*** Mise à jour du 25 septembre 2024 : Décision renversée par R. c. Charles, 2024 CSC 29
L’article 9 L.p. ne concerne pas la règle générale d’exclusion du ouï-dire ni les circonstances dans lesquelles ce type de preuve peut être admis. Il a plutôt trait à la règle de common law interdisant à une partie d’attaquer la crédibilité d’un de ses témoins à l’aide d’une preuve générale de mauvaise moralité.
Le second paragraphe de l’article 9 L.p., quant à lui, traite du cas particulier de la partie souhaitant attaquer la crédibilité d’un de ses témoins en se servant d’une déclaration écrite ou enregistrée qu’il a faite et qui est incompatible avec son témoignage. La partie concernée pourra être autorisée[12], là encore si les fins de la justice le requièrent, à contre-interroger le témoin quant à sa déclaration antérieure incompatible. Le tribunal pourra aussi, sur la foi de ce contre-interrogatoire, constater que le témoin est opposé à la partie l’ayant convoqué, permettant du coup à cette dernière de se livrer à une attaque plus étendue de sa crédibilité[13].
[21] Comme premier moyen d’appel, l’appelant reprend un argument qu’il a soulevé en première instance et qui trouverait appui dans l’arrêt rendu par la Cour suprême dans l’affaire B. (K.G.)[7]. L’argument va comme suit : lorsqu’un témoin ayant précédemment fait une déclaration extrajudiciaire affirme ne se souvenir de rien, un voir-dire relatif à l’admissibilité de cette déclaration extrajudiciaire à titre de ouï-dire ne peut avoir lieu qu’après que le juge eut décidé que le témoin était opposé à la partie l’ayant convoqué et autorisé le contre-interrogatoire du témoin relativement à cette déclaration, et ce, conformément à la procédure établie à l’article 9(2) de la Loi sur la preuve au Canada[8] (« L.p. »)[9]. Puisque cette procédure n’a pas été suivie par le juge de première instance, ce dernier aurait commis une erreur de droit en admettant en preuve la déclaration extrajudiciaire de K.A.
[22] L’intimée rétorque que l’appelant se méprend sur la teneur et la portée des exigences de l’article 9(2) L.p. Elle ajoute que la Cour suprême n’a jamais décidé que la procédure y étant énoncée constituait une étape préalable à l’admission en preuve, à titre de ouï-dire, d’une déclaration extrajudiciaire antérieure d’un témoin affirmant ne se souvenir de rien. Elle attire aussi l’attention de la Cour sur R. v. Glowatski[10], un arrêt de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique rejetant un argument identique à celui soulevé par l’appelant.
[24] L’article 9 L.p. ne concerne pas la règle générale d’exclusion du ouï-dire ni les circonstances dans lesquelles ce type de preuve peut être admis. Il a plutôt trait à la règle de common law interdisant à une partie d’attaquer la crédibilité d’un de ses témoins à l’aide d’une preuve générale de mauvaise moralité. Le législateur réitère cette règle au premier paragraphe de l’article 9 L.p., puis il établit une exception lorsque le témoin s’avère être « opposé/adverse » à la partie l’ayant convoqué : celle-ci pourra alors réfuter les affirmations du témoin par d’autres témoignages ou encore être autorisée, si les fins de la justice le requièrent, à prouver que le témoin a fait une déclaration antérieure incompatible à l’égard de laquelle ce dernier pourra ensuite être contre-interrogé. Cette exception s’ajoute à celle, reconnue en common law depuis longtemps, permettant à une partie de contre-interroger un de ses témoins lorsque celui-ci lui est hostile[11].
[25] Le second paragraphe de l’article 9 L.p., quant à lui, traite du cas particulier de la partie souhaitant attaquer la crédibilité d’un de ses témoins en se servant d’une déclaration écrite ou enregistrée qu’il a faite et qui est incompatible avec son témoignage. La partie concernée pourra être autorisée[12], là encore si les fins de la justice le requièrent, à contre-interroger le témoin quant à sa déclaration antérieure incompatible. Le tribunal pourra aussi, sur la foi de ce contre-interrogatoire, constater que le témoin est opposé à la partie l’ayant convoqué, permettant du coup à cette dernière de se livrer à une attaque plus étendue de sa crédibilité[13].
