La requête du défendeur allègue que le policier qui a procédé à l’arrestation du défendeur ne possédait pas les motifs raisonnables de croire que ce dernier était en train de commettre une infraction prévue à l’article 253 du Code criminel.
[50] Dans la présente cause, le Tribunal doit déterminer si les policiers ont intercepté le véhicule conduit par le défendeur pour un motif légitime.
[51] Quant aux principes de droit applicables, rappelons que les policiers ont le pouvoir d’intercepter des véhicules à moteur lorsque cette interception se fait sur la base de motifs précis tels que des infractions reliées à la sécurité routière, la vérification de la sobriété du conducteur, la validité de son permis ou l’état mécanique de son véhicule.
- Dedman c. La Reine, 1985 CanLII 41 (CSC), [1985] 2 RCS 2;
- R. c. Hufsky, 1988 CanLII 72 (CSC), [1988] 1 RCS 621;
- R. c. Ladouceur, 1990 CanLII 108 (CSC), [1990] 1 RCS 1257
- R. c. Guénette AZ-99011261 (C.A.)
[52] Dans l’arrêt R. c. Mann 2004 CSC 52 (CanLII), 2004 3 R.C.S. 59, le juge lacobucci, se prononçant pour la majorité, écrit :
Comme il a été expliqué plus tôt, pour trancher les questions qui sont en litige dans le présent pourvoi, la Cour doit mettre en balance les droits à la liberté individuelle et au respect à la vie privée d’une part, et l’intérêt de la société à disposer de services efficaces de maintien de l’ordre. Sauf règle de droit à l’effet contraire, les gens sont libres d’agir comme ils l’entendent. En revanche, les policiers (et, d’une manière plus générale, l’État) ne peuvent agir que dans la mesure où le droit les autorise à le faire. La vitalité d’une démocratie ressort de la sagesse manifestée par celle-ci lors des moments critiques où l’action de l’État intersecte et menace d’entraver des libertés individuelles.
[53] Dans l’arrêt R. c. Ladouceur 1990 CanLII 108 (CSC), 1990 1 R.C.S. 1257, la Cour suprême mentionne à la page 1287 :
Les policiers ne peuvent interpeller des personnes que pour des motifs fondés sur la loi, en l’espèce, les motifs relatifs à la conduite d’une automobile comme la vérification du permis de conduire, des assurances et de la sobriété du conducteur ainsi que l’état mécanique du véhicule. Lorsque l’interpellation est effectuée, les seules questions qui peuvent être justifiées sont celles qui se rapportent aux infractions en matière de circulation. Toute autre procédure plus inquisitoire ne pourrait être engagée que sur le fondement de motifs raisonnables et probables. Lorsqu’une interpellation est jugée illégale, les éléments de preuve ainsi obtenus pourraient bien être écartés en vertu de l’article 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés.
[54] Dans la cause de R. c. Martin Gaudreault C.Q. Chicoutimi, 2004 CanLII 20583 (QC CQ), no 150-01-008935-034, 20 avril 2004, le juge Pierre Lortie écrivait :
« Selon l’arrêt Cotnoir, il est reconnu que les agents de la paix tirent leurs pouvoirs d’intervention du Code criminel, les lois créant les corps policiers et des lois spéciales comme le Code de la sécurité routière. En outre, la common law octroie certains pouvoirs, même s’ils ne sont pas définis avec précision.
Les policiers ne doivent cependant pas agir pour des motifs « obliques », pour entreprendre une enquête générale dénuée de tout fondement ou pour satisfaire une curiosité ou un caprice.
A l’inverse, les auteurs Béliveau et Vauclair mentionnent, en résumant l’état du droit, que « si l’interception est dûment faite pour des motifs liés à la sécurité routière ainsi que pour d’autres motifs, elle sera légale dans la mesure où aucune de ces raisons n’est illégitime ».
[55] Les policiers ne peuvent pas utiliser ce pouvoir d’interception d’un véhicule pour enquêter sur de simples soupçons. Ils ne peuvent intervenir que pour un motif précis relié à sécurité routière (articulable cause). Les policiers doivent avoir un motif précis pour procéder à une interception, lequel doit obligatoirement être relié à la sécurité routière (R. c. Guénette J.E. 99-788(C.A.)
[56] Le pouvoir d’interception des policiers a été reconnu à l’article 636 du Code de la sécurité routière. L’article 636 permet aux policiers d’effectuer des vérifications fondées sur un objectif légitime ou un motif précis de sécurité routière.
