Les notions de « procès connexes » ou de « related trials » ne doivent pas être interprétées restrictivement. Pour décider si des procès sont connexes et s’il y a lieu d’ordonner une audition conjointe selon le paragraphe 551.7(1) du Code criminel, on peut tenir compte « du degré de ressemblance des éléments de preuve concernant la question dans les procès en cause ».
[26] À mon avis, les notions de « procès connexes » ou de « related trials » ne doivent pas être interprétées restrictivement. Pour décider si des procès sont connexes et s’il y a lieu d’ordonner une audition conjointe selon le paragraphe 551.7(1) du Code criminel, on peut tenir compte « du degré de ressemblance des éléments de preuve concernant la question dans les procès en cause »[18]. Cette exigence aurait évidemment été satisfaite en l’espèce. La désignation d’un premier juge de gestion de l’instance n’empêche pas son remplacement[19], ce qui offre une mesure de flexibilité dans l’affectation des ressources judiciaires. De plus, les décisions rendues durant la gestion de l’instance lient les parties[20] et font l’objet d’un seul et unique pourvoi[21].
…
[63] Selon le point de vue exprimé par les deux juges, l’approche de l’expert Stolz est mue par la quête absolue de perfection et de rigueur propre au scientifique[41] qui estime que le régime législatif serait amélioré par l’encadrement qu’il propose.
[64] Cela est bien possible, mais il faut se rappeler que « [l]e droit à un procès équitable ne garantit toutefois pas les procédures les plus favorables que l’on puisse imaginer »[42].
[65] Par ailleurs, l’approche de l’expert se bute aussi aux conclusions répétées de la Cour suprême, fondées sur une solide preuve d’opinion, selon lesquelles « la fiabilité scientifique des résultats d’un alcootest correctement utilisé ne fait plus aucun doute »[43].
[66] L’objectif des modifications apportées en 2008 par la Loi sur la lutte contre les crimes violents[44] était de « conférer aux résultats [de l’alcootest] un poids compatible avec leur valeur scientifique »[45]. Je poursuis plus loin, d’une manière plus complète, l’analyse de cet aspect dans le cadre du second pourvoi, mais il suffit de constater que la preuve présentée par les appelants n’a pas convaincu le juge de première instance et la juge de la Cour supérieure n’a pas commis d’erreur en refusant d’intervenir.
Si les prétentions sur lesquelles la contestation constitutionnelle est fondée ont déjà été rejetées ou sont nettement contraires au droit établi, il ne fait pas de doute que le rejet sommaire d’une telle contestation sera justifié.
Le précédent doit apporter une solution complète, certaine et définitive à l’ensemble du débat.
[109] L’audition de la demande en rejet sommaire est censée être une procédure : « préliminaire, brève et s’apparentant plus à un survol qu’à un examen en profondeur »[91]. Elle ne doit pas devenir inutilement longue[92].
[110] Il est vrai qu’une contestation constitutionnelle ne doit pas être rejetée prématurément et qu’un rejet sommaire devrait être une rare occurrence. Lorsque l’accusé conteste la constitutionnalité de la loi en vertu de laquelle on le poursuit, la prudence doit nécessairement entourer le rejet sommaire de celle-ci.
[111] Dans l’arrêt Accurso[93], j’exprimais la raison d’être d’une telle circonspection même si mes observations ne visaient pas le cas particulier d’une contestation de la constitutionnalité d’une loi :
[315] La précaution qui entoure l’exercice du pouvoir de rejeter sommairement une demande fondée sur la Charte repose sur la conséquence qui en découle : cette décision prive l’accusé d’une audition pour tenter d’établir la violation de ses droits constitutionnels.
[112] Dans la même veine, la juge Martin explique dans l’arrêt Haevischer la raison d’être de cette approche :
[58] Les préoccupations concernant l’équité du procès peuvent naître de nombreuses façons. Établir une norme trop souple pour le rejet sommaire risque de faire en sorte que des requêtes qui auraient pu être accueillies après une audience complète sur le fond soient rejetées sur la base d’un dossier limité ou incomplet. Ce risque devient particulièrement pertinent lorsqu’une partie présente des arguments inédits, qui peuvent avoir une grande valeur de précédent et permettre au droit d’évoluer. Comme il a été reconnu dans le contexte civil, « [l]’approche doit être généreuse et permettre, dans la mesure du possible, l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable » (Imperial Tobacco, par. 21). Cette préoccupation s’applique tout autant dans les affaires criminelles : les tribunaux ont reconnu le risque que des demandes inédites soient réprimées, étant donné que [traduction] « les contours des droits constitutionnels sont établis grâce aux litiges relatifs à des questions nouvelles, non réglées et litigieuses » (R. c. McDonald, 2013 BCSC 314, par. 44; Teal Cedar Products Ltd. c. Rainforest Flying Squad, 2022 BCSC 429, par. 14‑15). Certains intervenants ont souligné qu’une requête inédite pourrait exiger un examen approfondi de la preuve pour que les questions puissent être cernées adéquatement. Je suis aussi de cet avis.
