R. c. Vega Diaz, 2017 QCCQ 7862

 

[1]         L’accusé subit son procès sous un seul chef d’accusation, soit d’avoir fait défaut d’obtempérer à un ordre que lui avait donné un agent de la paix aux termes de l’article 254(3)b) et 254(3)a)i) du Code criminel.

[2]         Ce refus est subséquent à un résultat « FAIL » obtenu avec un appareil de détection approuvé (ADA) dans les circonstances qui seront ci-après décrites. Fait particulier, tout se passe dans un stationnement résidentiel sans que le véhicule conduit par le requérant n’ait atteint la voie publique.

[3]         Pour le requérant, cette intervention est carrément illégale; les agents ne pouvant intervenir en de telles circonstances. C’est sans compter que d’autres violations sont alléguées.

 

 

  1.    LE POUVOIR D’INTERVENTION DANS UN STATIONNEMENT PRIVÉ

[19]        Un des arguments proposés du requérant se veut que les policiers ne pouvaient intervenir dans le stationnement de l’immeuble, cet endroit ne rencontrant pas la définition de « chemin public » ou de « certains chemins et terrains privés » prévue à l’article 1 du Code de la sécurité routière (CSR).

[20]      Bien que souvent présente dans un cadre de révision administrative, le Tribunal était conscient qu’une certaine controverse peut planer à ce sujet quand on tente de qualifier le caractère privé ou non d’un stationnement résidentiel.

[21]      Ainsi, un stationnement à l’arrière d’un immeuble à logements, où chaque endroit est réservé aux locataires et où les visiteurs doivent se garer dans la rue a été considéré comme stationnement privé[4].

[22]      Dans une autre affaire, toutes les cases de stationnement étaient réservées et identifiées par un numéro, correspondant à chaque unité de condo de l’immeuble. On a aussi considéré le tout comme stationnement privé[5].

[23]      Ici, cette preuve n’a pas été faite. La photo des lieux de la rue montre une entrée sans barrière ou affiche interdisant l’accès à des visiteurs. Ce stationnement est vaste et comporte plusieurs stationnements; tout comme l’immeuble semble comporter plusieurs logements. On peut se garer tout près de la rue ou plus loin vers l’arrière.

[24]      Bref, la simple référence en plaidoirie voulant que le requérant, lui-même visiteur, a utilisé la place de son ami qui y réside, est insuffisante pour déterminer que le stationnement en est un comme décrit dans les deux affaires ci-haut.

[25]      Qui plus est, dans une affaire analogue à la nôtre, la Cour d’appel a récemment tranché cette question en lien avec l’expression « tout autre lieu public » contenue au paragr. 259(1) du Code criminel[6]. On décrit l’endroit comme :

La preuve accréditant que quelques espaces avaient des poteaux indiquant des numéros d’appartement. D’autres, dans l’immeuble adjacent, avaient des numéros, mais à la peinture défraichie.

[26]      La Cour d’appel conclut ainsi :

[32]        Le stationnement visé est de dimensions appréciables, tel qu’il appert des photos déposées. Sa partie avant jouxte un chemin public sur toute sa largeur et elle ne comporte aucun signe ou obstacle qui empêche un automobiliste ou un piéton de s’y engager ou d’y pénétrer. Le stationnement est à la disposition des occupants des 20 appartements des deux immeubles, des membres de leurs familles, de leurs invités et, plus généralement, de toute personne qui visite un locataire. Ces faits permettaient au juge d’instance de conclure que le public avait un accès suffisant à cet endroit pour en faire un lieu public où la sécurité des personnes présentes peut être menacée par un conducteur assujetti à une interdiction de conduire selon le Code criminel.

4.2. Le juge a-t-il erré en ne reconnaissant pas une violation des droits constitutionnels de l’appelant entraînant l’exclusion de la preuve?

[33]        La Cour estime que compte tenu des circonstances entourant l’arrestation de l’appelant, celle-ci était justifiée. Au départ, il existait un motif d’interception relié à la conduite automobile puisque l’appelant s’apprêtait à s’engager sur la voie publique avec des phares éteints, la nuit, contrairement à l’article 424 du Code de la sécurité routière. Par ailleurs, les policiers étaient justifiés de vérifier alors si l’appelant était détenteur d’un permis de conduire, vu qu’il se trouvait au volant d’un véhicule automobile. Enfin, en découvrant qu’il était sous le coup d’une interdiction de conduire sur un lieu public, ils étaient en droit de procéder à son arrestation.

