Il existe un raisonnement fondé sur un stéréotype lorsqu’un juge ne fonde pas son appréciation de la crédibilité sur la preuve, mais plutôt sur des généralisations ou des hypothèses logiques sur la manière dont une personne « type » ou « idéalisée » se comporterait.
[24] Pour les motifs qui suivent, la Cour retient le premier moyen de l’appelant. Contrairement à la conclusion du juge de la Cour supérieure, l’analyse de la juge du procès n’était pas faussée par des mythes et stéréotypes.
[25] Comme l’appelant l’explique, il existe un raisonnement fondé sur un stéréotype lorsqu’un juge ne fonde pas son appréciation de la crédibilité sur la preuve, mais plutôt sur des généralisations ou des hypothèses logiques sur la manière dont une personne « type » ou « idéalisée » se comporterait. Ce n’est pas ce qu’a fait la juge du procès en l’espèce.
[26] La juge du procès a commencé par examiner le témoignage de la plaignante quant à sa crainte de l’appelant et la réaction engendrée par cette crainte. Au paragraphe 42 du jugement de première instance, elle écrit :
[traduction]
[42] En témoignage, la plaignante a déclaré qu’elle avait peur de l’accusé, que sa présence aux réunions du conseil municipal la perturbait au point qu’elle allait dans l’antichambre pour éviter de le voir et qu’elle regardait par-dessus son épaule en raison du comportement de celui-ci.
[27] La juge du procès a ensuite comparé ce témoignage avec les actions de la plaignante le 18 mars 2018, telles que filmées, et a relevé de nombreuses contradictions, qu’elle a énumérées au paragraphe 43 du jugement de première instance :
[traduction]
[43] Toutefois, ses actions, comme le montre la pièce D-2, témoignent du contraire et peuvent être résumées ainsi :
• Elle est restée à proximité de l’accusée pendant huit minutes en attendant l’arrivée de la police;
• Elle a pris et lâché les pancartes de celui-ci et leur a donné des coups de pied, sous ses yeux. La Cour interprète ce geste comme une tentative de provoquer l’accusé;
• Elle a minimisé les gestes qu’elle a réellement posés en utilisant les mots « push » et « shove » au lieu de « kick » pour décrire ce qu’elle a fait aux pancartes appartenant à l’accusé;
• Son visage et son langage corporel ne laissent paraître aucun signe de peur.
[28] Cette comparaison a suscité un doute raisonnable chez la juge du procès quant au fait que les actes de l’appelant aient fait craindre la plaignante pour sa sécurité.
Les juridictions d’appel doivent établir si les conclusions du juge du procès sur la crédibilité et la fiabilité sont le produit d’une appréciation fondée sur la preuve et propre au contexte de la déposition du témoin ou d’un raisonnement stéréotypé.
[29] Le fait que la preuve sur laquelle s’est appuyée la juge du procès aurait pu être à la base d’un stéréotype – à savoir qu’une victime craignant son harceleur n’aurait pas agi comme l’a fait la plaignante le 18 mars 2018 – ne signifie pas qu’elle s’est effectivement appuyée sur un stéréotype. Comme l’enseigne la Cour suprême dans l’arrêt Kruk, « les juridictions d’appel doivent établir si les conclusions du juge du procès sur la crédibilité et la fiabilité sont [TRADUCTION] “le produit d’une appréciation fondée sur la preuve et propre au contexte” de la déposition du témoin »[16] ou d’un raisonnement stéréotypé.
[30] En l’espèce, la juge du procès a conclu que les actions de la plaignante étaient incompatibles avec le propre témoignage de celle-ci, et non avec des hypothèses logiques ou des vues stéréotypées sur le comportement attendu d’une victime de harcèlement. Par conséquent, conformément aux exigences énoncées dans Kruk, la juge du procès a articulé le fondement de son appréciation et indiqué un « lien avec les faits de l’affaire » plutôt que de se fonder sur « des hypothèses concernant la conduite ou les réponses attendues »[17]. La Cour supérieure a erré en concluant l’inverse.
[31] En tout état de cause, comme la Cour suprême l’a confirmé dans l’arrêt Kruk, les hypothèses logiques qui ne sont pas fondées sur la preuve ne constituent pas une erreur de droit[18]. À moins qu’une cour d’appel ne relève une erreur de droit reconnue, comme le « recours aux mythes et stéréotypes à l’endroit des plaignantes dans les affaires d’agression sexuelle » ou à des « hypothèses déplacées et erronées au sujet des personnes accusées qui sont contraires aux principes fondamentaux comme le droit de garder le silence et la présomption d’innocence »[19], les conclusions sur la crédibilité et la fiabilité commandent la déférence et sont assujetties à la norme de l’erreur manifeste et déterminante.