La partie qui tente de faire admettre en preuve, à titre de ouï-dire, une déclaration antérieure incompatible d’un de ses témoins ne cherche pas, à proprement parler, à attaquer sa crédibilité afin d’atténuer la force probante d’un témoignage qu’elle considère faux ou inexact.
Je vois mal en quoi il serait nécessaire ou même utile d’exiger l’épuisement de cette procédure [9 L.p.] avant que la déclaration antérieure incompatible du témoin puisse être admise en preuve à titre de ouï-dire.
[26] La partie qui tente de faire admettre en preuve, à titre de ouï-dire, une déclaration antérieure incompatible d’un de ses témoins ne cherche pas, à proprement parler, à attaquer sa crédibilité afin d’atténuer la force probante d’un témoignage qu’elle considère faux ou inexact. Elle cherche plutôt à dénouer l’impasse dans laquelle elle se trouve en raison du refus ou de l’incapacité du témoin à s’exprimer adéquatement sur les faits relatés dans sa déclaration antérieure : elle invoque alors la nécessité d’admettre en preuve cette déclaration afin que le juge des faits puisse avoir accès à la version du témoin qu’elle estime utile à sa cause. Il s’agit d’une finalité bien différente de celle poursuivie par la procédure prévue à l’article 9(2) L.p.
[27] Dans les circonstances, je vois mal en quoi il serait nécessaire ou même utile d’exiger l’épuisement de cette procédure avant que la déclaration antérieure incompatible du témoin puisse être admise en preuve à titre de ouï-dire. Il n’est donc pas surprenant de constater que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rejeté un argument analogue à celui soulevé par l’appelant[14] et que plusieurs auteurs particulièrement autorisés ont pris position dans le même sens. C’est notamment le cas des auteurs Hill, Tanovich et Strezos qui, tout en admettant que l’arrêt B. (K.G.)[15] pouvait être interprété comme appuyant la thèse défendue par l’appelant, approuvent sans réserve la solution retenue par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique[16] :
R. v. K.G.B. suggests that where a witness recants an earlier version of events given to police the usual course will be for the calling party to make an application under s. 9 of the Canada Evidence Act before applying to have the statement admitted under the principled exception to the hearsay rule. Nevertheless, in R. v. Glowatski, the British Columbia Court of Appeal rejected the argument that a s. 9 application is a necessary precondition to applying for the admission of the statement under the principled exception; provided the requirements of the principled exception were met, the statement could be admitted. This flexible approach makes sense and allows counsel and the court to adopt whatever procedure makes the most sense in the circumstances. That having been said, counsel should state whether an application is being brought under s. 9 alone, the principled exception to the hearsay rule, or both. Alerting the judge and the opposing party to the scope of the application ensures that matters relevant to the issues raised can be fully canvassed in the voir dire.
…
[53] Nous partageons l’avis de notre collègue en ce qui a trait au paragr. 9(2) de la Loi sur la preuve. Notre opinion diffère toutefois de la sienne en ce qui concerne la recevabilité de la déclaration de K.A. Avec égards, nous estimons que son analyse décortique indûment la preuve et la jurisprudence. Ceci mène à la négation du principe cardinal qui consiste à privilégier une approche souple, un examen effectué au cas par cas, en tenant compte de toutes les circonstances, examen qui relève d’abord et avant tout du juge du procès puisqu’il est le mieux placé pour déterminer dans quelle mesure les dangers d’une preuve par ouï-dire sont présents : R. c. Khan, 1990 CanLII 77 (CSC), [1990] 2 R.C.S. 531; R. c. Smith, 1992 CanLII 79 (CSC), [1992] 2 R.C.S. 915; R. c. B. (K.G.), 1993 CanLII 116 (CSC), [1993] 1 R.C.S. 740; R. c. U. (F.J.),1995 CanLII 74 (CSC), [1995] 3 R.C.S. 764; R. c. Khelawon, 2006 CSC 57, [2006] 2 R.C.S. 787; R. c. Blackman, 2008 CSC 37, [2008] 2 R.C.S. 298; R. c. Youvarajah, 2013 CSC 41, [2013] 2 R.C.S. 720; R. c. Bradshaw, 2017 CSC 35, [2017] 1 R.C.S. 865.
