La Cour d’appel du Québec dans R. c. Henrico, 2013 QCCA 1431 – tout comme l’avait fait celle de l’Ontario dans Summers – affirme que le crédit de détention ayant pour ratio 1.5:1 n’est pas exceptionnel.
Voici les passages pertinents :
[37] L’affaire soulève donc les deux questions suivantes :
Première question : aux termes de l’article 719(3.1) C.cr., de quelles circonstances le juge peut-il tenir compte?
Deuxième question : la juge a-t-elle commis des erreurs manifestes et déterminantes dans son analyse de la preuve et des inférences à en tirer?
[…]
[43] À mon avis, il faut donner à l’expression « si les circonstances le justifient » une portée large et libérale qui permet la prise en compte à la fois des conditions objectives de détention offertes durant la période de détention préalable au prononcé de la peine et des conditions personnelles au détenu qui lessubit.
[…]
[55] Ainsi, et bien que le juge puisse toujours prendre en compte le temps passé sous garde, l’exercice de sa discrétion est dorénavant assujetti, depuis l’entrée en vigueur de la Loi, à de nouvelles balises fixées par le législateur : (1) règle générale, s’il est d’avis qu’il lui faut tenir compte du temps passé en détention préalable au prononcé de la peine, le juge applique un crédit alloué sur la base d’un jour pour chaque jour passé sous garde[21]; (2) s’il est en présence de circonstances qui le justifient, et sauf dans les deux cas d’exception énoncés à l’article 719(3.1) C.cr., le juge peut augmenter le ratio du crédit accordé, mais jamais au‑delà du maximum fixé à un jour et demi par jour passé sous garde[22]; (3) il n’y a plus d’automatisme[23]; et (4) la transparence s’impose notamment au sujet des raisons pour lesquelles un crédit est accordé[24].
[…]
[59] Dans Summers, la juge Cronk de la Cour d’appel de l’Ontario traite également de la question et ses propos sont plus tard endossés par le juge Bielby de la Cour d’appel de l’Alberta dans Johnson[27]. La juge Cronk écrit, au paragraphe 66 de ses motifs :
66 I note, first, the obvious but important point that s. 719(3.1) is silent as to the situations that will justify enhanced credit for pre-sentence custody. As others have observed, the word “circumstances” in s. 719(3.1) is not qualified by any modifying or limiting language. Nor is it defined under the Act. As indicated by Chief Judge Cozens in R. v. Vittrekwa, 2011 YKTC 64 (CanLII), 2011 YKTC 64, 275 C.C.C. (3d) 193, at para. 46, none of the words “exceptional”, “unusual” or “special” (nor, I would add, any of the words “compelling”, “extraordinary”, or “rare”) is used in s. 719(3.1) to constrain or limit the circumstances that may justify enhanced credit.[28]
[…]
[70] Puisque la Loi n’a pas tout changé en matière de crédit pour la détention préalable au prononcé de la peine, la jurisprudence antérieure à sa mise en vigueur, qui n’entre pas en conflit avec les nouvelles balises qu’elle comporte, demeure pertinente et les principes qu’elle énonce applicables.
[71] De l’arrêt Wust[36] de la Cour suprême, je retiens les principes suivants que j’estime pertinents et qui sont applicables en l’espèce malgré les modifications apportées par la Loi :
• par l’application du paragraphe 719(3) C.cr., la détention préalable au prononcé de la peine est réputée faire partie de la peine après la déclaration de culpabilité et, en ce sens, elle constitue une peine infligée aux intimés après leur déclaration de culpabilité;
• les dispositions législatives qui portent, directement ou indirectement, sur la peine (comme les articles 719(3) et (3.1) C.cr.) s’interprètent d’une manière compatible avec les principes généraux de la détermination de la peine;
• l’analyse du crédit pour détention préalable au prononcé de la peine et des circonstances à prendre en compte doit donc se faire en considérant les objectifs et principes établis en matière de détermination de la peine, conformément à la partie XXIII du Code criminel;
• le caractère généralement pénible de la détention préalable au prononcé de la peine est connu et reconnu;
• le pouvoir dont dispose le juge de première instance est un pouvoir discrétionnaire qu’il exerce en poursuivant l’objectif d’infliger une « peine juste et appropriée, qui prend en compte la situation du délinquant et les circonstances particulières de la perpétration de l’infraction »;
• sauf erreur de principe ou conclusions manifestement erronées et déterminantes du juge de première instance, il est préférable de laisser à ce « juge qui détermine la peine le soin de calculer cette période, car c’est encore lui qui est le mieux placé pour apprécier soigneusement tous les facteurs permettant d’arrêter la peine appropriée, y compris l’opportunité d’accorder une réduction pour la période de détention présentencielle. »
[72] Le principe voulant que le crédit pour la détention préalable au prononcé de la peine soit déterminé au cas par cas n’a pas changé, bien au contraire. Les paragraphes 719(3.1), (3.2) et (3.3) C.cr. l’illustrent éloquemment.
