R. c. Bertrand Marchand, 2023 CSC 26
L’arrêt Friesen établit une méthode d’analyse utile qui place les enfants, et le préjudice qu’ils subissent, au centre de la discussion.
[32] L’arrêt Friesen établit une méthode d’analyse utile qui place les enfants, et le préjudice qu’ils subissent, au centre de la discussion. Son message ne se limite pas aux infractions qui comportent un contact physique. Au contraire, son cadre et ses enseignements généraux peuvent s’appliquer à l’infliction de peines pour d’autres formes d’abus sexuels à l’égard d’enfants. En effet, ses principes de détermination de la peine « valent [. . .] aussi pour d’autres infractions d’ordre sexuel contre des enfants, comme le leurre d’enfants » (par. 44; voir aussi les par. 46‑47).
La sexualisation des enfants est en soi une conduite moralement blâmable.
[35] La sexualisation des enfants est en soi une conduite moralement blâmable. Le leurre envahit leur autonomie personnelle, porte atteinte à leur intégrité sexuelle et met gravement à mal leur dignité (Friesen, par. 51). Se servir d’une personne pour parvenir à une fin est contraire à l’éthique, mais la manipulation d’un enfant par un adulte pour satisfaire ses pulsions sexuelles est une conduite hautement répréhensible. Voilà pourquoi il est reconnu que le leurre est [traduction] « manifestement préjudiciable et condamnable » (R. c. Misay, 2021 ABQB 485, [2022] 1 W.W.R. 145, par. 52). Même dans les cas où les seules interactions avec l’enfant ont lieu en ligne, la conduite du délinquant est répréhensible en soi parce qu’elle constitue tout de même une forme d’abus sexuel (R. c. R.S.F., 2021 MBQB 261, par. 91 (CanLII)). Bien que le degré d’exploitation puisse varier d’un cas à l’autre, le caractère répréhensible de l’exploitation des enfants se rapporte toujours à la gravité de l’infraction (Friesen, par. 78).
Le leurre d’enfants peut aussi causer aux jeunes victimes des préjudices psychologiques et développementaux distincts qui diffèrent de deux façons des préjudices découlant de contacts sexuels engagés en personne.
[38] Le leurre d’enfants peut aussi causer aux jeunes victimes des préjudices psychologiques et développementaux distincts qui diffèrent de deux façons des préjudices découlant de contacts sexuels engagés en personne. Tout d’abord, la communication en ligne permet [traduction] « aux abuseurs d’influencer la victime et d’abuser d’elle à distance » et de « la manipuler et d’avoir progressivement une emprise sur elle », ce qui peut avoir de graves conséquences psychologiques à long terme (Rafiq, par. 44). Puisque les communications dans les cas de leurre imitent souvent délibérément des relations positives, les victimes peuvent avoir du mal à faire confiance intimement à qui que ce soit après une telle expérience (E. Hanson, « The Impact of Online Sexual Abuse on Children and Young People », dans J. Brown, dir., Online Risk to Children : Impact, Protection and Prevention(1re éd. 2017), 97, p. 115).
[39] Ensuite, comme les délinquants ne peuvent pas toucher physiquement leurs victimes lorsqu’ils communiquent avec elles en ligne, leur pouvoir et l’efficacité de leurs stratégies tiennent souvent à la mesure dans laquelle ils peuvent exercer une emprise sur la victime et la manipuler afin qu’elle prenne part au comportement abusif. Les victimes de leurre ont souvent l’impression d’avoir participé activement à leur propre abus, ce qui peut les amener à se blâmer elles‑mêmes, à se renfermer davantage et à ressentir une honte accrue, ce qui aggrave le préjudice psychologique (J. Steel et autres, « Psychological sequelae of childhood sexual abuse : abuse‑related characteristics, coping strategies, and attributional style » (2004), 28 Child Abuse & Negl. 785, p. 795‑796; P. Gilbert, « What Is Shame? Some Core Issue and Controversies », dans P. Gilbert et B. Andrews, dir., Shame : Interpersonal Behavior, Psychopathology and Culture (1998), 3, p. 27).
Lorsque le leurre est motivé par des contacts, le juge chargé de déterminer la peine doit se demander si la communication en ligne a causé un préjudice psychologique distinct de celui causé par une infraction secondaire qui peut avoir été commise.
[42] Il peut s’avérer plus ou moins difficile dans chaque cas de cerner les préjudices distincts causés par le leurre, selon les circonstances. Dans les cas où le leurre est l’infraction autonome, il peut être plus facile d’établir le préjudice distinct. Toutefois, dans les cas où le leurre se manifeste effectivement dans la perpétration d’une infraction secondaire, il peut être plus difficile de cerner le préjudice distinct causé par le leurre.
[43] Une façon dont les tribunaux peuvent déterminer les préjudices distincts en jeu consiste à différencier le leurre motivé par des contacts, où l’objectif du délinquant est de faciliter les abus sexuels en personne, du leurre qui mène à l’abus sexuel se produisant entièrement en ligne (voir R. c. M.B.,2020 ONSC 7605, par. 78 (CanLII), pour un exemple concernant la pornographie juvénile). Dans le dernier contexte, l’Internet est le milieu où surviennent principalement les abus, et il est possible que le délinquant n’ait pas l’intention de commettre des abus hors ligne. Dans le contexte du leurre motivé par des contacts, l’environnement en ligne peut, mais pas nécessairement, jouer un rôle important dans les abus sexuels. La technologie peut parfois servir uniquement de moyen pour avoir accès physiquement à une victime. Lorsque le leurre est motivé par des contacts, le juge chargé de déterminer la peine doit se demander si la communication en ligne a causé un préjudice psychologique distinct de celui causé par une infraction secondaire qui peut avoir été commise. Les victimes d’abus sexuels par contact peuvent être exploitées sexuellement et manipulées psychologiquement en ligne par leurs abuseurs autant avant qu’après avoir subi des abus hors ligne. C’est une erreur de présumer que le leurre ne peut pas occasionner un préjudice indépendant.
[44] D’autres fois, le leurre est commis en vue de la perpétration d’une infraction secondaire désignée énoncée au par. 172.1(1) qui a lieu entièrement en ligne. Cela peut englober une foule de comportements, notamment clavarder de façon sexuellement explicite, partager des photos ou des vidéos à caractère sexuel, voir des actes sexuels par vidéo ou se livrer à des actes sexuels par vidéo, qui peuvent tous être compris dans les infractions secondaires d’incitation à des contacts sexuels ou les infractions de pornographie juvénile (J. A. Kloess et autres, « A Qualitative Analysis of Offenders’ Modus Operandi in Sexually Exploitative Interactions With Children Online » (2017), 29 Sex. Abuse 563, p. 584‑587). Dans de telles circonstances, le délinquant se sert de la technologie pour tisser des liens, exercer une emprise sur de jeunes personnes et les manipuler psychologiquement, et peut aussi se servir de cette même technologie pour ensuite se livrer à des actes sexuels. Dans de telles circonstances, il peut être difficile de déterminer si le leurre a causé un préjudice psychologique distinct, car le préjudice causé par le leurre peut ressembler à celui causé par l’infraction sous‑jacente qui a elle aussi eu lieu en ligne.
[45] Le leurre motivé par des contacts n’est pas forcément plus ou moins préjudiciable que le leurre menant à un abus sexuel qui a lieu entièrement en ligne. La gravité du préjudice causé par la communication en ligne dépendra du délinquant en cause et de ses objectifs criminels, des caractéristiques personnelles de la victime et de la dynamique unique entre le délinquant et la victime.
