R. c. Sévigny, 2017 QCCQ 11266
On reproche au requérant d’avoir le ou vers le 23 octobre 2015, conduit un véhicule à moteur alors que sa capacité de conduire ce véhicule était affaiblie par l’effet de l’alcool ou d’une drogue, commettant ainsi l’infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité prévue aux articles 253(1)a) et 255(1) du Code criminel.
Selon la thèse de la poursuite, l’affaiblissement de la capacité de conduire de l’accusé était causé par le cannabis de telle sorte que le présent litige concerne l’évaluation réalisée par un agent évaluateur à la suite d’un ordre donné en vertu du paragraphe 254(3.1) du Code criminel.
ANALYSE
[28] La preuve de la défense repose sur les témoignages de l’accusé et de l’expert Maxwell.
[29] En bref, monsieur Maxwell émet l’opinion que si l’absorption de cannabis a pu provoquer les symptômes constatés par le sergent Richard, on ne peut exclure que le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) dont souffre l’accusé en soit la principale cause. La méthode utilisée par le sergent Richard lors de son évaluation n’a pas permis d’examiner davantage cette possibilité bien réelle selon lui.
[30] Toutefois, pour que l’opinion d’un expert puisse avoir une valeur probante, il faut tout d’abord conclure à l’existence des faits sur lesquels se fonde son opinion[7].
[31] Le témoignage de l’expert Maxwell est en grande partie basé sur le scénario de consommation avancé par l’accusé.
[32] Or, le témoignage de l’accusé n’est ni crédible ni fiable.
[33] L’accusé présente un scénario de consommation pour la journée du vendredi 23 octobre 2015. Se qualifiant de consommateur régulier de cannabis, celui-ci affirme qu’il a, cette journée-là, consommé 0,5 gramme de cannabis vers 9 h et qu’il a inhalé à deux reprises du cannabis tout juste avant l’arrivée des policiers. Ce scénario est invraisemblable. En fait, selon la preuve, il est impossible que la journée précédant son arrestation se soit déroulée comme il le soutient.
[34] Confronté au fait qu’il relate un emploi du temps pour la journée du vendredi, donc après son interception survenue vers 00 h 15, il réplique que son arrestation a donc forcément eu lieu le samedi, soit le lendemain. D’ailleurs, il affirme que dans les heures précédant son interpellation, il s’est rendu avec deux amis à un « Friday night magic » qui se tenait au Gamer’s Spot. De plus, il déclare que le vendredi représente sa seule journée de congé de la semaine.
[35] Le Tribunal est convaincu que l’interception est bel et bien survenue le vendredi matin vers minuit 15 minutes. Les témoignages des deux policiers, les rapports et les évaluations confirment ce fait. En outre, avant ce contre-interrogatoire portant sur le scénario de l’accusé, il n’avait jamais été contredit par la défense que l’évènement s’est produit le vendredi 23 octobre 2015, soit au moment allégué par la poursuite.
[36] On peut facilement comprendre qu’un témoin ou un accusé puisse se méprendre quant à la date exacte d’un incident. Néanmoins, dans le cas présent, c’est l’ensemble de la trame factuelle présentée par l’accusé qui s’en trouve affecté.
[37] L’accusé n’a pas le fardeau de prouver qu’il est innocent et il n’a pas à convaincre le Tribunal de quoi que ce soit. Cependant, il a choisi de rendre témoignage et sa version conduit à l’une des deux hypothèses suivantes : soit l’accusé n’a pas souvenir de ce qu’il a fait la veille de son interception par la police auquel cas sa version n’est pas fiable; soit l’accusé a fabriqué cette version auquel cas c’est sa crédibilité qui est mise à mal. Dans l’un ou l’autre des cas, son scénario de consommation n’a aucune valeur probante. Les activités décrites par l’accusé ne sont de toute évidence pas survenues la veille de son arrestation puisqu’il travaillait. Contrairement à ce qu’il affirme, il n’a pu ce jour-là se livrer à un jeu vidéo en matinée et passer une bonne partie de l’après-midi et de la soirée au Gamer’s Spot.
[38] Au surplus, l’accusé concède que lorsqu’il n’est pas en congé, il consomme de la marijuana non pas le matin, mais bien après sa journée de travail. Cette admission finit par avoir raison de la fiabilité de son scénario de consommation considérant qu’il a travaillé le 22 octobre 2015.
[39] D’autre part, l’accusé soutient qu’il ne saisissait pas bien les directives du sergent Richard puisque sa médication ne faisait plus effet. Mais il ne dit pas ce qu’il n’a pas compris et il n’explique pas pourquoi il n’a jamais posé de questions ou demandé des précisions à l’agent évaluateur. Enfin, le Tribunal ne croit pas l’accusé lorsqu’il déclare que c’est le stress qui a fait en sorte qu’il a invariablement répété à l’agent évaluateur qu’il comprenait bien ses instructions, et ce, avant d’entreprendre chacune des épreuves ou chacun des tests.
[40] Surtout, l’accusé n’explique pas les balancements, les pertes d’équilibre, les pas hors ligne, les conjonctives rouges ainsi que tous les autres symptômes relatifs à la coordination des mouvements. L’accusé n’a pas non plus confirmé l’hypothèse avancée par son expert voulant que ce soit à cause de l’exiguïté du corridor qu’il a dû prendre appui sur le mur pour maintenir son équilibre lors du test « marcher et se retourner ».
