La détention pour fin enquête d’un policier est limitée en droit criminel canadien.
Gagnon c. R., 2015 QCCA 1138 (Mise à jour : R. c. Gagnon, 2016 CSC 6)
[65] Le présent pourvoi met en cause le pouvoir de détention aux fins d’enquête, tel que reconnu par la common law. Le ministère public n’a pas tenté, ni en première instance ni en appel, de justifier l’intervention policière en vertu d’autres pouvoirs, comme les contrôles usuels des conducteurs en matière de conduite automobile[11].
[66] Au Canada, il n’existe pas de pouvoir général de détention aux fins d’enquête, mais un pouvoir limité[12]. Ce pouvoir de détention aux fins d’enquête permet à un policier de détenir brièvement un individu lorsque le policier a des soupçons raisonnables de croire que l’ensemble des circonstances démontre un lien clair entre cet individu et une infraction criminelle récente ou en cours[13].
[67] Cela dit, la seule croyance subjective du policier ne suffit pas[14]. Si l’expérience et la formation du policier offrent un fondement expérientiel qui doit être évalué, l’intuition policière n’a droit à aucune déférence[15]. Pour rendre possible le contrôle par les tribunaux, il doit exister des motifs objectivement discernables qui, appréciés en tenant compte de toutes les circonstances[16], permettent de soupçonner une activité criminelle[17]. Pour satisfaire cette exigence, il faut des faits qui indiquent « objectivement la possibilité d’un comportement criminel compte tenu de l’ensemble des circonstances »[18].
[68] Face à cette norme moins rigoureuse et aux risques qu’elle soit mal utilisée, la Cour suprême invite les tribunaux à appliquer un contrôle a posteriori rigoureux[19], sans toutefois resserrer les soupçons raisonnables au point où ils ne constitueraient qu’un simple reflet du critère des motifs raisonnables[20]. Un soupçon donne l’impression qu’une personne se livre à une activité criminelle et les soupçons « raisonnables » sont plus que cela, sans être une croyance fondée sur des motifs raisonnables[21]. La Cour suprême insiste sur l’examen prudent des éléments qui se fondent sur l’expérience policière afin d’y déceler ceux qui résultent de stéréotypes ou de discrimination[22], mais aussi qu’« il est tout aussi essentiel de leur donner les coudées franches sans se montrer trop sceptiques à leur égard ou sans exiger que chacun de leurs gestes soit scruté à la loupe[23] ». En exigeant que les soupçons raisonnables se rattachent à la personne ciblée plutôt qu’à un lieu ou à une activité en particulier, on évite qu’ils demeurent généraux et trop vagues[24].
[…]
[94] Je retiens de cette jurisprudence que la propriété privée n’est pas un rempart contre l’intervention policière. En l’espèce, il n’est toutefois ni question de porter secours ni question de contester le droit des policiers d’intervenir sur un terrain privé. Il me semble que la situation est passablement différente des faits dans l’arrêt Bilodeau où la preuve établissait l’existence de motifs objectivement raisonnables avant l’interpellation. Les arrêts de la Cour n’établissent pas que les policiers peuvent contrôler l’identité des citoyens qui circulent dans les rues en l’absence d’éléments de preuve permettant de soutenir objectivement des soupçons raisonnables les reliant à une activité criminelle ou en cours.
[…]
[102] Ce qui surprend en l’espèce, c’est la conviction du policier MacKay qu’il était justifié d’interpeller le citoyen pour vérifier s’il résidait à proximité et que, dans le cas contraire, il était alors justifié d’enquêter davantage. Je reconnais d’emblée que la ligne entre les pouvoirs d’interception légaux et illégaux des policiers est parfois difficile à tracer. Elle s’apprécie au cas par cas. Une chose est cependant claire, le policier doit savoir que plus faibles sont ses motifs et plus forte est son intuition, plus le risque de franchir la ligne est grand. Il me semble que l’arrêt Simard de notre Cour, que plaide le ministère public, avait tracé la ligne et répond clairement à la situation qui se reproduit ici, à savoir l’illégalité d’une intervention policière alors que rien ne laisse croire qu’une infraction est en cours[38]. Les policiers ne pouvaient l’ignorer. J’estime que les tribunaux doivent se dissocier des agissements du policier MacKay, même s’ils ne remettent pas en cause sa bonne foi. Comme le rappelait la juge Arbour dans l’arrêt Buhay, « la bonne foi ne peut être invoquée lorsqu’une atteinte à la Charte découle d’une erreur déraisonnable d’un agent de police ou de la méconnaissance de l’étendue de son pouvoir »[39].