Code de la sécurité routière, L.R.Q., c. C-24.2.
636- Un agent de la paix, identifiable à première vue comme tel, peut, dans le cadre des fonctions qu’il exerce en vertu du présent code […] exiger que le conducteur d’un véhicule routier immobilise son véhicule. Le conducteur doit se conformer sans délai à cette exigence.
[57] En appliquant ces principes dans la présente cause, les policiers Cyr et Brousseau ont-ils intercepté le véhicule conduit par le défendeur pour un motif légitime ?
[58] Le procureur du défendeur soulève que les témoignages des policiers ne rencontrent pas les exigences de fiabilité et de crédibilité.
[59] Certes, il y a certaines contradictions entre les témoignages des policiers mais ces contradictions concernent des faits collatéraux et n’affectent pas la relation de la trame factuelle des évènements.
[60] La preuve révèle que les policiers aperçoivent un véhicule immobilisé. Après vérifications, ce véhicule appartient à une dame et la personne assis à la place du conducteur est un homme.
[61] Les policiers continuent d’enquêter l’adresse du propriétaire du véhicule et il constate qu’un homme dont le permis est sanctionné demeure à cette adresse.
[62] Les policiers décident alors d’intercepter le véhicule pour vérifier l’identité du conducteur et la validité de son permis de conduire.
[63] Dans les circonstances révélées par la preuve, je conclus à la légalité de l’interception puisque l’interpellation effectuée par les policiers avait un lien avec la sécurité routière. Les policiers avaient des motifs de croire que le conducteur du véhicule pouvait être le défendeur et les policiers avaient l’information que son permis de conduire était sanctionné.
Motifs d’arrestation
[64] Le procureur du défendeur plaide que la détention du défendeur était arbitraire et illégale.
[65] Dans l’arrêt R. c. Duguay 1989 CanLII 110 (CSC), [1989] 1 R.C.S. 93, la Cour suprême a défini la détention arbitraire en ces termes :
«Une détention est arbitraire si elle résulte de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire sans restriction..»
[66] Cette même Cour, en faisant référence à l’arrêt R. c. Hufsky 1988 CanLII 72 (CSC), [1988] 1 R.C.S. 621, précise qu’un pouvoir discrétionnaire est arbitraire s’il n’y a pas de critères exprès ou tacites, qui en régit l’exercice.
[67] Le Tribunal doit donc apprécier l’ensemble de la preuve pour statuer sur la détention du défendeur.
[68] Selon l’arrêt Hufsky précité, les policiers ont le pouvoir d’intercepter des véhicules à moteur lorsque cette interception se fait sur la base de motifs précis tels que des infractions reliées à la sécurité routière, la vérification de la sobriété du conducteur, la validité de son permis ou l’état mécanique de son véhicule.
[69] Selon l’arrêt R. c. Bernshaw, 1995 CanLII 150 (CSC), [1995] 1 RCS 254, le législateur a prévu que les policiers pouvaient avoir recours au test de détection s’ils avaient simplement des raisons de soupçonner la présence d’alcool dans l’organisme d’un conducteur mais ce test de dépistage n’est pas obligatoire; il n’est qu’un outil mis à la disposition des agents de la paix pour fonder leurs motifs d’arrestation.
[70] D’ailleurs, le juge Martin dans la cause de R. c. Roussy 2007 QCCS 4319 (CanLII), déclare que le test de dépistage n’est qu’une des «flèches dans le carquois des autorités policières».
[71] Les policiers avaient-ils des motifs raisonnables leur permettant de croire que le défendeur avait ses capacités affaiblies par l’effet de l’alcool ou d’une drogue ou qu’il avait consommé une quantité d’alcool telle que son alcoolémie dépassait 80 milligrammes par 100 millilitres de sang ?
[72] La Cour Suprême du Canada, lors de l’arrêt Bernshaw , nous enseigne en quoi consistent « les motifs raisonnables » :
« L’existence de motifs raisonnables comporte un élément objectif et un élément subjectif. En effet, en vertu du paragraphe 254(3) du Code criminel, le policier doit subjectivement croire sincèrement que le suspect a commis l’infraction et, objectivement, cette croyance doit être fondée sur des motifs raisonnables. »
[73] L’agent de la paix doit posséder des motifs tels qu’ils permettent à une personne raisonnable de croire que le prévenu « more likely than not » a conduit en état d’ébriété dans les trois heures précédant son arrestation (La Reine c. Gavin 1993 CanLII 1978 (PE SCAD), 1994 50 M.V.R. (2d) 302).
