Puisque l’infraction de leurre nécessite l’usage d’un moyen de télécommunication, le mandat pouvait nécessairement permettre la recherche de tels moyens, qu’il s’agisse d’appareils portables ou d’ordinateurs. Les courriels et autres messages informatiques devaient aussi être fouillés dans la recherche de télécommunications avec les jeunes filles. Il allait aussi de soi que tout support informatique permettant le stockage d’images pouvant démontrer que les télécommunications visaient à « faciliter la perpétration d’infractions de nature sexuelle » devenait pertinent.
[59] Le mandat autorisait la recherche d’éléments de preuve en lien avec l’infraction de leurre. Puisque cette infraction nécessite l’usage d’un moyen de télécommunication, le mandat pouvait nécessairement permettre la recherche de tels moyens, qu’il s’agisse d’appareils portables ou d’ordinateurs. Les courriels et autres messages informatiques devaient aussi être fouillés dans la recherche de télécommunications avec les jeunes filles. Il allait aussi de soi que tout support informatique permettant le stockage d’images pouvant démontrer que les télécommunications visaient à « faciliter la perpétration d’infractions de nature sexuelle » devenait pertinent. Le paragr. 57 de R. c. Vu, 2013 CSC 60, [2013] 3 R.C.S. 657, prend alors tout son sens :
Deuxièmement, le fait d’exiger que soient en règle générale imposés des protocoles de perquisition avant l’exécution de la fouille rendrait vraisemblablement l’étape de l’autorisation beaucoup plus complexe, en plus de créer des difficultés d’ordre pratique. En effet, à cette étape le juge de paix saisi de la demande d’autorisation n’est probablement pas capable de prédire le genre de techniques d’enquête que les policiers pourront et devront utiliser dans le cadre d’une perquisition donnée, ou encore de prévoir les défis qui surgiront une fois que les policiers commenceront leur perquisition. En particulier, vu la facilité avec laquelle les gens peuvent cacher des documents dans un ordinateur, il est souvent difficile de prédire l’endroit où les policiers devront fouiller pour trouver la preuve recherchée. Par exemple, si le juge de paix saisi de la demande d’autorisation dans une affaire de pornographie juvénile décide de limiter la perquisition aux fichiers images, les policiers pourraient passer à côté de photos pornographiques d’enfants insérées dans un document Word. Bref, les tentatives en vue d’imposer des protocoles de perquisition à l’étape de l’autorisation risquent de créer des angles morts dans une enquête et de contrecarrer les objectifs légitimes de l’application de la loi dont tient compte le processus d’autorisation préalable. Ces problèmes sont d’ailleurs amplifiés par l’évolution rapide et constante de la technologie.
[Je souligne]
[60] Dans ce contexte, je ne peux me convaincre que l’argument de l’appelant doive être retenu. Le juge autorisateur pouvait, à la lumière de la dénonciation sous serment, autoriser la fouille et la saisie des appareils décrits dans la demande de mandat. C’était une façon tout à fait acceptable de permettre aux policiers de rechercher des éléments de preuve pertinents.
[61] De plus, les éléments de preuve visés par le mandat étaient qualifiés de façon telle qu’ils étaient nécessairement reliés à l’infraction. Par exemple, l’autorisation ne se limitait pas à la mention d’échanges de courriels. On y retrouve notamment des précisions comme « Les courriels et les registres de clavardage, pouvant être reliés à de la pornographie juvénile, conservés sur l’ordinateur ou sur d’autres supports […]. Toute information relative au compte Facebook [de l’appelant]. Les courriels et les registres de clavardage, pouvant être reliés [à X et Y]. Tout fichier, pouvant être relié [à X et Y]. Tout fichier de pornographie juvénile », etc.
L’argument de la limite temporelle n’est pas plus valable. Prévoir une telle limite aurait pour conséquence de prohiber toute recherche à l’intérieur d’un document informatique par ailleurs créé avant 2016.
