Pour qu’une présomption de fait soit conforme à l’al. 11 d), le lien entre la preuve du fait substitué et l’existence de l’élément essentiel qu’il remplace ne doit être rien de moins qu’« inexorable ». Un lien « inexorable » est un lien qui demeure nécessairement valable dans tous les cas.
[51] L’alinéa 11d) de la Charte protège le droit de l’accusé d’être présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité soit établie. Pour qu’un accusé soit déclaré coupable d’une infraction, le juge des faits doit être convaincu hors de tout doute raisonnable que preuve a été faite de l’existence de tous les éléments essentiels de l’infraction : voir R. c. Vaillancourt, 1987 CanLII 2 (CSC), [1987] 2 R.C.S. 636, p. 654. Il s’agit de l’une des principales mesures de protection visant à éviter, dans la mesure du possible, qu’un innocent soit déclaré coupable : voir R. c. Lifchus, 1997 CanLII 319 (CSC), [1997] 3 R.C.S. 320, par. 13. La disposition dont l’effet est de permettre qu’un accusé soit déclaré coupable malgré l’existence d’un doute raisonnable viole le droit à la présomption d’innocence : voir Vaillancourt, p. 654‑656; R. c. St‑Onge Lamoureux, 2012 CSC 57 (CanLII), [2012] 3 R.C.S. 187, par. 24.
[52] Diverses dispositions du Code établissent des présomptions par lesquelles la preuve d’un fait est présumée être la preuve de l’un des éléments essentiels d’une infraction. Une telle présomption ne sera conforme à l’al. 11d) que si la preuve du fait substitué mène « inexorablement » à l’existence de l’élément essentiel qu’il remplace : voir R. c. Whyte, 1988 CanLII 47 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 3, p. 18‑19; R. c. Downey, 1992 CanLII 109 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 10, p. 29‑30; R. c. Audet, 1996 CanLII 198 (CSC), [1996] 2 R.C.S. 171, par. 44. Ce n’est que dans ce cas qu’il n’y aura aucune possibilité que l’accusé soit déclaré coupable du fait de la substitution, malgré l’existence d’un doute raisonnable : voir Audet, par. 44.
[53] En termes clairs, l’exigence d’établir un lien pour démontrer qu’une présomption législative ne contrevient pas à la présomption d’innocence est stricte. Il ne s’agit pas d’une exigence où il faut établir une simple « vraisemblance » ou « probabilité », ni d’une exigence à laquelle on peut satisfaire par une inférence « conforme au bon sens » ou « rationnelle ». La jurisprudence de la Cour démontre plutôt que le lien entre la preuve du fait substitué et l’existence de l’élément essentiel qu’il remplace ne doit être rien de moins qu’« inexorable ». Un lien « inexorable » est un lien qui demeure nécessairement valable dans tous les cas.
[54] Compte tenu de la rigueur de ce critère, pour les motifs qui suivent, je suis convaincu que la présomption établie au par. 172.1(3) contrevient à l’al. 11d) de la Charte.
L’obligation de prendre des mesures raisonnables visée au par. 172.1(4) ne fournit pas, en l’absence de la présomption établie au par. 172.1(3), une deuxième voie pouvant conduire à une déclaration de culpabilité. Elle ne fait plutôt que restreindre un moyen de défense.
[83] Par conséquent, si la Couronne prouve hors de tout doute raisonnable que l’accusé n’a pas pris de mesures raisonnables, le juge des faits ne peut alors pas examiner le moyen de défense selon lequel l’accusé croyait que l’autre personne avait atteint l’âge légal. Mais cela ne dispense pas la Couronne de son fardeau ultime consistant à prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé croyait que l’autre personne n’avait pas atteint l’âge fixé. Ainsi, à titre d’illustration, si le juge des faits peut uniquement conclure, en fonction de la preuve, que l’accusé a fait preuve de négligence ou d’insouciance relativement à l’âge de l’autre personne, la Couronne ne se sera pas acquittée de son fardeau et l’accusé aura droit à un acquittement. Il en est ainsi parce que la négligence et l’insouciance constituent des états d’esprit qui n’entraînent pas une réelle croyance au sujet de l’âge de l’autre personne. En somme, il n’existe qu’une seule voie pouvant conduire à une déclaration de culpabilité : la preuve hors de tout doute raisonnable que l’accusé croyait que l’autre personne n’avait pas atteint l’âge fixé. Rien de moins ne saurait suffire.
