R. c. Pilon, 2017 QCCQ 11439

L’accusée prétend qu’il y a eu atteinte à deux de ses droits constitutionnels puisqu’elle affirme avoir fait l’objet d’une détention arbitraire et qu’elle n’a pu communiquer sans délai avec l’avocat de son choix.

De plus, elle soumet que si la preuve est admise, la couronne ne devrait pas bénéficier des présomptions, puisque les échantillons n’ont pas été prélevés dès que matériellement possible.

 

Discussion

[51]           Le Code criminel prévoit à deux endroits distincts l’obligation pour les policiers d’agir dans des délais raisonnables pour la prise d’échantillon d’haleine.

[52]           Clairement, le législateur avait à l’esprit, lorsqu’il a édicté ces mesures de contrôle, de limiter la durée de la détention d’une personne dans ces circonstances.

[53]           En effet, l’arrestation et la détention qui découlent de l’échec d’un test d’ADA sont limitées, sauf exception, à ce qui est nécessaire pour l’administration des tests d’alcoolémie au poste de police.

[54]           Le présent Tribunal a énoncé les principes à ce sujet récemment dans R. c. Mignault-Brusewitz[1] et mentionnait ce qui suit :

[44]       L’article 254(3) C. cr. prévoit qu’à la suite d’un ordre, le policier doit s’assurer que les échantillons d’haleine soient fournis « dans les meilleurs délais ».

[45]       Par ailleurs, si la poursuite veut bénéficier de la présomption d’identité en déposant le certificat du technicien qualifié, l’article 258(1)c)ii) C. cr. prévoit que les échantillons doivent avoir été prélevés « dès que matériellement possible ».

[46]       Il ressort clairement de la lecture de ces dispositions que le législateur voulait s’assurer que la détention, résultant de l’ordre de soumettre des échantillons d’haleine, soit limitée à ce qui est raisonnable, compte tenu de l’ensemble des circonstances.

[47]       Cette détermination du délai écoulé est une question de fait qui relève du juge du procès. Les conséquences reliées au non respect de l’une ou l’autre de ces dispositions sont distinctes. Mon collègue, l’honorable Conrad Chapdelaine dans R. c. Bernard, précise l’objet de l’article 258(1)c) du Code criminel:

Le paragraphe 258 (1)c) C.cr. ne réfère nullement à une question d’admissibilité de la preuve, mais plutôt aux conditions statutaires décrétées par le législateur pour permettre à la poursuite de bénéficier des présomptions. Ces conditions ne régissent pas la question de l’admissibilité (voir R.c. Lee[2008] O.J. No. 1056, par. 15).

[48]       Ainsi, dans le cadre de sa preuve, la poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable le respect de chacune des conditions prévues au paragraphe 258(1)c) C. cr. En cas de non respect de l’une ou l’autre de ces conditions, elle perd le bénéfice des présomptions.

[49]       Par contre, si les échantillons ne sont pas recueillis dans les meilleurs délais, cela pourra constituer une atteinte aux droits constitutionnels et entraîner l’exclusion du certificat d’alcoolémie dont le fardeau revient à la requérante.

(…)

[51]       Pour les fins de ce dossier, le Tribunal analysera en premier lieu le délai écoulé au cours de cet événement pour déterminer si les policiers ont agi de manière raisonnable. Ce critère, tel que définie par la décision de principe à ce sujet dans Vanderbruggen, regroupe, selon le Tribunal, les deux types de délais mentionnés précédemment. Le juge Chapdelaine formule ainsi l’analyse qui doit être faite par le juge :

47.     Le juge Rosenberg indique qu’un échantillon est pris dès qu’il a été matériellement possible de le faire lorsqu’il a été prélevé dans un délai relativement rapide selon les circonstances et qu’il n’y a aucune exigence que le prélèvement ait lieu aussitôt que possible

48.     Pour lui, la question fondamentale est de savoir si les policiers ont agi de manière raisonnable. Il s’agit d’une question de faits qui relève du juge du procès.

49.     L’analyse que le juge doit faire exige l’examen de l’ensemble de la séquence des événements.

50.     La poursuite doit démontrer que les échantillons ont été prélevés dans un délai relativement rapide. Elle n’a pas l’obligation de fournir une explication détaillée pour chacune des minutes.

(Soulignement du Tribunal)

(Références omises)

[55]           Les deux parties s’entendent que les policiers doivent agir en respect avec le principe mentionné dans Vanderbruggen[2], soit dans un délai raisonnable.

[56]           Dans la présente affaire, les policiers, qui étaient au nombre de quatre et utilisaient deux véhicules patrouilles, ont décidé d’installer un barrage routier sur une route rurale.