[62] L’argument de la limite temporelle n’est pas plus valable. Prévoir une telle limite aurait pour conséquence de prohiber toute recherche à l’intérieur d’un document informatique par ailleurs créé avant 2016. Or, comme le souligne l’intimé, il serait aisé d’insérer, par exemple, dans un fichier de 2010 des images ou des messages datant de 2016 sans que les policiers puissent y avoir accès sous prétexte que le document aurait été initialement créé avant la période en cause. L’évolution de la technologie s’accompagne d’exigences nouvelles en matière de perquisition et l’arrêt Vu nous met en garde contre tout excès de zèle susceptible de limiter indûment les recherches policières. De plus, il serait faux de prétendre que la dénonciation ne permettait pas de conclure à la perpétration d’infractions de leurre à l’endroit d’autres plaignants à d’autres moments. Le grand nombre de photographies de personnes mineures que recelait le site Web de l’appelant, personnes recrutées généralement par le biais de réseaux sociaux, combiné à la plainte de M. Diamond et aux déclarations de X et Y pouvaient raisonnablement conduire à la conclusion que l’infraction de leurre pouvait bien avoir été perpétrée en dehors de la période précise évoquée par l’appelant.
Les policiers devaient examiner sommairement les fichiers trouvés dans le panier de rangement pour s’assurer qu’ils étaient reliés à la perquisition. Constatant, lors de cet examen sommaire, qu’il s’agissait de pornographie juvénile, leur saisie se justifiait alors par la théorie des objets bien en vue.
[68] Par ailleurs, les policiers devaient examiner sommairement les fichiers trouvés dans le panier de rangement pour s’assurer qu’ils étaient reliés à la perquisition. Constatant, lors de cet examen sommaire, qu’il s’agissait de pornographie juvénile, leur saisie se justifiait alors par la théorie des objets bien en vue. Comme l’indique la juge Côté dans R. c. McGregor, 2023 CSC 4, cette théorie démontre la légalité de la saisie des pièces découvertes dans le panier de rangement :
[37] L’admission des éléments de preuve inattendus découverts pendant le processus de triage ne contrevient pas non plus aux droits que l’art. 8 garantit au caporal McGregor. L’élément clé de mon raisonnement est l’application de la théorie des objets bien en vue aux fichiers révélant la preuve de l’agression sexuelle. Cette théorie de common law repousse la présomption selon laquelle les saisies doivent être autorisées par voie judiciaire. La jurisprudence de notre Cour nous enseigne que deux exigences doivent être remplies pour que la théorie des objets bien en vue s’applique : (1) les policiers doivent avoir été « préalablement justifié[s] [pour une raison légitime] de s’introduire dans les lieux où ont été saisis les objets “bien en vue” » (R. c. Buhay, 2003 CSC 30, [2003] 1 R.C.S. 631, par. 37); et (2) la preuve incriminante doit être bien en vue en ce qu’elle est « immédiatement apparente » et « découverte par inadvertance » par les policiers (R. c. Law, 2002 CSC 10, [2002] 1 R.C.S. 227, par. 27; voir aussi Buhay, par. 37). Des auteurs ont exprimé des réserves sur la théorie des objets bien en vue dans le contexte des saisies d’appareils électroniques (p. ex., L. Jørgensen, « In Plain View?: R v Jones and the Challenge of Protecting Privacy Rights in an Era of Computer Search » (2013), 46 U.B.C. L. Rev. 791). Vu la façon dont la présente affaire a été plaidée, j’estime qu’il n’est pas nécessaire d’exprimer une opinion définitive sur les limites de la théorie. Toutefois, je suis convaincue qu’elle s’applique sous une forme ou une autre aux appareils électroniques (R. c. Jones, 2011 ONCA 632, 107 O.R. (3d) 241). En l’espèce, il ne fait aucun doute que la théorie s’applique.
[69] C’est également le cas ici. En recherchant légalement des éléments de preuve portant sur une infraction de leurre, les policiers ont découvert, par inadvertance, de la pornographie juvénile. Il s’agissait d’objets bien en vue dont la saisie ne saurait être considérée comme abusive.