La façon que l’art. 172.1 doit être appliqué dans les dossiers ultérieurs en l’absence de la présomption établie au par. 172.1(3).
La croyance quant à l’âge
[97] Pour s’acquitter de ce fardeau, la Couronne doit démontrer (1) que l’accusé croyait que l’autre personne n’avait pas atteint l’âge fixé ou (2) qu’il a fait preuve d’aveuglement volontaire quant à savoir si l’autre personne avait ou non atteint l’âge fixé. Les deux possibilités s’équivalent en droit.
[98] Il y a aveuglement volontaire lorsqu’un accusé « a des doutes au point de vouloir se renseigner davantage, mais [. . .] choisit délibérément de ne pas le faire » : R. c. Briscoe, 2010 CSC 13 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 411, par. 21 (en italique dans l’original). L’aveuglement volontaire a été décrit comme une forme d’« ignorance délibérée », étant donné qu’elle évoque l’idée [traduction] « d’un processus réel de suppression des soupçons » : D. Stuart, Canadian Criminal Law: A Treatise (7e éd. 2014), p. 261. « Une cour peut valablement conclure à l’ignorance volontaire seulement lorsqu’on peut presque dire que le défendeur connaissait réellement le fait » : Briscoe, par. 23, citant G. Williams, Criminal Law: The General Part (2e éd. 1961), p. 159. La Cour a statué à maintes reprises que, s’il est conclu que l’accusé a fait preuve d’aveuglement volontaire, cet état d’esprit peut se substituer à la connaissance réelle : Sansregret c. La Reine, 1985 CanLII 79 (CSC), [1985] 1 R.C.S. 570, p. 584‑585; Briscoe, par. 21. En fait, l’aveuglement volontaire « équivaut à la connaissance » : Briscoe, par. 23, citant Williams, p. 159.
[99] En outre, pour les besoins de l’application du droit, lorsqu’une personne sait quelque chose, elle y croit nécessairement : États‑Unis d’Amérique c. Dynar, 1997 CanLII 359 (CSC), [1997] 2 R.C.S. 462, par. 69. Si l’aveuglement volontaire est suffisant pour établir la connaissance, il s’ensuit alors logiquement qu’il peut aussi se substituer à la croyance. Par conséquent, si le juge des faits est convaincu que l’accusé avait fait preuve d’aveuglement volontaire quant à savoir si l’autre personne avait ou non atteint l’âge fixé, il sera alors nécessairement convaincu que l’accusé croyait que l’autre personne n’avait pas atteint cet âge.
[100] Pour une meilleure compréhension, je m’arrête ici pour faire remarquer que, bien que les deux concepts soient souvent confondus, l’insouciance est distincte de l’aveuglement volontaire : Sansregret, p. 584‑585; Briscoe, par. 23. L’insouciance renvoie à l’état d’esprit de celui qui, « conscient que sa conduite risque d’engendrer le résultat prohibé par le droit criminel, persiste néanmoins malgré ce risque » : Sansregret, p. 582. Par contraste, l’aveuglement volontaire « se produit lorsqu’une personne qui a ressenti le besoin de se renseigner refuse de le faire, parce qu’elle ne veut pas connaître la vérité. Elle préfère rester dans l’ignorance » : p. 584.
