Dans l’établissement du risque de récidive, il est approprié de considérer les circonstances de l’infraction et le contexte dans lequel elle a été perpétrée, le comportement délictuel, l’historique de l’individu (les antécédents) et son profil psychologique. Cette évaluation s’appuie certes bien souvent sur l’expertise, mais demeure l’apanage du juge d’instance qui doit en apprécier la teneur dans l’ensemble de la preuve.
[17] L’appelant soutient que le juge a erré dans son appréciation du risque de récidive de l’intimé en le situant au niveau III ou II, alors que le rapport sexologique le fixait au niveau IVa.
[18] Les conclusions relatives au risque de récidive sont des questions de fait qui méritent la déférence d’une cour d’appel[9]. Les propos de la Cour dans Morin c. R., bien qu’ils s’inscrivent dans le contexte d’une affaire où l’appelant avait été déclaré délinquant à contrôler (art. 753.1 C.cr.), sont pertinents en l’espèce :
[11] Dans l’établissement du risque de récidive, il est approprié de considérer les circonstances de l’infraction et le contexte dans lequel elle a été perpétrée, le comportement délictuel, l’historique de l’individu (les antécédents) et son profil psychologique. Cette évaluation s’appuie certes bien souvent sur l’expertise, mais demeure l’apanage du juge d’instance qui doit en apprécier la teneur dans l’ensemble de la preuve.[10]
[Renvois omis]
[19] En l’espèce, l’appréciation du juge du risque de récidive de l’intimé est fondée sur son interprétation du rapport sexologique qui indique que la plupart des individus de niveau IVa transitent éventuellement vers les niveaux III et II en cas de traitements adéquats et de changements positifs dans leur mode de vie[11].
Le fait que l’infraction perpétrée par un délinquant constitue un abus de la confiance de la victime est une circonstance aggravante (art. 718.2a)(iii) C.cr.). Il faut cependant reconnaître le large éventail de situations qui mettent en cause une relation de confiance.
[30] Incontestablement, le fait que l’infraction perpétrée par un délinquant constitue un abus de la confiance de la victime est une circonstance aggravante (art. 718.2a)(iii) C.cr.)[19]. Il faut cependant reconnaître le large éventail de situations qui mettent en cause une relation de confiance[20]. Comme la Cour l’énonçait récemment dans Pierre c. R. :
[35] Les situations d’abus de confiance ou d’autorité ne sont pas restreintes au « cas classique » mettant en cause un membre de la famille, un gardien, enseignant ou médecin. La relation de confiance établie entre un agresseur et une victime n’a pas non plus à être « forte », comme le propose l’appelant, pour être prise en compte parmi les facteurs aggravants. Le degré de cette relation pourra toutefois affecter le poids à lui donner dans la pondération globale des facteurs pertinents. Mais, indubitablement, quel que soit le degré de la relation de confiance établie entre un adulte et une victime âgée de moins de 18 ans, son existence constitue selon le législateur une circonstance aggravante, d’une part, et accroîtra l’importance de l’attention particulière que le juge devra porter aux objectifs de dénonciation et dissuasion, d’autre part.[21]
[31] En l’espèce, manifestement, la victime avait suffisamment confiance en l’intimé pour l’accompagner chez lui. Lors de sa première visite chez lui, la veille, il est gentil et respectueux envers elle et il accepte son refus d’avoir une relation sexuelle après avoir échangé quelques baisers. La preuve soutient, par conséquent, qu’il existait une situation de confiance telle qu’envisagée par l’article 718.2a)(iii) C.cr. Cependant, cette situation se distingue de celles où la relation de confiance ou de dépendance, par sa nature, impose une forte obligation de protection et de soin (par exemple, une relation impliquant un parent, un enseignant ou un entraîneur)[22].
[32] Ainsi, la Cour est d’avis que le juge a commis une erreur de principe en ne retenant pas l’abus de confiance que révélait la preuve comme facteur aggravant. Or, sans vouloir minimiser l’impact qu’a eu cet abus de confiance sur la victime, la relation en l’espèce se situe dans la partie inférieure du spectre des situations de confiance et l’appelant ne convainc pas que l’erreur du juge a eu une incidence sur la détermination de la peine.
