R. c. Lafontaine, 2017 QCCQ 3337
Le délai de 75 minutes entre l’arrestation et la possibilité réelle d’exercer son droit à l’assistance sans délai d’un avocat viole-t-il les droits du requérant prévu à l’article 10 a) et b) de la Charte canadienne des droits et libertés?
- LE DROIT ET SON APPLICATION
[14] Il est reconnu que le droit constitutionnel d’être informé sans délai de la possibilité de consulter l’avocat de son choix prend effet dès l’arrestation et/ou la détention d’un accusé[2]. Il n’y a pas de formule sacramentelle pour ce faire; l’important c’est que le détenu comprenne la nature des droits dont on l’avise. En l’espèce, une preuve plus que prépondérante apportée par le témoignage des deux policiers établit que le requérant a été informé de son droit à l’avocat en temps utile, deux fois plutôt qu’une; une première fois à 23 h 28 dans les mots du policier, puis à 23 h 52 en faisant la lecture des droits à l’aide de la carte. Cette preuve n’a pas été contredite.
[15] Comme le souligne avec justesse le juge Normand Bonin dans D.P.C.P. c. Benoit Collin[3], ce droit « implique le devoir corolaire du policier de veiller à ce que l’intéressé se voie donner une possibilité raisonnable, par des mesures proactives des policiers, d’exercer ce droit, immédiatement après que, ayant été informé de son droit, il a demandé à parler à un avocat. Dans l’éventualité où il n’est pas possible de le faire, il doit lui être permis d’exercer ce droit, le plus immédiatement possible, à la première occasion raisonnable, en tenant compte des circonstances, incluant la sécurité pour le public et le justiciable, les restrictions prescrites par une règle de droit justifiée par l’article premier telle l’ADA et la possibilité pratique de le permettre pour que l’exercice du droit à l’avocat soit valable, soit en toute confidentialité. »
[16] Ces principes découlent particulièrement des arrêts Taylor et R. c. Suberu, précités. Dans ce dernier arrêt, la Cour suprême a déterminé que l’expression « sans délai » signifie « immédiatement ». La Cour d’appel de l’Alberta dans R. c. Nguyen[4] rappelle le principe :
The trial judge properly noted that the words « without delay » under s. 10(b) mean at « the first reasonably available opportunity » or « as soon as practicable ». She correctly recognized the police duty, described in R. v. Taylor, 2014 SCC 50 (CanLII), to provide a detained person telephone access as soon as practicable, to reduce the possibility of accidental self-incrimination and to avoid eliciting evidence from the individual before access to counsel has been facilitated.
[17] On y précise aussi que s’il y a un délai avant de permettre l’accès à un avocat, mais que les policiers n’obtiennent aucune preuve incriminante dans l’intervalle, il n’y a pas de violation de la Charte. Cette interprétation est, à notre avis, conforme aux enseignements de la Cour suprême dans R. c. Ross[5] et R. c. Prosper[6].
[18] Par ailleurs, la jurisprudence reconnaît que, dans certaines circonstances, ce droit peut être suspendu[7].
[19] Comme le rappelle la Cour suprême dans l’arrêt Taylor, la question de savoir si le délai qui s’est écoulé avant que l’on facilite l’accès à un avocat était raisonnable est une question de fait.
[20] Les faits de l’arrêt Taylor se distinguent nettement de ceux à l’étude. En effet, dans Taylor, les policiers ont obtenu des éléments de preuve à l’hôpital tels que des échantillons sanguins, et ce, sans avoir donné l’opportunité à l’accusé de parler à son avocat. Ici, la situation est tout autre. Aucune preuve n’a été obtenue avant que le requérant puisse parler à un avocat et, contrairement à l’hôpital, il n’y avait alors aucun moyen de communiquer avec un avocat sur le bord de la route.
[21] Une remarque s’impose : dès le début de leur intervention, les policiers ont fait preuve de proactivité en tentant d’obtenir la présence d’autres policiers afin d’accélérer le transport du requérant vers le poste. En raison de la situation qui prévalait sur les routes du territoire, aucun n’était disponible.
