Cyr-Desbois c. R., 2021 QCCA 305
Le lien de confiance entre cette dernière, détenue par les policiers, et son avocat devait être pris en compte et non mis de côté. Ce critère ne peut être banalisé au point où l’atteinte n’a plus d’incidence, sous prétexte qu’un avocat de garde a pu être consulté.
Le droit à l’avocat de son choix n’est pas subordonné au fait que la personne connaît bien ou même très bien l’avocat en question. Une personne en état d’arrestation pourrait vouloir recourir aux services d’un avocat réputé sans l’avoir jamais rencontré.
Exiger d’un accusé qu’il démontre l’existence d’un lien de confiance basé sur une relation préexistante constitue une erreur de droit.
[8] En l’espèce, dans l’évaluation du deuxième critère de l’arrêt Grant, soit l’incidence de l’atteinte sur les droits de l’appelante, le lien de confiance entre cette dernière, détenue par les policiers, et son avocat devait être pris en compte et non mis de côté. Ce critère ne peut être banalisé au point où l’atteinte n’a plus d’incidence, sous prétexte qu’un avocat de garde a pu être consulté. De fait, les policiers n’ont fait aucun effort pour favoriser l’exercice du droit à l’avocat de son choix. Ceci devait être tenu en compte et mis dans la balance. L’exercice de pondération, de nature qualitative, exige de mettre en balance tous les facteurs pris séparément puis dans leur ensemble, en considérant l’administration de la justice à long terme[3].
…
[62] Il est vrai que la juge ne fait pas état de la nature ou de l’intensité de la relation de confiance existant entre l’appelante et « l’avocat de la famille ». Jamais elle ne qualifie ni n’évalue le lien de confiance. Par contre, elle ne le remet pas en cause.
[63] Pour sa part, le juge d’appel procède lui à évaluer et commenter la preuve relative à ce lien de confiance. Ce faisant, le juge d’appel est allé beaucoup plus loin dans l’évaluation de la preuve que la juge d’instance ne l’a fait elle-même. Rien dans le jugement d’instance ne permet de remettre en cause le fait que l’appelante avait pleinement confiance en l’avocat de la famille. Au contraire, l’ensemble de son témoignage démontre que, même si le stress, comme elle l’affirme à deux reprises, l’empêche de se souvenir du nom de l’avocat, elle avait pleinement confiance en lui.
[64] Avec égards, le juge d’appel outrepasse son rôle en qualifiant de nouveau la preuve[28] et commet une erreur de droit en réinterprétant ainsi la preuve et en donnant son appréciation de la qualité de la relation de confiance, alors que la juge d’instance s’en était bien gardée. Les paragraphes 48 et 49 de son jugement démontrent cette erreur de droit.
[65] J’ajouterais aussi que le droit à l’avocat de son choix n’est pas subordonné au fait que la personne connaît bien ou même très bien l’avocat en question. Une personne en état d’arrestation pourrait vouloir recourir aux services d’un avocat réputé sans l’avoir jamais rencontré.
[66] Exiger d’un accusé qu’il démontre l’existence d’un lien de confiance basé sur une relation préexistante constitue une erreur de droit. Tout est affaire de circonstances et, dans cette matière, les demandes d’une personne en état d’arrestation et les réponses apportées par les policiers doivent être évaluées eu égard à l’ensemble de la preuve.
[67] Par ailleurs, le fait que l’appelante a continué de collaborer et n’ait pas insisté pour parler à l’avocat de la famille après l’appel à l’avocat de garde constitue un élément neutre. Il n’est pas réaliste de penser qu’une personne raisonnable, arrêtée pour une première fois et n’ayant aucune expérience avec les autorités policières, refusera de collaborer et remettra en cause la conduite des policiers[29]. D’ailleurs, le témoignage de l’appelante va dans ce sens.
24(2) de la Charte :
Lorsque les première et deuxième questions, considérées ensemble, militent fortement en faveur de l’exclusion, la troisième question fera rarement, sinon jamais, pencher la balance en faveur de l’utilisation des éléments de preuve.
À l’inverse, si les deux premières questions considérées ensemble étayent moins l’exclusion des éléments de preuve, la troisième question confirmera la plupart du temps que l’utilisation des éléments de preuve n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
[68] Par ailleurs, la gravité de la violation influence inévitablement l’évaluation de son incidence et sur ce point, je rejoins les propos du juge Cournoyer dans R. c. Lefebvre, sur le fait qu’il ne faut pas sous-estimer la valeur psychologique de l’accès à l’avocat de son choix, même en matière d’ivressomètre[30]. Ce deuxième facteur conduit donc à l’exclusion de la preuve, non pas de façon claire et sans équivoque, mais de façon mitigée seulement.
