MISE EN GARDE : Une ordonnance limitant la publication a été prononcée le 19 novembre 2019 par la Cour du Québec (l’honorable Richard P. Daoust), district de Chicoutimi, en vertu de l’article 486.4 C.cr. afin d’interdire la publication ou la diffusion de quelque façon que ce soit de tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la victime ou d’un témoin.
MISE EN GARDE : Interdiction de publication : la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents « LSJPA » interdit de publier le nom d’un adolescent ou d’un enfant ou tout autre renseignement de nature à révéler soit qu’il a fait l’objet de mesures prises sous le régime de cette loi, soit qu’il a été victime d’une infraction commise par un adolescent ou a témoigné dans le cadre de la poursuite d’une telle infraction, sauf sur ordonnance ou autorisation du tribunal (articles 110(1) et 111(1) LSJPA). Quiconque contrevient à ces dispositions est susceptible de poursuite criminelle (article 138 LSJPA)Il est donc possible qu’une combinaison de facteurs aggravants ou atténuants puisse « […] requérir l’infliction d’une peine qui se trouve loin de tout point de départ et qui déroge à toute fourchette »
To summarize, I am of the view that as a general rule, when adult offenders, in a position of trust, sexually abuse innocent young children on a regular and persistent basis over substantial periods of time, they can expect to receive mid to upper single digit penitentiary terms. When the abuse involves full intercourse, anal or vaginal, and is accompanied by either acts of physical violence, threats of physical violence, or other forms of extortion, upper single digit to low double digit penitentiary terms will generally be appropriate, Finally, in cases where these elements are accompanied by a pattern of severe psychological, emotional and physical brutalization, still higher penalties will be warranted.
[18] Comme le rappelait notre Cour dans Y.P., la gravité objective du crime d’inceste ne peut être remise en question et s’impose comme une évidence[8]. Souvent considéré en haut de l’échelle des crimes sexuels sur les enfants[9], il comporte une violence intrinsèque[10] et provoque des conséquences incalculables sur les victimes, justifiant que la peine de cinq ans se situe dans la limite inférieure de la fourchette applicable à une relation sexuelle incestueuse avec pénétration vaginale[11]. Notre Cour s’inspirait des propos du juge Moldaver, alors de la Cour d’appel de l’Ontario, dans l’arrêt R. v. D.(D.). où il écrivait[12] :
To summarize, I am of the view that as a general rule, when adult offenders, in a position of trust, sexually abuse innocent young children on a regular and persistent basis over substantial periods of time, they can expect to receive mid to upper single digit penitentiary terms. When the abuse involves full intercourse, anal or vaginal, and is accompanied by either acts of physical violence, threats of physical violence, or other forms of extortion, upper single digit to low double digit penitentiary terms will generally be appropriate, Finally, in cases where these elements are accompanied by a pattern of severe psychological, emotional and physical brutalization, still higher penalties will be warranted.
[19] En fonction de ces principes, la peine de cinq ans pour Y et celle de deux ans pour X semblent en dessous de la fourchette puisque l’on ne peut conclure que les chefs d’accusation à l’encontre de l’intimé correspondent au minimum du spectre de gravité de ce type de crime, tant par la répétition et la nature des gestes posés que par la violence psychologique et le dénigrement les entourant.
La Cour suprême a réitéré à plusieurs reprises, et notamment dans l’arrêt Friesen[13], que les fourchettes ne sont que des lignes directrices, lesquelles ne s’imposent pas au juge à qui il revient, ultimement, de prononcer une peine individualisée à l’accusé devant lui. Il est donc possible qu’une combinaison de facteurs aggravants ou atténuants puisse « […] requérir l’infliction d’une peine qui se trouve loin de tout point de départ et qui déroge à toute fourchette »[14]. De même, toujours dans l’arrêt Friesen, la Cour suprême établit que la manière dont le juge soupèse ou met en balance les différents facteurs ne constitue pas une erreur de principe, sauf s’il a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable.
[20] Ceci étant, la Cour suprême a réitéré à plusieurs reprises, et notamment dans l’arrêt Friesen[13], que les fourchettes ne sont que des lignes directrices, lesquelles ne s’imposent pas au juge à qui il revient, ultimement, de prononcer une peine individualisée à l’accusé devant lui. Il est donc possible qu’une combinaison de facteurs aggravants ou atténuants puisse « […] requérir l’infliction d’une peine qui se trouve loin de tout point de départ et qui déroge à toute fourchette »[14]. De même, toujours dans l’arrêt Friesen, la Cour suprême établit que la manière dont le juge soupèse ou met en balance les différents facteurs ne constitue pas une erreur de principe, sauf s’il a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable[15].