[22] Avec respect, le Tribunal diffère de l’opinion du procureur du requérant lorsqu’il plaide qu’il n’y avait pas de danger en laissant le véhicule à cet endroit ou que le remorquage se fasse sans l’aide des policiers. Il ne fait aucun doute que l’endroit où le requérant a perdu le contrôle de son véhicule était dangereux. Dès lors, il est aisé de conclure que plusieurs enjeux de sécurité étaient en cause et qu’un remorquage était nécessaire.
[23] D’abord, leur présence était nécessaire pour éviter que d’autres véhicules ne dérapent au même endroit, ainsi que pour prévenir les autres automobilistes, si peu nombreux étaient-ils, d’une sortie de route à proximité de la courbe. Puis, cela a également pour effet d’indiquer aux passants que l’accident a été pris en charge. Il est utile de rappeler le devoir de tout citoyen à « porter secours à celui dont la vie est en péril, personnellement ou en obtenant du secours, en lui apportant l’aide physique nécessaire et immédiate, à moins d’un risque pour elle ou pour les tiers ou d’un autre motif raisonnable. »[8] Les conditions de la route étaient dangereuses et l’immobilisation des véhicules était périlleuse. Des citoyens auraient pu s’arrêter, à leurs risques et périls, pour aller secourir quelqu’un qui n’est plus là. Le sens commun commande d’atténuer un tel risque.
[24] Toujours sous l’angle de la sécurité, la preuve révèle que l’arrière du véhicule était à la limite de l’accotement. Comme mentionné précédemment, on ne peut exclure le dérapage d’autres véhicules à cet endroit. Mais il y a plus. Difficilement visible, le véhicule aurait pu être happé par une déneigeuse. Peut-être, sommes-nous dans le domaine de la spéculation, mais le danger n’en est pas moins fort plausible. Le fait le plus important demeure sans contredit que l’on ne pouvait pas sécuritairement retirer le véhicule du fossé sans bloquer les voies de circulation. Autrement, la manœuvre aurait été téméraire et imprudente compte tenu de l’emplacement – à l’approche d’une courbe – et des conditions de la route.
[25] Le remorquage représentait aussi un enjeu relatif à la protection des biens. Comme le relève le juge Bonin dans Collin, précité, « le choix d’appeler une remorqueuse correspondait aux règles habituelles. Les policiers n’ont pas l’obligation de tout faire pour prévenir le remorquage. Au contraire, ils doivent se soucier aussi de protéger la propriété des individus même lorsqu’ils font l’objet d’une arrestation ».
[26] Enfin, la saisie sur-le-champ du véhicule du requérant se justifie par l’application du Code de la sécurité routière[9]. L’application de la loi constitue sans l’ombre d’un doute une explication raisonnable pour justifier le délai en vue du remorquage. Les policiers possèdent un droit de rétention du véhicule jusqu’à la fin de l’épreuve finale de l’alcootest et, selon le résultat, peuvent procéder à la saisie du véhicule et à son remorquage à la fourrière (Article 209.2.1 et 209.2.1.1 C.S.R.). L’état d’ébriété avancé du requérant pouvait laisser croire aux policiers qu’ils se trouveraient dans l’une des situations décrites au Code de la sécurité routière permettant le remorquage sur-le-champ du véhicule.
[27] Au-delà du délai causé par le remorquage, le long délai s’explique aussi par la distance à parcourir jusqu’au poste, soit 23 minutes. Le témoignage des policiers est à l’effet que l’on pouvait difficilement rouler à plus de 80 ou 90 km/h.
[28] La preuve prépondérante révèle que dès l’arrivée au poste, l’agent Chabot a tout mis en œuvre pour permettre au requérant de parler promptement avec son avocat. Un message a été laissé dans la boîte vocale de l’un des trois numéros composés en vue de rejoindre l’avocat. Le policier n’a rien précipité en ce qu’il a attendu un retour d‘appel afin de respecter le droit à l’avocat de son choix du requérant. Dès que le requérant a signifié son intention de communiquer avec un avocat de l’Aide juridique, le policier l’a mis en contact sans délai.
[29] Le Tribunal considère que le délai écoulé entre la mise en détention et la communication avec l’avocat est justifié et que, de ce fait, le droit constitutionnel du requérant n’a pas été violé.