La nouvelle règle d’admissibilité du ouï-dire ne saurait être rigide et compartimentée; elle doit, au contraire, être souple et pouvoir s’adapter aux nouvelles situations.
La question primordiale demeure la nécessité que la preuve annihile les craintes que la déclaration puisse être fausse ou autrement erronée et qu’elle fournisse une base rationnelle permettant de rejeter d’autres explications, même conjecturales.
[54] La nouvelle règle d’admissibilité du ouï-dire ne saurait être rigide et compartimentée; elle doit, au contraire, être souple et pouvoir s’adapter aux nouvelles situations : U. (F.J.), paragr. 20.Le juge du procès, gardien des règles de preuve, possède alors « un rôle davantage complexe et nuancé » : Youvarajah, paragr. 21. Il détermine « si la déclaration relatée atteint le seuil de fiabilité », alors que le juge des faits décide de « la fiabilité en dernière analyse » : Youvarajah, paragr. 23; Khelawon, paragr. 2. La distinction entre le seuil de fiabilité et la fiabilité en dernière analyse est essentielle : Bradshaw, paragr. 39; Khelawon, paragr. 50.
[55] La question primordiale demeure la nécessité que la preuve annihile les craintes que la déclaration puisse être fausse ou autrement erronée et qu’elle fournisse une base rationnelle permettant de rejeter d’autres explications, même conjecturales. Or, c’est exactement l’exercice auquel s’est astreint le juge de première instance et c’est la conclusion qu’il a retenue. Rien ne permet d’infirmer le résultat auquel il est parvenu alors que la retenue s’impose en appel : Youvarajah, paragr. 31.
[56] Il est vrai, lorsqu’il s’agit d’évaluer la fiabilité substantielle, que Bradshaw requiert qu’une preuve de corroboration porte sur un aspect important de la déclaration. Il faut toutefois examiner cette exigence dans un double contexte : celui de l’arrêt Bradshaw et celui du présent dossier.
[57] Les faits singuliers dans Bradshaw sont importants : R. v. Larue, 2018 YKCA 9, paragr. 98-101 (la juge Dickson) confirmé par 2019 CSC 25, [2019] 2 R.C.S. 398; R. v. Hall, 2018 MBCA 122, paragr. 77-78. Dans cette affaire, le déclarant, une personne à la crédibilité douteuse et visée par Vetrovec, avait antérieurement, et sur une longue période, fait plusieurs déclarations contradictoires sur sa propre participation aux meurtres et sur celle de l’accusé, alors que le seul aspect susceptible de corroborer sa dernière déclaration était les conditions météorologiques et la preuve médicolégale confirmant la manière de commettre les meurtres. On peut comprendre qu’il fallait être particulièrement exigeant avant de permettre le dépôt d’une déclaration provenant d’un tel témoin.
[58] Rien de tel dans la présente affaire. Le jeune déclarant n’a pas fait de déclaration antérieure incompatible. Il a parlé à la police dans les heures qui ont suivi; sa crédibilité n’était pas entachée au moment de la déclaration; sa déclaration avait deux volets importants et la preuve corroborait l’un des deux. En effet, il faut se rappeler que, au moment du voir-dire sur la déclaration, l’appelant n’avait évidemment pas encore témoigné au fond et rien n’était admis. Il fallait donc démontrer à la fois la participation de l’appelant et l’utilisation d’une arme. En démontrant la présence d’une arme chez le témoin, la preuve confirmait son existence et corroborait la version du témoin qui relatait l’utilisation d’une arme par l’appelant, arme qu’il lui avait lui-même remise.
