Selon 258(1)d.1), il faut une preuve tendant à démontrer à la fois
la compatibilité du scénario avec une alcoolémie ne dépassant pas la limite
et avec le résultat des analyses.
C’est donc à l’accusé de s’assurer qu’une telle preuve existe et qu’elle est compatible à la fois sous les deux aspects, et non uniquement sur le premier en attendant la décision du juge.
[14] À mon avis, l’appelant fait fausse route en prétendant que la présomption ne s’applique pas étant donné l’absence d’alcool dans le sang.
[15] Rappelons le contexte : l’appelant témoigne et sa version suscite un doute raisonnable. C’est ainsi qu’il plaide qu’il n’a pas consommé d’alcool avant de conduire et que, pour cette raison, la présomption ne s’applique pas. Or, cet argument est lacunaire dans le contexte du présent dossier, ne serait-ce que du point de vue procédural.
[16] En effet, selon ce raisonnement, pour conclure à l’inapplicabilité de la présomption, le juge du procès devrait d’abord décider s’il retient le témoignage de l’accusé; si c’est le cas, la présomption ne s’appliquerait pas et il ne serait donc pas nécessaire de présenter une preuve pour la contrer. Si le juge rejetait la version de l’accusé, elle s’appliquerait et une preuve serait requise.
[17] En somme, il faudrait scinder le procès et attendre la décision du juge sur le témoignage de l’accusé avant de savoir si la présomption s’applique, avec les conséquences qui s’ensuivent selon la teneur de la décision : si le juge le croit ou s’il soulève un doute raisonnable sur la présence d’alcool, la présomption ne s’applique pas et aucune preuve n’est évidemment requise pour la contrer; si le juge rejette son témoignage, la présomption s’applique et la défense doit présenter une preuve pour la renverser. Difficile de le faire, dans ce dernier cas de figure, alors que le juge ne croit pas l’accusé. Cette façon de faire ne serait pas acceptable. De plus, faut-il le rappeler, selon le texte même de la loi, il faut une preuve tendant à démontrer à la fois la compatibilité du scénario (et non l’incompatibilité, ce qui laisserait croire que le fardeau serait celui de la poursuite) avec une alcoolémie ne dépassant pas la limite et avec le résultat des analyses. C’est donc à l’accusé de s’assurer qu’une telle preuve existe et qu’elle est compatible à la fois sous les deux aspects, et non uniquement sur le premier en attendant la décision du juge.
[18] À cet égard, les exemples donnés par l’appelant (erreur sur l’identité du conducteur, alibi, intoxication involontaire) ne peuvent soutenir son argument. Il s’agit de cas où la présence d’alcool dans le sang n’est pas le véritable enjeu. Il s’agirait plutôt de savoir qui conduisait ou encore quelles étaient les circonstances de la consommation d’alcool, autrement dit des moyens de défense qui ne requièrent pas une analyse plus approfondie du témoignage de l’accusé en fonction du résultat des analyses, comme je l’expliquerai plus loin. De plus, ces hypothèses n’ont pas à être considérées pour trancher le débat.
[19] Bref, dans un cas comme celui à l’étude (encore une fois, alors que la crédibilité de l’accusé doit être évaluée à la lumière du résultat des analyses, comme j’en traiterai ci-après), la présomption s’applique.
[20] Néanmoins, une question demeure : comment la contrer?
Rien ne s’oppose à ce que la présomption du sous-alinéa 258(1)d.1)(ii) C.cr. ne puisse être renversée que par une preuve par expert
[23] J’estime que l’exigence du sous-alinéa (i) (une preuve tendant à démontrer que le scénario de consommation décrit par l’accusé est compatible avec un taux d’alcoolémie ne dépassant pas 80 mg d’alcool par 100 ml de sang au moment de la conduite du véhicule) pouvait ici être satisfaite sans expert. En effet, il est manifestement de connaissance d’office que l’absence de consommation d’alcool depuis au moins trois jours mène nécessairement à un résultat inférieur à 80 mg. En conséquence, la juge de la Cour du Québec pouvait estimer que l’exigence était satisfaite, même sans expert, et le juge de la Cour supérieure a commis une erreur de droit en concluant autrement. Par contre, cette erreur n’est pas déterminante vu la seconde exigence.