[101] Dans le contexte d’une infiltration policière à laquelle aucune personne n’ayant pas atteint l’âge fixé ne participe, le fait de démontrer que l’accusé a fait preuve de simple insouciance, plutôt que d’aveuglement volontaire, quant à savoir si l’autre personne avait atteint ou non l’âge fixé, ne pourra servir de fondement à une déclaration de culpabilité. Dans un sens, cela distingue l’infraction de leurre de celle d’agression sexuelle. La mens rea nécessaire pour l’agression sexuelle est établie lorsque l’accusé a fait preuve d’insouciance relativement à l’absence de consentement de la part de la personne qui subit les attouchements sexuels : R. c. Ewanchuk, 1999 CanLII 711 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 330, par. 42; R. c. J.A., 2011 CSC 28 (CanLII), [2011] 2 R.C.S. 440, par. 24. Le fait qu’un accusé soit au courant de l’existence d’un risque que la personne ayant porté plainte n’a pas consenti aux attouchements sexuels, ainsi que la persistance de l’accusé malgré ce risque, suffisent pour établir l’élément moral requis. Cependant, dans le contexte du leurre, le fait de prouver que l’accusé avait une simple connaissance du risque que l’autre personne n’avait pas atteint l’âge fixé n’établit pas que l’accusé croyait que la personne n’avait pas atteint l’âge fixé, ce que nécessite le par. 172.1(1) dans le contexte d’une infiltration policière à laquelle aucune personne n’ayant pas atteint l’âge fixé ne participe.
[102] En résumé, pour établir le deuxième élément énoncé ci‑dessus dans le contexte d’une infiltration policière à laquelle aucune personne n’ayant pas atteint l’âge fixé ne participe, la Couronne doit prouver hors de tout doute raisonnable (1) que l’accusé croyait que l’autre personne n’avait pas atteint l’âge fixé ou (2) qu’il a fait preuve d’aveuglement volontaire quant à cette question.
Le moyen de défense fondé sur la croyance selon laquelle l’autre personne avait atteint l’âge légal
[103] Dans l’arrêt Levigne, la Cour a affirmé que, s’il subsiste un doute raisonnable dans l’esprit du juge des faits quant à savoir si l’accusé croyait que l’autre personne avait atteint l’âge légal, l’accusé a alors droit à un acquittement : voir par. 32(5). Cependant, le par. 172.1(4) prévoit que le moyen de défense selon lequel l’accusé croyait que l’autre personne avait atteint l’âge légal peut uniquement être soulevé si l’accusé a pris des mesures raisonnables pour s’assurer de l’âge de la personne. En clair, cette disposition n’exige pas que la croyance de l’accusé soit à la fois honnête et raisonnable; en fait, il suffit que l’accusé présente des éléments de preuve objectifs pouvant démontrer que sa croyance était honnête.
…
[105] Je suis d’avis que les « mesures raisonnables » que l’accusé doit prendre pour l’application du par. (4) sont les mesures qu’une personne raisonnable prendrait, dans les circonstances dont l’accusé avait alors connaissance, pour s’assurer de l’âge de l’autre personne : voir R. c. Dragos, 2012 ONCA 538 (CanLII), 111 O.R. (3d) 481, par. 31‑32. L’obligation de prendre des mesures raisonnables comporte donc à la fois une dimension objective et une dimension subjective : les mesures doivent être objectivement raisonnables, et le caractère raisonnable de ces mesures doit être apprécié au regard des circonstances dont l’accusé avait alors connaissance. Bien que l’expression « dans les circonstances dont il avait alors connaissance » ne soit pas employée au par. 172.1(4), les tribunaux ont dressé une analogie entre cette disposition et l’exigence prévue à l’al. 273.2b) selon laquelle l’accusé doit prendre les « mesures raisonnables, dans les circonstances dont il avait alors connaissance » pour pouvoir établir le moyen de défense de croyance erronée au consentement relativement à une accusation d’agression sexuelle : voir Dragos, par. 39‑41. Selon moi, il est approprié d’intégrer ce critère, parce que l’obligation de prendre des mesures raisonnables est fortement liée au contexte et que ce qui peut constituer une mesure raisonnable dans un cas peut ne pas l’être dans un autre : voir R. c. Thain, 2009 ONCA 223 (CanLII), 243 C.C.C. (3d) 230, par. 37; Dragos, par. 32 et 41; Pengelley, par. 9.
[106] Dans l’arrêt Levigne, la Cour a statué que l’objectif de l’obligation de prendre des mesures raisonnables visée au par. 172.1(4) est d’empêcher l’accusé de soulever un moyen de défense fondé sur l’allégation de croyances « dénuées de tout fondement probatoire objectif » : par. 31. Si l’on tient compte de cet objectif, les mesures raisonnables sont, selon moi, celles qui permettent l’obtention de renseignements pouvant raisonnablement appuyer la croyance de l’accusé selon laquelle l’autre personne avait atteint l’âge légal. En termes simples, les mesures raisonnables doivent être valables. Par exemple, se fonder sur le fait qu’un clavardoir public est surveillé par des modérateurs qui peuvent en expulser les enfants ne peut pas constituer une mesure raisonnable lorsque l’accusé utilisait un clavardoir privé pour procéder aux communications en cause : voir Levigne, par. 42. Une telle mesure n’est nullement valable.