[69] Quoique l’intérêt de la société puisse militer en faveur de l’inclusion des certificats en matière d’ivressomètre parce qu’ils constituent une preuve fiable, cette question ne peut devenir une simple formalité. Dans R. c. Le[31], rendu après les jugements concernés ici et dont les juges de ce dossier n’ont pu bénéficier, la majorité indique que cette troisième question devient importante lorsque l’une des deux premières milite en faveur de l’exclusion :
[142] La troisième question, l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond, milite généralement en faveur de la solution contraire — soit en faveur de la conclusion selon laquelle l’utilisation des éléments de preuve n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice. Bien que cela soit particulièrement vrai lorsque les éléments de preuve sont fiables et essentiels à la preuve du ministère public (voir R. c. Harrison, 2009 CSC 34, [2009] 2 R.C.S. 494, par. 33‑34), il importe de souligner que la troisième question ne peut devenir une simple formalité lorsque l’ensemble de la preuve est réputée fiable et essentielle à la preuve du ministère public à cette étape. La troisième question devient particulièrement importante lorsque l’une des deux premières questions, mais pas les deux, milite en faveur de l’exclusion des éléments de preuve. Lorsque les première et deuxième questions, considérées ensemble, militent fortement en faveur de l’exclusion, la troisième question fera rarement, sinon jamais, pencher la balance en faveur de l’utilisation des éléments de preuve (Paterson, par. 56). À l’inverse, si les deux premières questions considérées ensemble étayent moins l’exclusion des éléments de preuve, la troisième question confirmera la plupart du temps que l’utilisation des éléments de preuve n’est pas susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
(Mes soulignements)
[70] Tenant compte des facteurs appropriés et des faits précis de la cause, les erreurs commises par la juge d’instance auraient dû conduire le juge d’appel à procéder à une nouvelle évaluation des critères. C’est l’enseignement que l’on doit tirer de l’arrêt R. c. Vu[32] :
[67] Bien que, en règle générale, le tribunal siégeant en révision doive faire montre de déférence envers la décision rendue par le juge de première instance en vertu du par. 24(2), j’estime ne pas pouvoir le faire en l’espèce. Dans R. c. Côté, 2011 CSC 46, [2011] 3 R.C.S. 215, notre Cour a statué à la majorité que, « [l]orsque le juge du procès a pris en compte les considérations applicables et n’a tiré aucune conclusion déraisonnable, sa décision justifie une grande déférence en appel » (par. 44). Toutefois, lorsque des facteurs pertinents ont été négligés ou que le juge du procès a commis une erreur, une nouvelle analyse fondée sur le par. 24(2) s’impose : Cole, par. 82. La décision de la juge de première instance écartant des éléments de preuve en l’espèce repose considérablement sur sa conclusion que la Dénonciation ne faisait état d’aucun fait justifiant la délivrance d’un mandat de perquisition en vue de chercher des documents confirmant l’identité des propriétaires ou occupants de la résidence. Pour les motifs que j’ai énoncés au sujet de la première question soulevée par le présent pourvoi, j’estime que cette conclusion était erronée. En conséquence, je dois effectuer ma propre analyse fondée sur le par. 24(2), en faisant miennes, bien sûr, toutes les conclusions de la juge de première instance qui ne sont pas viciées par une erreur.
(Mes soulignements)
[71] En considérant que l’atteinte est grave, sérieuse et délibérée parce que les policiers n’ont fait aucun effort pour faciliter l’exercice du droit à l’avocat de son choix, voire qu’ils ont empêché l’appelante de l’exercer, il faut conclure ici que l’intérêt de la justice à long terme milite en faveur de l’exclusion de la preuve. En effet, comme l’indique la majorité dans l’arrêt R. c. Le, la somme des deux premiers critères, considérés ensemble, fait pencher significativement la balance en faveur de l’exclusion, de sorte que le troisième critère n’est pas suffisant pour conclure à l’inverse[33].
[72] Pour ces motifs, je suggère d’accueillir l’appel, d’exclure de la preuve les certificats d’analyse du technicien et de prononcer un verdict d’acquittement.