Dans Lemieux, le juge Doyon souligne que, même si l’objectif de dissuasion « peut être atteint par un emprisonnement avec sursis, il reste que “[l]’incarcération, qui est habituellement une sanction plus sévère, peut avoir un effet plus dissuasif que l’emprisonnement avec sursis” ». Si l’appelant y voit un énoncé de principe selon lequel l’emprisonnement en milieu carcéral est toujours de rigueur afin de prioriser la dénonciation et la dissuasion, il se trompe.
[35] L’appelant plaide en outre que le juge a erré en omettant de prioriser les objectifs de dénonciation et de dissuasion, considérant la nature de l’infraction, le degré de responsabilité de l’intimé, son risque de récidive et la prédominance des facteurs aggravants. Il a raison de faire valoir que le juge avait l’obligation de prioriser ces facteurs, notamment en application de l’article 718.01 C.cr. qui énonce que lorsque l’infraction constitue un mauvais traitement à l’endroit d’une personne âgée de moins de 18 ans, le juge doit accorder une « attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion d’un tel comportement »[24]. Pourtant, loin d’avoir ignoré ces consignes, le juge note précisément que, s’agissant d’un cas d’agression sexuelle, les objectifs de dénonciation et de dissuasion doivent primer[25]. La question est donc de savoir si la priorisation qui s’imposait fait obstacle au fait de permettre que la peine soit purgée dans la collectivité dans les circonstances de ce dossier.
[36] Le juge réfère à l’énoncé de principe de l’arrêt Proulx[26] où la Cour suprême indique que, « [l]orsque des objectifs tels que la dénonciation et la dissuasion sont particulièrement pressants, l’incarcération sera généralement la sanction préférable, et ce en dépit du fait que l’emprisonnement avec sursis pourrait permettre la réalisation d’objectifs correctifs »[27]. Il cite également les propos du juge Doyon[28] dans l’arrêt récent de la Cour R. c. Lemieux[29] (où l’emprisonnement avec sursis était jugé inapproprié dans ce dossier d’agression sexuelle), en soulignant le devoir du juge qui détermine la peine de pondérer les facteurs applicables afin d’individualiser la peine[30].
[37] Dans Lemieux, le juge Doyon souligne que, même si l’objectif de dissuasion « peut être atteint par un emprisonnement avec sursis, il reste que “[l]’incarcération, qui est habituellement une sanction plus sévère, peut avoir un effet plus dissuasif que l’emprisonnement avec sursis” »[31]. Si l’appelant y voit un énoncé de principe selon lequel l’emprisonnement en milieu carcéral est toujours de rigueur afin de prioriser la dénonciation et la dissuasion, il se trompe. Bien qu’en règle générale, les objectifs de dissuasion et de dénonciation exigent des peines d’emprisonnement en milieu carcéral dans les cas d’agression sexuelle avec emploi de la force, la question de la proportionnalité demeure le fondement essentiel de toute peine infligée[32]. C’est d’ailleurs ce qu’indique le juge Lamer dans l’arrêt Proulx en précisant qu’il serait erroné d’écarter d’emblée la possibilité de l’octroi du sursis à l’emprisonnement au seul motif qu’il y a présence de facteurs aggravants qui augmentent le besoin de dénonciation et de dissuasion, et que chaque cas doit être apprécié individuellement[33].
[38] La Cour a récemment réitéré, dans l’arrêt Lajoie c. R., que les objectifs de dénonciation et de dissuasion peuvent être remplis par l’emprisonnement avec sursis, tout étant une question de contexte et d’individualisation. À cet égard, le juge Levesque écrit :
[58] L’emprisonnement avec sursis peut être vu comme un adoucissement de la peine, mais il n’en demeure pas moins que cette mesure constitue une peine d’emprisonnement et qu’elle sert bien les objectifs de dénonciation et de dissuasion lorsque les circonstances de l’affaire le justifient.[34]
[39] Tenant compte de tous les éléments au dossier, le juge conclut que tel est le cas en l’espèce. Il n’a commis aucune erreur de principe.
