L’affaire Lise Thibault (Thibault c. R., 2016 QCCA 335) nous rappelle certains principes en matière d’observation de la peine.
La couverture médiatique
[39] Il a ensuite retenu les enseignements de l’arrêt Marchessault c. R. dans lequel notre Cour considère la relation entre la couverture médiatique et le statut de personnalité publique d’un accusé. Madame la juge L’Heureux-Dubé y expose ainsi le principe :
Sur le plan subjectif, il est évident que chaque fois qu’un crime est commis par un personnage public, une personne en autorité, vedette, etc., tous les facteurs qu’on nous souligne, ou à peu près, sont présents : le crime et le châtiment reçoivent une plus grande publicité, la honte et l’opprobre sont d’autant amplifiés, la perte financière résultant de la perte d’emploi est fonction du revenu élevé. En ce sens, il est exact que pour une telle personne le châtiment paraîtra plus cruel.
La sagesse populaire fait dire que plus on tombe de haut, plus on se fait mal. Plus élégamment, le proverbe dira : noblesse oblige. Certes, cela ne fait pas loi, mais la loi ne boude pas le bon sens, et ce qu’on qualifie ici de circonstances atténuantes relève plutôt des conséquences inévitables auxquelles celui qui, dans de telles circonstances, s’expose, doit être prêt à affronter, avoir été en mesure d’apprécier, particulièrement là où on ne parle ni de spontanéité ni d’infraction unique.
S’il fallait raisonner autrement, on devrait pour être conséquent, ériger en principe le fait que plus le personnage occupe un rang ou une fonction élevée dans la société, plus il est connu, plus légère devra être la peine et, a contrario, plus humble ou obscur est le personnage, plus sévère sera-t-elle. Je n’accepte pas cette proposition : les plateaux de la balance ne sauraient s’accommoder de ces deux mesures inégales. La justice doit être la même pour tous, grands ou petits, riches ou pauvres. […] Le seul fait que le crime soit commis par un riche ou par un pauvre, par un grand ou par un petit, avec toutes les conséquences qui en découlent, ne saurait à mon avis, être l’un de ces facteurs. Il s’agit plutôt de circonstances non aggravantes.[22]
Les moyens de défense utilisés n’ont généralement aucune incidence sur la peine
[44] Bien qu’il soit clairement reconnu en droit que les moyens de défense utilisés et la façon de les déployer n’ont, en règle générale, aucune incidence sur la détermination de la peine[24], il faut reconnaître que les propos du juge visaient plutôt l’argument relatif à l’hypermédiatisation du procès dont il a été traité sous la rubrique précédente.
L’état de santé relativement à l’observation de la peine
[49] Notre Cour a retenu que l’âge d’un accusé peut être considéré comme un facteur atténuant dans R. c. Côté en précisant toutefois que :
[20] S’il est vrai que la mauvaise santé d’un contrevenant peut constituer un facteur atténuant dans la détermination de la peine, elle ne constitue pas généralement un facteur d’allègement de la peine, sauf dans des situations exceptionnelles lorsque, par exemple, le contrevenant souffre d’un cancer incurable et que son décès est imminent. [29]
[références omises]
[50] Ainsi, un cancer incurable[30], le sida en phase terminale[31], des problèmes psychiatriques[32], une dystrophie musculaire[33] ou une maladie morbide[34] constituent des facteurs d’allègement liés à l’état de santé. Cependant, les effets d’un infarctus[35] tout comme la perspective d’une opération chirurgicale suivie d’une période de convalescence[36] ou un cancer en traitement[37] ne sont pas des afflictions de nature à rendre non indiquée toute incarcération.
[51] Lorsque les services carcéraux ne sont pas en mesure de répondre au besoin particulier qu’engendre l’état de santé d’un délinquant, l’emprisonnement avec sursis peut être considéré comme une solution de rechange à l’emprisonnement[38]. Tel n’est pas le cas ici.