[24] L’exigence du sous-alinéa (ii) n’est pas qu’une exigence sans fondement, dont le but serait uniquement de compliquer la tâche de l’accusé. Au contraire, elle est en tout point conforme aux objectifs poursuivis. Lorsqu’une personne décide de boire de l’alcool après avoir conduit un véhicule automobile et qu’elle se place dans une situation où les policiers ont des motifs raisonnables de croire qu’une infraction à l’article 253 a été commise dans les trois heures précédentes (voir le paragr. 254(3) C.cr.), je ne vois rien d’inacceptable ou même d’inconvenant dans l’obligation, pour cette personne, de présenter une preuve tendant à démontrer que son scénario de consommation est compatible avec le résultat des analyses. Certains se demanderont peut-être en quoi cela est pertinent.
[25] En fait, cette exigence permet de vérifier si la parole de l’accusé a une certaine vraisemblance, étant donné la possibilité réaliste que l’explication et le scénario ne soient pas vrais. Il peut être aisé de dire que l’on a consommé une quantité donnée d’alcool après la conduite d’un véhicule automobile, mais il est peut-être plus difficile de dépeindre un scénario précis qui soit compatible avec le résultat des analyses.
[26] Comme le rappelle Jon Fuller dans Impaired Driving in Canada — A History, (2013) 51 M.V.R. (6th) 31, p. 48, ce résultat a le mérite de la science et l’accusé doit présenter une preuve tendant à démontrer que son scénario de consommation est compatible avec ce résultat, qui est fiable aux yeux de la science :
[…] the scenario an accused presents to the court must be consistent with both his innocence (i.e. being under the limit while in care or control) and the scientifically reliable readings taken by the instrument shortly thereafter.
[27] D’ailleurs, c’est ce que soulignait la juge Deschamps, dans St-Onge Lamoureux, précité, aux paragr. 40 à 45 et 89.
[28] Le juge du procès ne peut savoir, en se fondant sur la seule connaissance d’office, si le scénario de l’appelant peut tenir, c’est-à-dire s’il est possible d’obtenir un résultat de 96 mg et un autre de 85 mg en ayant consommé trois bières en une période d’un peu plus de 30 minutes, et ce, quelque deux heures avant le test ou encore, si cette consommation a plutôt eu lieu, en tout ou en partie, avant de conduire. En revanche, un expert le pourrait probablement.
[29] En d’autres mots, cette exigence permet aussi de vérifier la crédibilité de l’accusé et la connaissance d’office ne permet pas à un tribunal de pallier l’absence de preuve par expert pour évaluer la compatibilité du scénario décrit par l’accusé avec le résultat des analyses. La jurisprudence a d’ailleurs, en d’autres circonstances, reconnu la nécessité d’une preuve par expert en rapport avec certaines défenses; pensons à l’automatisme : R. c. Stone, 1999 CanLII 688 (CSC), [1999] 2 R.C.S. 290.
[30] À première vue, on peut croire que l’effet de la loi est ici incohérent. En effet, on peut s’interroger et se demander pourquoi forcer un accusé à présenter une telle preuve alors que, selon sa version, qui est retenue (ou qui suscite un doute raisonnable), il n’a pas consommé d’alcool avant de conduire? Poser cette question, c’est faire peu de cas des objectifs de la loi qui cherche à protéger le public d’une gamme d’infractions particulièrement dangereuses et qui, pour ce faire, permet dorénavant au tribunal de jauger la crédibilité de l’accusé et la fiabilité de son récit à l’aune du résultat des analyses : St-Onge Lamoureux, précité. Voilà pourquoi, selon moi, rien ne s’oppose à ce que la présomption du sous-alinéa 258(1)d.1)(ii) C.cr. ne puisse être renversée que par une preuve par expert, comme l’exige implicitement la loi, même dans un cas comme celui-ci.