[107] Dans la même veine, une mesure se soldant par l’obtention de renseignements n’appuyant pas de façon raisonnable la croyance selon laquelle l’autre personne a atteint l’âge légal ne peut constituer une mesure raisonnable. Si l’accusé a demandé à l’autre personne de lui donner son âge — ce qui, selon la réponse, pourrait constituer une preuve de la prise de mesures raisonnables —, mais que l’autre personne lui a mentionné qu’elle était âgée de 13 ans, cette demande de renseignements ne peut constituer une mesure raisonnable : voir Levigne, par. 43. Là aussi, une telle mesure n’est pas valable. Elle ne peut appuyer une croyance selon laquelle l’autre personne a atteint l’âge légal. La même chose s’applique lorsque l’accusé reçoit une réponse ambiguë ou qu’il ne reçoit aucune réponse. Par conséquent, on ne doit pas uniquement tenir compte de la nature des mesures prises, mais aussi des renseignements qu’elles permettent d’obtenir, ou de l’absence de renseignements : voir R. c. Ghotra, 2016 ONSC 1324 (CanLII), 334 C.C.C. (3d) 222, par. 106 et 108.
[108] Dans le même ordre d’idées, si l’accusé prend quelques mesures initiales qui pourraient raisonnablement appuyer une croyance selon laquelle l’autre personne a atteint l’âge légal, mais que des [traduction] « signaux d’alarme » donnant à penser que ce n’est pas le cas apparaissent subséquemment, l’accusé pourrait alors devoir prendre des mesures additionnelles pour s’assurer de l’âge de l’autre personne : voir Dragos, par. 62‑64 et 66. Si l’accusé ne prend pas de telles mesures additionnelles, nous pourrions alors conclure qu’il ne s’est pas acquitté de son obligation de prendre des mesures raisonnables. L’obligation est donc continue.
[109] Les mesures raisonnables ne sont pas nécessairement des mesures [traduction] « actives » : Dragos, par. 62; Ghotra, par. 105, 139 et 153. Il n’est pas toujours facile d’établir la distinction entre une mesure active et une mesure passive, et cette distinction peut ne constituer guère plus qu’une question de sémantique. Que nous disions de certaines mesures qu’elles sont « passives » ou « actives » importe peu. À mon avis, aucune raison impérieuse ne commande de limiter, dans un contexte d’infiltration policière ou autre, la notion suivant laquelle les mesures que l’on pourrait qualifier de « passives » — comme la réception et l’examen de renseignements non sollicités — peuvent se solder par l’obtention de renseignements pouvant raisonnablement appuyer la croyance de l’accusé que l’autre personne avait atteint l’âge légal.
[110] En outre, le législateur n’a pas enjoint à l’accusé de prendre « toutes » les mesures raisonnables : voir Pengelley, par. 11; Ghotra, par. 139. Par conséquent, l’accusé n’a pas l’obligation de prendre toutes les mesures raisonnables possibles pour invoquer le moyen de défense. Il n’existe pas de nombre magique de mesures que l’accusé doit prendre. Dans certains cas, une seule mesure décisive pourra suffire; dans d’autres, de multiples mesures peuvent être nécessaires. Comme c’est le cas pour tous les critères juridiques qui s’appliquent à l’échelle d’un vaste ensemble de circonstances factuelles, le contexte est d’une importance capitale.
[111] Il convient aussi de mettre l’accent sur le fait que l’obligation de prendre des mesures raisonnables doit être appliquée avec une généreuse dose de bon sens. Les juges de première instance et les jurys doivent se pencher sur l’obligation de prendre des mesures raisonnables dans une démarche pratique et empreinte de bon sens, en gardant à l’esprit son objectif premier : empêcher un accusé de soulever un moyen de défense fondé sur une allégation de croyances « dénuées de tout fondement probatoire objectif » (Levigne, par. 31).
