succès » ne convient pas au rejet sommaire dans le contexte criminel car elle peut commander un examen au fond de la requête sous‑jacente.
[77] De plus, la norme de « l’absence de perspective raisonnable de succès » ne convient pas au rejet sommaire dans le contexte criminel car elle peut commander un examen au fond de la requête sous‑jacente. Un examen détaillé dépasse la portée d’une motion en rejet sommaire et favorise le type de procédures prolongées qui accablent actuellement les audiences de type Vukelich. Il risque de faire en sorte que le juge saisi de la motion en rejet sommaire examine trop en profondeur un dossier limité. Bien qu’il constitue une norme utile dans d’autres domaines du droit, il a tendance à nuire à l’efficacité lorsqu’il est utilisé pour le rejet sommaire dans le contexte criminel. L’examen au fond de la requête sous‑jacente doit être réservé à la dernière partie du processus décisionnel, c’est‑à‑dire lorsque le juge répond à la question ultime du voir‑dire lui‑même.
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Lorsqu’il est saisi d’une motion en rejet sommaire, le juge doit tenir pour avérés les faits allégués par le requérant et doit prendre les arguments de celui‑ci à leur sens le plus fort. Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’évaluer la preuve ou d’établir des faits dans le cadre de la motion en rejet sommaire, la requête sous‑jacente du requérant devrait expliquer son fondement factuel et indiquer les éléments de preuve anticipés qui pourraient établir les faits allégués. Lorsque le requérant ne peut pas indiquer les éléments de preuve anticipés qui pourraient établir un fait nécessaire, le juge peut rejeter l’allégation factuelle pour le motif qu’elle est manifestement frivole.
[83] Lorsqu’il est saisi d’une motion en rejet sommaire, le juge doit tenir pour avérés les faits allégués par le requérant et doit prendre les arguments de celui‑ci à leur sens le plus fort (Vukelich, par. 26; Armstrong, par. 8; Gill(C.S. C.‑B.), par. 24). Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’évaluer la preuve ou d’établir des faits dans le cadre de la motion en rejet sommaire, la requête sous‑jacente du requérant devrait expliquer son fondement factuel et indiquer les éléments de preuve anticipés qui pourraient établir les faits allégués. Lorsque le requérant ne peut pas indiquer les éléments de preuve anticipés qui pourraient établir un fait nécessaire, le juge peut rejeter l’allégation factuelle pour le motif qu’elle est manifestement frivole.
[84] De même, le juge devrait généralement tenir pour acquis que les inférences formulées par le requérant sont vraies, même si des inférences contradictoires sont présentées. Le juge ne devrait rejeter une inférence que si elle est manifestement frivole, ce qui veut dire qu’il n’y a pas de raisonnement menant à l’inférence proposée. Tel pourrait être le cas lorsqu’un fait nécessaire qui sous‑tend l’inférence n’est pas allégué ou si l’inférence ne peut être tirée en droit (p. ex., si l’inférence proposée repose sur un raisonnement inacceptable).
Puisque les faits allégués sont tenus pour avérés, une requête ne sera manifestement frivole que lorsqu’il y a un défaut fondamental dans la voie juridique de celle‑ci : la réparation ne peut être obtenue.
[85] Une approche semblable est adoptée à l’égard de la requête dans son ensemble. Puisque les faits allégués sont tenus pour avérés, une requête ne sera manifestement frivole que lorsqu’il y a un défaut fondamental dans la voie juridique de celle‑ci : la réparation ne peut être obtenue. Par exemple, une requête peut être manifestement frivole parce que le juge n’a pas compétence pour accorder la réparation demandée (voir, p. ex., Lehr, par. 27‑32). Il pourrait également s’agir d’une requête présentant un argument juridique qui a déjà été rejeté: les requêtes fondées sur des propositions juridiques qui sont nettement contraires au droit établi et non contesté sont manifestement frivoles (voir, p. ex., Lehr, par. 22‑23) .
Même si le juge permet que la requête fasse l’objet d’un voir‑dire, il conserve le pouvoir de la rejeter sommairement pendant celui‑ci s’il apparaît évident qu’elle est manifestement frivole.
