R. c. Mailhot, 2017 QCCQ 8153

 

[1]           Dans le cadre de son procès sous des accusations d’avoir conduit son véhicule à moteur alors que son alcoolémie dépassait la limite permise, l’accusé présente une requête en exclusion de la preuve basée sur les articles 9 et 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés, soutenant que l’échantillon d’haleine prélevé suite à l’ordre de l’agent de la paix a été obtenu en violation de ses droits constitutionnels.

[2]           Il soutient que les motifs du policier l’ayant mis en état d’arrestation à la suite du test réalisé à l’aide d’un appareil de dépistage approuvé (ADA) dont le délai d’étalonnage était expiré ne peuvent être considérés raisonnables suivant l’article 254(3) du Code criminel.

[3]           Le requérant prétend donc que l’ordre de l’agent Pellerin était invalide, son arrestation illégale donnant lieu à une détention arbitraire et qu’en conséquence, le Tribunal devrait exclure de la preuve les résultats de l’alcootest suivant le paragraphe 24(2) de la Charte.

 

ANALYSE

[19]        Pour ordonner à une personne de fournir un échantillon d’haleine dans l’ADA, le policier doit avoir des motifs raisonnables de soupçonner la présence d’alcool dans l’organisme du conducteur[5].

[20]        Pour procéder à une arrestation en vertu du paragraphe 254(3)(a) C. cr., l’agent de la paix doit subjectivement croire que le suspect a commis l’infraction prévue à l’article 253 C. cr. et cette croyance doit être objectivement appuyée sur une constellation de faits[6] menant à l’existence de motifs raisonnables[7].

[21]        Ici, les policiers parlent d’une interception pour une infraction constatée au Code de la sécurité routière.  Ensuite, ils observent les yeux rougis du conducteur, l’odeur d’alcool émanant de l’haleine du requérant ainsi que d’autres symptômes qui peuvent s’apparenter à un affaiblissement des facultés de conduire tel que le fait pour l’accusé d’éprouver de la difficulté à sortir de son véhicule bien que ce symptôme soit justifié a posteriori par un problème de santé.

[22]        L’ensemble des constatations faites ce soir-là constituaient certainement des soupçons suffisants pour que l’agent Pellerin somme légitimement l’accusé de subir un test de dépistage.

[23]        Le Tribunal est d’avis que la poursuite n’a pas à systématiquement démontrer que l’ADA utilisé est en bon état de fonctionnement dans la mesure où preuve est faite que le policier croyait, au moment des tests, que l’appareil fonctionnait adéquatement[8].

[24]        Le policier connaissait le protocole d’utilisation décrit dans le guide de l’École Nationale de Police du Québec assurant le bon fonctionnement de l’appareil mais admet ne pas l’avoir suivi.  Toutefois, il croyait sincèrement que l’appareil était bien étalonné, conformément à la procédure systématique habituellement suivie au Service de police de Sherbrooke.

[25]        Dans ce cas-ci, contrairement à la situation évoquée par la défense dans la décision Lejeune[9], le policier croyait à la fiabilité de l’appareil utilisé.  Cette croyance était raisonnable puisqu’il a suivi la procédure habituelle en allant chercher la valise contenant l’ADA au poste de relève[10].  Il n’a pas regardé son certificat  avant de l’utiliser mais il était persuadé que des sergents expérimentés, affectés spécifiquement à l’étalonnage de tous les ADA, avaient fait leur travail.

[26]        Dans l’arrêt Tremblay[11], la Cour supérieure estime qu’un test d’ADA non fiable ne peut constituer des motifs suffisants menant à une arrestation légale.  L’Honorable juge Simon Ruel y précise toutefois que le degré de preuve requis pour démontrer la non-fiabilité d’un appareil de détection approuvé est élevé ;  une preuve de non-fiabilité ne doit pas être hypothétique, conjecturale ni s’appuyer sur une simple possibilité d’inexactitude[12].

[27]        Au terme de cette requête en exclusion de la preuve, le fardeau appartient au requérant de démontrer par la balance des probabilités que ses droits constitutionnels ont été enfreints.  Ce qui est commun à l’ensemble des autorités soumises ici par les parties, y compris celles produites par la défense[13], est l’existence d’une preuve d’expert démontrant en quoi le résultat du test de détection ne présentait pas la fiabilité requise pour constituer des motifs raisonnables[14].

[28]        Le Code criminel n’impose pas l’étalonnage des appareils de dépistage ni aucune autre vérification avant que les policiers ne puissent s’en servir, contrairement aux appareils alcootests[15].