[…]
[74] Dans l’affaire Kravchov, le juge Kenkel de la Cour de justice de l’Ontario cite plusieurs facteurs qui ont porté des juges à accorder un crédit augmenté pour la détention préalable au prononcé de la peine. À mon avis, et sauf dans la mesure où les nouvelles balises de la Loi y font échec spécifiquement, ces facteurs demeurent pertinents.
12 In determining whether it is appropriate to give enhanced credit for pre-trial custody, courts have looked at a wide range of factors, mostly related to the circumstances of detention and the effects of that detention on the particular accused. Those factors include:
– the effect of pre-trial custody on a particular prisoner due to age, infirmity, mental illness R. v. Gray, [1995] O.J. No. 236 (Ont. Gen. Div.), linguistic or cultural isolation R. v. Perrambalam, [2001] O.J. No. 3520 (Ont. S.C.J.) R. v. Rajakulasingham, [1994] O.J. No. 2357 (Ont. Gen. Div.);
– incarceration at a facility that houses primarily men where that has resulted in isolation of a female prisoner R. v. Bennett, [1993] O.J. No. 892 (Ont. C.J.);
– lengthy pre-trial custody R. v. Smith, [1995] O.J. No. 214 (Ont. Gen. Div.);
– significant pre-trial custody where the accused has never been incarcerated before R. v. Bell, [1995] O.J. No. 4533 (Ont. Gen. Div.), R. v. Bennett, [1993] O.J. No. 892 (Ont. C.J.);
– the availability of rehabilitative or education programs at the detention centre R. v. Jabbour, [2001] O.J. No. 3820 (Ont. S.C.J.);
– whether a jail is “overcrowded” and engaging in practices such as “triple bunking” R. v. Jabbour, [2001] O.J. No. 3820 (Ont. S.C.J.), R. v. Robinson, [2001] O.J. No. 5235 (Ont. C.J.);
– the frequency of “lockdowns” and other measures denying the prisoner exercise and access to areas outside his or her cell R. v. Jabbour, [2001] O.J. No. 3820 (Ont. S.C.J.);
– waiver of a preliminary hearing along with conditions of detention R. v. Whittaker, [2001] A.J. No. 1356 (Alta. Q.B.);
– the prevalence of disease and any other conditions which endanger the health of the prisoner R. v. Poirier, [2001] O.J. No. 2320 (Ont. C.J.);
– custody during a public service strike where that labour disruption affected the care of the prisoners and prevented their transportation to court R. v. W.C.D., [2002] O.J. No. 1623 (Ont. S.C.J.);
– any unusual delays in the progress of the case attributable to the Crown. [37]
[75] L’appelante allègue que la juge de première instance commet une erreur de principe en se basant sur des facteurs non pertinents pour déterminer si les circonstances justifient un crédit de 1,5:1, des facteurs subjectifs personnels aux intimés. Elle plaide que ces facteurs ne sauraient faire partie de l’analyse des circonstances de l’article 719(3.1) C.cr. Le texte de loi ne soutient pas cette prétention de l’appelante. Comme on le voit des exemples précédemment cités, tirés de la jurisprudence antérieure à l’entrée en vigueur de la Loi, les tribunaux ont de tout temps admis plusieurs facteurs subjectifs, personnels au détenu concerné, dans l’évaluation du crédit à accorder pour la détention préalable au prononcé de la peine. L’expression « si les circonstances le justifient » utilisée à l’article 719(3.1) C.cr. laisse toujours place à cette latitude.
[76] L’exercice de discrétion auquel doit se livrer le juge de première instance, aux termes de l’article 719(3.1) C.cr. (déterminer si les circonstances justifient un ratio 1,5:1) est affaire de « cas par cas » (du sur‑mesure, plutôt que du prêt‑à‑porter).
[77] Dans le contexte de l’objectif ultime poursuivi « to arrive at a fit and proper sentence » (paragraphe 15 de Carvery), ce sont les circonstances spécifiques à l’accusé concerné, et toutes ces circonstances, qui sont pertinentes.
[78] Je fais donc miens les propos suivants de la juge Cronk de la Cour d’appel de l’Ontario dans Summers :
32 […] Apart from this statutory provision and cognizant of the inability to antedate a sentence, the courts had also long recognized that fairness compelled consideration on sentencing of time spent in pre-sentence custody. See for example, R. v. Sloan (1947), 87 C.C.C. 198 (Ont. C.A.), at para. 7.
