Selon R. c. R.A.R., 2000 CSC 8, [2000] 1 R.C.S. 163, l’appelant peut maintenant plaider l’emprisonnement avec sursis puisqu’il a droit au bénéfice de toute modification législative sur la peine en vigueur au moment de l’appel.
[42] Selon R. c. R.A.R., 2000 CSC 8, [2000] 1 R.C.S. 163, l’appelant peut maintenant plaider l’emprisonnement avec sursis puisqu’il a droit au bénéfice de toute modification législative sur la peine en vigueur au moment de l’appel. Cela étant, le juge de première instance n’a évidemment pas envisagé l’emprisonnement avec sursis, de sorte que la Cour doit le faire en exerçant son propre pouvoir discrétionnaire à cet égard. Dans le cadre de cet exercice, il va néanmoins de soi que la Cour doit faire preuve de déférence face aux conclusions de fait du juge. Le pouvoir discrétionnaire de la Cour n’altère pas l’avantage considérable qu’a le juge du procès de voir et d’entendre les témoins au fur et à mesure de l’administration de la preuve, au niveau du procès ou de la détermination de la peine, et ainsi de se former une opinion juste sur la crédibilité des témoins, la fiabilité de la preuve et les inférences à retenir.
Dans la mesure où la confiance est générée par un sentiment d’empathie, par le respect accordé à une personne ou par l’assurance qu’elle nous inspire, son exploitation est particulièrement dommageable.
[55] La Cour rappelait encore plus récemment, dans Pierre c. R., 2023 QCCA 84, au paragr. 35, qu’il n’y a pas de définition stricte d’abus de confiance en matière de peine et que la relation de confiance n’a pas à être « forte » pour être prise en compte quoique, évidemment, le « degré de cette relation pourra toutefois affecter le poids à lui donner dans la pondération globale des facteurs pertinents ».
[56] Évoquant une trame factuelle similaire à la présente affaire, l’auteur Clayton C. Ruby souligne ce qui suit dans Sentencing, 10e éd., Toronto, LexisNexis, 2020 :
§5.93 […] The rule respecting breach of trust has been extended to situations where it seems strained. A sexual assault upon a close friend has been regarded as breach of trust because, had the offender and the victim not been friends, the victim would not have allowed the offender to sleep in the living room of her premises.
[57] La preuve soutient la conclusion du juge selon laquelle il y avait relation de confiance entre l’appelant et la victime. C’est d’ailleurs en raison de cette relation étroite que celle-ci a autorisé l’appelant à s’étendre à ses côtés.
[58] Je partage l’avis de la juge Kennedy de la Cour du Québec lorsqu’elle écrit, dans R. c. Couture, 2021 QCCQ 6597 :
[29] […] Dans la mesure où la confiance est générée par un sentiment d’empathie, par le respect accordé à une personne ou par l’assurance qu’elle nous inspire, son exploitation est particulièrement dommageable. D’où son caractère aggravant.[…]
…
[62] Dans leur Traité de droit criminel, tome III, « La peine », 3e éd., Montréal, Thémis, 2020, p. 210, les auteurs Parent et Desrosiers retiennent que :
[…] la vulnérabilité de la victime désigne, au point de vue juridique, l’état ou la position d’une personne qui, en raison de sa condition « physique », « mentale », « factuelle », « professionnelle » ou « sociale » est plus susceptible d’être blessée, attaquée ou exploitée. […]
[63] C’est le cas ici et il va de soi que la vulnérabilité de la victime constitue un facteur aggravant. Les mêmes auteurs soulignent d’ailleurs, avec raison, à la page 210, qu’est « particulièrement à blâmer » l’individu qui s’en prend à celui qui est faible, car la victime n’est pas en mesure de se défendre adéquatement. La gravité subjective de l’agression s’accroît en conséquence. Le statut précaire et l’impuissance de la victime augmentent la gravité du crime.
Dans un processus d’individualisation de la peine, un juge peut évidemment estimer que les mauvais traitements administrés à une victime majeure requièrent de porter une attention particulière aux objectifs de dénonciation et d’exemplarité, au point où ils deviennent prédominants.
[68] Les autrices Desrosiers et Beausoleil-Allard, dans L’agression sexuelle en droit canadien, 2e éd., Montréal, Yvon Blais, 2017, p. 317, écrivent que les agressions sexuelles « doivent, à n’en pas douter, être dénoncées et sanctionnées avec une sévérité qui témoigne de la gravité de l’atteinte à l’intégrité physique et émotionnelle de leurs victimes ».