[112] Sans prétendre que la liste ci‑après est exhaustive, voici, selon les circonstances, des mesures raisonnables qui peuvent être prises : demander à l’autre personne son âge et recevoir une réponse qui appuie sa croyance alléguée; prendre note du fait que l’autre personne a été présentée comme ayant atteint l’âge légal ou non, que ce renseignement ait été sollicité ou non; demander et recevoir une preuve d’identité selon laquelle l’autre personne a atteint l’âge légal; demander et recevoir une photo donnant à penser que l’autre personne a atteint l’âge légal, ou examiner des photos de profil indiquant une telle chose; observer une conduite ou un comportement donnant à penser que l’autre personne a atteint l’âge légal; choisir de communiquer au moyen d’un site Web qui fait respecter les restrictions quant à l’âge; dans le cas d’une annonce personnelle, inclure des informations selon lesquelles on cherche uniquement à parler à des adultes. L’ultime question est de savoir si, selon toutes les circonstances, les mesures prises par l’accusé pour s’assurer de l’âge de l’autre personne étaient suffisantes pour constituer des « mesures raisonnables », à savoir des mesures appelant à l’obtention de renseignements pouvant raisonnablement appuyer la croyance de l’accusé que l’autre personne avait atteint l’âge légal.
[113] En somme, la méthode pour apprécier les mesures raisonnables dépend largement du contexte et tient compte du cadre dans lequel les communications ont lieu : Internet.
…
[119] Selon moi, le moyen de défense selon lequel l’accusé croyait que l’autre personne avait atteint l’âge légal est vraisemblable uniquement si le juge des faits pouvait conclure, selon la preuve, que l’accusé a pris des mesures pouvant constituer des « mesures raisonnables » dans les circonstances pour s’assurer de l’âge de l’autre personne et qu’il croyait honnêtement que l’autre personne avait atteint l’âge légal. En d’autres termes, l’accusé ne satisfera au critère de la vraisemblance que s’il peut produire des éléments de preuve pouvant appuyer des conclusions conformes à tous les points qui suivent :
(1) l’accusé a pris des mesures pour s’assurer de l’âge de l’autre personne;
(2) ces mesures étaient raisonnables;
(3) l’accusé croyait honnêtement que l’autre personne avait atteint l’âge légal.
[120] En particulier, cela signifie que le moyen de défense de croyance honnête à l’âge légal n’entrera pas en jeu s’il n’existe pas de preuve susceptible de satisfaire à l’exigence du « caractère raisonnable » (2). Si l’accusé ne peut s’acquitter de ce fardeau de présentation, le moyen de défense ne sera pas soumis au juge des faits. Dans ces circonstances, dans le contexte d’un procès devant jury, le juge du procès devrait donner une directive restrictive selon laquelle, parce que l’accusé n’a pas pris de mesures raisonnables pour s’assurer de l’âge de l’autre personne, le jury ne peut, en droit, tenir compte du moyen de défense de croyance honnête à l’âge légal. Dans ce cas, comme il est décrit plus en détail à la « troisième étape » ci‑dessous, la seule question que le jury doit examiner est de savoir si — selon l’ensemble de la preuve, y compris les éléments de preuve relatifs au défaut de l’accusé de prendre des mesures raisonnables — la Couronne a établi, hors de tout doute raisonnable, que l’accusé croyait que l’autre personne n’avait pas atteint l’âge fixé.
[121] Lorsque l’accusé n’a pas su présenter quelque mesure que ce soit pouvant constituer une mesure raisonnable dans les circonstances, cela pourrait être un bon indice que l’accusé croyait que l’autre personne n’avait pas atteint l’âge fixé ou qu’il avait fait preuve d’aveuglement volontaire quant à ce fait. Cependant, même si le moyen de défense n’est pas vraisemblable, cela n’est pas nécessairement déterminant de la croyance de l’accusé. Il incombe toujours à la Couronne de prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé croyait que l’autre personne n’avait pas atteint l’âge fixé. Lorsque ce moyen de défense ne peut pas être invoqué, même si le juge des faits n’aura pas la possibilité d’en tenir compte, l’ensemble de la preuve peut entraîner des lacunes ou des faiblesses dans le dossier de la Couronne qui pourraient soulever un doute raisonnable quant à savoir si la Couronne s’est acquittée de son fardeau de démontrer que l’accusé croyait que l’autre personne n’avait pas atteint l’âge fixé.
