*Voir aussi nos billets concernant le droit au silence notamment ici et ici.
Le silence d’un accusé avant le procès quant à un élément de sa défense ne permet pas de rejeter sa version, sauf en cas de défaut de dénoncer un alibi en temps utile.
[61] Au procès, l’appelant a affirmé souffrir d’un problème de « frein court » du pénis, ce qui lui impose certaines contraintes lors d’une relation sexuelle. Il a notamment précisé que la pénétration doit se faire lentement, d’une part, et que sa partenaire doit être lubrifiée, d’autre part. Il reproche au juge cette phrase : « [e]n ce qui concerne sa condition médicale problématique, si cela était si important, cela aurait dû être la première chose à mentionner aux policiers ». Selon lui, les propos du juge mineraient son droit au silence. Il cite à l’appui de son argument les arrêts R. c. Turcotte[12] et R. v. Rohde[13].
[62] Dans R. c. Chambers[14], la Cour suprême explique que l’exercice de son droit au silence par un accusé ne peut lui être préjudiciable. Il n’est donc généralement pas permis à un juge de reprocher à un accusé d’avoir exercé ce droit[15]. En conséquence, le silence d’un accusé avant le procès quant à un élément de sa défense ne permet pas de rejeter sa version, sauf en cas de défaut de dénoncer un alibi en temps utile[16]. Toute défense qui implique une dénégation ne constitue pas un alibi et n’entraîne pas l’obligation de la communiquer à l’avance[17]. De plus, « le fait d’avoir volontairement accepté de communiquer certains renseignements aux policiers ne constitue pas une renonciation au droit au silence »[18].
[63] Dans R. v. Adjei, la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté un argument semblable à celui plaidé par l’appelant. Elle a conclu que le droit au silence d’un accusé n’avait pas été violé parce que le juge n’avait pas rejeté le témoignage de ce dernier « principalement » en raison de son silence :
[58] I would reject this ground of appeal. Reading the reasons of the trial judge as a whole, I am simply not persuaded that the trial judge rejected the appellant’s testimony on the basis of the appellant’s pre-trial silence.
[59] The trial judge rejected the appellant’s testimony on two grounds:
- the myriad inconsistencies and falsehoods in the appellant’s testimony; and
- the cumulative force of the out-of-court statements of the three Crown witnesses whose statements were admitted for their truth under the principled exception to the hearsay rule.
[60] Both of these grounds for rejecting the appellant’s testimony were open to the trial judge. Neither reflects legal error. The structure of the trial judge’s reasons makes it plain that these grounds constituted the true basis for rejection of the appellant’s testimony. Nowhere in closing submissions was it suggested by anybody that the trial judge should draw an adverse inference against the appellant because of his pre-trial silence.[19]
[64] En l’espèce, le raisonnement tenu dans l’arrêt Adjei précité s’applique. La phrase citée par l’appelant peut certes laisser entrevoir une erreur. Cependant, la lecture des motifs du juge, dans leur totalité, permet de conclure que, ce qui l’a frappé, c’est que l’anomalie physique de l’appelant ne l’empêchait pas d’avoir des relations sexuelles et donc qu’elle ne pouvait pas soutenir l’idée qu’il était impossible que les agressions aient eu lieu. Les témoignages de Mélanie Tessier et Stéphanie Paquet attestent, en effet, que, malgré son problème de frein court, l’appelant avait des relations sexuelles. Les motifs du juge permettent de constater qu’il reconnaît l’existence de limitations causées par la condition médicale de l’appelant, mais qu’il retient néanmoins que ce dernier avait les facultés physiques nécessaires pour commettre les gestes reprochés.
[65] En conclusion, la phrase du jugement pointée par l’appelant est malhabile, mais elle n’a pas eu comme conséquence de violer son droit au silence, de fonder le verdict de culpabilité sur cet unique élément ni de porter un coup fatal à la crédibilité de l’appelant, qui était déjà suffisamment et largement minée.