[74] Le tribunal doit déterminer si une personne raisonnable se trouvant dans la même situation que le policier aurait cru à l’existence de motifs raisonnable justifiant l’arrestation. Dans l’arrêt R. c. Collins(1987) 1987 CanLII 84 (CSC), 1 R.C.S. 265 la Cour suprême a déterminé que le concept de « personne raisonnable » se rapportait à une personne de type moyen évoluant au sein de la société.
[75] Les constatations ou indices dont disposait le policier Cyr sont :
- la fuite en apercevant le véhicule des policiers;
- un excès de vitesse, soit le fait de circuler à 90 km/h alors que la limite permise est de 50 km/h;
- l’haleine qui dégage une odeur d’alcool;
- les yeux rouges, gorgés de sang
- le regard fixe;
[76[ Pour apprécier l’existence de motifs raisonnables, le Tribunal doit considérer l’ensemble des éléments de preuve. La preuve ne doit pas être morcelée (Bouchard c. La Reine 2008 QCCA 2260 (CanLII))
[77] Lors de l’arrêt R. c. Proulx 2014 QCCA 678 (CanLII), la Cour d’appel souligne que «l’expérience des policiers qui ont été témoins des manifestations ci-avant décrites devait être prise en compte» pour apprécier les motifs qui ont permis aux policiers de croire en des motifs raisonnables.
[78] Dans cette cause, d’ailleurs, les policiers n’avaient pas interrogé le conducteur sur sa consommation d’alcool et la Cour en vient à la conclusion que sans cette preuve, des policiers d’expérience pouvaient avoir des motifs raisonnable de croire que le conducteur avait conduit un véhicule alors que ses facultés étaient affaiblies par l’alcool.
[79] Dans la présente cause, les policiers Cyr et Brousseau déclarent être policier depuis plus de 7 ans, et avoir procédé à plusieurs arrestations pour facultés affaiblies.
[80] L’expérience des policiers est un facteur que le tribunal doit considérer dans son appréciation de l’état du défendeur.
[81] Selon les principes se dégageant de l’arrêt Proulx précité, ce serait une erreur de considérer que les constations du policier Brousseau ne serait que de simples soupçons ;
Dans le cas présent, le juge de première instance commettait une erreur manifeste en déterminant que les éléments de preuve découverts lors de l’interception de l’intimé étaient insuffisants pour constituer des motifs raisonnables, n’acceptant de n’y voir que des soupçons.
[82] Dans la présente cause, selon les circonstances révélées par la preuve, s’il y a eu violation, celle-ci ne justifierait pas une exclusion de la preuve.
[83] Dans l’arrêt Proulx, la Cour d’appel réitérait les principes établis dans l’arrêt Anderson c. R. 2013 QCCA 2160 (CanLII) et se prononçait en ces termes sur ce sujet :
Par ailleurs, si la Cour avait eu à se prononcer sur l’exclusion de la preuve au regard de l’arrêt Grant, elle aurait, de toute façon, été d’avis qu’il ne convenait pas d’exclure un élément de preuve d’une grande fiabilité (certificat du technicien). C’est plutôt l’exclusion de cette preuve qui aurait déconsidéré l’administration de la justice, compte tenu de la gravité des infractions en cause.
[84] Dans le présent dossier, le Tribunal estime que les policiers avaient des motifs tant subjectivement qu’objectivement de croire à la commission des infractions reprochées et que leur croyance était sincère. L’excès de vitesse, l’haleine dégageant une odeur d’alcool, les yeux vitreux et le comportement du défendeur convainquent le Tribunal que l’agent Cyr avait des motifs raisonnables et probables de croire que le défendeur avait commis les infractions reprochées. La personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances et possédant les mêmes informations aurait agi de la même façon.
Le droit au silence
[85] Le droit au silence est un principe de justice fondamental reconnu et protégé par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés
[86] Comme l’a souligné la Cour suprême dans les arrêts R.c. Hébert [1990] R.C.S. 151 et R. c. Singh 2007 CSC 48 (CanLII), [2007] 3 R.C.S. 405, ce droit n’est pas absolu.
[87] Dans la mesure où cette déclaration est faite de façon spontanée, volontairement et sans pression indue de la part des policiers, il n’y a pas lieu de l’exclure.
[88] Le défendeur avait le fardeau de démontrer que sa déclaration avait été faite en violation de ses droits et cette preuve n’a pas été faite.