Les modifications législatives indiquent clairement que la détermination de peines proportionnelles qui tiennent compte de la gravité de l’infraction de leurre et du degré de responsabilité du délinquant exigera souvent des peines d’emprisonnement sévères.
[46] L’arrêt Friesen exhorte les tribunaux à tenir compte des initiatives législatives du Parlement lorsqu’ils déterminent les peines qu’ils infligeront aux délinquants pour des infractions d’ordre sexuel contre des enfants (par. 107). Le Parlement a invariablement augmenté la durée de ces peines afin de témoigner d’une prise de conscience croissante de leur gravité, et de faire état des graves préjudices émotionnels et psychologiques qu’elles causent aux victimes (par. 56, 98 et 101‑105). Cette même tendance relative aux peines de plus en plus sévères vaut pour le régime de détermination de la peine dans le cas des infractions de leurre :
• En 2002, lorsqu’il a créé l’infraction de leurre, le Parlement a prévu une peine maximale de cinq ans d’emprisonnement pour les procédures intentées par mise en accusation (Loi de 2001 modifiant le droit criminel, art. 8). Aucune peine maximale n’a été fixée dans le cas des procédures sommaires.
• En 2005, le Parlement a adopté l’art. 718.01 du Code criminel qui prévoit que les objectifs de dénonciation et de dissuasion ont priorité dans les cas d’abus à l’égard d’une personne âgée de moins de 18 ans (Loi modifiant le Code criminel (protection des enfants et d’autres personnes vulnérables) et la Loi sur la preuve au Canada, L.C. 2005, c. 32, art. 24; Code criminel, art. 718.01).
• En 2007, pour l’infraction de leurre, la peine maximale pour les procédures intentées par mise en accusation a été portée à 10 ans d’emprisonnement et une peine maximale de 18 mois d’emprisonnement a été instaurée dans le cas des procédures sommaires (Loi modifiant le Code criminel (leurre d’enfants), L.C. 2007, c. 20, art. 1).
• En 2012, des peines minimales obligatoires ont été instaurées pour le leurre d’enfants (Loi sur la sécurité des rues et des communautés, art. 22). Par conséquent, la procédure intentée par mise en accusation pour leurre d’enfants entraînait une peine minimale obligatoire d’un an d’emprisonnement, et la procédure intentée par voie sommaire pour leurre entraînait une peine minimale obligatoire de 90 jours d’emprisonnement.
• En 2015, au moyen de la Loi sur le renforcement des peines pour les prédateurs d’enfants, L.C. 2015, c. 23, art. 11, le Parlement a porté la peine maximale pour l’infraction de leurre punissable sur acte d’accusation à 14 ans d’emprisonnement. La peine maximale pour l’infraction de leurre punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire est passée de 18 mois à 2 ans moins un jour d’emprisonnement et la peine minimale obligatoire a été portée à 6 mois d’emprisonnement.
[47] Ces modifications législatives doivent être interprétées comme un signe de la gravité de l’infraction aux yeux du Parlement (Rayo, par. 125). Elles indiquent clairement que la détermination de peines proportionnelles qui tiennent compte de la gravité de l’infraction de leurre et du degré de responsabilité du délinquant exigera souvent des peines d’emprisonnement sévères. En conséquence, les tribunaux devraient s’écarter des précédents désuets qui ne reflètent pas la reconnaissance actuelle par la société des répercussions de la violence sexuelle sur les enfants pour imposer une peine juste (Friesen, par. 110).
Une preuve de manipulation psychologique peut être présente lorsque le leurre d’enfants est établi. La manipulation psychologique peut comprendre, notamment, [traduction] « la création de liens et d’incitatifs, la désinhibition et la gestion de la sécurité.
Il ressort clairement du texte de l’art. 172.1 que la manipulation psychologique n’est pas un élément constitutif de l’infraction de leurre. Bien que sa présence puisse représenter une circonstance aggravante lors de la détermination de la peine, son absence n’est pas une circonstance atténuante.
[51] Une preuve de manipulation psychologique peut être présente lorsque le leurre d’enfants est établi. La manipulation psychologique est un processus qui permet au délinquant de bâtir une relation étroite avec une victime afin de gagner sa confiance, son acquiescement et sa discrétion dans le but de procéder plus tard à la sexualisation et à des abus (Rayo, par. 149). La jurisprudence n’a pas encore arrêté de définition universelle de la manipulation psychologique. Bien entendu, cela s’explique en grande partie par les difficultés à déterminer où le processus commence et où il prend fin, de même que la gamme de comportements qui peuvent être en cause selon le délinquant, la victime et le contexte. En effet, la manipulation psychologique peut comprendre, notamment, [traduction] « la création de liens et d’incitatifs, la désinhibition et la gestion de la sécurité » (I. A. Elliott, « A Self‑Regulation Model of Sexual Grooming » (2017), 18 Trauma, Violence, & Abuse 83, p. 88). C’est [traduction] « un processus lent et graduel de mobilisation active et de désensibilisation des inhibitions de l’enfant — qui s’accompagne d’une emprise et d’un pouvoir croissants sur la jeune personne » (Rayo, par. 139, citant M. Ospina, C. Harstall et L. Dennett, Sexual Exploitation of Children and Youth Over the Internet : A Rapid Review of the Scientific Literature (2010), p. 7).
[52] La manipulation psychologique va souvent de pair avec les caractéristiques ordinaires du leurre, à savoir une [traduction] « relation cultivée de façon prolongée, délibérée et attentive avec une jeune personne en vue de créer une confiance et une intimité, le tout dans le but de favoriser la réalisation d’actes sexuels entre les deux parties » (Paradee, par. 20). Bien qu’il s’agisse souvent d’un processus préparatoire, la manipulation psychologique n’a pas à aboutir à un acte sexuel pour être préjudiciable. La manipulation psychologique permet au délinquant d’acquérir un pouvoir et une emprise sur la jeune personne, ce qui peut causer un préjudice psychologique distinct. Ce préjudice illustre bien la vulnérabilité des enfants et l’exploitation de ceux-ci facilitée par Internet pour lesquelles le Parlement voulait offrir une protection en adoptant l’infraction de leurre (Rayo, par. 138‑139; Reynard, par. 19‑20; Alicandro, par. 36; Legare, par. 25).
[53] C’est au juge des faits qu’il devrait revenir de décider s’il y a eu manipulation psychologique dans chaque cas. Pour ce faire, le juge devrait se concentrer sur la nature, le contenu et les conséquences des messages et se demander si la communication a donné lieu à la manipulation psychologique de l’enfant.
[55] En l’espèce, la juge chargée de déterminer la peine n’a pas bien compris les préjudices que la manipulation psychologique a causés chez cette jeune victime — en fait, la juge n’a pas reconnu du tout que la victime avait fait l’objet de manipulation psychologique. En affirmant que le leurre était un moyen d’arriver à une fin — des contacts — la juge n’a pas tenu compte de la manipulation psychologique résultant de la communication en ligne à elle seule. Soit dit avec égards, elle n’a pas dissocié le préjudice causé par la communication en ligne de celui causé par les contacts sexuels. Plutôt que de voir la manipulation psychologique comme un processus continu visant à renouveler et à renforcer une relation d’exploitation, elle a fait fi de sa présence parce que des actes sexuels antérieurs avaient eu lieu. Indépendamment des actes sexuels physiques qui ont précédé et suivi la communication, les tactiques et les actes de M. Bertrand Marchand démontrent qu’il s’est livré à une manipulation contrôlante en utilisant Internet, ce que je qualifie de manipulation psychologique. Celle‑ci aurait dû servir de circonstance aggravante lors de la détermination de la peine.