Les facteurs à évaluer pour déterminer la peine à imposer en matière de fraude
[65] Il considère ensuite les facteurs permettant de mesurer la responsabilité de la délinquante et analyse, à la lumière de la preuve qui lui a été présentée :
▪ La nature et l’étendue de la fraude;
▪ Le degré de préméditation dans la planification et la mise en œuvre d’un système frauduleux;
▪ Le comportement de la contrevenante après la commission des infractions;
▪ Les condamnations antérieures;
▪ Les bénéfices personnels;
▪ Le caractère d’autorité et le lien de confiance présidant aux relations de la contrevenante avec la victime;
▪ La motivation sous-jacente à la commission de l’infraction;
▪ La fraude résultant de l’appropriation des deniers publics.
L’importance de « ventiler » relativement à la peine
[67] Notre Cour, en procédant à l’étude de la méthode de la totalité de la peine, rappelait récemment que :
[33] Dans le but d’éviter cette distorsion et ces effets non voulus, la peine juste et appropriée pour chaque chef d’accusation devrait être déterminée selon les objectifs et principes applicables à la détermination des peines et le caractère concurrent ou consécutif de chacune de ces peines par rapport aux autres peines infligées devrait être prononcé, le tout sans égard à la peine totale qui peut en résulter.
[34] Ce n’est qu’une fois que ce travail est effectué que le principe de la totalité des peines devrait être considéré. Si, en application de ce principe, le tribunal estime que la peine totale devrait être réduite, il est alors préférable, dans la mesure du possible, de rendre les peines en cause concurrentes afin d’atteindre ce but. Si la méthode des peines concurrentes ne peut donner une peine totale juste et appropriée, le tribunal peut alors réduire une ou plusieurs des peines sur certains chefs afin d’atteindre la peine totale appropriée.
[…]
[37] Tel que le signalait récemment le juge Vauclair dans R. c. Guerrero Silva, « [l]’approche globale adoptée par le ministère public, tant en première instance qu’en appel, c’est-à-dire de proposer une peine pour l’ensemble des infractions, est généralement à éviter […] ». L’approche à privilégier en présence d’infractions multiples est de fixer les peines justes et appropriées pour chacune des infractions tel que le requiert d’ailleurs l’alinéa 725(1)a) du Code criminel, de décider si elles doivent être concurrentes ou consécutives et, enfin, dans ce dernier cas, de déterminer si le tout enfreint les règles de la proportionnalité (y compris le principe de la totalité de la peine) afin de faire, s’il y a lieu, les ajustements possibles pour obtenir une peine totale appropriée.
[…]
[50] Cependant, le fait que le juge a employé la méthode de la peine globale ne signifie pas nécessairement que la peine totale imposée est manifestement non indiquée. Tel que le souligne le juge Rowe dans R. v. A.T.S. : « that does not automatically mean the trial judge’s sentence is ‘clearly unreasonable/demonstrably unfit.’ A trial judge may apply faulty methodology and yet impose a sentence that is reasonable, in the exercise of his/her discretion. »[45]
[références omises]
[68] Il aurait été préférable que le juge détermine la peine appropriée à chacun des chefs d’accusation et décide ensuite de leur caractère concurrent ou consécutif. Le juge aurait ainsi pu expliquer pourquoi il a fixé des peines de 18 mois relativement aux fraudes survenues avant la modification législative de 2004, alors que la gravité objective de ces infractions était moindre.
[69] La Cour rappelait récemment que[46] :
[63] La modification législative de 2004 voulant que la peine maximale soit portée de 10 à 14 ans dans le cas de la fraude reflète la gravité accrue de telles infractions aux yeux du législateur :
Parliament’s decision to increase the maximum penalty for fraud over $5000 certainly reflects its view of the increased seriousness of this offence. That increased seriousness will tend to be reflected in the sentences imposed by the courts, especially when dealing with frauds, such as the one here, that are comparatively more serious than others.16
16 R. c. Johnson, 2010 ABCA 392 (CanLII), paragr. 39.
[70] Toutefois, en considérant l’ensemble de la décision sur la peine prononcée par le juge St-Cyr, les facteurs qu’il a pris en compte, l’analyse soignée qu’il a exposée au regard de son choix de privilégier l’emprisonnement, les facteurs qu’il a appliqués en référence à l’article 718 C.cr., ainsi que les principes rappelés par notre Cour en 1994 dans l’arrêt Lévesque c. Québec (Procureur général)[47], il est clair que l’erreur reprochée n’a pas un effet déterminant sur la peine totale qui a été imposée[48].