[Le soulignement est ajouté]
[113] Cette attitude de réserve empreinte de parcimonie ne fait pas l’objet de débat[94].
[114] Par contre, si les prétentions sur lesquelles la contestation constitutionnelle est fondée ont déjà été rejetées ou sont nettement contraires au droit établi[95], il ne fait pas de doute que le rejet sommaire d’une telle contestation sera justifié. Comme l’explique mon collègue le juge Ruel siégeant comme juge unique dans l’affaire Paul c. Directeur des poursuites criminelles et pénales[96] :
[19] Un avis de question constitutionnelle peut être rejeté de manière préliminaire si les prétentions soulevées ne sont pas fondées en droit, même [si] les faits allégués sont considérés comme avérés.
[115] Par ailleurs, comme l’expliquent les juges LeBel et Wagner dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Confédération des syndicats nationaux[97], cette issue s’impose également si un précédent a résolu toutes les questions soulevées par une contestation constitutionnelle. Toutefois, ce précédent doit apporter une solution complète, certaine et définitive à l’ensemble du débat :
[27] Cela dit, avant d’accueillir une requête en irrecevabilité pour absence de fondement juridique, encore faut-il que le juge d’instance soit convaincu, au regard du dossier et des faits allégués, que le précédent invoqué par le requérant porte bien sur l’ensemble du débat qu’il devrait normalement trancher et qu’il y apporte une solution complète, certaine et définitive. En cas de doute, le juge doit rejeter la requête en irrecevabilité et laisser aux parties la possibilité de débattre au fond des questions litigieuses.
Dans le cadre d’une requête en rejet sommaire ou en irrecevabilité,
1) les juges doivent prendre en considération la requête introductive d’instance, ici l’avis de contestation constitutionnelle, mais aussi les pièces produites au dossier[99];
2) les faits allégués dans la requête doivent être tenus pour avérés, mais pas leur qualification juridique[100];
3) le juge doit déterminer si les allégations de fait énoncées dans la requête introductive d’instance sont de nature à donner ouverture aux conclusions recherchées[101]; s’il est possible que les faits allégués, malgré la difficulté d’en faire la preuve au procès, ouvrent la porte, selon le droit applicable, aux conclusions recherchées, le tribunal ne peut prononcer l’irrecevabilité du recours[102];
4) pour que le tribunal soit fondé à conclure à l’irrecevabilité, il faut que tous les éléments de fait à considérer apparaissent dans la requête introductive d’instance et que l’application de la règle de droit pertinente à ces éléments ne soit pas discutable[103].
[118] Comme l’établit l’arrêt Haevischer, le « rejet sommaire repose sur des allégations et est étayé par l’artifice consistant à tenir pour avérés les faits allégués »[98]. L’approche qui doit guider le juge saisi de la demande de rejet sommaire est définie comme suit :
[83] Lorsqu’il est saisi d’une motion en rejet sommaire, le juge doit tenir pour avérés les faits allégués par le requérant et doit prendre les arguments de celui‑ci à leur sens le plus fort (Vukelich, par. 26; Armstrong, par. 8; Gill (C.S. C.‑B.), par. 24). Bien qu’il ne soit pas nécessaire d’évaluer la preuve ou d’établir des faits dans le cadre de la motion en rejet sommaire, la requête sous‑jacente du requérant devrait expliquer son fondement factuel et indiquer les éléments de preuve anticipés qui pourraient établir les faits allégués. Lorsque le requérant ne peut pas indiquer les éléments de preuve anticipés qui pourraient établir un fait nécessaire, le juge peut rejeter l’allégation factuelle pour le motif qu’elle est manifestement frivole.
[Les soulignements sont ajoutés]
[119] Ainsi, dans le cadre d’une requête en rejet sommaire ou en irrecevabilité, 1) les juges doivent prendre en considération la requête introductive d’instance, ici l’avis de contestation constitutionnelle, mais aussi les pièces produites au dossier[99]; 2) les faits allégués dans la requête doivent être tenus pour avérés, mais pas leur qualification juridique[100]; 3) le juge doit déterminer si les allégations de fait énoncées dans la requête introductive d’instance sont de nature à donner ouverture aux conclusions recherchées[101]; s’il est possible que les faits allégués, malgré la difficulté d’en faire la preuve au procès, ouvrent la porte, selon le droit applicable, aux conclusions recherchées, le tribunal ne peut prononcer l’irrecevabilité du recours[102]; 4) pour que le tribunal soit fondé à conclure à l’irrecevabilité, il faut que tous les éléments de fait à considérer apparaissent dans la requête introductive d’instance et que l’application de la règle de droit pertinente à ces éléments ne soit pas discutable[103].
