R. c. Allard, 2017 QCCM 19 

Dans la présente cause, le Tribunal doit déterminer si les policiers ont intercepté le véhicule conduit par le défendeur pour un motif légitime.

 

[28]      Quant aux principes de droit applicables, rappelons que les policiers ont le pouvoir d’intercepter des véhicules à moteur lorsque cette interception se fait sur la base de motifs précis tels que des infractions reliées à la sécurité routière, la vérification de la sobriété du conducteur, la validité de son permis ou l’état mécanique de son véhicule.

[29]      Dans l’arrêt R. c. Mann 2004 CSC 52 (CanLII), 2004 3 R.C.S. 59, le juge lacobucci, se prononçant pour la majorité, écrit :

Comme il a été expliqué plus tôt, pour trancher les questions qui sont en litige dans le présent pourvoi, la Cour doit mettre en balance les droits à la liberté individuelle et au respect à la vie privée d’une part, et l’intérêt de la société à disposer de services efficaces de maintien de l’ordre. Sauf règle de droit à l’effet contraire, les gens sont libres d’agir comme ils l’entendent. En revanche, les policiers (et, d’une manière plus générale, l’État) ne peuvent agir que dans la mesure où le droit les autorise à le faire. La vitalité d’une démocratie ressort de la sagesse manifestée par celle-ci lors des moments critiques où l’action de l’État intersecte et menace d’entraver des libertés individuelles.

[30]      Dans l’arrêt R. c. Ladouceur 1990 CanLII 108 (CSC), 1990 1 R.C.S. 1257, la Cour suprême mentionne à la page 1287 :

Les policiers ne peuvent interpeller des personnes que pour des motifs fondés sur la loi, en l’espèce, les motifs relatifs à la conduite d’une automobile comme la vérification du permis de conduire, des assurances et de la sobriété du conducteur ainsi que l’état mécanique du véhicule. Lorsque l’interpellation est effectuée, les seules questions qui peuvent être justifiées sont celles qui se rapportent aux infractions en matière de circulation. Toute autre procédure plus inquisitoire ne pourrait être engagée que sur le fondement de motifs raisonnables et probables. Lorsqu’une interpellation est jugée illégale, les éléments de preuve ainsi obtenus pourraient bien être écartés en vertu de l’article 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés.

[31]      Dans la cause de  R. c. Martin Gaudreault C.Q. Chicoutimi, 2004 CanLII 20583 (QC CQ), no 150-01-008935-034, 20 avril 2004, le juge Pierre Lortie écrivait :

« Selon l’arrêt Cotnoir, il est reconnu que les agents de la paix tirent leurs pouvoirs d’intervention du Code criminel, les lois créant les corps policiers et des lois spéciales comme le Code de la sécurité routière. En outre, la common law octroie certains pouvoirs, même s’ils ne sont pas définis avec précision.

Les policiers ne doivent cependant pas agir pour des motifs « obliques », pour entreprendre une enquête générale dénuée de tout fondement ou pour satisfaire une curiosité ou un caprice.

A l’inverse, les auteurs Béliveau et Vauclair mentionnent, en résumant l’état du droit, que « si l’interception est dûment faite pour des motifs liés à la sécurité routière ainsi que pour d’autres motifs, elle sera légale dans la mesure où aucune de ces raisons n’est illégitime ».

[32]      Les policiers ne peuvent pas utiliser ce pouvoir d’interception d’un véhicule pour enquêter sur de simples soupçons. Ils ne peuvent intervenir que pour un motif précis relié à sécurité routière (articulable cause). Les policiers doivent avoir un motif précis pour procéder à une interception, lequel doit obligatoirement être relié à la sécurité routière (R. c. Guénette J.E. 99-788(C.A.)

[33]      Le pouvoir d’interception des policiers a été reconnu aux articles 636 et 636.1 du Code de la sécurité routière.  L’article 636 permet  aux policiers d’effectuer des vérifications fondées sur un objectif légitime ou un motif précis de sécurité routière.

Code de la sécurité routière, L.R.Q., c. C-24.2.

636- Un agent de la paix, identifiable à première vue comme tel, peut, dans le cadre des fonctions qu’il exerce en vertu du présent code […] exiger que le conducteur d’un véhicule routier immobilise son véhicule. Le conducteur doit se conformer sans délai à cette exigence.