[41] En interrogatoire principal, l’accusé déclare que lors des épreuves, il était anxieux, nerveux et qu’il « pensait à son futur ». En contre-interrogatoire, il dit plutôt qu’il ne croyait pas que les tests étaient importants. Il s’agit d’affirmations contradictoires.
[42] L’accusé a soutenu que le soir de l’interception, il avait un tremblement des mains. Lorsqu’on lui fait remarquer que le sergent Richard, dans le cadre de son évaluation, n’a pas fait cette observation, il admet finalement qu’il ne tremblait pas.
[43] Enfin, l’accusé témoigne avec désinvolture. Lorsqu’il est confronté à des affirmations contradictoires, il répond tantôt avec ironie, tantôt avec une certaine agressivité. Malgré plusieurs avertissements, il entreprend ses réponses avant que la question ne soit terminée.
[44] Compte tenu du comportement général de l’accusé lors de son témoignage et des invraisemblances que contient son récit, le Tribunal considère que sa version n’est ni crédible ni fiable.
[45] Le témoignage de l’expert Maxwell ne lui est d’aucun secours puisque ses conclusions s’appuient sur de simples conjectures ou encore sur des faits qui n’ont aucune valeur probante ou qui n’ont pas été mis en preuve.
[46] Quant à la preuve de la poursuite, le Tribunal estime que les témoignages des agents de la paix sont précis, solides, crédibles et fiables.
[47] L’évaluation réalisée par le sergent Richard montre que l’accusé présentait plusieurs symptômes d’affaiblissement de sa capacité de conduire un véhicule à moteur. Rien dans la preuve ne permet de conclure qu’un trouble déficitaire de l’attention peut expliquer ces symptômes. Il convient d’en énumérer quelques-uns :
- conjonctives des yeux rouges;
- paupières lourdes et les traits fatigués;
- incapacité des yeux à converger vers le centre;
- à l’épreuve de Romberg, l’agent constate que l’horloge interne de l’accusé est au ralenti;
- au test « marcher et se retourner », l’accusé perd l’équilibre à plus d’une occasion, il prend appui sur le mur et il est incapable de garder la position qui lui est indiquée. De plus, il manque les « talons-orteils» et fait des pas hors ligne. Ce test met également en évidence un mouvement de balancement. L’accusé, contrairement aux instructions, utilise les bras pour conserver son équilibre. Aussi, il effectue le demi-tour de façon incorrecte et il cesse de compter ses pas;
- lors du test « se tenir sur un pied », l’accusé utilise ses bras, sautille et dépose un pied;
- lors du test « doigt-nez », c’est le milieu du doigt qui vient toucher la pointe de son nez, et ce, à quatre reprises;
- il est nonchalant, indifférent et il « s’étend sur la chaise »;
- il présente un rythme cardiaque au-dessus de la normale.
[48] L’expert Maxwell affirme que l’écart de variation des pupilles doit être de deux millimètres pour conclure qu’il y a présence de dilatation bondissante, symptôme compatible avec la consommation de cannabis.
[49] Le sergent Richard n’est pas en désaccord avec cette opinion. Il reconnaît en contre-interrogatoire qu’il n’est pas sûr et certain que la variation doit se situer à 1,5 millimètre ou plutôt à deux millimètres pour conclure qu’il s’agit de dilatation bondissante. Il est toutefois convaincu que les pupilles de l’accusé présentaient une dilatation bondissante et non une variation pupillaire après avoir observé le grossissement des pupilles, lequel phénomène confirmait son opinion[18].
[50] Quoi qu’il en soit, il faut considérer les symptômes observés lors de l’évaluation dans leur ensemble et non isolément.
[51] L’ensemble de la preuve confirme la conclusion de l’agent évaluateur selon laquelle la capacité de conduire de l’accusé était affaiblie à la suite de l’absorption de cannabis dans son organisme. Le Tribunal ne relève aucun élément probant, témoignage ou expertise qui soit de nature à soulever un doute raisonnable.
[52] La chimiste Édith Viel a identifié un métabolite de cannabis, lequel confirme l’absorption de cannabis et sa transformation dans le sang de l’accusé. Il faut rappeler que ce dernier admet d’ailleurs avoir consommé du cannabis tout juste avant son interpellation.
[53] Selon elle, si le cannabis procure du calme, de la sérénité ou de l’euphorie, sa consommation provoque aussi les effets secondaires de somnolence, de confusion, d’incoordination motrice et des problèmes de concentration. Ces effets néfastes peuvent évidemment affecter le degré d’attention lors de la conduite automobile.
[54] Elle conclut que les symptômes constatés par les agents Sévigny et Richard à savoir une conjonctive rouge, des gestes lents, les pertes d’équilibre et les pas hors ligne lors du test « marcher et se retourner » sont tous compatibles avec la consommation de cannabis.
[55] La précision et la fiabilité des témoignages des agents Sévigny et Richard ainsi que le rapport de la chimiste Viel convainquent le Tribunal que la capacité de conduire de l’accusé était largement affaiblie par le cannabis.
[56] Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, le Tribunal estime que la poursuite s’est déchargée de son fardeau de démontrer hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[57] DÉCLARE l’accusé coupable de l’infraction reprochée.