L’arrestation à des fins d’enquête seulement est une arrestation illégale.
Lévesque Mandanici c. R., 2014 QCCA 1517 :
[51] Le test portant sur la qualification des motifs raisonnables est à double volet : l’un est objectif, l’autre est subjectif. Cela signifie que l’arrestation doit non seulement être raisonnablement justifiée, mais encore faut-il que l’agent de la paix croie que tel est le cas. Ces motifs doivent être objectivement raisonnables et s’imposer à une personne placée dans la même situation que l’agent. La seule intuition ne peut constituer des motifs raisonnables, tout comme d’ailleurs les simples soupçons : R. c. Harrison, 2009 CSC 34 (CanLII), 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S 494, paragr. 20; R. v. Ironeagle 1989 CanLII 4755 (SK CA), (1989), 49 C.C.C. (3d) 339 (C.A. Sask.). De plus, l’arrestation à des fins d’enquête seulement est une arrestation illégale : R. c. Feeney, 1997 CanLII 342 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 13, paragr. 35. Dans R. c. Stillman,1997 CanLII 384 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 607, le juge Cory souligne :
30 On a jugé que l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario R. c. Duguay, Murphy and Sevigny 1985 CanLII 112 (ON CA), (1985), 18 C.C.C. (3d) 289, confirmé pour d’autres motifs par 1989 CanLII 110 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 93, permet de dire que des policiers qui n’ont pas de motifs raisonnables de lier le suspect à la perpétration d’un crime ne peuvent pas effectuer une arrestation dans le seul but de faciliter leur enquête. […]
[52] De plus, comme le précise le juge Cory dans Storrey, à la page 249, il importe encore davantage, dans le cas d’une arrestation sans mandat, que les policiers établissent « l’existence de ces mêmes motifs raisonnables et probables justifiant l’arrestation ». Comme il le souligne ensuite, en l’absence de cette importante mesure de protection que sont les motifs raisonnables et probables, « même la société la plus démocratique ne pourrait que trop facilement devenir la proie des abus et des excès d’un État policier » de sorte que « l’importance que revêt cette exigence pour les citoyens d’une démocratie se passe de démonstration ».
…
[67] En conclusion, au moment de l’arrestation, le policier avait une intuition, des soupçons. Certes, ils se sont avérés exacts. Cela ne peut toutefois les transformer en motifs raisonnables au moment de l’arrestation. Comme le mentionne le juge Doherty dans R. c. Simpson, 1993 CanLII 3379 (ON CA), (1993) 79 C.C.C. (3d) 482 : « A « hunch » based entirely on intuition gained by experience cannot suffice, no matter how accurate that « hunch » might prove to be […] A guess which proves accurate becomes in hindsight a « hunch » ».
[68] Je rappelle aussi ces mots du juge Fish dans R. c. Morelli, 2010 CSC 10 (CanLII), 2010 CSC 10, [2010] 1 R.C.S. 253, sur l’insuffisance des soupçons :
[91] Le simple fait qu’une personne collectionne, reproduise ou stocke quelque chose — fichiers musicaux, lettres, timbres, etc. — ne suffit guère à l’assimiler à un type susceptible d’accumuler des images illicites. Tirer cette inférence en l’espèce procède de la conjecture interdite. Tout au plus, l’interprétation proposée peut éveiller des soupçons chez certains. Et, en droit, les soupçons ne sauraient remplacer des motifs raisonnables et probables de croire que l’appelant a commis l’infraction alléguée ou que la preuve de l’infraction se trouverait dans son ordinateur.
[69] Dans R. c. Kokesch, 1990 CanLII 55 (CSC), [1990] 3 R.C.S. 3, à la p. 29, le juge Sopinka réitère l’importance de ne pas procéder à une arrestation sur le seul fondement de soupçons :
Lorsque la police n’a que des soupçons et ne peut légalement obtenir d’autres éléments de preuve, elle doit alors laisser le suspect tranquille, et non aller de l’avant et obtenir une preuve d’une manière illégale et inconstitutionnelle.
[70] Je souligne d’ailleurs être en désaccord avec l’intimée qui estime qu’il faut tenir compte ici des « circonstances très soudaines et émotives » d’une décision prise « rapidement, dans une situation volatile ». C’était le cas lors de l’interception initiale et de la détention à des fins d’enquête; ce ne l’était certainement plus au moment de l’arrestation, après l’interrogatoire de M. Krishna.
[71] Pour paraphraser le juge Binnie dans R. c. Patrick, 2009 CSC 17 (CanLII), 2009 CSC 17, [2009] 1 R.C.S. 579, paragr. 32, la question n’est pas de savoir si l’appelant avait le droit de quitter les lieux où il aurait commis un crime sans que l’État puisse intervenir, mais plutôt de savoir si les citoyens ont le droit de déambuler sur la rue sans être arrêtés par des policiers qui n’ont aucun motif raisonnable de ce faire.