Il va de soi que la jurisprudence est rarement identique en matière de peine; en revanche, si l’on veut motiver une peine à l’aide de jugements antérieurs, encore faut-il que les circonstances de ces jugements soient similaires à celles de l’instance.
[96] De plus, comme on l’a vu, la peine minimale d’un an n’est entrée en vigueur qu’en novembre 2015, alors qu’elle était de 6 mois uniquement depuis 2012 et de 45 jours à compter de 2005. Quant à la peine maximale de 10 ans, il faut aussi savoir qu’elle n’est en vigueur que depuis juillet 2015 alors qu’elle n’était auparavant que de 5 ans. En d’autres termes, la gravité objective de l’infraction devait être évaluée sur la base d’une peine maximale de 5 ans, sans peine minimale.
[97] Pourtant, pour justifier la peine, la juge fera état de plusieurs jugements et arrêts prononcés pour des infractions perpétrées, en tout ou en partie, après août 2012 et même après juillet et novembre 2015, donc à une époque où la gravité objective de l’infraction était plus élevée qu’au moment de sa perpétration (que ce soit au regard de la peine maximale ou de la peine minimale) : c’est le cas notamment de R. c. Régnier, 2018 QCCA 306;Ibrahim c. R. 2018 QCCA 1205; R. c. Leroux, 2021 QCCQ 202; R. v. Wang, 2016 ONSC 5610; R. c. Venne, 2018 QCCQ 11550; R. c. Abel, 2020 QCCS 2849; R. c. Daudelin, 2021 QCCA 784, tous des arrêts et jugements dont la pertinence est, par conséquent, relative si le but est de justifier le quantum de la peine (et non les principes sous-jacents évidemment).
[98] Je ne prétends pas qu’en soi, la mention d’arrêts et de jugements portant sur des infractions dont la gravité objective est devenue plus élevée par la suite constitue une erreur pouvant donner ouverture à une intervention; à cet égard, la violence faite aux enfants doit être fortement réprimée de nos jours : R. c. Friesen, 2020 CSC 9; [2020] 1 R.C.S. 424, et l’utilisation d’une fourchette de peines est rarement source d’erreurs puisque de telles fourchettes ne sont que des indicateurs. Il reste toutefois que la juge s’est basée sur des jugements dont la portée était fort différente et qu’elle a donc justifié son choix en se référant à une fourchette moins pertinente. Il va de soi que la jurisprudence est rarement identique en matière de peine; en revanche, si l’on veut motiver une peine à l’aide de jugements antérieurs, encore faut-il que les circonstances de ces jugements soient similaires à celles de l’instance.
[99] Or, il vaut aussi de noter que plusieurs des jugements cités par la juge comprenaient des infractions plus graves, comme la distribution de pornographie juvénile ou le fait d’y donner accès (paragr.163.1(3) C.cr.), ce qui, par conséquent, pouvait établir une culpabilité morale plus élevée : Régnier, Ibrahim, Leroux et Daudelin. Par ailleurs, certains de ces jugements portaient sur de la pornographie à forte teneur de violence comme des actes de fellation ou de pénétration vaginale ou anale, et même de type pédopornographique parce qu’en présence d’enfants âgés de 0 à 12 ans. C’est notamment le cas de Régnier, Ibrahim, Daudelin et Wang. Je ne veux évidemment pas minimiser la gravité de l’infraction de possession commise par l’appelant. Elle reste grave et ces fichiers ont sûrement été source de traumatismes, alors que des enfants ont souffert tant physiquement que psychologiquement. Il ne faut toutefois pas se limiter à identifier la peine appropriée en citant une série de jugements dont les circonstances sont largement éloignées de celles en l’instance, quoique les principes qu’ils sous-tendent puissent demeurer pertinents. J’ajoute que la lecture globale du jugement démontre que, pour comparer les circonstances du présent dossier à celles que l’on trouve dans la jurisprudence, l’accent est mis principalement sur le nombre de fichiers, alors que bien d’autres facteurs doivent être pris en compte.
