L’avocat court toujours le risque d’être assimilé à la personne qu’il défend.
Vendredi dernier, Isabelle Richer a publié un article suivant la tentative d’assassinat de l’un de nos confrères. Comme elle, je suis moi aussi totalement et absolument attristé par cette terrible nouvelle. Qu’on se le tienne pour dit, j’espère moi aussi que les forces de l’ordre coinceront rapidement le malfaiteur et que Justice sera rendue!
Mais la journaliste dépasse les limites de ce qu’on peut accepter lorsqu’elle ajoute inutilement ceci :
On n’entend jamais ces histoires terrifiantes chez les avocats civilistes.
Quand elles surviennent, elles touchent les avocats criminalistes, ceux qui pataugent dans les affaires louches de leurs clients.
Voilà un propos bien malhabile qui porte une atteinte gravissime à l’image de notre profession. Non seulement ce commentaire est irrespectueux, mais relève d’un stéréotype tristement répandu dans notre société dite civilisée.
Depuis la nuit des temps, l’avocat est contaminé par celui qu’il défend. Me Éric Dupond-Moretti, un avocat français de renommée internationale dirait que :
Quand je défends les accusés d’Outreau lorsqu’ils sont réputés être pédophiles, on me regarde comme un salaud. Quand je défends les mêmes alors qu’ils sont devenus innocents, je suis un héros. Je ne mérite ni cet excès d’opprobre ni cet excès d’honneur.
Un avocat défend un être humain, il ne défend pas une cause, et donc l’identifier, même à la marge, à ladite cause et aux interprétations qu’elle suscite naturellement et légitimement dans la conscience de chaque citoyen, est une lourde erreur.
Madame Richer commet une lourde erreur lorsqu’elle nous assimile aux affaires dans lesquelles certains de nos clients peuvent tremper. Ce genre journalistique ternit la réputation du Barreau du Québec et cause un tort important à la confiance que portent les gens en l’administration de la Justice.
Le droit d’informer est capital. Mais pas à n’importe quelles conditions, surtout lorsque celles-ci menacent la présomption d’innocence et s’aventurent dans des interprétations ou des prises de parole déplacées et donc dangereuses.
Récemment, le juge en chef de la Cour suprême du Canada décrétait que :
Il ne fait aucun doute que les médias jouent un rôle unique dans notre pays. En enquêtant, en questionnant, en critiquant et en diffusant des informations d’importance, ils contribuent à l’existence et au maintien d’une société libre et démocratique.
Mais le maintien d’une société libre et démocratique est en danger lorsqu’une institution en attaque une autre de plein fouet, comme c’est le cas ici, sans fondement. Cette forme délétère de journalisme, en raison notamment de son martèlement sur les réseaux sociaux, exerce sur les procès un climat pernicieux aux conséquences dévastatrices pour la présomption d’innocence. Et parce que « les erreurs sont une réalité inévitable dans un système de justice criminelle dirigé par des êtres humains », ce genre journalistique contribue, sans que l’on s’en rende compte, à emprisonner des innocents.
Le système de justice pénale, entreprise humaine s’il en est une, possède à la fois les qualités et les défauts de ce qui est humain.
L’institution qui abrite la justice criminelle, au même titre que celle qui abrite la justice civile, familiale, carcérale… partage les qualités et les travers communs à l’être humain. Il est vrai que l’histoire enseigne qu’un avocat, un médecin, un ingénieur, un financier, un banquier, un mécanicien, un concierge, un policier, un journaliste… peut parfois patauger dans certaines affaires louches, voire criminelles.
→ Mais cela n’a rien à voir avec le métier que l’on exerce, mais simplement aux traits qui sont communs à l’humanité.
Du reste, j’avoue qu’Isabelle Richer a l’habitude de diffuser avec pédagogie des explications, des éclaircissements sur des sujets de fond, avec rigueur et intégrité. Elle demeure une journaliste qui inspire confiance.