Dans l’arrêt Friesen, la Cour a fait une mise en garde contre l’utilisation de termes trompeurs qui soit euphémisent, soit érotisent la violence sexuelle, parce qu’ils risquent de banaliser cette violence et de normaliser une conduite qui est censée être condamnée et qu’ils déresponsabilisent le délinquant.
[64] Il est essentiel d’avoir un regard critique sur les termes employés pour décrire la violence sexuelle subie par des enfants afin que le caractère répréhensible et la nocivité de ces infractions soient adéquatement rendus. Dans l’arrêt Friesen, la Cour a fait une mise en garde contre l’utilisation de termes trompeurs qui soit euphémisent, soit érotisent la violence sexuelle, parce qu’ils risquent de banaliser cette violence et de normaliser une conduite qui est censée être condamnée et qu’ils déresponsabilisent le délinquant(par. 147 et 151). Un langage imprécis peut également indiquer la présence de préjugés susceptibles d’influer de manière inacceptable sur le raisonnement du tribunal (S. Zaccour et M. Lessard, « La culture du viol dans le discours juridique : soigner ses mots pour combattre les violences sexuelles » (2021), 33 R.F.D. 175, p. 203). Les tribunaux devraient éviter d’utiliser des termes qui peuvent raviver la douleur des victimes « en déguisant et en masquant la violence, la douleur et le traumatisme qu[e] [celles‑ci] ont subis » (Friesen, par. 147).
Des circonstances atténuantes
[72] Les juges qui prononcent les peines doivent tenir compte des circonstances atténuantes qui découlent des faits de l’affaire dont ils sont saisis. Parmi les circonstances atténuantes que l’on retrouve couramment dans les cas de leurre, mentionnons le plaidoyer de culpabilité présenté par le délinquant (voir, p. ex., Misay, par. 141; Melrose, par. 264; Wall, par. 75; R. c. Ditoro, 2021 ONCJ 540, par. 43 (CanLII); R. c. Gould, 2022 ONCJ 187; R. c. Cooper, 2023 ONSC 875, par. 17 (CanLII); R. c. Clarke, 2021 NLCA 8, par. 53 (CanLII); R.S.F., par. 103; R. c. Aeichele, 2023 BCSC 253, par. 61(CanLII); R. c. Wolff, 2020 BCPC 174, par. 64 (CanLII)), le fait que le délinquant a exprimé des remords sincères ou acquis une compréhension des préjudices causés par l’infraction (voir, p. ex., Directeur des poursuites criminelles et pénales c. St‑Amour, 2021 QCCQ 6855, par. 43 (CanLII); Wall, par. 75; Ditoro, par. 59; Misay, par. 150; Gould; R. c. Rice, 2022 ABKB 773, par. 48 (CanLII); Clarke, par. 53; R.S.F., par. 105; Wolff, par. 67), et le fait que le délinquant a entrepris des démarches de réinsertion sociale comme du counseling ou un traitement (voir, p. ex., R.S.F., par. 103; R. c. Wickramasinghe, 2022 ONCJ 331, par. 25 (CanLII); Gould; R. c. Rasiah, 2021 ONCJ 584, par. 42 (CanLII)). En l’espèce, dans son analyse de la peine pour l’accusation de contacts sexuels, la juge chargée de déterminer la peine a examiné le rapport présentenciel et tenu compte à juste titre du plaidoyer de culpabilité de M. Bertrand Marchand, de l’absence de déclarations de culpabilité antérieures, de son honnêteté et de sa collaboration tout au long du processus de détermination de la peine, des facteurs qui sont aussi pertinents pour l’infraction de leurre.
[73] La situation personnelle du délinquant peut aussi avoir un effet atténuant sur sa culpabilité morale (Friesen, par. 91‑92). Dans le contexte de la détermination de la peine appropriée dans son ensemble, la juge chargée de déterminer la peine en l’espèce a pris en considération l’âge qu’avait M. Bertrand Marchand au moment des faits, sa vie familiale stable et le fait qu’il avait eu un emploi stable pendant environ trois ans. Monsieur Bertrand Marchand a surmonté un trouble lié à la consommation de drogue au cours de son adolescence. À l’époque, cela lui avait causé des problèmes de santé et des crises de panique (motifs de détermination de la peine, par. 22). Un délinquant peut avoir une déficience mentale ou un trouble lié à la consommation d’une substance qui comporte de grandes limites cognitives, de sorte que sa culpabilité morale s’en trouve réduite (Friesen, par. 91; voir, p. ex., Hood, par. 180; Melrose, par. 223‑235; R. c. Osadchuk, 2020 QCCQ 2166, par. 51‑55 (CanLII); R. c. Deren, 2021 ABPC 84, par. 44 et 51(CanLII); R. c. Sinclair, 2022 MBPC 40, par. 15 et 67 (CanLII); Wolff, par. 65). Toutefois, cette circonstance n’est pas atténuante dans le cas de M. Bertrand Marchand, car sa consommation de drogue ne chevauchait pas la période considérée (contrairement à l’affaire Sinclair, par. 67; Wolff, par. 65).
Les juges chargés de déterminer la peine peuvent inférer la probabilité qu’un préjudice réel soit causé lorsqu’il y a des circonstances aggravantes comme la manipulation psychologique.
[75] En l’espèce, aucune déclaration officielle de la victime n’a été produite à l’audience de détermination de la peine. Néanmoins, même lorsque la preuve du préjudice réel causé à la victime n’est pas admise, le préjudice peut être inféré. Notre Cour a précisé que « la violence sexuelle contre des enfants est intrinsèquement susceptible de causer plusieurs formes reconnues de préjudice. [. . .] [L]a possibilité qu’elles se concrétisent est toujours présente chaque fois qu’il y a atteinte physique de nature sexuelle avec un enfant et même dans le cas des infractions d’ordre sexuel contre des enfants qui ne requièrent ni n’impliquent d’atteintes physiques » (Friesen, par. 79). La possibilité qu’un préjudice raisonnablement prévisible soit causé doit être prise en compte lors de la détermination de la peine même lorsque le leurre n’entraîne aucun préjudice réel (par. 84).
[76] Lorsqu’il n’existe pas de preuve directe du préjudice réel causé à la victime, « [l]es tribunaux peuvent être en mesure de conclure à l’existence d’un préjudice réel sur la foi de nombreuses circonstances factuelles qui peuvent causer un préjudice additionnel et constituer des facteurs aggravants » (par. 86). Autrement dit, les juges chargés de déterminer la peine peuvent inférer la probabilité qu’un préjudice réel soit causé lorsqu’il y a des circonstances aggravantes comme la manipulation psychologique (voir, p. ex., R. c. Pentecost, 2020 NSSC 277, par. 50‑54 (CanLII)).
L’envoi d’une grande quantité de messages, ou l’envoi persistant et sans relâche de messages, constitue une circonstance aggravante.
Le fait que le délinquant recoure à des ruses, des mensonges ou de la manipulation pour leurrer la victime constitue aussi une circonstance aggravante.
Encourager un enfant à transmettre des images de lui-même ou lui envoyer des images sexuellement explicites fait également augmenter la culpabilité morale du délinquant.
