Lacelle Belec c. R., 2019 QCCA 711
La valeur à accorder à un plaidoyer de culpabilité.
[42] Comme le rappelle avec justesse la Cour, « [d]e manière générale, deux facteurs expliquent la valeur atténuante qu’on accorde à un plaidoyer de culpabilité : (1) il est la manifestation des remords de l’accusé qui avoue sa participation à l’infraction et (2) il contribue à une saine administration de la justice » : R. c. Perron, 2015 QCCA 601 (CanLII) par. 10. On présume donc que le plaidoyer est motivé par des remords et on lui attribue un avantage, la simplification de l’administration de la justice.
[43] Évidemment, l’exercice d’un droit, comme la tenue d’un procès, ne peut jamais devenir un facteur aggravant, il est neutre : R. c. Barrett, 2013 QCCA 1351 (CanLII), par. 21; R. c. Gavin, 2009 QCCA 1 (CanLII). Si l’évaluation n’est pas mathématique, on peut concevoir que la valeur du plaidoyer diminue avec l’importance des ressources requises pour terminer l’affaire : R. c. Barrett, 2013 QCCA 1351, par. 18, 21; H.K. c. R., 2015 QCCA 64 (CanLII), par. 46; R. c. Wright, 2013 ABCA 428 (CanLII), par. 12.
[44] Les tribunaux ont inféré l’absence de remords lorsque le plaidoyer survient en présence d’une preuve accablante ou simplement à la dernière minute : R. c. Lacasse, 2015 CSC 64 (CanLII), [2015] 3 R.C.S. 1089, par. 81; R. c. Paquette, 2018 QCCA 126 (CanLII), par. 17; Charrette c. R., 2016 QCCA 1047 (CanLII), par. 24; R. c. Bergeron, 2016 QCCA 339 (CanLII), par. 37; Lemaire c. R., 2016 QCCA 665 (CanLII), par. 6; G.B. c. R., 2013 QCCA 276 (CanLII), par. 10-15; Y.M. c. R., 2016 QCCA 555 (CanLII), par. 20-34.
[45] Quoi qu’il en soit, le plaidoyer conserve toujours une valeur atténuante, même diminuée : R. c. Barrett, 2013 QCCA 1351 (CanLII), par. 21.
[46] Il faut bien réaliser que rarement un plaidoyer de culpabilité survient le jour de la comparution. Il y a donc presque toujours un délai inhérent. L’avocat de l’accusé a l’obligation professionnelle d’obtenir les éléments d’information au dossier avant de conseiller son client. Il faut parfois confirmer certains faits avant de prendre une décision. L’accusé doit parfois accepter l’idée d’avoir causé un tort; ce cheminement psychologique varie selon les individus. Les conséquences de la conduite amènent parfois une réaction de déni chez un accusé. Ainsi, le délai n’est pas toujours en lien avec le remords sincère qui n’a pas à être spontané et qui peut survenir au bout d’un délai. Tout est question de circonstances qu’il faut examiner : R. c. Barrett, 2013 QCCA 1351 (CanLII), par. 21; Y.M. c. R., 2016 QCCA 555 (CanLII), par. 20-34.
[47] En somme, les circonstances entourant le plaidoyer permettent parfois d’atténuer le poids des remords qu’il est censé traduire. Le délinquant aura avantage à les expliquer, notamment le délai, car cela peut affecter le poids à lui accorder. Il appartient au juge de déterminer s’il retient l’explication; l’ignorer peut mener à une erreur de principe.
L’objet du procès criminel demeure le débat contradictoire centré sur la culpabilité d’un accusé, où la victime tient le rôle de témoin. Au fil des ans, tous les acteurs du système judiciaire ont pris des mesures, et doivent poursuivre leurs efforts, afin de rendre ce rôle le moins difficile possible.
*** Voir aussi ce discours très intéressant de Monsieur Jacques Degrandi, premier président de la Cour d’appel de Paris, sur la place de la victime dans le procès pénal : https://www.cours-appel.justice.fr/sites/default/files/2018-06/Audience_solen_2013_PP_discours.pdf
[48] Devant les faits tragiques de la victimisation, dans la plupart des cas, peu de mots suffisent pour comprendre l’ampleur de la souffrance des victimes de crimes. Un sentiment d’injustice envahit toute personne le moindrement empathique.