[89] Enfin, le pouvoir du juge du procès de rejeter sommairement une requête peut être exercé tout au long de l’instance. Même si le juge permet que la requête fasse l’objet d’un voir‑dire, il conserve le pouvoir de la rejeter sommairement pendant celui‑ci s’il apparaît évident qu’elle est manifestement frivole (Cody, par. 38, citant Jordan, par. 63). Cela peut se produire si le requérant est incapable d’obtenir toute preuve, contestée ou non, pour prouver un fait nécessaire.
La partie qui demande le rejet sommaire a le fardeau de convaincre le juge que la requête sous‑jacente est manifestement frivole.
[90] Dans le cadre d’une motion en rejet sommaire, la partie qui demande le rejet sommaire a le fardeau de convaincre le juge que la requête sous‑jacente est manifestement frivole.
[91] Certains soutiennent que le fardeau devrait incomber à la partie qui présente la requête sous‑jacente, parce qu’il n’y a pas de droit automatique à un voir‑dire (Vukelich, par. 26). Toutefois, imposer le fardeau à la partie qui demande le rejet sommaire est logique, pratique et préférable. Logiquement, la partie qui cherche à obtenir le rejet sommaire devrait avoir le fardeau de démontrer que cette réparation doit être accordée. Sur le plan pratique, le fardeau peut dissuader le demandeur de solliciter le rejet sommaire de chacune des requêtes présentées dans un dossier, qu’elles soient manifestement frivoles ou non. Un tel comportement stratégique est tout à fait inefficace et fait perdre du temps au tribunal.
Le dossier relatif à une motion en rejet sommaire devrait normalement être réduit à l’essentiel et être de nature sommaire car la production d’une preuve très étoffée exige souvent du temps, des efforts et des délais d’une façon qui va à l’encontre de l’objectif même de la motion.
[93] Le dossier relatif à une motion en rejet sommaire devrait normalement être réduit à l’essentiel et être de nature sommaire car la production d’une preuve très étoffée exige souvent du temps, des efforts et des délais d’une façon qui va à l’encontre de l’objectif même de la motion. Bien que l’on s’attende à ce que les deux parties présentent leurs meilleurs arguments, il n’est pas nécessaire de fixer des règles fermes concernant le type de dossier qui doit être déposé (voir Glegg, par. 37; Giesbrecht, par. 158). Compte tenu des différentes règles de procédure qui s’appliquent dans l’ensemble des provinces et territoires, et compte tenu du fait qu’un juge du procès peut, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, décider de la façon dont une requête devrait suivre son cours, l’approche relative à l’audience sur le rejet sommaire devrait comporter [traduction] « un processus souple plutôt que fixe » (Vukelich, par. 19; voir aussi Kutynec, p. 293‑294 et 299).
Bien que le fardeau général incombe à la partie qui réclame le rejet sommaire, le requérant est celui qui sait quelle réparation est sollicitée de sorte qu’il devrait énoncer, de façon suffisamment détaillée, ce qu’il espère prouver au moyen de la requête afin d’obtenir cette réparation.
[96] Conformément au principe voulant qu’une requête ne doive être rejetée que si elle est manifestement frivole, tout document additionnel qui est versé au dossier concernant une motion en rejet sommaire devrait être réduit à l’essentiel et nécessaire. Cela aidera à éviter la question des délais et de l’inefficacité qui ont, jusqu’à maintenant, accablé les audiences de type Vukelich. Il ne devrait pas être nécessaire de présenter une preuve contestée détaillée et abondante pour déterminer si la requête sera forcément rejetée. Les avocats devraient, au minimum, donner des détails concernant (1) les principes juridiques, les dispositions de la Charte ou de lois qui sont invoqués, et la façon dont ces principes ou dispositions ont été violés; (2) les éléments de preuve (anticipés) qui seront invoqués et la façon dont ils peuvent être présentés; (3) les arguments proposés; et (4) la réparation demandée (Baker, par. 11; Dwernychuk, par. 21‑22).