[34]      L’article 636.1 permet à l’agent de la paix qui a des motifs de soupçonner la présence d’alcool dans l’organisme du conducteur d’exiger que cette personne se soumette, sans délai, à des tests de coordinations physiques raisonnables :

636.1– Un agent de la paix qui a des raisons de soupçonner la présence d’alcool dans l’organisme de la personne qui conduit un véhicule routier ou qui en a la garde ou le contrôle peut exiger que cette personne se soumette sans délai aux tests de coordination physique raisonnables qu’il lui indique, afin de vérifier s’il y a lieu de la soumettre aux épreuves prévues à l’article 254 du Code criminel […]. Cette personne doit se conformer sans délai à cette exigence.

En outre des chemins publics, le présent article s’applique sur les chemins soumis à l’administration du ministère des Ressources naturelles, de la Faune et des Parcs ou entretenus par celui-ci, sur les chemins privés ouverts à la circulation publique des véhicules routiers ainsi que sur les terrains de centres commerciaux et autres terrains où le public est autorisé à circuler.

[35]      Les policiers ne peuvent intervenir que pour prévenir un préjudice spécifique identifiable et imminent comme le souligne le juge François Marchand dans la cause de R. c. Hernandez 2012 QCCQ 1435 (CanLII) :

[31]      À la lumière de ces principes, le Tribunal conclut que lorsque les policiers aperçoivent le véhicule dans le stationnement, ils n’ont aucun motif précis pour l’intercepter. Ils ne pouvaient intervenir pour vérifier le pourquoi de sa présence à cet endroit. La Cour conclut qu’il y a eu violation des droits de l’accusé reconnus par l’article 9 de la Charte. Le requérant a été détenu de façon arbitraire et illégale.

[36]      Dans Leblanc c. R. 2015 QCCS 2917 (CanLII), la Juge Line Samoisette, précise :

[27]  Le pouvoir de l’État ne permet pas d’intercepter des personnes dans n’importe quelle circonstance. L’on ne peut intercepter un véhicule uniquement par curiosité…

[37]      En appliquant ces principes dans la présente cause, les policiers Billenko et Bergeron ont-ils intercepté le véhicule conduit par le défendeur pour un motif légitime ?

[38]      Force est d’admettre que le témoignage du policier Billenko  ne présente pas des garanties de fiabilité surtout du fait qu’il avait de la difficulté à répondre directement aux questions du procureur du défendeur et aussi du fait qu’il  se souvenait peu des circonstances dans lesquelles le défendeur a soufflé dans l’ADA.

[39]      La preuve révèle que les policiers aperçoivent le véhicule du défendeur immobilisé à un arrêt et le défendeur est  debout à côté de son véhicule.

[40]      Au lieu de se diriger directement vers le véhicule, les policiers font le tour du bloc et vont se positionner derrière le véhicule du défendeur.

[41]      Les gyrophares du véhicule de patrouille ne sont pas allumés de sorte que le défendeur quitte les lieux et s’engage sur la rue Saint-Georges.

[42]      Le véhicule du défendeur est intercepté par les policiers après que les policiers apprennent que le défendeur demeure à Sainte-Anne-de-Bellevue

[43]      Si la situation était à ce point dangereuse, les policiers auraient dû intervenir alors qu’ils se trouvaient à l’arrière du véhicule du défendeur et non pas après avoir appris qu’il venait de Sainte-Anne-de-Bellevue. L’ensemble de la preuve démontre que rien ne permet objectivement aux policiers d’intercepter le véhicule du requérant. Aucune infraction n’est commise et aucun constat d’infraction n’est signifié au défendeur

[44]      Au surplus, en admettant, lors du contre-interrogatoire, avoir intercepté le véhicule du défendeur par simple curiosité, les policiers n’avaient pas un motif légitime pour effectuer l’interception.

[45]      L’ensemble de la preuve permet de conclure que l’interception du véhicule du défendeur est illégale, que sa détention est arbitraire et l’arrestation qui en a découlé enfreint les droits du défendeur protégés par l’article 9 de la Charte des droits et libertés.