[100] Bref, la juge a justifié la peine d’une année d’emprisonnement en se basant sur plusieurs jugements dont la pertinence n’était pas nécessairement établie. Au risque toutefois de me répéter, je n’affirme pas que cela suffit pour infirmer le jugement, mais je suis d’avis que ceci constitue une particularité dont il faut tenir compte.
L’aspect pornographique des fichiers ne peut, en soi, constituer une circonstance aggravante puisque c’est tout au plus un élément essentiel de l’infraction. En revanche, l’intensité des scènes photographiées peut devenir un facteur aggravant selon les circonstances.
[101] À mon avis, une autre circonstance aggravante retenue par la juge pose une difficulté à mon avis. Je parle de ce que la juge appelle « La nature des fichiers ».
[102] L’aspect pornographique des fichiers ne peut, en soi, constituer une circonstance aggravante puisque c’est tout au plus un élément essentiel de l’infraction. En revanche, l’intensité des scènes photographiées peut devenir un facteur aggravant selon les circonstances. Malheureusement, la juge ne s’explique pas davantage et nous ne sommes donc pas en mesure de savoir à quoi elle se réfère d’autant que, comme on l’a vu et comme le plaide l’appelant :
[…] Le présent dossier fait sans équivoque intervenir des images situées au plus bas de cette échelle de gravité, à savoir, s’il en est, des poses érotiques sans activité sexuelle. Non seulement « la nature des fichiers » qualifiés de pornographie juvénile n’est-elle donc rien de plus qu’un élément constitutif intrinsèque à l’infraction en elle-même, mais elle est également en l’espèce située au seuil inférieur de gravité, ce qui l’empêche définitivement d’être considérée comme un facteur aggravant dans l’évaluation de la peine appropriée.
[103] Je me répète, mais il le faut : l’infraction est grave. Nous ne savons toutefois pas pourquoi la juge considère la nature des fichiers comme une circonstance aggravante, alors que la preuve ne permet pas de le savoir.
[104] Dans la présente affaire, nous sommes au niveau 1 (le plus bas) dans l’échelle de gravité décrite par la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans R. v. Missions, 2005 NSCA 82 :
(1) images depicting erotic posing with no sexual activity;
(2) sexual activity between children, or solo masturbation by a child;
(3) non‑penetrative sexual activity between adults and children;
(4) penetrative sexual activity between children and adults;
(5) sadism or bestiality.
[105] Je n’affirme pas que cette nomenclature est exacte, mais l’expérience judiciaire m’autorise à en tenir compte. Cela ne signifie pas que la nature des fichiers, même de catégorie 1[5] décrite par la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse, ne puisse constituer une circonstance aggravante et que cela ne rend pas moins grave la conduite de l’appelant, mais force est de constater qu’il s’agit d’une situation s’apparentant aux circonstances les moins graves vues dans la jurisprudence. Ce constat me permet de conclure que, sans motif supplémentaire, il est difficile de comprendre pourquoi la juge classe « la nature des fichiers » dans la catégorie des facteurs aggravants. D’ailleurs, la description qu’elle donne des images permet essentiellement de conclure à l’existence de pornographie juvénile, sans conclure nécessairement qu’elles sont d’une intensité de nature à constituer une circonstance aggravante.
[106] Je note par ailleurs que l’intimé reconnaît bien honnêtement une forme d’erreur :
L’appelant a raison d’indiquer que les fichiers saisis s’inscrivent au bas de l’échelle de gravité de ce qui constitue de la pornographie juvénile. Ils montrent des enfants posant nus, parfois seuls ou en duo, dans des poses érotiques sans toutefois illustrer d’activité sexuelle. Ainsi, il est peut-être malavisé de mentionner la « nature des fichiers » à titre de facteur aggravant.