[57]           Il ne s’agit donc pas d’une arrestation au hasard, mais d’une arrestation à l’intérieur d’une opération censée être organisée et planifiée.

[58]           Force est de constater que les ressources investies sont fort limitées, puisqu’ils étaient uniquement deux véhicules patrouilles et qu’il n’y avait qu’un seul service de remorquage, situé à au moins 30 minutes du lieu où a été installé le barrage routier.

[59]           Pour le Tribunal, lorsque les policiers décident d’organiser ce type d’opération, ils doivent nécessairement s’assurer de pouvoir respecter les prescriptions du Code criminel, soit d’administrer les tests dans un délai raisonnable et en ayant les effectifs nécessaires à cet effet.

[60]           Il faut considérer que le barrage est déjà à au moins 15 minutes de route du poste de police le plus près. S’il n’y avait pas assez de véhicules disponibles pour assurer que les personnes arrêtées ne soient détenues plus longtemps que nécessaire, et minimalement s’assurer d’un service de remorquage efficace qui ne rajoutera pas au délai, il y a lieu de questionner l’organisation de ce barrage.

[61]           Dans les faits, le soir du 25 juin 2016, ce barrage n’en est jamais véritablement devenu un, puisqu’il n’aura servi qu’au contrôle d’une seule voiture.  Peu de temps après l’interception de l’accusée, l’autre véhicule patrouille quitte pour une urgence.

[62]           Si les services policiers veulent organiser des barrages, ils doivent mettre les ressources nécessaires pour s’assurer que la détention des citoyens qui seront arrêtés, respecte leurs droits prévus au Code criminel et à la Charte

[63]           Dans le présent dossier, l’accusée a été arrêtée à 21 h 50 et les policiers sont arrivés au poste de police à 22 h 50. Le premier test a été administré presque 27 minutes plus tard, soit à 23 h 17.

[64]           Il s’est donc écoulé une heure entre l’arrestation et l’arrivée au poste de police pour un trajet qui prend 14 minutes.

[65]           Les policiers justifient ces 45 minutes d’attente inutiles par deux événements, l’attitude difficile de la passagère du véhicule de l’accusée et l’attente de la dépanneuse, puisque l’autre véhicule patrouille avait dû quitter.

[66]           En ce qui concerne la passagère, il s’agit d’un élément qui ne peut justifier le délai puisque ni l’un ni l’autre des agents sur place peut dire quand et comment la dépanneuse a été contactée. Le Tribunal ne retient pas que cette brève intervention auprès de la passagère ait contribué au délai, car il n’y a eu aucun empressement manifesté par les policiers pour demander la dépanneuse.

[67]           Bien que le remorquage du véhicule de l’accusée dans cette affaire soit justifié, il n’y a rien qui explique pourquoi aucun autre véhicule patrouille n’a pu se rendre pour prendre l’accusée ou remplacer les policiers dans l’attente de la dépanneuse.

[68]           Il s’est donc écoulé 44 minutes en pure perte, simplement pour attendre la dépanneuse.

[69]           Il est clair que les services policiers n’ont certainement pas à cœur d’assurer que le délai soit raisonnable puisque rien n’a été entrepris pour tenter d’obtenir un autre véhicule patrouille de remplacement. S’il n’y en avait pas, ce problème relève donc des autorités policières qui auraient dû envisager cette situation avant même d’établir un barrage routier.

[70]           On ne peut dire, dans les circonstances particulières de cette affaire, que les policiers ont agi raisonnablement. Ainsi, l’accusée a fait l’objet d’une détention arbitraire et il y a eu atteinte à son droit prévu à l’article 9 de la Charte.

 

[…]

 

[79]           Dans la présente affaire, les policiers étaient en présence d’une personne qui n’avait pas de symptômes apparents d’intoxication, qui était très collaboratrice avec eux et obéissait à chacune de leurs demandes.

[80]           De plus, ceux-ci, compte tenu de l’attitude pacifique et coopérative de l’accusée, n’ont même pas cru bon de la menotter lorsqu’elle était assise à l’intérieur du véhicule patrouille. Ils sont restés plus de 30 minutes en attente de la dépanneuse, l’accusée étant assise à l’intérieur du véhicule.

[81]           Dès que celle-ci a été informée de son droit à l’avocat, elle a tout de suite mentionné qu’elle désirait communiquer avec un avocat spécifique, soit Me Walsh.

[82]           La seule réponse des policiers est qu’elle pourra le faire plus tard au poste afin de préserver la confidentialité.

[83]           Alors, que signifie la phrase lue par l’agent Thivierge, soit « qu’elle peut avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat » si, dans les faits, elle ne pourra communiquer avec cet avocat que dans une heure après son arrestation.