[…]
35 The jurisprudence of the Supreme Court emphasizes that sentencing is an intrinsically and profoundly subjective process. It is also highly case-centric and individualized: R. v. Shropshire, 1995 CanLII 47 (SCC), [1995] 4 S.C.R. 227, at para. 46; R. v. Proulx, 2000 SCC 5 (CanLII), 2000 SCC 5, [2000] 1 S.C.R. 61, at para. 82; R. v. Nasogaluak, 2010 SCC 6 (CanLII), 2010 SCC 6, [2010] 1 S.C.R. 206, at para. 43; R. v. Jacko, 2010 ONCA 452 (CanLII), 2010 ONCA 452, 256 C.C.C. (3d) 113, at paras. 48 and 52. In R. v. Wust, 2000 SCC 18 (CanLII), 2000 SCC 18, [2000] 1 S.C.R. 455, at para. 44, the Supreme Court put it this way: “[T]he goal of sentencing is to impose a just and fit sentence, responsive to the facts of the individual offender and the particular circumstances of the commission of the offence.” More recently, in R. v. Ipeelee, 2012 SCC 13 (CanLII), 2012 SCC 13, [2012] 1 S.C.R. 433, LeBel J. stated, at para. 38:
The determination of a fit sentence is, subject to any specific statutory rules that have survived Charter scrutiny, a highly individualized process. Sentencing judges must have sufficient manoeuvrability to tailor sentences to the circumstances of the particular offence and the particular offender. Appellate courts have recognized the scope of this discretion and granted considerable deference to a judge’s choice of sentence.
[…]
95 The Act is concerned with one aspect of the sentencing process — credit for pre-sentence custody. But the provisions of the Act form part of an overall statutory scheme for sentencing and punishment, set out in the Code. The construction of ss. 719(3) and (3.1), therefore, must be undertaken in the context of, and in a manner that is harmonious, coherent and consistent with, that overall statutory scheme.
[…]
108 My seventh, and final, reason for rejecting the narrow interpretation of “circumstances” contended for by the Crown is a general, but compelling one. The fundamental task of a sentencing judge is to fashion a fit sentence, tailored to the circumstances of the particular offence and the particular offender. The task of appellate courts on appeals against sentence, unless the sentence is one fixed by law, is to consider the fitness of the sentence appealed against and either vary the sentence within the limits prescribed by law for the offence of which the accused was convicted, or dismiss the appeal: s. 687(1) of the Code.
109 Thus, during both the sentencing phase of a trial and on appeal against sentence, the focus of the adjudicative inquiry is on the fitness of a sentence in the context of the facts of a specific case. On that essential inquiry, all relevant factors are in play, at all levels of courts, concerning the offence, the offender and the governing principles of sentencing. Once again, if Parliament had intended to circumscribe the long-established roles of sentencing and appellate judges by limiting the circumstances that may bear on the crediting of pre-sentence custody in the manner urged by the Crown, it may fairly be said that this intention would be clearly expressed in affirmative language. Nothing in s. 719(3.1) of the Code reflects this intention.
[…]
119 I conclude where I began. In my view, properly construed, s. 719(3.1) of the Code permits a sentencing judge to credit pre-sentence custody up to a maximum of 1.5:1 for each day spent in pre-sentence custody where, on consideration of all relevant circumstances, such credit is necessary to achieve a fair and just sanction in accordance with the statutory scheme for sentencing and punishment set out in the Code. On a proper record, the relevant circumstances that may justify this enhanced credit include ineligibility for remission and parole while in remand custody. (Je souligne et j’ajoute le caractère gras)
[79] La décision du juge d’accorder un crédit augmenté doit donc reposer sur une preuve ou sur de l’information communiquée. À ce propos, je fais également miennes certaines remarques de mes collègues les juges Steel et Cronk (je ne pourrais dire mieux) :
Extraits de Stonefish
92 Thus, there are cases where the evidence was presented through viva voce testimony by the accused and prison officials, through affidavits or agreed statements of fact, or simply presented as part of counsel’s submissions (see, for example, Johnson; Desjarlais at para. 21; and R. v. Zhu, 2011 ONCJ 163 (CanLII), 2011 ONCJ 163 (QL)). In R. v. Edwards, 2012 ONCJ 519 (CanLII), 2012 ONCJ 519 (QL), counsel filed letters from prison officials stating how many days the facility had been in lockdown during the offender’s PSC.
93 While the accused must provide some reason for the court to award enhanced credit, the nature of the evidence required should not overly complicate the sentencing process and exacerbate the problems currently facing the prison system. It is not realistic to always require prison officials to attend sentencing hearings in order to provide viva voce evidence of prison conditions or the conduct of the accused while on remand. Instead the emphasis should be on credible and relevant information. Such information could be placed before the court by way of an agreed statement rather than as evidence per se. See, for example, Vittrekwa at para. 70; R. v. I.T.W., 2012 BCPC 305 (CanLII), 2012 BCPC 305 (QL) at para. 67.