[…]
[Renvoi omis]
[107] Il ajoute cependant que, « si erreur il y a, cette dernière n’a pas d’incidence sur la peine imposée ».
[108] Il me semble difficile d’affirmer que cette erreur n’aurait pas d’incidence sur la détermination de la peine alors que la juge revient spécifiquement sur ce point dans une note accompagnant son affirmation et dans laquelle elle cite de longs extraits du jugement sur la culpabilité en rapport avec la nature et la description des images que recèlent les fichiers. Il est manifeste que cet élément aggravant avait de l’importance aux yeux de la juge.
Je doute fortement que les « 1,602 fichiers graphiques et 132 fichiers animés de nature sexuelle de « catégorie 2 » » puissent constituer un facteur aggravant alors qu’il ne s’agit ni de pornographie juvénile ni d’un autre type d’infraction. Il est possible que ces fichiers puissent être pertinents pour démontrer un objectif sexuel concernant ceux de pornographie juvénile, mais je ne vois pas comment des photographies qui ne sont pas criminelles pourraient devenir une circonstance aggravante.
[109] À ce sujet, je me permets une autre remarque : je doute fortement que les « 1,602 fichiers graphiques et 132 fichiers animés de nature sexuelle de « catégorie 2 » » puissent constituer un facteur aggravant alors qu’il ne s’agit ni de pornographie juvénile ni d’un autre type d’infraction. J’ai de la difficulté à concilier cette approche de la juge avec son jugement sur la culpabilité dans lequel elle énonce que les fichiers de catégorie 2 ne constituent pas une infraction.
[110] Il est possible que ces fichiers puissent être pertinents pour démontrer un objectif sexuel concernant ceux de pornographie juvénile, mais je ne vois pas comment des photographies qui ne sont pas criminelles pourraient devenir une circonstance aggravante. Peut-être la juge a-t-elle pris appui sur le rapport du policier Boily qui, comme elle le mentionne dans le jugement sur la culpabilité, écrit dans son rapport que, sans correspondre « à la définition de pornographie juvénile », ces fichiers peuvent néanmoins « être de nature aggravante ». Il ajoute cependant qu’ils ne sont utilisés « que pour aider le tribunal à évaluer l’intérêt sexuel que porte l’accusé envers les enfants ».
[111] Par conséquent, je ne réussis pas à m’expliquer le raisonnement de la juge qui paraît confondre la pertinence de ces photographies pour établir l’intérêt sexuel des fichiers de catégorie 1 (pornographie juvénile) et leur caractère aggravant aux fins de la détermination de la peine.
À aucun moment la juge ne considère la possibilité d’imposer l’emprisonnement avec sursis. Il est vrai, comme le rappelle l’intimé, que la défense n’a pas demandé ou suggéré l’emprisonnement avec sursis, se limitant à plaider en faveur d’une absolution conditionnelle. Ceci permet peut-être d’expliquer cela, mais ce ne peut être une justification de ne pas le faire.
[114] Ceci m’amène à une dernière erreur pouvant ici justifier l’intervention de la Cour : à aucun moment la juge ne considère la possibilité d’imposer l’emprisonnement avec sursis. Il est vrai, comme le rappelle l’intimé, que la défense n’a pas demandé ou suggéré l’emprisonnement avec sursis, se limitant à plaider en faveur d’une absolution conditionnelle. Ceci permet peut-être d’expliquer cela, mais ce ne peut être une justification de ne pas le faire.