[77] La nature de la communication a un lien avec le caractère répréhensible de la conduite. Dans le présent pourvoi, la période visée par l’acte d’accusation de leurre s’étend sur près de sept mois. Durant cette période, des centaines de messages ont été échangés par l’intimé et la victime. La durée et la fréquence des communications sont importantes dans la mesure où elles peuvent provoquer des préjudices cumulatifs ou plus graves et accroître la gravité de l’infraction et la culpabilité morale du délinquant. Puisque les actes de violence sexuelle répétés et prolongés aggravent le préjudice à long terme subi par la victime (Friesen, par. 131), l’envoi d’une grande quantité de messages, ou l’envoi persistant et sans relâche de messages, constitue une circonstance aggravante (R. c. Collier, 2021 ONSC 6827, par. 75 (CanLII); R. c. Kavanagh, 2023 ONSC 283, par. 84 (CanLII); R. c. Moolla, 2021 ONSC 3702, par. 22 (CanLII); R. c. E.F., 2021 ABQB 272; R. c. Battieste, 2022 ONCJ 573, par. 45 (CanLII)). En outre, bien qu’une période de communication plus courte ne soit pas une circonstance atténuante, le fait que les communications en ligne se poursuivent pendant une longue période est une circonstance aggravante (R. c. Faille, 2021 QCCQ 4945, par. 68‑70(CanLII)).
[78] La teneur de la communication est pertinente lors de la détermination de la peine. En l’espèce, M. Bertrand Marchand a souvent envoyé à la victime des messages sexuellement explicites et objectifiants. Un contenu clairement sexuel est de toute évidence une circonstance aggravante, mais il en va de même d’une communication où le délinquant manipule la victime en utilisant des mots qui évoquent l’amour et l’affection (Wolff; R. c. Saberi, 2021 ONCJ 345, 493 C.R.R. (2d) 121; R. c. Boucher, 2020 ABCA 208). Le fait que le délinquant recoure à des ruses, des mensonges ou de la manipulation pour leurrer la victime constitue aussi une circonstance aggravante (Collier, par. 77).
[79] Encourager un enfant à transmettre des images de lui-même ou lui envoyer des images sexuellement explicites fait également augmenter la culpabilité morale du délinquant et peut constituer une circonstance aggravante pour la détermination de la peine relative à l’infraction de leurre (Collier; Kavanagh; R. c. Kalliraq, 2022 NUCA 6; R. c. Razon, 2021 ONCJ 616; Deren). Monsieur Bertrand Marchand a incité à maintes occasions la victime à envoyer des photos sexuellement explicites d’elle par Snapchat, photos qu’il disait enregistrer sur son téléphone (d.a., vol. II, p. 124). La durée et la fréquence des communications, ainsi que le caractère sexuellement explicite des messages et les demandes répétées d’envoi de photos sexuellement explicites, sont toutes des circonstances aggravantes en l’espèce (Collier; Kavanagh; Kalliraq; Razon; Deren).
Lorsqu’un délinquant a recours à l’anonymat, par exemple en utilisant un faux nom, une fausse identité ou en mentant sur son âge, sa conduite est alors plus répréhensible.
Il est encore plus aggravant que le délinquant choisisse délibérément une plate‑forme qui efface les traces de communication pour éviter de se faire prendre ou qu’il propose une plate-forme plus sûre après avoir été informé de l’âge de l’enfant.
[80] La tromperie peut se présenter sous de nombreuses formes et constitue une circonstance aggravante. Lorsqu’un délinquant a recours à l’anonymat, par exemple en utilisant un faux nom, une fausse identité ou en mentant sur son âge, sa conduite est alors plus répréhensible (Pentecost; R. c. Coban, 2022 BCSC 1810; Ditoro; R. c. Bains, 2021 ABPC 20; Cooper; Collier; Montour c. R., 2020 QCCA 1648). Toutefois, ce ne sont pas tous les délinquants qui agissent sous le couvert de l’anonymat. Dans la présente affaire, M. Bertrand Marchand a rencontré la victime en personne et s’est servi de sa véritable identité lorsqu’il l’a ajoutée comme amie dans Facebook. Selon les circonstances, une personne peut gagner la confiance d’un enfant vulnérable soit en mentant sur son identité, soit en tirant profit d’une relation préexistante (Rayo, par. 92‑93).
[81] La communication en soi peut également comporter des tactiques trompeuses. Dans certains cas, le délinquant peut ordonner à la victime d’effacer la communication pour dissimuler le leurre, ou de ne pas faire part des messages à ses parents ou aux membres de sa famille (Saberi; R. c. LaFrance, 2022 ABCA 351). Le délinquant peut aussi dire à la victime de s’habiller plus en adulte lorsqu’ils se rencontrent en personne (Saberi). Il est encore plus aggravant que le délinquant choisisse délibérément une plate‑forme qui efface les traces de communication pour éviter de se faire prendre (voir J.R.) ou qu’il propose une plate-forme plus sûre après avoir été informé de l’âge de l’enfant (Rasiah). En l’espèce, M. Bertrand Marchand a demandé à la victime de lui envoyer des photos sexuellement explicites sur Snapchat, une plate-forme qui efface les traces de communication. Cependant, des photos ont également été échangées tout au long de leurs communications sur Facebook, ce qui porte à croire que l’intention d’éviter de se faire prendre n’est pas présente en l’espèce.
Dans les cas où le délinquant se sert d’une relation préexistante pour exploiter un lien de confiance préexistant, un abus de confiance est « susceptible d’accroître le préjudice causé à la victime et, partant, la gravité de l’infraction ». Le degré de responsabilité du délinquant est plus important lorsque celui‑ci profite de son rôle de confident ou d’ami pour gagner la confiance de la victime en vue de faciliter un contact sexuel.
[82] La jurisprudence fournit plusieurs exemples courants de personnes en situation d’autorité qui peuvent exploiter leur pouvoir, notamment un parent (voir, p. ex., J.R.), un enseignant (voir, p. ex., Pentecost; Faille; R. c. Jissink, 2021 ABQB 102, 482 C.R.R. (2d) 167) ou un ami de la famille (voir, p. ex., Rayo; R. c. Lemay, 2020 ABCA 365, 14 Alta. L.R. (7th) 45; Boucher). Cependant, les situations de confiance s’inscrivent sur un spectre, et tout type de relation de confiance peut faciliter la perpétration de l’infraction (Rayo, par. 87 et 96; Friesen, par. 125). Les relations antérieures peuvent être instrumentalisées afin d’obtenir un accès à la victime, de créer un climat de confiance et d’accroître le sentiment de confiance, et peuvent faire en sorte que la victime est plus facile à manipuler — parce que le délinquant qui a eu une relation antérieure avec celle‑ci connaît souvent des choses à son sujet, notamment ses vulnérabilités particulières, comme sa situation familiale. Dans les cas où le délinquant se sert d’une relation préexistante pour exploiter un lien de confiance préexistant, un abus de confiance est « susceptible d’accroître le préjudice causé à la victime et, partant, la gravité de l’infraction » (Friesen, par. 126).
[83] Dans de nombreux cas de leurre, le délinquant cherche intentionnellement à construire une relation de confiance, à amener une relation de confiance existante à revêtir un caractère sexuel ou encore à établir des rapports secrets entre lui et la victime. La rupture ultérieure du lien de confiance peut engendrer des sentiments de peur et de honte chez cette dernière, la dissuader de porter plainte et compromettre ses relations. Le degré de responsabilité du délinquant est plus important lorsque celui‑ci profite de son rôle de confident ou d’ami pour gagner la confiance de la victime en vue de faciliter un contact sexuel (R.S.F.; Rayo, par. 87 et 96).
Un écart d’âge marqué entre le délinquant et la victime vient accroître le caractère répréhensible du comportement reproché.
[87] En outre, un écart d’âge marqué entre le délinquant et la victime vient accroître le caractère répréhensible du comportement reproché (voir, p. ex., Misay, par. 61; Faille, par. 74; Jissink, par. 52; R. c. Aguilar, 2021 ONCJ 87, par. 21 (CanLII), conf. par 2022 ONCA 353, par. 14 (CanLII)). En l’espèce, M. Bertrand Marchand a neuf ans de plus que la victime, qui était à ses premières années d’adolescence au début de la période visée par l’accusation. Il était au courant de son âge depuis le début et a mentionné qu’elle était jeune à plusieurs reprises. La différence d’âge considérable ainsi que la très grande vulnérabilité de la victime constituent des circonstances aggravantes.