[84]           La jurisprudence mentionne, à bon droit, que chaque cas est un cas d’espèce et qu’il doit être analysé selon les faits particuliers.

[85]           En ce qui concerne l’exercice du droit à l’avocat, les policiers ont une politique rigide à ce sujet et doivent certainement actualiser leur approche en cette matière.

[86]           Aujourd’hui, il est bien connu que la vaste majorité des personnes arrêtées possèdent un téléphone cellulaire, ce qui était le cas pour l’accusée. Il était certainement possible durant cette attente de 30 minutes, de lui permettre de communiquer avec son avocat au moyen de son téléphone cellulaire.

[87]           La question de la confidentialité est un faux problème puisqu’en premier lieu cela appartient à l’accusée. Par ailleurs, dans une situation comme la présente, où une personne n’est pas visiblement intoxiquée, coopérative, son véhicule immobilisé sur la route et les clés en possession des policiers; il est facile de la placer à l’intérieur de son propre véhicule pour lui permettre de communiquer avec l’avocat de son choix en toute confidentialité, tout en pouvant l’observer de l’extérieur.

[88]           Les policiers peuvent également vérifier qu’elle communique bien avec l’avocat mentionné en plaçant eux-mêmes l’appel.

[89]           Mon collègue l’Honorable Marco LaBrie dans R. c. Lauzier[3] fait une revue exhaustive du droit au sujet de la possibilité réaliste pour une personne détenue sur la route et en attente, de pouvoir contacter un avocat. Il est clair de la jurisprudence que dans les cas où les policiers détiennent une personne et ne font qu’attendre, soit un ADA ou une dépanneuse, ceux-ci doivent faire en sorte de mettre en œuvre ce qui est réalistement possible dans les circonstances, pour permettre l’exercice du droit à l’avocat.

[90]           Aujourd’hui, les policiers doivent composer avec une réalité qui est celle que la plupart des personnes qu’ils interceptent possèdent des appareils cellulaires.

[91]           Bien que l’accusée se trouvait en état d’arrestation pour les fins du test d’alcoolémie, tel que mentionné précédemment, celle-ci n’était pas menottée et très collaboratrice.

[92]           Si les policiers avaient eu le souci de lui permettre ou de tenter de lui permettre d’avoir recours sans délai à l’exercice de son droit à l’avocat, il était facile, en considérant les faits de la présente affaire, de trouver une solution où elle aurait pu discuter rapidement avec Me Walsh.

[93]           En se limitant à leur pratique usuelle et rigide dont les motifs ne sont pas clairement expliqués devant le Tribunal et qui sont difficilement compréhensibles, les policiers contreviennent eux-mêmes à ce droit qu’ils lisent mais dont leur compréhension semble très limitée et restreinte à leurs règles policières.

[94]           Ainsi, l’accusée s’est vue privée d’avoir assistance à un avocat sans délai.

[95]           De plus, selon le Tribunal, il y a une atteinte claire aux droits de l’accusée à l’avocat de son choix.

[96]           La policière Théroux tente de joindre Me Walsh, mais a très peu de notes à ce sujet. Tout ce qu’elle affirme est qu’une préposée lui a dit qu’il n’était pas disponible pour répondre.

[97]           Elle ne sait comment elle a obtenu le numéro de téléphone mentionné à ses notes. Elle ne peut dire si elle a demandé à quel moment on pouvait le joindre à nouveau, si on pouvait le joindre à un autre numéro, si la personne parlait français ou anglais, s’il avait un numéro de cellulaire. Elle n’a pas noté la conversation avec cette personne et n’a absolument pas exploré davantage après cette seule tentative.

[98]           De plus, une fois qu’elle se présente devant l’accusée, tout ce qu’elle lui dit, c’est que Me Walsh n’est pas disponible et elle enchaîne une discussion avec elle pour d’autres options.

[99]           La couronne tente de faire reposer sur les épaules de l’accusée le fait que celle-ci n’a pas insisté pour communiquer avec Me Walsh et s’est dite satisfaite d’une communication avec l’aide juridique.

[100]        Le Tribunal a une autre vision des choses.

[101]        Communiquer avec un avocat lorsqu’une personne est arrêtée n’est pas un geste banal.  Bien qu’en apparence cela puisse paraître routinier ou technique aux policiers, parce que ceux-ci savent très bien que dans ce type d’arrestation l’avocat doit conseiller la personne de fournir un échantillon, il n’en demeure que les conseils vont au-delà de cette simple évidence.

[102]        La relation avec un avocat et plus particulièrement avec « son avocat » que l’on connait et en qui l’on a confiance, est une relation extrêmement privilégiée.