[21] Or, tel n’est pas le cas ici. Le juge pose correctement les principes applicables et évalue l’ensemble des facteurs pertinents. S’il est vrai, d’une part, que les faits de l’espèce sont objectivement plus graves que dans l’affaire Y.P., en ce qu’ils sont répétitifs et accompagnés d’une violence psychologique, le juge, d’autre part, retient de nombreux facteurs atténuants absents dans Y.P., affaire où l’accusé a toujours nié les faits.
La Cour suprême a en effet reconnu dans Friesen que la situation personnelle du délinquant pouvait avoir un effet atténuant sur la culpabilité morale.
[22] En l’espèce, non seulement l’intimé plaide-t-il coupable à l’égard de Y, mais il se dénonce dans le cas de X ; de même il est habité, selon le rapport présentenciel, par des remords, des regrets et de la honte. Le juge soulève aussi, à juste titre[16], les efforts de réhabilitation et les thérapies suivies par l’intimé depuis sa première sentence reçue en 2016. Enfin, il tient compte du « parcours singulier » de l’intimé, lequel, écrit-il, a été déshumanisé par les horreurs de la guerre, proposant alors une analogie avec la jurisprudence de la Cour suprême applicable au délinquant autochtone. Encore là, et contrairement à ce que fait valoir l’appelante, il ne s’agit pas d’une erreur de principe. La Cour suprême a en effet reconnu dans Friesen que la situation personnelle du délinquant pouvait avoir un effet atténuant sur la culpabilité morale[17], en plus d’affirmer dans l’arrêt Ipeelee « […] que rien dans l’arrêt Gladue n’indique que les facteurs historiques et systémiques ne devraient pas également être pris en considération dans le cas d’autres délinquants, non autochtones »[18]. Tout revient donc à l’individualisation de la peine et à la pondération de tous ces facteurs ce qui, en soi, ne suffit pas pour constituer une erreur révisable.
[23] L’appelante soulève ensuite que le juge aurait mis trop d’accent sur la réhabilitation, tout particulièrement en raison de l’article 718.01 C.cr., lequel demande au tribunal, en présence d’un mauvais traitement à l’égard d’une personne de moins de 18 ans, d’accorder une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion. Mais encore une fois, le juge, loin d’ignorer cette disposition, y réfère explicitement. Cela ne l’empêche toutefois pas, comme la Cour suprême l’a rappelé dans l’arrêt Friesen, de donner un poids important à d’autres facteurs, y compris la réinsertion[19].
[24] L’appelante fait enfin valoir que le juge prend erronément en compte la peine reçue par l’intimé en 2016 afin de fixer, à la baisse, celle dans les deux dossiers devant lui. Mais il ressort d’une lecture attentive des motifs du jugement entrepris que tel n’est pas le cas. Conformément à la méthode préconisée dans les arrêts Guerrero Silva et Desjardins, que nous avons rappelée ci-dessus, le juge ne réfère à la pertinence de la peine antérieure que lorsqu’il procède à l’application du principe de totalité, soit après avoir fixé le quantum de chacune des peines. Cela ne concerne donc que le deuxième moyen d’appel sur lequel nous reviendrons.
Ce principe participe de celui de la proportionnalité et s’attache à l’effet cumulatif de peines multiples[22] afin d’éviter qu’une peine totale « […] quoique justifiée sur chacun des chefs, anéanti[sse] les possibilités de réhabilitation du délinquant ou s’éloigne de manière substantielle des peines infligées dans les mêmes circonstances […] »[23] ou encore qu’elle ne reflète plus la gravité de l’infraction ou la responsabilité morale de l’accusé[24].