La juge chargée de déterminer la peine a d’abord établi la peine juste et appropriée pour chacune des infractions prises isolément. Elle s’est ensuite demandé si les peines devaient être consécutives ou concurrentes. Ce n’est qu’après avoir effectué cette démarche qu’elle a pris en considération le principe de totalité prévu à l’al. 718.2a), qui fait en sorte que « la peine cumulative prononcée ne dépasse pas la culpabilité globale du délinquant » (R. c. M. (C.A.), 1996 CanLII 230 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 42; voir aussi R. c. Hutchings, 2012 NLCA 2, par. 84 (CanLII), et Desjardins c. R., 2015 QCCA 1774, par. 37‑42 (CanLII), où une démarche similaire a été approuvée).
Je souscris à la démarche de la juge chargée de déterminer la peine en l’espèce, et j’estime qu’elle présente des avantages par rapport à l’autre méthode qui consiste simplement à fixer une valeur globale pour des infractions multiples.
[91] La juge chargée de déterminer la peine a d’abord établi la peine juste et appropriée pour chacune des infractions prises isolément. Elle s’est ensuite demandé si les peines devaient être consécutives ou concurrentes. Ce n’est qu’après avoir effectué cette démarche qu’elle a pris en considération le principe de totalité prévu à l’al. 718.2a), qui fait en sorte que « la peine cumulative prononcée ne dépasse pas la culpabilité globale du délinquant » (R. c. M. (C.A.), 1996 CanLII 230 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 500, par. 42; voir aussi R. c. Hutchings, 2012 NLCA 2, par. 84 (CanLII), et Desjardins c. R., 2015 QCCA 1774, par. 37‑42 (CanLII), où une démarche similaire a été approuvée).
[92] Je souscris à la démarche de la juge chargée de déterminer la peine en l’espèce, et j’estime qu’elle présente des avantages par rapport à l’autre méthode qui consiste simplement à fixer une valeur globale pour des infractions multiples. Cette démarche séquentielle assure une détermination distincte de la sanction juste et appropriée pour chaque infraction. Compte tenu des objectifs et des critères distincts qui se rattachent à l’infraction de leurre, il était approprié d’examiner séparément chaque infraction « afin de mieux comprendre la part de [chacune] dans la culpabilité morale du délinquant » (Rayo, par. 55).
[93] Élaborer des peines particulières pour chaque infraction assure la clarté nécessaire et s’avère très utile lorsque l’une des sanctions contestées est modifiée en appel ou déclarée inconstitutionnelle. Fixer une peine particulière pour chaque infraction est un gage de transparence et permet au juge de soupeser la gravité de chaque infraction. Le fait de cerner clairement les peines particulières peut aussi se révéler très utile lors de procédures ultérieures de détermination de la peine dans le cas où le délinquant commet de nouveau la même infraction — par exemple, en fournissant aux juges chargés de déterminer la peine un point de départ lorsqu’ils appliquent le [traduction] « principe de la gradation des peines infligées » à de nouvelles déclarations de culpabilité pour les mêmes infractions (R. c. Borde (2003), 2003 CanLII 4187 (ON CA), 63 O.R. (3d) 417 (C.A.), par. 39).
L’infraction secondaire n’englobe en aucun cas l’infraction de leurre qui l’a précédée ou produite, ni ne la supplante d’aucune façon. Il en est ainsi parce que l’infraction de leurre protège un intérêt social distinct et cause des préjudices distincts de ceux que causent les infractions secondaires.
Les infractions représentant des [traduction] « atteintes à différents intérêts protégés par la loi » peuvent être sanctionnées au moyen de peines consécutives, même lorsqu’elles participent de la même transaction criminelle. L’infraction de leurre commande la plupart du temps une peine consécutive
[94] La juge chargée de déterminer la peine a conclu que les peines pour contacts sexuels et leurre infligées à M. Bertrand Marchand devaient être purgées concurremment parce que les infractions étaient intimement liées. Bien que la retenue soit de mise à l’égard de la décision d’un juge d’infliger des peines consécutives ou concurrentes (R. c. McDonnell, 1997 CanLII 389 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 948, par. 46), j’estime avec égards que la juge chargée de déterminer la peine a commis une erreur en infligeant une peine concurrente dans la présente affaire. Pour bien tenir compte des intérêts juridiques distincts que protège l’infraction de leurre, les peines auraient dû être consécutives.
[95] Le Parlement a aboli la discrétion judiciaire et a exigé que les peines soient purgées consécutivement pour certaines infractions, comme la pornographie juvénile lorsque le délinquant a aussi commis une autre infraction sexuelle contre l’enfant, ou lorsque des infractions sexuelles autres que la pornographie juvénile ont été commises par le même délinquant à l’égard de plusieurs enfants (Code criminel, par. 718.3(7)). La règle générale veut que « les infractions étroitement liées au point de constituer un incident criminel unique puissent, sans que cela soit obligatoire, donner lieu à des peines concurrentes, et que toutes les autres infractions doivent donner lieu à des peines consécutives » (Friesen, par. 155; voir aussi Code criminel, sous‑al. 718.3(4)b)(i)). Décider si des peines doivent être consécutives ou concurrentes nécessite une analyse des faits propres à chaque affaire (C. C. Ruby, Sentencing (10e éd. 2020), § 14.13).
[96] Sur le plan législatif, l’infraction de leurre est liée aux infractions secondaires énumérées : le délinquant doit communiquer en vue de faciliter la perpétration d’une de ces infractions. Bien que l’infraction de leurre puisse dans certains cas être commise seule, elle accompagne souvent la perpétration réelle d’une infraction secondaire énumérée. Toutefois, l’infraction secondaire n’englobe en aucun cas l’infraction de leurre qui l’a précédée ou produite, ni ne la supplante d’aucune façon. Il en est ainsi parce que l’infraction de leurre protège un intérêt social distinct et cause des préjudices distincts de ceux que causent les infractions secondaires (Rayo, par. 130 et 134).
[97] Les infractions représentant des [traduction] « atteintes à différents intérêts protégés par la loi » peuvent être sanctionnées au moyen de peines consécutives, même lorsqu’elles participent de la même transaction criminelle (Rayo, par. 136, citant R. c. Gummer (1983), 1983 CanLII 5286 (ON CA), 38 C.R. (3d) 46 (C.A. Ont.), p. 49; R. c. Gillis, 2009 ONCA 312, 248 O.A.C. 1, par. 9; R. c. Morton, 2021 ABCA 29, par. 32‑33 (CanLII)). Le Parlement a intentionnellement ciblé la conduite qui précède la perpétration des infractions d’ordre sexuel énumérées et vise à protéger les enfants du risque d’exploitation sexuelle facilitée par Internet (Rayo, par. 138‑139; Reynard, par. 19‑20; Alicandro, par. 36; Legare, par. 25). Comme je l’ai dit précédemment, le leurre peut causer des préjudices distincts en raison de la manipulation psychologique qu’il implique. C’est pourquoi l’infraction de leurre commande la plupart du temps une peine consécutive (Rayo, par. 133‑143; R. c. McLean, 2016 SKCA 93, 484 Sask. R. 137, par. 50‑53; Miller, par. 22‑23). Comme l’indique l’arrêt Rayo, l’infraction distincte de leurre peut sembler impunie, du moins en partie, lorsque la peine qu’elle entraîne est purgée concurremment avec celles découlant des infractions connexes (par. 152).