[122] En revanche, si le juge du procès conclut que le moyen de défense est vraisemblable, celui‑ci sera alors soumis au juge des faits. L’accusé n’aura pas nécessairement à témoigner pour s’acquitter de ce fardeau de présentation; il peut évoquer les éléments de preuve produits par la Couronne, comme le contenu des télécommunications pertinentes ou les interrogatoires de la police, qui démontrent que le moyen de défense est vraisemblable.
[123] Si l’accusé s’acquitte de son fardeau de présentation et que le moyen de défense selon lequel il croyait que l’autre personne avait atteint l’âge légal est soumis au juge des faits, la Couronne a alors le fardeau de persuasion de réfuter le moyen de défense : voir Levigne, par. 32(3); voir aussi M. Manning et P.J. Sankoff, Manning, Mewett & Sankoff: Criminal Law (5e éd. 2015), p. 397. Suivant cette exigence, pour renverser le moyen de défense — celui de la croyance honnête à l’âge légal —, la Couronne doit le réfuter hors de tout doute raisonnable. Toutefois, il est important de comprendre l’incidence qu’ont les mesures raisonnables sur cette analyse ainsi que celle qu’elles n’ont pas.
[124] Si la Couronne prouve hors de tout doute raisonnable que l’accusé a omis de prendre des mesures raisonnables, ce dernier ne pourra pas invoquer le moyen de défense de la croyance honnête à l’âge légal. Ceci est conforme au libellé du par. (4), qui utilise l’expression « ne constitue un moyen de défense ». Par conséquent, seule la capacité de l’accusé de soulever le moyen de défense est touchée lorsque la Couronne réfute la prise de mesures raisonnables, ce qui n’allège pas le fardeau lui incombant de prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé croyait que l’autre personne n’avait pas atteint l’âge fixé.
[125] En revanche, si la Couronne ne peut pas réfuter la prise de mesures raisonnables hors de tout doute raisonnable, l’accusé peut invoquer le moyen de défense de croyance honnête à l’âge légal. Cependant, même lorsque le moyen de défense est en jeu, la Couronne obtiendra quand même une déclaration de culpabilité si elle prouve hors de tout doute raisonnable que l’accusé croyait que l’autre personne n’avait pas atteint l’âge fixé. En d’autres termes, la Couronne n’est pas tenue de réfuter la prise de mesures raisonnables hors de tout doute raisonnable pour obtenir une déclaration de culpabilité.
[126] Ainsi, en termes simples, le fait que l’accusé soit déclaré coupable ou soit acquitté ne dépend pas de la question de savoir s’il a pris des mesures raisonnables, mais bien de savoir si la Couronne peut prouver la croyance de l’accusé hors de tout doute raisonnable. Que des mesures raisonnables soient prises ou non n’est pas essentiel pour que l’accusé soit déclaré coupable ou acquitté; bref, ce n’est pas la panacée. Plutôt, l’exigence des mesures raisonnables n’est que la condition préalable pour que soit soulevé le moyen de défense de la croyance honnête à l’âge légal. Pour ainsi dire, elle limite un moyen de défense qui, si on y ajoutait foi ou s’il soulevait un doute raisonnable, justifierait l’acquittement de l’accusé. Sans le par. 172.1(4), il serait possible d’invoquer le moyen de défense de croyance honnête à l’âge légal, que l’accusé ait pris ou non des mesures raisonnables.
[127] Pour illustrer la façon dont ces principes s’appliqueraient dans la pratique, si la Couronne ne parvient pas à réfuter la prise de mesures raisonnables, ce moyen de défense est alors à la disposition de l’accusé, et le juge des faits peut — ou non — inférer de la preuve, y compris des éléments de preuve relatifs aux mesures raisonnables, que l’accusé croyait que l’autre personne avait atteint l’âge légal. Le simple fait de ne pas réfuter la prise de mesures raisonnables ne garantit pas, cependant, que le moyen de défense de la croyance honnête à l’âge légal sera retenu. En effet, le juge des faits peut ne pas croire l’accusé en se fondant sur des conclusions quant à la crédibilité ou sur l’examen de l’ensemble de la preuve. Par exemple, lorsque l’accusé a pris des mesures raisonnables, mais que la preuve démontre qu’il a déclaré à un tiers être en relation avec une personne de 14 ans, la Couronne pourrait bien réussir à établir que l’accusé avait la croyance nécessaire pour justifier une déclaration de culpabilité.