[120] Je complète cette description par les observations de la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Imperial Tobacco[104], arrêt cité dans l’arrêt Haevischer, où elle insiste sur la distinction entre les faits allégués (et tenus pour avérés) et la preuve qui pourra éventuellement en être faite au fond :
[22] Une requête en radiation pour absence de cause d’action raisonnable repose sur le principe que les faits allégués sont vrais, sauf s’ils ne peuvent manifestement pas être prouvés : Operation Dismantle Inc. c. La Reine, 1985 CanLII 74 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 441, p. 455. Aucune preuve n’est admissible à l’égard d’une telle requête : par. 19(27) des Supreme Court Rules de la Colombie‑Britannique (maintenant le par. 9-5(2) des Supreme Court Civil Rules). Il incombe au demandeur de plaider clairement les faits sur lesquels il fonde sa demande. Un demandeur ne peut compter sur la possibilité que de nouveaux faits apparaissent au fur et à mesure que l’instruction progresse. Il peut arriver que le demandeur ne soit pas en mesure de prouver les faits plaidés au moment de la requête. Il peut seulement espérer qu’il sera en mesure de les prouver. Il doit cependant les plaider. Les faits allégués sont le fondement solide en fonction duquel doit être évaluée la possibilité que la demande soit accueillie. S’ils ne sont pas allégués, l’exercice ne peut pas être exécuté adéquatement.
[23] Dans notre Cour, Imperial et les autres compagnies de tabac ont prétendu que la requête en radiation devrait prendre en compte non seulement les faits plaidés, mais la possibilité que, au fur et à mesure que l’instruction progresse, la preuve en révélerait davantage quant au comportement du Canada et au rôle qu’il a joué dans la promotion de la consommation de cigarettes à teneur réduite en goudron. Cette position dénote une compréhension fondamentalement erronée de ce que vise une requête en radiation. Elle n’a rien à voir avec la preuve. Elle porte sur les actes de procédure. Les faits allégués sont réputés véridiques. La question de savoir si la preuve corrobore ou corroborera les faits allégués n’a aucune pertinence quant à la requête en radiation. Le juge saisi de la requête en radiation ne peut pas anticiper ce que la preuve qui sera produite permettra d’établir. Si l’on exigeait cela du juge, la requête en radiation perdrait sa logique et deviendrait en fin de compte inutile.
[24] Cela n’a rien d’inéquitable pour le demandeur. La présomption selon laquelle les faits allégués sont vrais joue en sa faveur. Le demandeur choisit les faits qu’il allègue en fonction de la cause d’action qu’il fait valoir. Si des faits nouveaux soulèvent de nouvelles possibilités — comme c’est parfois le cas —, la solution consiste à modifier les actes de procédure afin d’alléguer les faits nouveaux à ce moment-là.
[Les soulignements sont ajoutés]
En raison des exigences contenues aux articles 76 et 77 C.p.c., il sera souvent indispensable[115] que la preuve des faits sociaux et législatifs qui appuient la contestation constitutionnelle soit alléguée dans les procédures et éventuellement présentée lors de l’instruction au fond.
[122] Avant de poursuivre mon analyse de l’argument des appelants, il s’avère nécessaire de bien camper la différenciation entre les faits en litige (ou adjudicatifs) et les faits sociaux ou législatifs[107], une démarcation particulière importante lors de la contestation constitutionnelle d’une loi. En effet, « dans de nombreuses affaires fondées sur l’application de la Charte (par exemple), les faits en litige sont admis. Ce sont alors les faits législatifs ou les faits sociaux qui sont susceptibles d’être décisifs »[108].
[123] Or, le justiciable qui conteste la constitutionnalité d’une loi doit en aviser au préalable le Procureur général selon les articles 76 et 77 du Code de procédure civile[109]. Selon l’article 77, cet avis doit « exposer de manière précise les prétentions que la personne entend faire valoir et les moyens qui les justifient » et « doit également être accompagné de tous les actes de procédure déjà versés au dossier ». L’importance d’un tel avis ne saurait être négligée[110]. Il va de soi que les appelants ont eu raison d’exposer leurs prétentions dans leur avis au Procureur général concernant les carences scientifiques qui affligent selon eux les paragraphes 254(2) et 254(3) du Code criminel et de produire les pièces au soutien de celles-ci.