Si le principe de totalité n’est pas respecté, le tribunal peut ajuster les peines en rendant certaines d’entre elles concurrentes, ou si cela ne donne pas lieu à une peine juste et proportionnée, en réduisant la durée d’une ou de plusieurs peines.
[98] Cela ne signifie pas que le leurre doit toujours recevoir une peine consécutive. À moins que l’exige le par. 718.3(7), les juges qui prononcent les peines conservent leur pouvoir discrétionnaire à cet égard. Cependant, en exerçant ce pouvoir, les juges doivent demeurer conscients du fait que l’infraction de leurre constitue une atteinte à un intérêt distinct protégé par la loi. Le juge doit expliquer pourquoi la peine doit être purgée concurremment avec les sanctions imposées pour les autres infractions. Il doit fournir les motifs justifiant l’infliction d’une peine concurrente. Je précise également que les juges doivent prendre garde de ne pas compter en double : lorsqu’un juge ordonne qu’une peine pour leurre soit purgée consécutivement à une peine pour une infraction secondaire, l’infraction secondaire ne peut constituer une circonstance aggravante dans la détermination de la peine relative au leurre.
[99] Le principe de totalité a pour effet d’exiger que les juges s’assurent que les peines qu’ils infligent sont, dans l’ensemble, « justes et appropriées » (voir M. (C.A.), par. 42; Code criminel, al. 718.2c)), ce qui comprend le fait de jeter [traduction] « un dernier coup d’œil à la peine globale » afin d’évaluer si elle est « exagérément longue ou rigoureuse, au sens où elle serait disproportionnée à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant » (Hutchings, par. 42 et 84; Laguerre c. R., 2021 QCCA 1537, par. 43 (CanLII); M. (C.A.), par. 42). Si le principe de totalité n’est pas respecté, le tribunal peut ajuster les peines en rendant certaines d’entre elles concurrentes, ou si cela ne donne pas lieu à une peine juste et proportionnée, en réduisant la durée d’une ou de plusieurs peines (Desjardins, par. 34).
Les juges chargés de déterminer la peine et les cours d’appel ne doivent pas accorder une importance excessive aux circonstances aggravantes ni limiter les circonstances atténuantes pour arriver aux conclusions souhaitées.
Même si le Parlement a indiqué que les objectifs de dénonciation et de dissuasion revêtent une importance capitale lors de la détermination de la peine, les juges doivent appliquer tous les principes prescrits par les art. 718.1 et 718.2 afin d’élaborer une peine qui « favorise la réalisation des objectifs généraux de la détermination de la peine ».
La déférence dont il faut faire preuve à l’égard des objectifs du Parlement n’est pas illimitée; afin que la dignité humaine soit respectée, la porte à la réinsertion sociale doit rester entrouverte.
[122] Lorsqu’ils abordent la première étape de l’analyse relative à l’art. 12 et qu’ils fixent la peine juste et proportionnée pour le délinquant en cause ou le délinquant représentatif, les tribunaux doivent définir la peine aussi étroitement que possible (Hills, par. 94). « Le fait de choisir scrupuleusement une peine précise et définie favorise l’atteinte d’un résultat équitable sur le plan analytique et fondé sur des principes à la deuxième étape de l’analyse relative à l’art. 12 » (par. 65). La comparaison au cœur de l’analyse relative à la disproportion exagérée commande une adhésion rigoureuse aux principes établis de détermination de la peine à la première étape. Afin de déterminer la peine juste et proportionnée pour les délinquants représentatifs en l’espèce, la Cour doit tenir compte des objectifs de détermination de la peine énoncés aux art. 718 et suivants du Code criminel. Tout tribunal qui détermine la peine juste pour un délinquant représentatif doit examiner les circonstances aggravantes et atténuantes en jeu et faire preuve de retenue dans l’infliction de peines d’incarcération (al. 718.2d) et e)). Les juges chargés de déterminer la peine et les cours d’appel ne doivent pas accorder une importance excessive aux circonstances aggravantes ni limiter les circonstances atténuantes pour arriver aux conclusions souhaitées.
[123] L’article 718.1 prévoit que la peine « est proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant ». De plus, l’art. 718.01 impose aux juges d’accorder une attention particulière à la dénonciation et à la dissuasion lorsqu’ils infligent des peines pour des infractions comportant des abus à l’égard d’enfants. Cependant, les juges conservent le pouvoir discrétionnaire de tenir compte d’autres objectifs de détermination de la peine dans les circonstances. Les tribunaux doivent individualiser la peine en tenant compte de la gravité de l’infraction, de la situation personnelle du délinquant et de la culpabilité morale de celui‑ci (R. c. Parranto, 2021 CSC 46, par. 44; Lacasse, par. 12; R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433, par. 51). Même si le Parlement a indiqué que les objectifs de dénonciation et de dissuasion revêtent une importance capitale lors de la détermination de la peine, les juges doivent appliquer tous les principes prescrits par les art. 718.1 et 718.2 afin d’élaborer une peine qui « favorise la réalisation des objectifs généraux de la détermination de la peine » (Ipeelee, par. 51). La déférence dont il faut faire preuve à l’égard des objectifs du Parlement n’est pas illimitée; afin que la dignité humaine soit respectée, la porte à la réinsertion sociale doit rester entrouverte (Bissonnette, par. 46 et 85; Hills, par. 140‑141; Nasogaluak, par. 43).
Il est bien établi que les crimes spontanés ou commis sous l’impulsion du moment devraient être punis moins sévèrement que ceux qui sont planifiés ou prémédités.
[127] Par ailleurs, il est important de reconnaître que même si la conduite de la délinquante représentative était grave, elle se trouve vraisemblablement à l’extrémité inférieure de l’échelle de la gravité dans toutes les circonstances. Toutes les infractions de ce type sont susceptibles de causer un préjudice grave aux victimes. Toutefois, il n’en demeure pas moins que les actions de la délinquante étaient spontanées et de courte durée, plutôt que malveillantes et calculées. Contrairement à bien d’autres cas de leurre d’enfants qui sont habituellement associés à un contact prolongé, et de ce fait à un préjudice beaucoup plus grand, dans la présente affaire rien n’indique qu’il y a eu manipulation psychologique ou planification à long terme. Bien que ces circonstances ne soient pas atténuantes, elles donnent un aperçu de la gravité globale de l’infraction et de la culpabilité générale de la délinquante, qui est relativement moins élevée que dans d’autres cas. Il est bien établi que les crimes spontanés ou commis sous l’impulsion du moment devraient être punis moins sévèrement que ceux qui sont planifiés ou prémédités (voir, p. ex., R. c. Laberge (1995), 1995 ABCA 196 (CanLII), 165 A.R. 375 (C.A.), par. 18; R. c. Murphy, 2014 ABCA 409, 593 A.R. 60, par. 42; R. c. Vienneau, 2015 ONCA 898, par. 12 (CanLII)). De plus, la délinquante représentative a inscrit un plaidoyer de culpabilité, a exprimé des remords lors de la détermination de la peine et n’a aucun antécédent criminel — éléments qui sont tous des circonstances atténuantes importantes.
Lorsqu’une maladie mentale existait au moment de la perpétration de l’infraction et a contribué au comportement du délinquant, le juge qui prononce la peine devrait envisager de prioriser la réinsertion sociale et le traitement du délinquant au moyen de l’intervention communautaire. Cela est d’autant plus vrai étant donné que l’emprisonnement a souvent un effet particulièrement néfaste sur les délinquants ayant des maladies mentales.