[49] La criminalité sème la souffrance. La victime, sa famille, la famille du délinquant, les témoins et le délinquant lui-même dans bien des cas. Plus particulièrement, tous comprennent la douleur des victimes et de leurs proches. J’insiste pour dire que mes propos ne cherchent aucunement à minimiser la tragédie qu’ont vécue la victime et son père.
[50] Cependant, l’objet du procès criminel demeure le débat contradictoire centré sur la culpabilité d’un accusé, où la victime tient le rôle de témoin. Au fil des ans, tous les acteurs du système judiciaire ont pris des mesures, et doivent poursuivre leurs efforts, afin de rendre ce rôle le moins difficile possible.
[51] Au stade de la détermination de la peine, le rôle de la victime est plus important. Le législateur lui a fait davantage de place dans le processus. Cette participation est balisée et la procédure n’est pas tripartite : R. c. Bremmer, 2000 BCCA 345 (CanLII), par. 23-24.
La victime désigne toute personne qui a subi des dommages matériels, corporels ou moraux ou des pertes économiques par suite de la perpétration d’une infraction contre toute autre personne.
[52] Le par. 722(1) C.cr. prévoit la déclaration de la victime. Au sens de cet article, depuis 2015, la victime désigne toute personne qui a subi des dommages matériels, corporels ou moraux ou des pertes économiques par suite de la perpétration d’une infraction contre toute autre personne / a person who has suffered physical or emotional harm, property damage or economic loss as the result of the commission of an offence against any other person : art. 2 C.cr.
[53] Cela dit, la déclaration de la victime est un document « rédig[é] en conformité avec le présent article et dépos[é] auprès du tribunal, décrivant les dommages — matériels, corporels ou moraux — ou les pertes économiques qui ont été causés à la victime par suite de la perpétration de l’infraction ainsi que les répercussions que l’infraction a eues sur elle / prepared in accordance with this section and filed with the court describing the physical or emotional harm, property damage or economic loss suffered by the victim as the result of the commission of the offence and the impact of the offence on the victim. » : voir par. 722(1) C.cr.
[54] Le par. 722(4) précise qu’elle « est rédigée selon la formule 34.2 de la partie XXVIII et en conformité avec les règles prévues par le programme désigné par le lieutenant-gouverneur en conseil de la province où siège le tribunal / prepared in writing, using Form 34.2 in Part XXVIII, in accordance with the procedures established by a program designated for that purpose by the lieutenant governor in council of the province in which the court is exercising its jurisdiction ».
Pour être admissible, le contenu de la déclaration de la victime doit être conforme à ce qui est autorisé et le procureur de la poursuite doit s’assurer que tel est le cas.
[55] Pour être admissible, le contenu de la déclaration de la victime doit être conforme à ce qui est autorisé et le procureur de la poursuite doit s’assurer que tel est le cas : art. 722(4) C.cr.; R. c. Jackson (2002), 2002 CanLII 41524 (ON CA), 163 C.C.C. (3d) 451, par. 49-50, 54-55 (C.A.O.); R. c. Berner, 2013 BCCA 188 (CanLII).
[56] Le formulaire de la déclaration de la victime (SJ-753B) est mis à la disposition des victimes sur le site Internet du ministère de la Justice[1].
[57] Le formulaire précise ce que ne peut pas comporter la déclaration :
La déclaration ne peut comporter : / Your statement must not include:
• de propos concernant l’infraction, le délinquant ou la conduite de l’accusé qui ne sont pas pertinents au regard des dommages ou pertes que vous avez subis;
any statement about the offence, the offender or the conduct of the accused that is not relevant to the harm or loss you suffered;
• d’allégations non fondées; / any unproven allegations;
• de commentaires sur des infractions pour lesquelles le délinquant n’a pas été condamné ou sur toute conduite pour laquelle l’accusé n’a pas fait l’objet d’un verdict de non-responsabilité;
any comments about any offence for which the offender was not convicted or any conduct for which the accused was not found not criminally responsible;
• de plaintes au sujet d’un particulier, autre que le délinquant ou l’accusé, qui était associé à l’enquête ou à la poursuite de l’infraction; ou
any complaint about any individual, other than the offender or the accused, who was involved in the investigation or prosecution of the offence; or
• sauf avec la permission du tribunal ou de la commission d’examen, de points de vue ou de recommandations au sujet de la peine ou de la décision.
except with the court’s approval, an opinion or recommendation about the sentence or the disposition.