[29]        Les exigences pour l’ADA sont plutôt d’ordre déontologique et réglementaire[16] ; le Code criminel ne prévoit le respect d’aucun critère particulier[17] avant que ces tests ne soient considérés à l’instar des alcootests, avant que le régime des présomptions légales ne puisse être appliqué[18].

[30]        Comme dans plusieurs autres dossiers de cette nature, l’appareil de dépistage a constitué ici un outil qui a permis aux policiers de confirmer rapidement leurs soupçons face à la consommation d’alcool du conducteur.  Il s’agit d’une étape prévue au Code criminel qui permet aux agents de la paix de se convaincre, subjectivement et objectivement, de leurs motifs d’arrestation.

[31]        Dans le présent cas, il n’existe aucun élément factuel mettant en doute la fiabilité de l’ADA utilisé ce soir-là[19].  Alléguer que le délai d’étalonnage est expiré depuis moins de 48 heures n’est pas suffisant ; encore faut-il qu’une preuve crédible soit faite que l’absence de ce test ait pu avoir un impact sur le résultat obtenu[20].

[32]        Conclure ici, sur cette seule base, que le résultat du test n’est pas valide ne serait que pure spéculation[21].

[33]        L’agent Pellerin a témoigné de façon crédible qu’il n’avait aucune raison de croire que l’ADA utilisé était défectueux ;  tous les signes observés convergeaient vers la certitude que l’appareil était en bon état de fonctionnement.  On ne peut certes pas taxer le policier de laxisme dans l’exercice de ses obligations ;  il est un opérateur qualifié ayant par inadvertance oublié ce soir-là de vérifier le certificat d’utilisation de son appareil[22].

[34]        Si la preuve avait établi, ne serait-ce qu’un doute à l’effet que l’agent connaissait la péremption de l’étalonnage, sa non-fiabilité ou le mauvais fonctionnement de l’appareil et l’avait quand-même utilisé, la raisonnabilité de ses motifs aurait été remise en question[23].

[35]        Au moment de son utilisation, l’ADA fonctionnait bien et affichait une température adéquate.  Les mentions électroniques étaient conformes à ce qui était attendu.  La croyance du policier quant à l’exactitude de l’appareil était sincère, rien ne démontre le contraire.  Ici, rien ne permet de déduire que l’ADA utilisé ce soir-là ait pu mal fonctionner.

[36]        De plus, les certificats d’utilisation déposés en preuve révèlent que cet Alco Sensor avait été étalonné par un technicien qualifié le 14 juin 2016 et qu’en date du 30 juin 2016, au moment de l’étalonnage subséquent, rien d’anormal n’a été noté.

[37]        Dans les circonstances, la croyance de l’agent Pellerin m’apparaît objectivement raisonnable car selon la preuve telle qu’administrée, l’appareil semblait fonctionner normalement[24], ce dont les policiers n’avaient aucune raison de douter.

[38]        Dans les circonstances particulières de l’espèce, l’échec du test de dépistage mis en perspective avec tous les autres éléments constatés par les policiers ce soir-là, soit l’odeur d’alcool, les infractions au CSR, les phares éteints, l’omission de faire son arrêt obligatoire et la difficulté du requérant à sortir de son véhicule, bien que cet élément ait été postérieurement expliqué, menait à l’établissement de motifs raisonnables suffisants pour conclure à la commission d’une infraction criminelle[25].

[39]        Dans l’éventualité où l’existence d’une violation constitutionnelle était par ailleurs reconnue, les faits particuliers de l’espèce ne m’auraient pas convaincue que l’exclusion de la preuve aurait été un remède approprié suivant une analyse basée sur le paragraphe 24(2)de la Charte[26].

[40]        L’intervention policière s’est déroulée de façon régulière. Aucun indice de mauvaise foi n’a été démontré dans les actes des représentants de l’État.

[41]        L’atteinte alléguée n’est ni grave ni délibérée et n’est certainement pas intrusive[27].

[42]        Au surplus, la société a intérêt, dans un dossier comme celui-ci, où la sécurité publique est à risque[28], que les procédures puissent être continuées quant au fond du litige.

[43]        Dans cette cause, c’est l’exclusion de la preuve qui entrainerait une déconsidération de l’image de la justice[29], non son admission.

POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE la requête en exclusion de la preuve ;

CONFIRME QUE L’ARRESTATION ÉTAIT LÉGALE et que le prélèvement des échantillons d’haleine qui a suivi a été fait conformément à la Loi et à la Charte ;

ADMET EN PREUVE les résultats des tests d’haleine contenus au certificat d’analyse déposé lors de la tenue du voir-dire.