[27]      L’argument du requérant, confronté à cet arrêt, voulant qu’il n’y avait pas ici d’infractions au CSR au départ relève de la sémantique. Les agents ont clairement identifié l’art. 636 du CSR comme assise de leur intervention. Le Tribunal est d’avis que cette assise suffit. Dans la mesure où l’intervention est légalement justifiée par le CSR, il importe peu qu’il s’agisse d’une mesure préventive, de vérifications permises ou de constatations d’infractions comme telles.

[28]      En conclusion, ce premier argument doit échouer.

  1.    LA DÉTENTION DE L’ACCUSÉ ET LE DROIT À L’AVOCAT

[29]      Il faut tout d’abord écarter la proposition du requérant voulant qu’il ait été au départ détenu aux fins d’enquête ou détenu arbitrairement[7].

[30]      Rappelons que la légalité de l’interception du véhicule conduit par le requérant n’est pas en cause. Elle résulte d’une interception en vertu du CSR, auquel cas cette détention légale n’engage pas les droits d’une personne tel que prévu à l’art. 10(b) de la Charte[8].

[31]      Qui plus est, dans une situation analogue à celle du requérant (interception légale à la suite d’une interception au CSR suivie de la découverte d’indices menant à soupçonner la présence d’alcool chez le conducteur), la Cour suprême écarte que le requérant soit détenu aux fins d’enquête[9].

[32]      Il en découle que le droit à l’avocat ne peut être envisagé et analysé autrement que dans le cadre d’une interception légale en vertu du CSR suivi de la découverte d’indices menant à des soupçons justifiant un ordre de se soumettre à l’ADA.

[33]      C’est donc le caractère d’immédiateté de l’ordre donné et, le cas échéant, l’opportunité réaliste de contacter un avocat durant le délai qui est en jeu ici[10].

  1.    LE CARACTÈRE D’IMMÉDIATETÉ DE L’ORDRE DONNÉ

[34]      Il a été admis pour faire preuve et concédé en plaidoirie par la poursuite ce qui était allégué à la requête du requérant, soit le type d’ADA utilisé et le fait qu’un délai d’attente de 3 minutes et non de 15 est requis si le sujet fume une cigarette.

[35]      Pour le requérant, ce délai additionnel de 12 minutes ne respecte pas le caractère d’immédiateté, résultant de l’erreur des agents.

[36]      Pour la poursuite, on plaide qu’une certaine flexibilité est reconnue en jurisprudence lorsque les circonstances s’y prêtent. De plus, les agents n’ont pas questionné ou tenté d’obtenir de la preuve durant ce délai. Ils en ont profité pour lui expliquer le processus à venir et ont fait des vérifications au CRPQ durant le délai qui était inévitable dans ce genre d’intervention.

[37]      Le Tribunal ne partage pas cette dernière analyse.

[38]      Une jurisprudence abondante traite de l’état du droit sur le caractère d’immédiateté, dont plusieurs décisions citées par les parties. Le Tribunal retiendra le passage suivant de l’arrêt Quansah[11] qui a été cité avec approbation à maintes reprises :

[45]        In sum, I conclude that the immediacy requirement in s. 254(2) necessitates the courts to consider five things.  First, the analysis of the forthwith or immediacy requirement must always be done contextually.  Courts must bear in mind Parliament’s intention to strike a balance between the public interest in eradicating driver impairment and the need to safeguard individual Charter rights.

[46]        Second, the demand must be made by the police officer promptly once he or she forms the reasonable suspicion that the driver has alcohol in his or her body.  The immediacy requirement, therefore, commences at the stage of reasonable suspicion.

[47]        Third, “forthwith” connotes a prompt demand and an immediate response, although in unusual circumstances a more flexible interpretation may be given.  In the end, the time from the formation of reasonable suspicion to the making of the demand to the detainee’s response to the demand by refusing or providing a sample must be no more than is reasonably necessary to enable the officer to discharge his or her duty as contemplated by s. 254(2).

[48]        Fourth, the immediacy requirement must take into account all the circumstances.  These may include a reasonably necessary delay where breath tests cannot immediately be performed because an ASD is not immediately available, or where a short delay is needed to ensure an accurate result of an immediate ASD test, or where a short delay is required due to articulated and legitimate safety concerns. These are examples of delay that is no more than is reasonably necessary to enable the officer to properly discharge his or her duty.  Any delay not so justified exceeds the immediacy requirement.