[69] En somme, dès lors que le juge considérait la gravité subjective de l’atteinte comme étant un élément extrinsèque à l’infraction pour apprécier son ampleur, il ne commettait aucune erreur de principe aux fins d’établir une peine proportionnelle selon le degré de culpabilité morale de l’appelant.
[70] Ceci dit, je suis bien conscient que Friesen a été rendu dans le cadre d’une infraction commise contre un enfant. L’art. 718.01 C.cr.codifie une règle voulant que l’on accorde une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion lorsqu’un enfant est victime d’un mauvais traitement. Cela étant, il ne faut évidemment pas conclure que cette exigence exclut la prise en compte de telles circonstances lorsque la victime a plus de 18 ans ou que les objectifs de dénonciation et d’exemplarité sont moins présents. Au contraire, dans un processus d’individualisation de la peine, un juge peut évidemment estimer que les mauvais traitements administrés à une victime majeure requièrent de porter une attention particulière à ces deux objectifs, au point où ils deviennent prédominants.
The negative effect of crime on its victims is always an important consideration in sentencing
[73] Dans son ouvrage précité, à la page 254, l’auteur Ruby écrit : « [t]he negative effect of crime on its victims is always an important consideration in sentencing ».
[74] Les séquelles physiques et les « conséquences subies par la victime », généralement constituées de blessures, de douleurs, de traitements, de contraintes imposées par les blessures et de pertes matérielles, sont prises en considération à hauteur de leur sévérité, de leur gravité, de leur persistance, de leur nature, de leur importance et de leur durée : Traité de droit criminel, précité, p. 115 à 121. De leur côté, les séquelles psychologiques se composent habituellement de cauchemars, de peurs, d’anxiété, de dépression, de sentiment de rejet, de crises de panique, d’angoisse, de perte de confiance et d’estime de soi, de même que de honte, de dégoût, de culpabilité, d’agressivité, de perte de concentration, d’idées suicidaires et de troubles du sommeil :Traité de droit criminel, précité, p. 118 à 120.
[75] En somme, l’atteinte à l’intégrité psychologique et à l’intégrité physique, de même que, plus généralement, les conséquences subies par la victime peuvent être distinguées et considérées selon leur intensité, même s’il est parfois difficile de tracer une ligne nette entre ces groupes de facteurs.
…
[77] Cette façon de considérer ces critères simultanément permet d’accorder l’importance nécessaire à tous les types de préjudices, qu’ils soient physiques, psychologiques ou émotionnels, sans se limiter à l’intégrité physique de la victime et sans donner une importance indue aux gestes sexuels eux-mêmes. Comme il est écrit dans Friesen, précité, au paragr. 142 :
[…] Toutefois, comme l’a expliqué la juge McLachlin dans l’arrêt McDonnell, le fait d’accorder une importance exagérée à l’acte physique peut amener la cour à ne pas accorder l’importance nécessaire au préjudice émotionnel et psychologique que peuvent causer à la victime toutes les formes de violence sexuelle (par. 111‑115). La violence sexuelle ne comportant pas de pénétration demeure [traduction] « extrêmement grave » et peut avoir un effet dévastateur sur la victime (Stuckless (1998), p. 117). La Cour a reconnu que « toute infraction d’ordre sexuel [est] grave » (McDonnell, par. 29), et a conclu que « même des attouchements légers non consensuels de nature sexuelle peuvent avoir de lourdes conséquences pour le plaignant » (R. c. J.A., 2011 CSC 28, [2011] 2 R.C.S. 440, par. 63, la juge en chef McLachlin, et par. 121, le juge Fish). La conception moderne des infractions d’ordre sexuel exige que l’on mette davantage l’accent sur ces formes de préjudice émotionnel et psychologique, plutôt que sur seulement l’intégrité physique (R. c. Jarvis, 2019 CSC 10, [2019] 1 R.C.S. 488, par. 127, le juge Rowe).
[78] Toute violence sexuelle, même sans pénétration, demeure extrêmement grave et il faut donc éviter de réduire l’importance du préjudice causé à la victime en accordant un trop grand poids à la nature physique des gestes posés par le délinquant par rapport à ses conséquences. Il n’existe pas de véritable hiérarchie entre les actes de violence sexuelle et il est donc « erroné de tenir pour acquis qu’une agression comportant des attouchements est intrinsèquement moins intrusive qu’une agression au cours de laquelle il y a eu fellation, cunnilingus ou pénétration » : Friesen, précité, paragr. 146. L’ensemble des circonstances doit être pris en compte et c’est ce que le juge a fait.