94 The bottom line is, as Green J. noted in Johnson (at para. 189):
…. Further, and here adapting the words of Cole J. in R. v. Duff, 2010 ONCJ 493 (CanLII), [2010 ONCJ 493 (QL)], before acting on such claim [of arduous or oppressive remand conditions] “a sentencing judge should have some evidence that the … [remand] conditions … have been particularly onerous”. This may not prove an arduous evidentiary burden, but it is one that need be met where the exercise of judicial discretion replaces the application of settled formulae.[38]
Extraits de Summers
121 Recently, in R. v. Joseph, 2012 BCCA 359 (CanLII), 2012 BCCA 359, 326 B.C.A.C. 312, the British Columbia Court of Appeal considered the nature of the evidence required from an accused who seeks to establish that the circumstances justify enhanced credit for time spent in pre-sentence custody. Justice Harris concluded, at para. 31:
The [Act] does not explicitly amend the traditional sentencing procedure. There is nothing in s. 719 that amends the procedure by implication. There is no reason in principle to depart from the general rules applicable to all sentencing hearings when a court is asked to decide whether the circumstances justify granting enhanced credit.
122 I agree. The same general principles that govern the admission of evidence and the provision of information to the court for the purpose of sentencing also apply to determining the amount of credit, if any, to be granted for pre-sentence custody under ss. 719(3) and (3.1). See Joseph, at paras. 32‑33.
123 Thus, the provision of information relevant to a claim for enhanced credit need not be an onerous task. While formal evidence of an accused’s likely prospects for remission or parole eligibility may be lead at a sentencing hearing, information bearing on these issues (e.g. information regarding an accused’s conduct during detention; an accused’s co-operation with authorities and adherence to prison rules; or an accused’s efforts to advance to trial) may also be furnished to a sentencing judge through counsels’ sentencing submissions, by agreement between the prosecutor and the defence, or otherwise as contemplated under ss. 720-727 of the Code.[39]
[…]
[85] Depuis l’entrée en vigueur de la Loi, la jurisprudence portant sur l’expression « si les circonstances le justifient » de l’article 719(3.1) C.cr. s’est développée autour de deux axes : le premier composé de cas où les juges prennent appui sur les conditions de détention et sur divers autres éléments y afférents (c’est l’approche dite qualitative) alors que le second regroupe ceux où les juges prennent en compte l’impact de la détention préalable au prononcé de la peine sur la libération conditionnelle de l’accusé (c’est l’approche dite quantitative).
[86] Au sujet de l’approche qualitative (celle qui nous intéresse au présent dossier), dans l’affaire Gosselin, le juge Lavergne de la Cour du Québec rapporte les exemples suivants :
[49] Ainsi le délai écoulé entre le plaidoyer de culpabilité et la détermination de la peine [R. c. Abubeker, 2011 ONCJ 337], l’indisponibilité du tribunal pour raison de maladie [R. c. Payne, 2011 CanLII 4400 (NL PC), 2011 CanLII 4400 (NLPC)], l’éloignement de la famille du détenu [R. c. Campbell, 2010 ONSC 6973 (CanLII), 2010 ONSC 6973; voir aussi R. c. Guo, 2011 QCCQ 10469 (CanLII), 2011 QCCQ 10469], l’impossibilité financière du détenu de verser la caution exigée et les conditions difficiles représentent [R. c. J.B., 2011 BCPC 158 (CanLII), 2011 BCPC 158] autant de circonstances dont les tribunaux ont tenu compte pour accorder un crédit d’un jour et demi.[40]
[87] Ces décisions citées par le juge Lavergne sont rendues en fonction de la Loi, mais comme on peut le constater, les facteurs pris en compte pour justifier un ratio de 1,5:1 ne sont pas nouveaux et demeurent similaires à ceux qui, traditionnellement, avaient mené les tribunaux à octroyer un crédit de 2:1, telle la rigueur habituelle des conditions de détention préalable au prononcé de la peine[41].
[88] Cela dit, et bien que plusieurs juges aient octroyé un crédit de 1,5:1 en raison des conditions difficiles de la détention préalable au prononcé de la peine[42], d’autres ont refusé de le faire, notamment lorsque les conditions de détentions ne sortaient pas de l’ordinaire, à leur avis, ou lorsque la preuve n’était constituée que de simples allégations[43].
À noter que Plusieurs cours d’appel du pays ont déjà eu l’occasion d’examiner les modifications apportées par la Loi, sous un angle ou un autre. À ce jour, la Cour suprême du Canada ne s’est pas prononcée, mais elle a accordé une permission d’appeler dans l’affaire Carvery.