[128] Enfin, pour ce qui est de l’évaluation de la culpabilité morale, il est important de savoir que la délinquante représentative dans le premier scénario souffrait d’un trouble bipolaire et que ses symptômes étaient semblables à ceux de la délinquante réelle décrite dans l’affaire Hood. Au procès, la responsabilité criminelle de Mme Hood a suscité une véritable controverse (R. c. Hood, 2016 NSPC 19, 371 N.S.R. (2d) 324; voir aussi les motifs sur la peine dans R. c. Hood, 2016 NSPC 78). Bien que le juge du procès l’ait effectivement jugée criminellement responsable, il a reconnu que Mme Hood souffrait d’un trouble bipolaire de type 1. Par conséquent, [traduction] « l’épisode de manie [de Mme Hood] l’avait rendue profondément désinhibée et encline à prendre des risques, exaltée par un sentiment d’invincibilité et affaiblie par une perception et une inhibition inadéquates » (Hood (motifs sur la peine), par. 55 (CanLII)). Le juge chargé de déterminer la peine dans l’arrêt Hood a conclu que ses symptômes avaient [traduction] « un lien avec ses crimes » (par. 55). De même, dans le présent scénario, le trouble bipolaire diagnostiqué de la délinquante représentative, bien qu’il ne constitue pas une justification ou une excuse pour son comportement, atténue son degré de responsabilité et agit comme circonstance atténuante lors de la détermination de la peine (R. c. Ayorech, 2012 ABCA 82, 522 A.R. 306, par. 10‑13; R. c. Tremblay, 2006 ABCA 252, 401 A.R. 9, par. 7; R. c. Belcourt, 2010 ABCA 319, 490 A.R. 224, par. 8; R. c. Resler, 2011 ABCA 167, 505 A.R. 330, par. 14). Lorsqu’une maladie mentale existait au moment de la perpétration de l’infraction et a contribué au comportement du délinquant, le juge qui prononce la peine devrait envisager de prioriser la réinsertion sociale et le traitement du délinquant au moyen de l’intervention communautaire (R. c. Lundrigan, 2012 NLCA 43, 324 Nfld. & P.E.I.R. 270, par. 20‑21; R. c. Ellis, 2013 ONCA 739, 303 C.C.C. (3d) 228, par. 117). Cela est d’autant plus vrai étant donné que l’emprisonnement a souvent un effet particulièrement néfaste sur les délinquants ayant des maladies mentales (voir Ruby, §§5.325 et 5.332).
[129] Malgré cela, bien que la réinsertion sociale doive être priorisée pour cette délinquante, une peine non privative de liberté n’est pas appropriée compte tenu de la gravité de l’infraction. Par conséquent, j’estime qu’une peine discontinue de 30 jours est une peine juste dans le cas de la délinquante représentative qui nous a été soumis. Une telle peine reconnaît la gravité inhérente et les préjudices potentiels associés à l’infraction et dénonce dûment la conduite de la délinquante, tout en tenant compte de sa culpabilité morale réduite et des circonstances atténuantes en jeu.
La réinsertion sociale et la dissuasion spécifique sont les objectifs premiers lorsque vient le temps de déterminer les peines à infliger à de jeunes délinquants qui en sont à leur première infraction.
[132] Cela dit, la circonstance atténuante la plus importante dans le second scénario est le fait que le délinquant est jeune et en est à sa première infraction. Bien que le délinquant de 18 ans soit légalement un adulte et que la victime de 17 ans ne le soit pas, sans minimiser les répercussions de l’infraction sur la victime, j’estime que la peine appropriée doit tenir compte du fait que les deux parties sont jeunes, d’âges rapprochés et dans une relation consensuelle qui ne montre aucun signe d’exploitation à long terme ou de manipulation psychologique, que comportent de nombreux cas de leurre. Comme c’était le cas du délinquant représentatif en question dans l’arrêt Hills, le comportement criminalisé dans ce cas indique davantage un manque d’encadrement ou de surveillance de la part d’un adulte qu’une intention criminelle de la part du délinquant (par. 161). La réinsertion sociale et la dissuasion spécifique sont les objectifs premiers lorsque vient le temps de déterminer les peines à infliger à de jeunes délinquants qui en sont à leur première infraction. Même si un délinquant de 18 ans n’est pas visé par le système de justice pénale pour les adolescents, son manque de maturité demeure une importante considération (R. c. Priest (1996), 1996 CanLII 1381 (ON CA), 30 O.R. (3d) 538 (C.A.), p. 543‑544; R. c. Tan, 2008 ONCA 574, 268 O.A.C. 385, par. 32; R. c. T. (K.), 2008 ONCA 91, 89 O.R. (3d) 99, par. 41‑42). Il est essentiel d’envisager toutes les autres mesures possibles avant d’imposer des peines de placement sous garde à de tels délinquants (R. c. Stein (1974), 1974 CanLII 1615 (ON CA), 15 C.C.C. (2d) 376 (C.A. Ont.), p. 377).
[133] En l’espèce, une absolution conditionnelle assortie de conditions strictes de probation servirait les objectifs de dissuasion et de dénonciation. En revanche, une peine de placement sous garde serait disproportionnée et ne rendrait pas compte du degré réduit de responsabilité d’un jeune délinquant qui en est à sa première infraction, lequel bénéficierait surtout d’une rééducation, et non d’une sanction excessive. Par conséquent, j’ordonnerais à l’égard de ce délinquant représentatif une absolution conditionnelle avec mise en probation de six mois.
Alors qu’une peine minimale d’un an ou de six mois d’emprisonnement pour leurre d’enfants ne sera pas exagérément disproportionnée dans le cas de la plupart des délinquants, il s’agit d’une peine sévère pour certains, particulièrement les jeunes délinquants, les délinquants ayant des troubles de santé mentale et ceux ayant des déficiences développementales graves.
[158] Dans le cas des deux délinquants représentatifs, la durée de l’emprisonnement requise par les peines minimales obligatoires est excessive compte tenu des autres peines qui seraient suffisantes pour l’atteinte des objectifs du Parlement en matière de détermination de la peine. Alors qu’une peine minimale d’un an ou de six mois d’emprisonnement pour leurre d’enfants ne sera pas exagérément disproportionnée dans le cas de la plupart des délinquants, il s’agit d’une peine sévère pour certains, particulièrement les jeunes délinquants, les délinquants ayant des troubles de santé mentale et ceux ayant des déficiences développementales graves. Lorsque la maladie mentale d’un délinquant contribue à la perpétration de l’infraction de leurre, la dissuasion spécifique, la dissuasion générale et la dénonciation ne sont pas très utiles car [traduction] « un tel délinquant peut difficilement servir d’exemple » et car les peines infligées à d’autres personnes ne dissuaderont vraisemblablement pas les gens ayant des maladies mentales d’agir (Ruby, §§5.316‑5.321; voir Resler, par. 14; R. c. Robinson (1974), 1974 CanLII 1491 (ON CA), 19 C.C.C. (2d) 193 (C.A. Ont.), p. 197; Deren, par. 65). En revanche, la réinsertion sociale devrait se voir accorder une plus grande importance lors de la détermination de la peine de délinquants ayant des maladies mentales, comme la délinquante représentative en cause (R. c. Hynes(1991), 1991 CanLII 6851 (NL CA), 89 Nfld. & P.E.I.R. 316 (C.A.T.‑N.‑L.), par. 53). Bien que notre Cour ait ordonné dans l’arrêt Friesen que les peines pour les infractions d’ordre sexuel contre des enfants doivent dûment refléter la culpabilité morale du délinquant, elle a aussi reconnu que la situation personnelle du délinquant peut avoir un effet atténuant et réduire la culpabilité morale de celui‑ci (par. 91).