[79] De toute façon, que les conséquences subies par la victime soient partie intégrante de l’atteinte à l’intégrité physique, sexuelle et psychologique de la victime ou non ne change rien. Qu’il y ait trois ou quatre facteurs aggravants n’a aucune importance. La pondération des facteurs pertinents n’est pas un exercice mathématique et c’est la valeur ou le poids de chaque facteur qui en détermine la portée, non leur nombre relatif.
Les conséquences indirectes d’une peine peuvent être considérées par le juge dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, à la condition cependant que la peine reste proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de l’accusé.
[86] Les conséquences indirectes d’une peine peuvent être considérées par le juge dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, à la condition cependant que la peine reste proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité de l’accusé. Autrement dit, les conséquences indirectes ne peuvent dénaturer le processus de détermination de la peine en enfreignant la recherche d’une peine individualisée qui doit prendre en compte toutes les circonstances de l’espèce : R. c. Pham, 2013 CSC 15, [2013] 1 R.C.S. 739, paragr. 14, 16 et 21.
[87] Vu les conclusions de fait du juge, ce dernier ne commet pas d’erreur en refusant de donner effet aux conséquences telles qu’il les a identifiées. Comme le soulignait récemment la juge Andrée St-Pierre dans R. c. Bélanger, 2023 QCCQ 658, paragr. 36, lorsque, comme en l’espèce, les objectifs et principes de dénonciation et de dissuasion sont prépondérants, « le Tribunal ne peut prioriser les besoins de sa famille sur » ces principes.
[88] On peut aussi rappeler ce passage de R. v. Upright, 2020 ABCA 329 :
[15] It is questionable whether Ms. Upright’s separation from her infant is a true collateral consequence. “Collateral consequences do not need to be foreseeable, nor must they flow naturally from the conviction, sentence or commission of the offence. In fact, ‘[w]here the consequence is so directly linked to the nature of an offence as to be almost inevitable, its role as a mitigating factor is greatly diminished’ […] The sad fact is that many offenders leave behind children, dependent partners or ill and aged parents. This is an inevitable consequence of serious criminal behaviour for which a penitentiary sentence is warranted. […]
[Renvois omis]
[89] Il existe évidemment des cas où le juge première instance donnera une plus grande portée à ce facteur. Un exemple récent de la Cour démontre d’ailleurs l’importance de la déférence à l’égard de la décision du juge de première instance qui, dans cette affaire, contrairement à la nôtre, avait accordé un poids beaucoup plus important aux conséquences indirectes de la peine : R. c. G.G., 2023 QCCA 305. Il faut toutefois ajouter que les circonstances de ce dossier étaient plus propices à la prise en compte de telles conséquences.
Plus l’ensemble des circonstances de l’infraction est grave, plus la dénonciation s’impose et, dans le but de limiter la prolifération de telles infractions, l’objectif de dénonciation « témoigne du rôle de communication et d’éducation du droit ».
[96] La dénonciation n’est pas qu’un concept flou, aux pourtours incertains. Au contraire, la société en comprend très bien la signification puisqu’elle « est l’expression de la condamnation par la société du comportement du délinquant » : R. c. Proulx, 2000 CSC 5, [2000] 1 R.C.S. 61, paragr. 102. Une telle réprobation « représente une déclaration collective, ayant valeur de symbole, que la conduite du contrevenant doit être punie parce qu’elle a porté atteinte au code des valeurs fondamentales de notre société qui sont constatées dans notre droit pénal substantiel » : R. c. M. (C.A.), 1996 CanLII 230 (CSC), [1996] 1 R.C.S. 500, paragr. 81. Or, « le besoin de dénonciation est intimement lié à la gravité de l’infraction » : R. c. Hills, 2023 CSC 2, paragr. 139. Plus l’ensemble des circonstances de l’infraction est grave, plus la dénonciation s’impose et, dans le but de limiter la prolifération de telles infractions, l’objectif de dénonciation « témoigne du rôle de communication et d’éducation du droit » : Friesen, précité, paragr. 105.
[97] Il est donc nécessaire que la dénonciation soit exprimée lorsque les circonstances l’exigent, comme en l’espèce, en tenant compte de l’abus de confiance, de l’atteinte grave à l’intégrité physique, psychologique et émotionnelle de la victime, de même que de son état de grande vulnérabilité au moment de l’agression.