[115] On sait que depuis R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61, le tribunal se doit de considérer sérieusement l’emprisonnement avec sursis lorsque certains critères sont satisfaits :
[90] Premièrement, l’examen des al. 718.2d) et e) m’amène à conclure que le tribunal doit envisager sérieusement la possibilité de prononcer l’emprisonnement avec sursis dans tous les cas où les trois premiers préalables prévus par la loi sont réunis. Les alinéas 718.2d) et e) codifient le principe important de la modération dans la détermination des peines et, avec l’art. 742.1, ils ont été adoptés précisément en vue d’aider à réduire le taux d’incarcération au Canada. Par conséquent, constituerait une erreur de principe le fait de ne pas envisager sérieusement la possibilité de rendre une ordonnance de sursis à l’emprisonnement lorsque les préalables prévus par la loi sont réunis. L’omission de faire allusion à la possibilité d’une telle ordonnance dans les motifs de détermination de la peine, lorsqu’il existe des motifs raisonnables permettant de conclure que les trois premiers préalables fixés par la loi sont réunis, peut fort bien constituer une erreur justifiant l’infirmation de la décision.
[116] Les trois premiers préalables prévus à l’art. 742.1 C.cr. sont : 1) l’emprisonnement avec sursis ne mettrait pas en danger la sécurité du public et serait conforme aux principes de détermination de la peine, 2) aucune peine minimale n’est prévue et 3) la peine maximale n’est pas de 14 ans ou plus.
[117] L’appelant est âgé de plus de 50 ans, n’a pas d’antécédents judiciaires, a un autre emploi rémunéré, n’a pas commis d’infraction pendant les procédures judiciaires qui ont duré sept ans, a respecté toutes ses conditions de mise en liberté durant cette période et, selon la juge, son « mode de vie est conforme aux normes sociales » et « il est un actif pour la société ». Pour ce qui est de la sécurité du public, dans Barchichat c. R., 2020 QCCA 282, la Cour rappelle deux facteurs particulièrement importants :
[17] En l’espèce, ayant reconnu qu’en règle générale, les objectifs de dénonciation et de réprobation pouvaient être atteints avec une peine d’emprisonnement avec sursis et ayant déterminé que la durée d’emprisonnement, selon les principes pénologiques généraux, devait être de 22 mois, la juge ne s’est pas attardée à l’examen du risque de récidive que poserait le délinquant s’il purgeait sa peine au sein de la collectivité ni à l’examen du danger pour la sécurité de la collectivité.
[18] Cependant, dans l’arrêt Proulx auquel j’ai fait abondamment référence précédemment, le juge en chef Lamer identifie les deux facteurs à prendre en compte à cette étape comme étant « (1) le risque que le délinquant récidive; (2) la gravité du préjudice susceptible de découler d’une récidive ».
[Renvoi omis]
Même s’il peut être éclairant, un rapport présentenciel ne peut constituer une exigence pour déterminer le risque de récidive.
[118] Dans le présent dossier, la juge écrit, en rapport avec le risque de récidive :
[25] Enfin, quant au risque de récidive, il est difficile de l’évaluer, le Tribunal n’ayant pas l’éclairage d’un rapport présentenciel.
[119] Pourtant, même s’il peut être éclairant, un rapport présentenciel ne peut constituer une exigence pour déterminer le risque de récidive. Comme on peut le lire dans R. c. Lafortune, 2020 QCCA 1379, le risque de récidive s’évalue en fonction de multiples facteurs :
[21] Pour évaluer le risque de récidive, il est possible de tenir compte de plusieurs facteurs, notamment : le fait que le délinquant a respecté les ordonnances des tribunaux dans le passé; la présence d’antécédents judiciaires qui tendent à indiquer que le délinquant ne respectera pas les conditions de son ordonnance de sursis; la nature de l’infraction; les circonstances pertinentes de l’infraction; le degré de participation du délinquant; la relation du délinquant avec sa victime; le profil du délinquant; et la conduite postérieure à l’infraction. Il ne s’agit toutefois pas d’une liste exhaustive et ces facteurs ne doivent pas être appliqués mécaniquement, mais en fonction des circonstances propres à chaque affaire.
[Renvois omis]
[120] Dans les circonstances, on peut affirmer que le premier préalable de l’art. 742.1 C.cr. est satisfait, en ce que la sécurité du public n’est pas en cause, qu’il n’y a pas de preuve de risque de récidive et que l’emprisonnement avec sursis permet de respecter les objectifs de détermination de la peine. Il va de soi que les deux autres préalables sont tout autant satisfaits, alors que les autres règles d’exclusion ne s’appliquent pas.