The sentencing judge must be wary of the risk of valuing victims, based on the strength of feelings expressed in the victim impact statement.
[58] J’adopte entièrement les propos de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt R. c. Berner, 2013 BCCA 188 (CanLII), aux paragraphes 16 et 17. On y souligne l’importance de la déclaration de la victime, mais du même souffle, on y rappelle que la détermination de la peine n’est pas uniquement l’affaire de l’accusé et de la victime. On y précise que la déclaration de la victime ne doit pas comporter de critiques envers l’accusé, reprendre les faits reliés à la perpétration de l’infraction ou suggérer une peine, sauf exception : voir aussi R. c. Guerrero Silva 2015 QCCA 1334 (CanLII), par. 26; R. c. Cook, 2009 QCCA 2423 (CanLII), par. 65; R. v. Penny, 2010 NBCA 49 (CanLII), par. 32; R. v. Tkachuk, 2001 ABCA 243 (CanLII), par. 25.
[59] Dans l’affaire Berner, une enfant est décédée dans un accident de la route causé par l’accusée qui conduisait à haute vitesse et en état d’ébriété. Le père de la victime a déposé la photographie et une vidéo de l’enfant chantant des cantiques de Noël. Le juge de la peine avait alors justifié l’admissibilité de cette preuve pour bien comprendre l’impact du crime sur la famille. La Cour d’appel rappelle que si la photographie peut être autorisée en vertu du par. 722(3) C.cr., la vidéo allait trop loin : R. c. Berner, 2013 BCCA 188 (CanLII), par. 20; voir également les commentaires de la Cour dans l’arrêt Silbande c. R., 2014 QCCA 1952 (CanLII), par. 18.
[60] Selon la Cour dans l’arrêt Berner, cette preuve ne devait pas être entendue parce qu’elle accapare l’attention, augmente les expectatives de la victime face à la peine et place le juge dans une situation difficile alors qu’il doit certes prendre en compte l’opinion de la victime, mais sans s’y limiter; il doit demeurer impartial. Ces remarques, fondées dans cette affaire sur une preuve vidéo, valent pour tout type de preuve. Le danger ne réside pas dans sa nature, mais dans la charge émotive que cette preuve transporte dans les salles d’audience.
[61] La Cour écrit :
[24] Counsel for both the appellant and the Crown acknowledged on this appeal that the day in provincial court was already a sombre and difficult one. Watching the presentation that accompanied the father’s victim impact statement would have been a profoundly emotional experience for all who saw it. But it is the heightening of those emotions, in a courtroom, which carries the risk of unjust consequences. One of the harms which could result from permitting victims to pay tribute to their loved ones in the public forum of the courtroom is that their expectations may be raised and their belief that the tribute will influence the length of a sentence may be encouraged.
[25] There are other dangers. While a sentencing judge must try to understand a victim’s experience, he or she must do more than that. He or she must craft a fit sentence by taking into consideration all relevant legal principles, and the circumstances of the offence and the offender. In emotionally charged cases such as this, a sentencing judge must keep in mind his or her position of impartial decision maker. The sentencing judge must be wary of the risk of valuing victims, based on the strength of feelings expressed in the victim impact statement. In our view, this risk was intensified by the video material and ten photographs placed before the sentencing judge in this case. The personal characteristics of the victim should play no part in crafting a fit sentence, however tragic the circumstances. It is in the public interest to deter and denounce all unlawful deaths.
R. c. Berner, 2013 BCCA 188 (CanLII), par. 24-25.
[62] Enfin, le dépôt d’une déclaration de la victime n’est ni un préalable ni un empêchement à entendre toute preuve pertinente qui concerne la victime : art. 722(9) C.cr. Cette disposition ne doit pas être interprétée de manière à permettre une preuve qui n’est pas autorisée par les autres dispositions. Le soin pris par le législateur afin de limiter la portée de cette déclaration illustre le caractère délicat de l’exercice et le souhait de ne pas créer un débat submergé par l’émotion.