[97] Dans le cadre d’une motion en rejet sommaire, la partie qui a présenté la requête sous‑jacente a le fardeau minimal de fournir au juge les précisions énoncées plus tôt au moyen de plaidoiries ou d’observations écrites. Bien que le fardeau général incombe à la partie qui réclame le rejet sommaire, le requérant est celui qui sait quelle réparation est sollicitée de sorte qu’il devrait énoncer, de façon suffisamment détaillée, ce qu’il espère prouver au moyen de la requête afin d’obtenir cette réparation. Selon les exigences locales relatives au dépôt, il est possible qu’une grande partie de ces renseignements soient déjà énoncés dans un avis de requête et les documents à l’appui. Les observations des avocats seront une [traduction] « première étape utile » pour compléter ces renseignements (Vukelich, par. 23). De plus, il convient de rappeler que le juge du procès peut, en vertu de ses pouvoirs de gestion de l’instance, demander au requérant de lui indiquer ces détails avant de tenir un voir‑dire (R. c. Felderhof(2003), 2003 CanLII 37346 (ON CA), 68 O.R. (3d) 481 (C.A.), par. 57).
[98] Même si les déclarations des avocats suffiront souvent, quelque chose de plus pourrait être nécessaire. Je m’en remets à la discrétion du juge tranchant la motion en rejet sommaire pour ce qui est de déterminer s’il faut quelque chose de plus et, le cas échéant, ce que ce devrait être. Décider de quelle façon la motion en rejet sommaire procédera relève des pouvoirs de gestion de l’instance du juge. Toutefois, le juge doit garder à l’esprit que plus il y a de documents déposés, plus le risque est grand qu’il y ait des délais, que l’audience sur le rejet sommaire se transforme en un débat sur le bien‑fondé de la requête sous‑jacente et que le juge statue par inadvertance sur le bien‑fondé de la requête elle‑même (Gill (C.S. C.‑B.), par. 24).
Permettre qu’une requête fasse l’objet d’un voir‑dire n’autorise pas les avocats à plaider la requête comme ils l’entendent.
[106] Si le rejet sommaire est refusé, les juges du procès seront aussi appelés à établir de quelle façon le voir‑dire sur la requête sous‑jacente devrait se dérouler, notamment s’il devrait y avoir une audition de la preuve ou si l’affaire peut être instruite uniquement sur le fondement des arguments, d’un exposé conjoint des faits ou d’une combinaison de méthodes. Permettre qu’une requête fasse l’objet d’un voir‑dire n’autorise pas les avocats à plaider la requête comme ils l’entendent. Le temps et la latitude donnés aux avocats pour faire valoir la requête devraient être proportionnés : tout juste suffisants pour que la requête soit traitée équitablement. Au‑delà de ce point, il peut y avoir des délais indus.
[107] L’exercice de ces pouvoirs de gestion de l’instance commande non seulement des procédures proportionnées qui mettent en équilibre l’efficacité du procès et l’équité de celui‑ci, mais peut aussi exiger une analyse comparative servant à déterminer l’approche qui répond le mieux aux exigences et au caractère équitable d’une situation donnée. Les juges devraient garder à l’esprit que le pouvoir d’ordonner le rejet sommaire n’est pas le seul outil dont ils disposent pour gérer la requête sous‑jacente et se demander si leurs autres pouvoirs de gestion de l’instance conviennent mieux pour gérer la requête sous‑jacente (Samaniego; Cody, par. 38). Les valeurs de l’efficacité et de l’équité du procès pourraient être mieux servies par la tenue d’un voir‑dire sur la requête sous‑jacente qui ne vise, grâce à l’utilisation du pouvoir discrétionnaire judiciaire, que ce qui est nécessaire pour l’examen équitable de la teneur des allégations. Lorsque les juges exercent leurs pouvoirs de gestion de l’instance de cette façon, ils réalisent les objectifs qui sous‑tendent ceux‑ci : faire en sorte que les procès se déroulent de façon équitable, efficace et efficiente (Samaniego, par. 21).
Aucune catégorie d’infractions n’échappe à la portée de la doctrine de l’abus de procédure
[121] En terminant, la Couronne souligne que son observation est non pas qu’un arrêt des procédures ne pourrait jamais être ordonné pour de telles infractions graves, mais plutôt que dans ces circonstances précises, au terme d’une mise en balance, un arrêt ne devrait pas être ordonné. Bien qu’il reste à déterminer si un arrêt des procédures devrait ou non être ordonné dans le cas présent, à la lumière de la gravité des infractions et de la gravité de l’abus, je souscris à la proposition générale énoncée par la Cour d’appel selon laquelle aucune catégorie d’infractions n’échappe à la portée de la doctrine de l’abus de procédure.