Même si la juge indique qu’il n’y a pas possibilité de peine moins contraignante que la privation de liberté en raison des objectifs de dénonciation et de dissuasion, cela n’exclut en rien l’emprisonnement avec sursis qui est une peine privative de liberté et, qui plus est, répond à ces deux objectifs.
Même les infractions graves peuvent être punies de la sorte
[121] Dans Nadeau c. R., 2020 QCCA 445, la Cour a récemment réitéré la nécessité de considérer avec sérieux la possibilité d’ordonner l’emprisonnement avec sursis :
[46] La Cour est d’avis que le juge a commis une erreur de principe en ne considérant nulle part dans ses motifs la possibilité de rendre une ordonnance d’emprisonnement dans la collectivité. Bien qu’il ait mentionné le principe de la modération, il ne l’a pas réellement appliqué.
[47] En effet, après avoir écarté l’absolution et l’emprisonnement dans un pénitencier, ce qui constitue la première étape de l’analyse proposée dans l’arrêt R. c. Proulx, le juge a omis de passer à la seconde étape de l’analyse qui consiste à se demander si l’emprisonnement dans la collectivité est conforme à l’objectif essentiel et aux principes visés aux articles 718 à 718.2 C.cr. Pourtant, tous les autres préalables prévus à l’article 742.1 C.cr.étaient réunis.
[Renvois omis]
[122] L’arrêt Lajoie c. R., 2023 QCCA 1595, paragr. 61, est d’ailleurs au même effet.
[123] L’intimé réplique que la juge a mentionné expressément le principe de pondération et qu’elle a écrit :
[47] Sans occulter les autres objectifs, la prédominance de la dissuasion et de la dénonciation, reconnue par la jurisprudence et exigée par le législateur, ainsi que la gravité du délit supportent la conclusion selon laquelle il n’y a pas de possibilité de sanctions moins contraignantes que celle de la privation de liberté.
[Renvois omis]
[124] Il va de soi qu’il faut lire globalement un jugement. En revanche, la lecture de la sentence prononcée par la juge de première instance ne permet pas de conclure qu’elle a, d’une manière ou d’une autre, considéré sérieusement l’emprisonnement avec sursis. Le paragr. 47 que je viens de citer ne nous éclaire pas plus puisque l’emprisonnement avec sursis constitue une privation de liberté, « une peine d’emprisonnement, bien qu’elle soit purgée au sein de la collectivité » : R. c. Wu, 2003 CSC 73, paragr. 25, qui atteint les objectifs de dénonciation et de dissuasion : Proulx, paragr. 102. Bref, même si la juge indique qu’il n’y a pas possibilité de peine moins contraignante que la privation de liberté en raison des objectifs de dénonciation et de dissuasion, cela n’exclut en rien l’emprisonnement avec sursis qui est une peine privative de liberté et, qui plus est, répond à ces deux objectifs.
[125] J’accepte la proposition que la possession de pornographie juvénile nécessite généralement l’emprisonnement, mais il existe des cas où cet emprisonnement peut être purgé dans la collectivité. J’estime que le présent dossier en est un.
[126] L’appelant est âgé de 50 ans. Il a commis l’infraction il y a près de 15 ans. Il est sans antécédents judiciaires, a respecté ses conditions de mise en liberté pendant toutes les procédures (7 ans) et a une conjointe depuis 30 ans. Il a également un emploi et un mode de vie sans reproche. Il est un actif pour la société, sans démonstration de risque de récidive. Il est vrai que l’infraction est grave et je ne tente aucunement d’en diminuer la gravité. Cela ne justifie toutefois pas le refus d’ordonner un emprisonnement avec sursis. Même les infractions graves peuvent être punies de la sorte si elles ne mettent pas en péril la sécurité de la collectivité et je suis d’avis que les circonstances mènent à une peine d’emprisonnement avec sursis.