[124] Dans l’arrêt Bedford, la Cour suprême souligne que « le recours à des éléments de preuve relevant des sciences sociales dans les affaires portant sur l’application de la Charte a beaucoup évolué »[111] et qu’elle a exprimé sa préférence pour « que de tels éléments de preuve soient présentés par des témoins experts »[112]. En outre, « les faits sociaux ou législatifs peuvent s’entremêler avec les faits en litige — les faits de l’espèce — et avec les questions liées à la crédibilité des experts »[113]. Dans cette affaire, la Cour suprême a finalement décidé que « [l]a norme de contrôle applicable aux conclusions de fait — qu’elles portent sur les faits en litige, des faits sociaux ou des faits législatifs — demeure celle de l’erreur manifeste et déterminante »[114].
[125] Si la même norme de contrôle à l’égard des conclusions de fait du juge du procès s’applique qu’il s’agisse des faits en litige, des faits sociaux ou des faits législatifs, il en résulte que les faits sociaux ou législatifs doivent être tenus pour avérés dans le cadre d’une requête pour rejet sommaire dans un débat constitutionnel.
[126] Ainsi, par la force des choses et en raison des exigences contenues aux articles 76 et 77 C.p.c., il sera souvent indispensable[115] que la preuve des faits sociaux et législatifs qui appuient la contestation constitutionnelle soit alléguée dans les procédures et éventuellement présentée lors de l’instruction au fond.
[127] Même s’il est vrai que le juge doit tenir compte des pièces produites au dossier, ce qui inclut, selon les appelants, le témoignage de leur expert et la documentation au soutien de celui-ci, ce n’est pas le témoignage éventuel de leur expert qui devait être tenu pour avéré à l’étape de la demande de rejet sommaire, mais les allégations qui le sous-tendaient et la capacité de celles-ci de surmonter l’étape d’une demande de rejet sommaire. Comme le démontre la juge en chef McLachlin dans l’extrait de l’arrêt Imperial Tobacco auquel j’ai référé antérieurement, le juge « ne peut pas anticiper ce que la preuve qui sera produite permettra d’établir »[116].
Le débat sur la fiabilité des alcooltests a été résolu définitivement par la Cour suprême. L’ensemble du débat a été tranché d’une manière complète, certaine et définitive
[167] Bien entendu, il s’agit de questions d’ordre « technique et scientifique »[140]. Certes, la science évolue. Toutefois, selon l’état actuel du droit canadien, les alcootests sont fiables (St-Onge Lamoureux, Alex et Gubbins). Les relevés manifestement pertinents quant au fonctionnement de l’alcootest sont ceux établis au moment des analyses effectuées par l’appareil (Gubbins). De plus, selon la preuve présentée dans l’affaire Gubbins et l’Énoncé de position du comité des analyses d’alcool, cité et endossé par la Cour suprême au paragraphe 45 de l’arrêt Gubbins, lorsque « l’inobservation des exigences susmentionnées en matière d’assurance de la qualité pourrait donner lieu à un problème de fonctionnement de l’appareil, les tests de contrôle de la qualité effectués au cours de la réalisation du test d’haleine permettront de déceler cette faille »[141]. Bref, les alcootests sont conçus pour révéler l’existence de leur propre mauvais fonctionnement.
[168] Finalement, la lecture de la déclaration contenue à l’alinéa 320.12c) du Code criminel selon laquelle « l’analyse d’échantillons d’haleine à l’aide d’un éthylomètre approuvé indique l’alcoolémie avec fiabilité et exactitude » s’avère utile même si elle concerne la nouvelle partie VIII.1 du Code criminel[142]. La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a récemment exprimé l’avis que « [l]e législateur donne ainsi effet à l’opinion scientifique, reconnue dans l’arrêt R. c. St-Onge Lamoureux, 2012 CSC 57, [2012] 3 R.C.S. 187, selon laquelle la mesure d’alcoolémie obtenue à l’aide d’un éthylomètre approuvé est tenue pour fiable et exacte si l’appareil fonctionne bien et s’il est manipulé correctement »[143].
[169] À la vue de ces précédents, le rejet sommaire de la contestation constitutionnelle des appelants devait être accueilli, car ces arrêts pouvaient difficilement être distingués.
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[181] Le débat sur la fiabilité des alcooltests a été résolu définitivement par la Cour suprême. Le Parlement pouvait choisir de prévoir les exigences garantissant la fiabilité du régime des alcooltests à l’article 258 du Code criminel (présomptions et raccourcis de preuve) et rien n’exigeait que celles-ci se trouvent à l’article 254. L’ensemble du débat a été tranché d’une manière complète, certaine et définitive[150].