R. c. Kruk, 2024 CSC 7

Toutes les parties dans les affaires futures, y compris l’accusé, peuvent faire valoir que le juge du procès a eu recours à des stéréotypes reposant sur d’autres formes analogues d’inégalité de traitement, et qu’il a donc commis une erreur de droit. (par. 54)

Comme nous l’avons vu, le recours à des stéréotypes autres que les mythes et stéréotypes à l’endroit des personnes plaignantes dans les affaires d’agression sexuelle, mais qui reposent de façon similaire sur des inégalités de traitement, peuvent aussi constituer des erreurs de droit, et toutes les parties peuvent faire valoir de tels arguments dans des affaires futures. La liste d’erreurs de droit n’est pas exhaustive — mais la règle interdisant les hypothèses logiques infondées ne figure pas sur celle‑ci. (par. 96)

L’obligation de viser le jugement équitable, éthique et non discriminatoire des affaires d’agression sexuelle.

[17] Les présents pourvois font partie d’un ensemble plus large de causes où des règles spéciales ont été proposées pour l’appréciation de la crédibilité et de la fiabilité dans les cas d’agressions sexuelles[1]. La Cour est saisie de la règle interdisant le recours à des hypothèses logiques infondées pour la première fois, et la question de savoir s’il convient de l’adopter devrait être abordée en fonction des principes de base concernant l’appréciation de la crédibilité et de la fiabilité et des normes actuelles de contrôle. Lorsque la règle entre en jeu dans les affaires d’agression sexuelle en particulier, des impératifs constitutionnels commandent la prise en considération des droits garantis par la Charte des personnes accusées et des personnes plaignantes, ainsi que des intérêts de la société en général (R. c. Mills, 1999 CanLII 637 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 668; R. c. Darrach, 2000 CSC 46, [2000] 2 R.C.S. 443; R. c. J.J., 2022 CSC 28). Cette approche fait partie de l’obligation de viser [traduction] « le jugement équitable, éthique et non discriminatoire des affaires d’agression sexuelle » (D. M. Tanovich, « Regulating Inductive Reasoning in Sexual Assault Cases », dans B. L. Berger, E. Cunliffe et J. Stribopoulos, dir., To Ensure that Justice is Done : Essays in Memory of Marc Rosenberg (2017), 73, p. 95).

La règle proposée interdisant le recours à des hypothèses logiques infondées.

[23] Les pourvois devant notre Cour font donc partie de la jurisprudence récente qui cherche à transformer la façon dont les conclusions sur la crédibilité et la fiabilité dans les affaires d’agression sexuelle sont contrôlées en appel. Cette jurisprudence met en place trois innovations juridiques significatives. Premièrement, elle introduit une nouvelle règle générale interdisant le recours à des hypothèses logiques infondées. Deuxièmement, elle catégorise toute violation de cette règle comme une erreur de droit. Troisièmement, elle cherche à transposer l’erreur de droit existante interdisant le recours aux mythes et stéréotypes concernant les personnes plaignantes dans les affaires d’agression sexuelle dans une erreur de droit distincte et parallèle relative à toutes les hypothèses factuelles au sujet de tous les témoins, y compris l’accusé.

[24] En gardant à l’esprit le contexte dans lequel bon nombre de ces affaires ont été plaidées, on constate qu’au cœur de cette nouvelle approche se trouve une analogie explicite entre le traitement historique des mythes et des stéréotypes qui minent la crédibilité des personnes plaignantes dans les affaires d’agression sexuelle et les principes devant être appliqués lors de l’appréciation du témoignage des personnes accusées dans les affaires d’agression sexuelle. Dans l’arrêt J.C., la cour a jugé que, parce que le recours aux mythes et stéréotypes à l’endroit des personnes plaignantes dans les affaires d’agression sexuelle est une erreur de droit, il serait [traduction] « tout aussi fautif de tirer des inférences à partir de stéréotypes quant à la façon dont on s’attend à ce que les personnes accusées agissent » (par. 63; voir les par. 72‑74, citant R. c. A.R.J.D., 2018 CSC 6, [2018] 1 R.C.S. 218; A. (A.B.)). Adoptant la règle proposée, d’autres tribunaux ont convenu que cette erreur de droit établie concernant les mythes et stéréotypes à l’endroit des personnes plaignantes dans les affaires d’agression sexuelle doit aussi s’étendre à d’autres types de stéréotypes ou d’hypothèses factuelles qui peuvent avoir pour effet de miner le témoignage d’une personne accusée. Il se dégage de ces affaires, collectivement, que même si les mythes et stéréotypes ont traditionnellement été préjudiciables aux personnes plaignantes, ces mêmes mythes et stéréotypes peuvent simultanément être préjudiciables aux accusés (R. c. C.M.M., 2020 BCCA 56, par. 139 (CanLII); R. c. Kodwat, 2017 YKCA 11, par. 41 (CanLII); R. c. Thompson, 2019 BCCA 1, 370 C.C.C. (3d) 354, par. 56‑57; R. c. T.L., 2020 NUCA 10, 393 C.C.C. (3d) 195, par. 35).

Les changements législatifs et jurisprudentiels ont simplement écarté les obstacles discriminatoires, mis les plaignantes dans les affaires d’agression sexuelle et les personnes plaignantes dans d’autres affaires sur un pied d’égalité pour ce qui est de leur témoignage et fait en sorte que la fonction de recherche de la vérité du procès ne soit pas dénaturée.

[29] Comme nous l’avons vu, la règle proposée interdisant le recours à des hypothèses logiques infondées s’appuie sur l’interdiction bien établie visant le recours aux mythes et stéréotypes pour l’appréciation du témoignage d’une personne qui porte plainte pour agression sexuelle. Normalement, les appréciations de la crédibilité et de la fiabilité sont susceptibles de révision selon la norme de l’erreur manifeste et déterminante et commandent par ailleurs la déférence. Toutefois, lorsque le juge du procès s’appuie dans ses motifs sur des mythes ou stéréotypes à l’endroit des personnes plaignantes dans les affaires d’agression sexuelle, cela constitue une erreur de droit. Les partisans de la règle interdisant le recours à des hypothèses logiques infondées soutiennent que si le recours aux mythes et stéréotypes à l’endroit des personnes plaignantes est une erreur de droit, alors toutes les hypothèses infondées concernant tous les témoins, y compris l’accusé, devraient être traitées de la même manière.