[159] Compte tenu de la culpabilité morale réduite des délinquants ayant des maladies mentales, les peines minimales obligatoires relatives à l’infraction de leurre privent non seulement les tribunaux de la faculté d’arrêter une peine proportionnelle se situant à l’extrémité inférieure de la fourchette au besoin, mais elles emportent aussi, dans les cas extrêmes, l’infliction de peines injustes qui violent le principe de la proportionnalité (voir Nur, par. 44). Par conséquent, les peines obligatoires démontrent « un mépris total de l’État envers les circonstances propres à l’individu condamné et la proportionnalité du châtiment qu’il subit » (Bissonnette, par. 61). L’infliction d’une peine de six mois ou d’un an d’incarcération à un délinquant ayant un trouble mental lorsque la peine appropriée est une peine discontinue relativement courte ne respecte pas le principe fondamental de la proportionnalité (Nasogaluak, par. 40). Cela indique plutôt que le Parlement a priorisé la dénonciation et la dissuasion jusqu’à exclure presque complètement la réinsertion sociale. Notre Cour a noté dans l’arrêt Hills que bien que la déférence s’impose à l’égard des choix du Parlement en matière de détermination de la peine, « [a]ucun objectif de détermination de la peine ne devrait être appliqué à l’exclusion de tous les autres » (par. 140; Nasogaluak,par. 43).
[160] Comme les peines discontinues ne sont applicables que dans les cas où la peine est de 90 jours ou moins, la peine minimale obligatoire contestée ne laisse aux tribunaux aucun pouvoir discrétionnaire pour infliger une peine de ce type. Bien que la peine discontinue soit une forme d’emprisonnement, elle est substantiellement différente d’une peine carcérale à temps plein puisqu’elle permet aux délinquants de purger leur peine d’emprisonnement en périodes intermittentes, tout en étant assujettis à la probation à l’extérieur de la prison. Une peine discontinue priorise la réinsertion sociale en permettant aux délinquants de potentiellement conserver leur emploi, maintenir des liens avec leur famille et leur communauté et poursuivre les traitements spécialisés qui ne sont peut‑être pas offerts dans les établissements correctionnels. En l’espèce, le fait que la peine minimale obligatoire ne permette pas aux tribunaux d’infliger des peines discontinues lorsqu’une telle peine est juste et proportionnée rend la disposition suspecte sur le plan constitutionnel (voir Hills, par. 144).
L’écart entre les deux peines minimales obligatoires énoncées aux al. 172.1(2)a) et b) est troublant. Le choix de la Couronne ne devrait pas déterminer si un délinquant se voit infliger une peine appropriée ou une peine excessive. Cet aspect du régime de détermination de la peine serait intolérable et choquant pour les Canadiens et les Canadiennes.
[161] Le leurre d’enfants est une infraction mixte, ce qui signifie que la Couronne peut choisir, en fonction de facteurs comme la gravité des gestes de l’accusé et les préjudices causés, de procéder soit par mise en accusation, soit par procédure sommaire. Il s’ensuit que ce choix a une incidence sur la sévérité de la peine infligée, puisque la peine minimale obligatoire se rattachant à une déclaration sommaire de culpabilité pour leurre est de six mois, plutôt que d’un an pour une infraction de leurre punissable sur acte d’accusation. La juge Karakatsanis a indiqué que ce choix législatif « montre clairement que le législateur comprenait que, dans certaines situations, des peines beaucoup moins lourdes que la peine d’emprisonnement minimale obligatoire d’un an seraient appropriées » (Morrison, par. 185). L’écart entre les deux peines minimales obligatoires énoncées aux al. 172.1(2)a) et b) est troublant.
[162] La nature mixte de l’infraction de leurre d’enfants ne peut la mettre à l’abri d’un examen de sa constitutionnalité. Notre Cour a jugé qu’une peine minimale obligatoire inconstitutionnelle ne peut être sauvegardée par le pouvoir discrétionnaire qu’a la Couronne de procéder par voie sommaire. La détermination de la peine est une fonction judiciaire, alors que les procureurs de la Couronne ont des intérêts opposés à ceux des personnes accusées (Nur, par. 85‑86). Pour ce qui est de l’infraction en cause, il n’y a pas de démarcation claire entre les cas où le poursuivant choisit de procéder par voie sommaire et ceux où il choisit de procéder par mise en accusation. Dans l’affaire R. c. C.D.R., 2020 ONSC 645, l’accusé s’est fait prendre par la police dans le cadre d’une opération d’infiltration et a reconnu sa culpabilité, entre autres, au leurre d’enfants. La Couronne a confirmé que le poursuivant peut procéder par voie sommaire ou par mise en accusation dans les affaires d’une nature semblable — peu de choses les distinguent (par. 31‑33 (CanLII)). Le juge De Sa s’est à bon droit demandé [traduction] « [c]omment l’infliction apparemment arbitraire d’une peine additionnelle de 6 mois d’emprisonnement en l’espèce peut‑elle ne pas être exagérément disproportionnée? » (par. 33).
[163] Lorsqu’une peine de six mois est une peine appropriée pour un ensemble de gestes précis mais qu’une peine d’un an est plutôt infligée arbitrairement à la place, uniquement en raison du pouvoir discrétionnaire du poursuivant, il en ressort la même incertitude et la même imprévisibilité en droit contre lesquelles notre Cour a tenté de faire une mise en garde dans les arrêts R. c. Ferguson, 2008 CSC 6, [2008] 1 R.C.S. 96 (voir le par. 72) et Nur(voir le par. 91). Le choix de la Couronne ne devrait pas déterminer si un délinquant se voit infliger une peine appropriée ou une peine excessive. Cet aspect du régime de détermination de la peine serait intolérable et choquant pour les Canadiens et les Canadiennes (voir Saffari, par. 90; C.D.R., par. 31‑33 et 38).
Le retrait de la peine minimale obligatoire ne devrait pas avoir pour effet d’évacuer l’effet dissuasif du par. 172.1(2), pas plus que dans le cas des autres infractions pour lesquelles le Parlement a indiqué que la dénonciation et la dissuasion sont les principaux objectifs de détermination de la peine sans prévoir de peine minimale obligatoire.
[167] Qu’on me comprenne bien : les infractions sexuelles contre des enfants sont des crimes graves et justifient souvent des sanctions sévères. Pour cette raison, l’application des principes énoncés dans l’arrêt Friesen à l’infraction de leurre d’enfants donnera généralement lieu à un alourdissement des peines qui étaient auparavant prescrites pour ces crimes. Toutefois, il n’y a aucune incongruité entre confirmer le caractère répréhensible et les préjudices graves qui accompagnent souvent les infractions de leurre d’enfants et statuer que les peines minimales obligatoires se rattachant à ces infractions sont inconstitutionnelles. Les peines minimales obligatoires établissent la peine la moins sévère possible que les tribunaux peuvent prononcer à l’égard du délinquant le moins coupable. Elles n’empêchent pas les juges de prononcer des peines plus lourdes pour une conduite plus répréhensible. Par conséquent, l’annulation de la peine minimale obligatoire ne devrait pas modifier l’effet qu’a la peine maximale sur les peines qui sont finalement infligées. Les directives données dans l’arrêt Friesen sur la primauté de la dénonciation et de la dissuasion lors de la détermination de la peine de délinquants pour des infractions sexuelles contre des enfants demeurent applicables. Le retrait de la peine minimale obligatoire ne devrait pas avoir pour effet d’évacuer l’effet dissuasif du par. 172.1(2), pas plus que dans le cas des autres infractions pour lesquelles le Parlement a indiqué que la dénonciation et la dissuasion sont les principaux objectifs de détermination de la peine sans prévoir de peine minimale obligatoire.