[103]        L’avocat est au courant de volets de la vie de son client qu’il est le seul à connaître et qui ne seront jamais révélés à qui que ce soit.

[104]        Le client en état d’arrestation et surtout une personne non criminalisée, sans aucune connaissance des systèmes policiers et judiciaires, vit un stress très important qui suscite une foule d’interrogations.

[105]        On a trop souvent tendance à oublier que la personne qui se retrouve à l’arrière d’un véhicule patrouille, avec deux policiers à l’avant, ne sait véritablement pas ce qui l’attend.

[106]        La seule personne en qui elle peut avoir une confiance totale à ce moment et la seule personne qui est là uniquement pour elle, c’est son avocat, plus particulièrement s’il y a un lien déjà préétabli.

[107]        Ce n’est pas pour rien que la Charte prévoit le droit à l’avocat de son choix et que la carte lue par les policiers le mentionne. Cela est prioritaire et les policiers doivent mettre en œuvre des moyens raisonnables afin que la personne détenue puisse communiquer avec l’avocat choisi, sans délai.

[108]        Dans la présente affaire, on ne peut pas dire que la policière se soit empressée à s’assurer que le droit de l’accusée soit respecté dans son intégralité.

[109]        L’absence de notes claires au sujet de cette conversation qu’elle prétend avoir eue avec on ne sait qui du bureau de Me Walsh, le fait qu’elle n’a pas demandé si elle pouvait le joindre ailleurs ou investiguer pourquoi il n’était pas disponible, démontre une insouciance totale à l’égard du droit à l’avocat de son choix.

[110]        Le Tribunal ne peut se satisfaire d’une réponse telle que celle mentionnée par la policière, selon laquelle Me Walsh n’était pas disponible. Qu’est-ce à dire?

[111]        Interrogée sur le sens de cette non disponibilité, la policière ne peut répondre rien de pertinent et surtout elle ne s’est pas enquise, s’il était disponible dans cinq minutes ou comment pouvait-il être joint.

[112]        Il ne faut pas oublier qu’il s’est déjà écoulé une heure en pure perte de temps en attente et à se rendre au poste avant que l’accusée puisse commencer à exercer son droit à l’avocat.

[113]        Il est extrêmement surprenant d’entendre ce témoignage de la policière parce qu’on parle ici d’un avocat criminaliste, éminemment connu dans la région depuis plus de 35 ans et les policiers ne peuvent pas ne pas savoir qu’un criminaliste aguerri est facilement accessible hors les heures de bureau, surtout en fin de soirée pour répondre à ce type d’appel de clients arrêtés.

[114]        Il s’est écoulé 12 minutes avant que l’accusée soit mise en contact avec un avocat de l’aide juridique. La policière aurait certainement eu le temps de composer à nouveau le numéro de téléphone qu’elle avait, afin de véritablement s’enquérir des motifs pour lesquels il n’est apparemment pas disponible et vérifier si cette indisponibilité était temporaire ou pour la soirée.

[115]        Comme le mentionne le juge Dunnigan dans R. c. Pinsonneault[4] :

[47] Comme dans R. c. Longtin, « les efforts déployés par le policier pour rejoindre l’avocat demandé apparaissent [ici] minimalistes ». Dans cette affaire, le juge conclut « qu’il y a lieu de se dissocier de cette démarche qui consiste pour les policiers à banaliser le choix par une personne détenue d’un avocat en particulier, au motif qu’elle pourra toujours recourir à ses services plus tard, surtout lorsqu’il n’y a pas urgence comme dans le présent cas ».

(Référence omise)

[116]        Ce n’est pas, dans ces circonstances très particulières, à l’accusée à insister puisque la seule réponse qu’elle a eue à sa demande de communiquer avec Me Walsh est qu’il n’est pas disponible. Comment peut-elle savoir, en l’absence d’informations plus pertinentes de la part de la policière, la nature véritable de cette non disponibilité.

[117]        Quant à la question de la manifestation ou non de la satisfaction de sa discussion avec l’avocat de l’aide juridique, pour le Tribunal, cette question n’est pas pertinente en l’espèce vu les faits particuliers de cette affaire. L’accusée s’est vu imposer un avocat qui n’était pas celui de son choix par l’insouciance de la policière, eu égard à ses obligations et devoirs en ce qui a trait à la mise en œuvre des droits constitutionnels de l’accusée.

[118]        Dans les circonstances, malgré le fait que l’accusée ait communiqué avec un avocat de l’aide juridique par la suite, communication qui a été brève, le Tribunal considère que l’accusée s’est vue privée indûment de son droit à l’assistance sans délai à l’avocat de son choix. En se faisant, il y a eu atteinte à son droit constitutionnel prévu à l’alinéa 10b) de la Charte.