Une peine, qui d’un côté déroge aux fourchettes établies, mais qui de l’autre respecte les principes de détermination de la peine, peut être tout à fait appropriée.
[40] Une peine, pour être indiquée, doit tenir compte « de toutes les circonstances liées à la perpétration de l’infraction et à la situation du délinquant, ainsi que des besoins de la collectivité au sein de laquelle l’infraction a été commise »[35]. Elle sera manifestement non indiquée si elle est « manifestement déraisonnable, excessive ou inadéquate »[36]. Autrement dit, sera manifestement non indiquée la peine qui s’écarte de manière déraisonnable du principe de proportionnalité (art. 718.1 C.cr.)[37].
[41] La peine peut également être manifestement non indiquée si elle « s’écarte de façon marquée et substantielle des peines qui sont habituellement infligées à des délinquants similaires ayant commis des crimes similaires »[38]. Ainsi, les fourchettes de peines applicables peuvent fournir un indice du caractère raisonnable d’une peine infligée. Toutefois, une peine, qui d’un côté déroge aux fourchettes établies, mais qui de l’autre respecte les principes de détermination de la peine, peut être tout à fait appropriée[39].
La fourchette établie dans R. c. Cloutier est toujours d’actualité.
[42] Selon la fourchette établie dans R. c. Cloutier[40], qui est toujours d’actualité[41], ce dossier figure dans la deuxième catégorie énumérée et commanderait normalement une peine entre deux et six ans d’incarcération. Selon les professeurs Parent et Desrosiers[42] :
-
- [Les sentences de moins de 24 mois] sanctionnent des gestes sexuels de peu de gravité et/ou survenus en de rares occasions et/ou sur une courte période de temps, commis à l’endroit d’une seule victime.
[43] Par conséquent, la peine de 23 mois avec sursis en l’espèce, tout comme l’admet l’intimé lui-même, représente une peine clémente, compte tenu de l’ensemble des circonstances au dossier. Or, comme l’explique la Cour suprême dans R. c. Parranto, elle n’est pas, par le fait même, manifestement non indiquée :
[30] Il vaut la peine de souligner que le choix de la fourchette de peines ou de l’une de ses catégories relève du pouvoir discrétionnaire du juge chargé de déterminer la peine et que ce choix ne peut, en soi, constituer une erreur susceptible de contrôle (Lacasse, par. 52). Commet une erreur de droit la cour d’appel qui intervient pour la seule raison qu’elle aurait placé la peine dans une fourchette ou une catégorie différente. […] L’analyse du caractère manifestement non indiqué est axée sur la question de savoir si la peine est proportionnée, et non sur la question de savoir si les juges chargés de la détermination de la peine ont appliqué le bon point de départ ou la bonne fourchette de peines ou l’une des catégories de cette fourchette (Lacasse, par. 51 et 53; Friesen, par. 162).[43]
[44] En respectant les paramètres stricts régissant l’intervention d’une cour d’appel en matière de détermination de la peine, et en reconnaissant les faits particuliers de ce dossier, ce moyen doit donc échouer.
En règle générale, plus l’infraction est grave et le besoin de dénonciation important, plus la durée de l’ordonnance de sursis devrait être longue et les conditions de celle‑ci rigoureuses ».
[45] Le juge souligne que l’emprisonnement avec sursis peut avoir un effet dissuasif général appréciable lorsque l’ordonnance est assortie de conditions « suffisamment punitives ». En effet, « [e]n règle générale, plus l’infraction est grave et le besoin de dénonciation important, plus la durée de l’ordonnance de sursis devrait être longue et les conditions de celle‑ci rigoureuses »[44]. Bien que le juge précise qu’un moyen de réaliser l’objectif de dissuasion générale est le recours à des ordonnances de service communautaire et malgré que l’intimé eût évoqué cette possibilité durant sa plaidoirie, l’ordonnance de sursis ne contient aucune condition en ce sens.
[46] Il s’agit manifestement d’un oubli du juge et il y a donc lieu de modifier l’ordonnance afin d’imposer à l’intimé l’obligation d’effectuer 240 heures de travaux communautaires.