[98] Pour me répéter, je n’exclus pas, ce faisant, les autres facteurs pertinents. Je conclus tout simplement que les circonstances du présent dossier exigent de donner préséance à la dénonciation et à la dissuasion. C’est d’ailleurs ce retient la Cour d’appel de l’Ontario dans R. v. Flores, 2020 ONCA 158 :
[16] […] At the very least, he took advantage of a vulnerable personwhom he knew required help. This attracted denunciation and deterrence as the paramount sentencing objectives. […]
L’affirmation des objectifs de dénonciation et de dissuasion s’étend également au traitement judiciaire des agressions sexuelles commises sur des adultes. La priorité ainsi accordée à ces objectifs favorise fortement l’incarcération des contrevenants.
[99] Les autrices Desrosiers et Beausoleil-Allard expriment un avis qui va encore plus loin dans L’agression sexuelle en droit canadien, précité :
L’affirmation des objectifs de dénonciation et de dissuasion s’étend également au traitement judiciaire des agressions sexuelles commises sur des adultes. La priorité ainsi accordée à ces objectifs favorise fortement l’incarcération des contrevenants.
[100] N’oublions pas que la proportionnalité, principe cardinal en matière de détermination de la peine, « garantit que la peine reflète la gravité de l’infraction et crée ainsi un lien étroit avec l’objectif de dénonciation » : R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, [2012] 1 R.C.S. 433.
[101] Je suis bien conscient que dans Proulx, précité, le juge en chef Lamer rappelle que « l’emprisonnement avec sursis peut néanmoins avoir un effet dénonciateur appréciable » (paragr. 102). Il précise toutefois, dans le même paragraphe, que « [l]’incarcération produit habituellement un effet dénonciateur plus grand que l’emprisonnement avec sursis » pour une peine de durée équivalente. Il ajoute, au paragr. 106 : « Toutefois, il peut survenir des cas où la nécessité de dénoncer est si pressante que l’incarcération est alors la seule peine qui convienne pour exprimer la réprobation de la société à l’égard du comportement du délinquant ». Bref, si le juge en chef estime que l’emprisonnement avec sursis peut satisfaire l’objectif de dénonciation, il reconnaît que, parfois, la situation est tellement sérieuse, tellement grave, que ce type d’emprisonnement ne suffit pas. C’est le cas ici.
[102] Le raisonnement du juge en chef est analogue en ce qui a trait à la dissuasion. Même si cet objectif peut être atteint par un emprisonnement avec sursis, il reste que « [l]’incarcération, qui est habituellement une sanction plus sévère, peut avoir un effet plus dissuasif que l’emprisonnement avec sursis » (paragr. 107). De plus, l’objectif de dissuasion entraîne généralement une peine plus sévère : R. c. B.W.P., 2006 CSC 27 (CanLII), [2006] 1 R.C.S. 941, paragr. 2 et 36.
[…] Les juges doivent cependant prendre soin de ne pas accorder un poids excessif à la dissuasion quand ils choisissent entre l’incarcération et l’emprisonnement avec sursis: […] La preuve empirique suggère que l’effet dissuasif de l’incarcération est incertain: […] Qui plus est, l’emprisonnement avec sursis peut avoir un effet dissuasif général appréciable si l’ordonnance est assortie de conditions suffisamment punitives et si le public est informé de la sévérité de ces sanctions. Un autre moyen de réaliser l’objectif de dissuasion générale est le recours à des ordonnances de service communautaire, notamment des ordonnances dans le cadre desquelles le délinquant serait tenu de parler à des membres du public des maux engendrés par son comportement criminel, dans la mesure où le délinquant est ouvert à une telle condition. Néanmoins, il peut y avoir des circonstances où le besoin de dissuasion justifie l’incarcération du délinquant. Une telle décision dépend en partie de la question de savoir s’il s’agit d’une infraction pour laquelle les conséquences de l’incarcération sont susceptibles d’avoir un effet dissuasif réel, ainsi que des circonstances propres à la collectivité au sein de laquelle l’infraction a été perpétrée.
[Renvois omis; soulignement ajouté]
Lorsque des objectifs tels que la dénonciation et la dissuasion sont particulièrement pressants, l’incarcération sera généralement la sanction préférable, et ce en dépit du fait que l’emprisonnement avec sursis pourrait permettre la réalisation d’objectifs correctifs
[104] En somme, le sursis peut avoir un effet dissuasif, mais les circonstances d’une affaire peuvent requérir l’incarcération, comme en l’espèce. Pour reprendre un extrait du paragr. 127 de Proulx, « Lorsque des objectifs tels que la dénonciation et la dissuasion sont particulièrement pressants, l’incarcération sera généralement la sanction préférable, et ce en dépit du fait que l’emprisonnement avec sursis pourrait permettre la réalisation d’objectifs correctifs ». L’atteinte d’un juste équilibre est donc l’objectif cardinal.