[128] En revanche, si la Couronne réussit à réfuter la prise de mesures raisonnables, le moyen de défense de la croyance honnête à l’âge légal échouera. Dans ce cas, dans le contexte d’un procès devant jury, le juge du procès devrait donner la directive restrictive énoncée au par. 120, ci‑dessus.
[129] Comme il a été expliqué précédemment, lorsque la Couronne établit que l’accusé a omis de prendre des mesures raisonnables, le par. 172.1(4) empêche les personnes accusées de soulever, à titre de moyen de défense, le fait qu’elles croyaient que l’autre personne avait atteint l’âge légal. Toutefois, une déclaration de culpabilité ne peut pas reposer uniquement sur ce fondement; en l’absence de la présomption établie au par. (3), l’obligation de prendre des mesures raisonnables prévue au par. (4) n’ouvre pas à elle seule la voie à une déclaration de culpabilité. Par conséquent, l’analyse ne prend pas fin dès lors que la Couronne établit que l’accusé n’a pas pris de mesures raisonnables. Le juge des faits devra plutôt examiner l’ensemble de la preuve, y compris les éléments de preuve relatifs au défaut de l’accusé de prendre des mesures raisonnables, non pas en vue de soulever de nouveau le moyen de défense de la croyance honnête à l’âge légal, mais bien pour juger si la Couronne s’est acquittée de son fardeau consistant à établir que l’accusé croyait que l’autre personne n’avait pas atteint l’âge fixé. Ce n’est que si cet élément est établi qu’une déclaration de culpabilité peut être inscrite.
[130] Cela étant posé, lorsque l’accusé n’a pas pris de mesures raisonnables, le juge de première instance doit donner comme directive au jury de ne pas prendre en compte la preuve de l’accusé tendant à montrer qu’il croyait que l’autre personne avait atteint l’âge légal pour décider si la Couronne a établi la culpabilité hors de tout doute raisonnable. Cette directive est essentielle : elle permet d’éviter le risque qu’un acquittement soit prononcé sur la foi d’une affirmation dénuée de tout fondement probatoire objectif. Par conséquent, en clair, dans les cas où l’accusé n’a pas pris de mesures raisonnables, la preuve selon laquelle ce dernier croyait que l’autre personne avait atteint l’âge légal n’a aucune valeur, et le jury ne peut s’en servir pour évaluer la solidité de la preuve de la Couronne.
[131] Il existe des circonstances dans lesquelles, malgré l’absence de mesures raisonnables, la Couronne peut néanmoins échouer à établir hors de tout doute raisonnable que l’accusé croyait que l’autre personne n’avait pas atteint l’âge fixé. Par exemple, le juge des faits peut conclure que l’accusé avait simplement connaissance du risque que l’autre personne n’ait pas atteint l’âge fixé (c’est‑à‑dire, que l’accusé a fait preuve d’insouciance), ou qu’il était simplement négligent. Une déclaration de culpabilité ne peut s’appuyer sur ni l’une ni l’autre de ces conclusions.
[132] De même, il y a des circonstances dans lesquelles, même s’il est satisfait à l’exigence relative aux mesures raisonnables, la Couronne peut toujours réussir à prouver hors de tout doute raisonnable que l’accusé croyait que l’autre personne n’avait pas atteint l’âge fixé. Par exemple, comme il a été précédemment illustré, il peut y avoir des éléments de preuve selon lesquels l’accusé a fait des déclarations à un tiers qui indiquent qu’il avait la croyance nécessaire pour justifier une déclaration de culpabilité.
[133] Bref, c’est la troisième étape de l’analyse — la question de savoir si la Couronne a prouvé hors de tout doute raisonnable que l’accusé croyait que l’autre personne n’avait pas atteint l’âge fixé — qui entraîne la conséquence ultime.