[49]        Fifth, one of the circumstances for consideration is whether the police could realistically have fulfilled their obligation to implement the detainee’s s. 10(b) rights before requiring the sample.  If so, the “forthwith” criterion is not met.

[39]      Nous sommes donc dans une des situations prévues au paragr. 48 de Quansah, soit « (…) where a short delay is needed to ensure an accurate result of an immediate ASD test (…) ». Ce passage rejoint celui de la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Bernshaw[12]. Du moins, telle est la théorie de la poursuite.

[40]      Le Tribunal est conscient que cette erreur liée à la cigarette n’a pas été jugée fatale et n’a pas affecté le caractère immédiat de l’ordre donné dans d’autres affaires, dont celles produites par la poursuite :

−      dans Samson c. R.2014 QCCM 199 (CanLII), l’agent n’intervient pas quand le conducteur s’allume une cigarette au motif qu’il fallait de toute façon attendre l’arrivée de l’ADA. Ce n’est pas le cas ici, l’ADA était disponible;

−      dans R. c. Léveillé2014 QCCQ 3839 (CanLII), la même situation est présente, soit que les agents n’avaient pas l’ADA et devait l’attendre.

[41]      On doit comprendre que l’erreur de l’agent dans les deux affaires a été amenuisée et tempérée par le délai d’attente de l’ADA.

[42]      Dans une autre affaire citée[13], aucune preuve n’avait été faite au procès quant au délai allégué de 3 minutes proposées en défense plutôt que les 15 minutes appliquées par l’agent. Ici, cette preuve est faite.

[43]      Une dernière affaire citée[14] donne raison à la poursuite, la juge ayant retenu le témoignage de la policière voulant qu’elle désirait éviter un « faux échec » (paragr. 32) et qu’elle avait agi de bonne foi (paragr. 37).

[44]      Le Tribunal n’adopte pas cette dernière décision pour les motifs qui suivent.

[45]      Ici, l’agent a identifié un problème (la cigarette) et appliqué le mauvais remède quant au délai applicable. Le délai n’est donc inhérent à une bonne manipulation de l’ADA par l’agent en lien avec la fiabilité du test.

[46]      Qu’en est-il des raisons invoquées par l’agent?

[47]      Fort peu de choses, sinon un vague allégué que « c’était un ancien appareil et qu’il fallait attendre 15 minutes ».

[48]      Où est le préjudice, dira-t-on? Devrions-nous nous insurger qu’un délai de 12 minutes vienne invalider un ordre somme toute légitime puisque la présence d’alcool n’est pas en litige? Mais, ce raisonnement est réducteur et occulte une autre réalité : la compétence des agents.

[49]      Un ADA est un outil puissant dans l’arsenal des agents quand vient le temps d’enquêter, et idéalement, réduire les effets tragiques et dévastateurs de l’alcool au volant (Bernshaw, paragr. 19).

[50]      Mais cette utilisation a ses limites :

Le paragraphe 254(2) du Code criminel prévoit que le test ALERT doit être effectué «immédiatement». On doit déterminer le sens de ce terme en examinant tout d’abord sa place dans le contexte de l’ensemble du régime législatif destiné à découvrir les conducteurs dont les facultés sont affaiblies. La procédure d’enquête en deux étapes prévue aux par. 254(2) et (3) et le test ALERT lui-même se veulent à la fois utiles pour la police et sans inconvénient pour les conducteurs. Le test ALERT est un appareil de détection portatif qui fournit promptement des résultats. Il permet aux policiers de confirmer ou de rejeter rapidement leurs soupçons que les facultés d’un conducteur sont affaiblies par l’effet de l’alcool. En outre, cet instrument permet aux conducteurs qui «réussissent» le test de poursuivre leur chemin avec un minimum d’inconvénients. L’ensemble du test ALERT repose sur le concept qu’un conducteur sera détenu pendant une très courte période. Notre Cour a en fait reconnu que le test ALERT doit être administré immédiatement et que la détention en vertu du par. 254(2) peut se justifier en vertu de l’article premier de la Charte précisément en raison de sa très courte durée. (Bernshaw, paragr. 23)

[51]      De toute évidence, l’agent ne connaissait pas ou connaissait mal l’appareil qu’il manipulait. On pourrait croire à une erreur de bonne foi, réalisée depuis, admise au procès et expliquée quant au caractère raisonnable de l’erreur commise. Mais, force est de constater que près de deux ans après l’infraction, l’agent a toujours la même croyance quand il témoigne.

