* Voir notre billet sur un sujet connexe, soit la défense du tiers connu ou inconnu.
L’importance de différencier la défense d’alibi de celle du tiers impliqué
[1] Le juge du procès a erronément qualifié la défense des appelants de défense d’alibi. Un accusé qui désire présenter une défense d’alibi doit la communiquer en détail et sans délai à la poursuite, sans quoi sa crédibilité sera attaquée[1].
[2] Le mot « alibi », emprunté du latin, signifie « ailleurs »[2]. En droit criminel, l’alibi constitue « la réfutation par un défendeur d’être l’auteur de l’infraction puisqu’au moment où celle-ci est commise, il est ailleurs que sur les lieux de l’infraction.[3] » L’alibi consiste donc à nier l’actus reus. Ceci étant, l’alibi doit être déterminant au niveau de la culpabilité : s’il est cru, l’alibi rend impossible que l’accusé ait commis l’infraction[4]. Si l’alibi n’est pas déterminant, la défense constitue plutôt une défense de tiers impliqué[5] ou d’absence d’opportunité pour commettre l’infraction[6] et l’obligation de divulgation à la poursuite ne s’applique pas.
[3] Le cœur du raisonnement du juge de première instance se trouve aux paragraphes suivants[7] de son jugement:
[140] Dans la présente affaire, la défense présentée par les accusés remplit les critères de l’alibi parce que ceux-ci affirment avoir été ailleurs que sur les lieux de la plantation. Dès les premiers contacts avec les enquêteurs en novembre 2013, monsieur Gordyn a annoncé son alibi en informant l’enquêteur Richard qu’il avait sous-loué, donc qu’il n’était pas sur les lieux et possédait un bail à cet effet.
[141] Bien qu’invité à transmettre à l’enquêteur copie de ce bail, ce n’est que lors de son témoignage en août 2014 que monsieur Gordyn a produit ce bail, sur lequel nous reviendrons plus loin.
[142] En fait, même si monsieur Gordyn a annoncé très tôt qu’il n’était pas le responsable de cette plantation, on ne peut pas dire que par la suite, il a donné des détails suffisants pour permettre à la poursuite de vérifier cette thèse avancée par la défense qu’elle soit qualifiée d’alibi ou non.
[Soulignements ajoutés]
[4] Il existe une nette distinction entre la défense d’alibi et la défense présentée dans cette affaire. En effet, la prétention des appelants n’était pas qu’ils étaient « ailleurs » et donc dans l’impossibilité de commettre l’infraction. Au contraire, ils ont avancé une défense de tiers impliqué : tout en avouant leur présence ponctuelle sur les lieux, ils ont témoigné qu’une autre personne habitait et contrôlait les lieux[8].
[5] Force est de constater que la qualification erronée de la nature de la défense a eu un impact important sur le raisonnement du juge, surtout dans son évaluation des obligations des parties en ce qui concerne la communication de la preuve. Il critique M. Gordyn vivement pour « sa parcimonie à transmettre les informations pertinentes relativement à sa défense d’alibi, ce qui affecte grandement sa crédibilité », et ce, à plusieurs reprises[9].
[6] Pourtant, notre Cour et la Cour d’appel de l’Ontario ont déjà souligné l’importance de bien qualifier la nature de la défense, puisque cette obligation de prompte communication, comme déjà mentionné, ne s’applique pas à toute défense de dénégation. Une qualification erronée risque d’entraver le droit au silence de l’accusé[10] ou de renverser le fardeau de preuve[11]. C’est ce qui s’est produit en l’espèce.
[7] Le juge fait grand état de l’impact que les prétendus manquements de la défense ont eu sur son appréciation de la crédibilité de l’appelant Gordyn[12]. Tout son raisonnement part de la prémisse erronée qu’il appartenait aux appelants de démontrer qu’ils n’avaient pas participé à la possession et production du cannabis en vue de trafic, aux vols et aux recels dont ils étaient accusés. Or, le fardeau de prouver les éléments essentiels de l’infraction repose sur la poursuite et ne se déplace jamais sur les épaules des accusés. La prémisse erronée du juge du procès fausse son analyse.