[59] Nous ne partageons pas l’avis de notre collègue qui estime que cette corroboration ne peut confirmer que le second aspect de la déclaration, et non le premier qui porte sur la participation de l’appelant. On ne peut, de la sorte, scinder une preuve pour en limiter la corroboration à un volet important, au préjudice de l’autre. À ce stade du procès, la déclaration avait une portée beaucoup plus vaste que celle décrite par notre collègue et la découverte d’une arme en corroborait l’entièreté selon le juge. Nous ne voyons aucune erreur dans ce raisonnement.
Dans une analyse globale, le juge du procès peut donc légitimement considérer l’ensemble des circonstances pour conclure que la déclaration est admissible même si, considérés de manière distincte, certains éléments de preuve seraient insuffisants pour démontrer, à eux seuls, que le seuil de fiabilité substantielle ou procédurale est atteint.
[60] Par ailleurs, l’analyse de notre collègue portant sur la preuve de corroboration se fonde en grande partie sur Bradshaw qui, de son côté, a été rendu dans un contexte différent du nôtre puisque, dans cette affaire, le juge s’était basé principalement sinon exclusivement sur la corroboration pour admettre la preuve (la fiabilité substantielle). Ce n’est pas le cas ici, même si le juge n’a pas rigoureusement distingué les deux approches (fiabilité substantielle/fiabilité d’ordre procédural).
[61] Or, il n’y a pas de mur étanche entre les facteurs permettant d’analyser la fiabilité substantielle et la fiabilité procédurale. Ce « ne sont pas des catégories mutuellement exclusives » : Bradshaw, paragr. 32; François c. R., 2021 QCCA 104, paragr. 26; R. v. Mohamad, 2018 ONCA 966, paragr. 99; R. v. Rowe, 2021 ONCA 684, paragr. 45 et 82. En d’autres mots, certains faits pris en compte pour l’une sont aussi valables pour l’autre. Dans une analyse globale, le juge du procès peut donc légitimement considérer l’ensemble des circonstances pour conclure que la déclaration est admissible même si, considérés de manière distincte, certains éléments de preuve seraient insuffisants pour démontrer, à eux seuls, que le seuil de fiabilité substantielle ou procédurale est atteint.
[62] Le rejet d’un facteur dans une affaire donnée n’empêche pas qu’il soit considéré cumulativement dans une autre affaire dont les faits diffèrent. Par conséquent, quoiqu’il faille, selon Bradshaw, s’assurer de distinguer les circonstances « révélant simplement une absence de facteurs qui, s’ils étaient présents, diminueraient la valeur d’une déclaration par ailleurs fiable » (paragr. 92), il reste que de telles circonstances, considérées en conjonction avec d’autres (par exemple, la corroboration même insuffisante en soi), peuvent mener à la conclusion que la déclaration a tous les attributs requis pour atteindre un seuil de fiabilité acceptable. Ainsi, comme le souligne la Cour d’appel de l’Ontario dans R. v. Taylor, 2015 ONCA 448, les circonstances de B. (K.G.) (comme le serment) ne doivent pas nécessairement toutes se retrouver dans une affaire pour que le seuil de fiabilité soit atteint. D’autres circonstances peuvent très bien suffire :
[73] Under the B. (K.G.) regimen, an oath is not an absolute requirement for a finding of reliability: B. (K.G.), at p. 792. Other circumstances may be sufficient to impress upon the declarant/witness the importance of telling the truth: B. (K.G.), at pp. 792 and 796. Evidence from which it can reasonably be inferred that, when the statement was made, the declarant appreciated the solemnity of the occasion and the importance of telling the truth may serve as a proxy for an oath: R. v. Trieu (2005), 2005 CanLII 7884 (ON CA), 195 C.C.C. (3d) 373 (Ont. C.A.), at para. 85; and R. v. Adjei, 2013 ONCA 512, 309 O.A.C. 328, leave to appeal to S.C.C. refused, [2014] S.C.C.A. No. 74, at para. 39. In addition, external evidence, which is at once itself reliable and tends to confirm, in a meaningful way, the reliability of the out-of-court statements, may compensate for the absence of an oath: Trieu, at para. 85; and Adjei, at para. 39.