[52]      En somme, le délai ne résulte de rien d’autre que la méconnaissance, pour ne pas dire l’ignorance, de l’agent quant à l’appareil utilisé. Et, cette ignorance est difficilement excusable. Le manuel mis en preuve est fort simple et concis en ce qui concerne les mises en garde et remèdes en lien avec le comportement du citoyen :

−         l’usage du tabac (3 minutes);

−         la consommation d’alcool récente (15 minutes);

−         vomissements, régurgitations et consommation de quelques substances (15 minutes).

[53]      Mémoriser ces délais pour le type d’appareil concerné n’est donc pas d’une grande complexité et devrait faire partie des connaissances de base de celui qui l’opère. Autrement, il faudrait conclure et tolérer que le législateur ait voulu confier cet outil d’enquête pouvant mener à des arrestations à des gens qui ne savent pas s’en servir. Cautionner un tel comportement n’apparaît pas soutenable.

[54]      La poursuite a aussi voulu légitimer le geste posé par l’agent au motif qu’il avait fait allusion dans son témoignage que ce délai était celui véhiculé au poste. Cet argument n’aide pas la poursuite. La base factuelle est absente pour conclure que ce délai de 15 minutes, lorsque le citoyen fume, est universellement appliqué par le service de police concerné. Pire, si tel devait être le cas, il faudrait conclure à une conduite systémique voulant que des délais inutiles soient toujours appliqués en de telles circonstances.

[55]      Il en résulte que le délai dans les circonstances de la présente affaire ne résulte pas de motifs reconnus en jurisprudence pour justifier une certaine flexibilité.

[56]      Le caractère immédiat de l’ordre n’a pas été respecté.

LA DÉTENTION DANS L’AUTOPATROUILLE ET LA FOUILLE PAR PALPATION

[57]      Le requérant a aussi plaidé comme illégale et abusive sa présence dans l’autopatrouille pour l’administration de l’ADA et la fouille par palpation qui l’a précédée.

[58]      Concernant l’autopatrouille, les faits rejoignent ceux de Aucoin de la Cour suprême précité. Ce pouvoir existe, mais encore faut-il qu’il soit justifié et raisonnable dans les circonstances. Comme le dit la Cour suprême : « [l]a question est plutôt de savoir si l’exercice d’un tel pouvoir se justifiait dans les circonstances »[15].

[59]      Froid extrême, scène d’accident, passagers ou badauds agressifs viennent vite à l’esprit pour illustrer parfois cette justification. Or, la preuve d’une telle nécessité n’a pas été établie avec seule la présence d’autres personnes comme justification.

[60]      En de telles circonstances, la Cour suprême dans Aucoin ajoute :

Dans ce cas-ci, l’agent Burke a choisi de confiner l’appelant à l’arrière de la voiture de police et de le soumettre auparavant à une fouille par palpation. N’eût été cette décision, il n’y aurait pas eu de fouille par palpation[3]. Parce que la détention de l’appelant à l’arrière de la voiture de police aurait constitué une détention illégale — puisque l’agent Burke disposait d’autres moyens raisonnables d’empêcher l’appelant de déguerpir — la détention ne saurait fonder en droit une fouille sans mandat : Collins, p. 278. Par conséquent, la fouille par palpation était abusive au sens de l’art. 8 et constituait une atteinte au droit de l’appelant d’être protégé contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives garanties par la Charte. Avec égards, la conclusion contraire de la juge du procès et des juges majoritaires de la Cour d’appel est erronée. (paragr. 44)

(référence omise)

[61]      Contrairement à Aucoin, rien n’a résulté de cette fouille. De plus, la Cour suprême en est venue à la conclusion de ne pas exclure la preuve une fois l’analyse de 24(2) faite. La lecture des paragr. 45 à 52 de Aucoin permettent de conclure ici qu’il y a effectivement une violation. Elle n’aurait pas été déterminante à elle seule pour sceller l’issue de la requête. On peut inférer ici que les agents ne suivaient pas leur pratique habituelle d’administrer l’ADA à l’extérieur de l’autopatrouille, bien que la simple présence des passagers n’aurait pas dû mener à elle seule à leur décision de le faire ici.

[62]      Il n’en reste pas moins que cette violation s’ajoute au reste.

[…]

POUR TOUS CES MOTIFS, LA COUR :

ACCUEILLE la requête.