[105] Il y aura évidemment des cas plus lourds que celui-ci, mais cela ne réduit pas la nécessité d’insister sur la nécessité de prioriser les objectifs de dénonciation et de dissuasion en raison du poids des circonstances aggravantes en comparaison avec celui des circonstances atténuantes. Toutefois, il ne faut évidemment pas conclure que ce sera toujours le cas dans les dossiers d’agression sexuelle. Chacun des cas doit être traité conformément à la règle de droit et en accord avec ses circonstances propres puisque « [l]es objectifs de dénonciation et de dissuasion ne sont pas mieux servis par l’infliction de peines excessives » : R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23, paragr. 94. C’est la raison pour laquelle l’exercice de pondération est si important et mérite déférence.
La jurisprudence a grandement évolué depuis et les tribunaux sont beaucoup plus conscients de la gravité de la violence sexuelle et ont développé une plus grande sensibilité à la douleur des victimes. En conséquence, aujourd’hui, les peines peuvent être plus sévères et encourager davantage l’incarcération, autrement dit l’emprisonnement (aussi appelé emprisonnement « ferme », un terme à éviter) plutôt que l’emprisonnement avec sursis.
D’autre part, il serait tout aussi erroné de déterminer la peine en insistant indûment sur les peines infligées depuis 2007. Il pourrait alors être trop facile de conclure, sur cette base, que les tribunaux imposent l’incarcération dans les cas d’agressions sexuelles.
[106] À ce sujet, la situation en ce qui concerne la fourchette des peines, ou plutôt l’établissement d’outils de référence pour l’octroi d’un emprisonnement avec sursis, est ici un exercice délicat puisque l’emprisonnement avec sursis était prohibé depuis 2007. D’une part, si l’on s’en tient aux peines infligées pour des agressions sexuelles perpétrées avant 2007 pour décider si le sursis doit être accordé, on risque fort d’établir une norme qui dénature la réalité. En effet, la jurisprudence a grandement évolué depuis et les tribunaux sont beaucoup plus conscients de la gravité de la violence sexuelle et ont développé une plus grande sensibilité à la douleur des victimes. En conséquence, aujourd’hui, les peines peuvent être plus sévères et encourager davantage l’incarcération, autrement dit l’emprisonnement (aussi appelé emprisonnement « ferme », un terme à éviter) plutôt que l’emprisonnement avec sursis. Les jugements rendus avant 2007 risqueraient donc d’abaisser indûment la sévérité de la peine.
[107] D’autre part, il serait tout aussi erroné de déterminer la peine en insistant indûment sur les peines infligées depuis 2007. Il pourrait alors être trop facile de conclure, sur cette base, que les tribunaux imposent l’incarcération dans les cas d’agressions sexuelles. Une telle conclusion pourrait bien être erronée puisque l’emprisonnement avec sursis était prohibé jusqu’à récemment, ce qui ne laissait pas de place à cette alternative à l’incarcération.
[108] L’utilisation de cette jurisprudence peut même être douteuse. Ainsi, l’intimé nous renvoie à R. c. Houle, 2023 QCCA 99, pour nous convaincre que « [l]’emprisonnement ferme est la sanction privilégiée » en matière d’agression sexuelle, alors qu’il n’était aucunement question d’emprisonnement avec sursis dans cette affaire, ni dans celles citées par cet arrêt.
[109] Le changement législatif est trop récent pour identifier avec justesse les jugements pouvant servir à un exercice valable de comparaison sur l’octroi de l’emprisonnement avec sursis. Je laisserai donc le soin aux tribunaux de le faire plus tard et c’est pourquoi je me limite essentiellement aux principes de base pour déterminer la peine appropriée dans la présente affaire.
[110] En conclusion, j’estime que l’emprisonnement avec sursis n’est pas approprié au motif que, pour reprendre les termes du paragr. 742.1a) C.cr., cette peine ne serait pas conforme « aux principes énoncés aux articles 718 à 718.2 /with the principles of sentencing set out in sections 718 to 718.2 », et ce, malgré l’obligation pour les tribunaux d’envisager une peine moins privative de liberté. Les circonstances du dossier mènent inexorablement à une peine d’incarcération.