R. c. Archambault, 2024 CSC 3

Application temporelle du nouvel art. 535 du Code criminel

Les juges Kasirer et Jamal :

Puisque le droit à une enquête préliminaire n’est pas purement procédural, le nouvel art. 535 n’est pas d’application immédiate. Si une demande d’enquête préliminaire a été faite avant le 19 septembre 2019, le droit à la tenue de celle‑ci est acquis. Toutefois, il ne s’agit pas de la seule situation dans laquelle le droit de demander une enquête préliminaire est acquis; ce droit est également acquis chaque fois qu’un tribunal accepte de réserver le droit de l’accusé de choisir son mode de procès.

Les juges Côté et Rowe :

La modification apportée à l’art. 535 est de nature procédurale, mais affecte un droit substantiel, à savoir celui de l’accusé d’être libéré de toute accusation si la preuve présentée durant l’enquête préliminaire n’est pas suffisante pour qu’un procès soit tenu à l’égard de cette accusation. En conséquence, la présomption voulant que le Parlement ait voulu respecter les droits ou avantages acquis en matière d’enquête préliminaire s’applique. Le droit à une enquête préliminaire est acquis au moment du dépôt des accusations. L’ancien art. 535 devrait donc continuer de s’appliquer aux personnes inculpées avant le 19 septembre 2019.

Interprétation du nouvel art. 535 du Code criminel

Le juge en chef Wagner et les juges Karakatsanis, Martin, O’Bonsawin et Moreau :

La nouvelle règle prévue à l’art. 535 exige que le prévenu soit effectivement passible d’un emprisonnement de 14 ans ou plus à l’égard de l’infraction pour qu’une enquête préliminaire soit possible.

La pratique consistant à réserver l’exercice du choix relatif au mode de procès.

Les juges Côté et Rowe :

Vu de l’importance de ce choix de l’accusé, nous éviterions de conclure que la pratique consistant à réserver l’exercice de ce choix constitue un mécanisme dilatoire. Il est également permis de penser que la prise de décisions éclairées permet de réduire les délais comparativement à la prise de décisions prématurées qui seraient susceptibles d’engendrer davantage de coûts.

[54] La Cour d’appel du Québec a eu raison de noter que les accusés réservent régulièrement leur choix du mode de procès lors de la première comparution afin d’éviter de prendre une décision prématurée quant à l’exercice de leur droit à une enquête préliminaire (par. 40‑43). Cette pratique illustre de manière concrète le fait que le droit à l’enquête préliminaire se cristallise dès le dépôt des accusations criminelles. Ainsi que le suggère notre collègue le juge Kasirer, si le prévenu peut en pratique réserver l’exercice de son droit, c’est donc que sa situation juridique est (1) individualisée, concrète, singulière et (2) suffisamment constituée, c’est‑à‑dire non incertaine et non tributaire d’événements futurs. Or, comme nous l’expliquons, ces conditions sont déjà rencontrées au moment du dépôt des accusations criminelles. Tant et aussi longtemps que le prévenu n’a pas renoncé à son droit à l’enquête préliminaire en optant pour un procès devant la cour provinciale ou que la Couronne n’a pas fait échec à ce droit en choisissant un mode de poursuite incompatible ou encore en procédant par voie d’acte d’accusation direct, le droit du prévenu à l’enquête préliminaire demeure.

[273] Comme je l’ai déjà souligné, la « réserve » équivaut au fait de remettre le choix du prévenu à plus tard. Elle ne signifie pas que le prévenu a choisi un mode de procès ou a fait connaître son intention de demander la tenue d’une enquête préliminaire. Il n’y a aucun fondement factuel permettant à notre Cour de conclure que le fait pour les intimés de réserver ou de différer leur choix indiquait qu’ils voulaient effectivement avoir une enquête préliminaire. Dans le cas de M. Grenier, par exemple, la Cour du Québec a simplement noté sur l’acte d’accusation qu’à sa première comparution, il avait « reporté son choix à plus tard » (d.a., vol. I, p. 7‑8). La « réserve » ou le report d’un choix n’équivaut pas à une demande effective d’enquête préliminaire pour l’application de l’art. 535 C. cr.