[27] La Cour suprême rappelle dans l’arrêt Friesen que « […] la règle générale veut que les infractions étroitement liées au point de constituer un incident criminel unique puissent, sans que cela soit obligatoire, donner lieu à des peines concurrentes, et que toutes les autres infractions doivent donner lieu à des peines consécutives »[20]. Ce principe a été appliqué à plusieurs reprises par notre Cour[21]. En application de ces règles, il ne fait pas de doute qu’à la deuxième étape de la méthode préconisée dans les arrêts Guerrero Silva et Desjardins, les peines en l’espèce devaient être consécutives. Non seulement y avait-il ici deux victimes distinctes, mais les faits, séparés dans le temps, n’étaient aucunement liés.Rien ne pouvait donc nous permettre de prétendre qu’il s’agissait là d’un incident criminel unique.
[28] Ce n’est alors que dans le cadre de la troisième étape, soit celle de l’application du principe de la totalité des peines prévu à l’article 718.2(c) C. cr., que le juge va conclure au caractère concurrent des peines. Rappelons que ce principe participe de celui de la proportionnalité et s’attache à l’effet cumulatif de peines multiples[22] afin d’éviter qu’une peine totale « […] quoique justifiée sur chacun des chefs, anéanti[sse] les possibilités de réhabilitation du délinquant ou s’éloigne de manière substantielle des peines infligées dans les mêmes circonstances […] »[23] ou encore qu’elle ne reflète plus la gravité de l’infraction ou la responsabilité morale de l’accusé[24].
Il semble se détacher de la jurisprudence canadienne un principe selon lequel, sauf exception, l’analyse de la totalité des peines procède en fonction des infractions devant le tribunal[28] auxquelles il est possible d’ajouter le temps restant à purger d’une peine antérieurement ordonnée sans que cela, toutefois, permette à l’accusé de bénéficier d’une réduction de peine en raison de ses infractions passées[29].
[30] L’appelante fait valoir que le juge ne pouvait, dans le cadre de l’application du principe de la totalité des peines, prendre en compte une peine antérieure dont il ignorait le dossier et à laquelle, sans égard à la libération conditionnelle obtenue, il ne restait que quatre mois à purger. Pour l’appelante, le principe de totalité ne peut être que prospectif et prendre en compte uniquement le temps restant à purger.
[31] Cette question est sérieuse et soulève une difficulté réelle. D’un côté, l’on ne peut accepter qu’un accusé profite d’anciennes infractions afin de diminuer sa responsabilité morale à l’égard de celles devant maintenant être jugées[27]. D’un autre côté, le fait qu’un accusé, à l’égard duquel les dénonciations ont été progressives, reçoive une peine totale plus élevée que celle qu’il aurait obtenue si les chefs d’accusation avaient été jugés ensemble, peut interpeller tant le principe de totalité de la peine que celui de l’harmonisation prévu au paragraphe 718.2(b) C.cr.
[32] Il semble se détacher de la jurisprudence canadienne un principe selon lequel, sauf exception, l’analyse de la totalité des peines procède en fonction des infractions devant le tribunal[28] auxquelles il est possible d’ajouter le temps restant à purger d’une peine antérieurement ordonnée sans que cela, toutefois, permette à l’accusé de bénéficier d’une réduction de peine en raison de ses infractions passées[29]. C’est également cette solution qu’a appliquée notre Cour dans l’arrêt Mantha[30].
[33] Dans l’arrêt Sidwell[31], sur lequel se fonde l’appelante, la Cour d’appel du Manitoba va dans le même sens et précise que, lorsque la peine antérieure a été totalement purgée, l’analyse de la totalité ne peut en tenir compte puisque celle-ci ne peut être que prospective. Dans cette affaire, comme dans la nôtre, les faits devant le juge étaient antérieurs à ceux ayant mené à la peine purgée.
[34] La doctrine semble également souscrire à cette jurisprudence. C’est ainsi que, notamment, les auteurs Parent et Desrosiers écrivent[32]:
Loin d’être limité aux infractions reprochées, le principe de totalité s’applique également lorsque les infractions commises entraînent une révocation de la libération conditionnelle. La peine devant être « juste et appropriée », celle-ci doit tenir compte de la totalité des peines de l’infraction principale et de la révocation de la libération conditionnelle.
[35] Certains arrêts ont pu toutefois s’écarter de ce courant majoritaire en raison de circonstances particulières[33]. C’est le cas, par exemple, d’un arrêt de la Cour d’appel de Colombie-Britannique où la peine antérieurement purgée découlait de la même enquête policière que les nouvelles infractions devant être sanctionnées[34]. Le caractère asynchrone des accusations ne relevait donc dans ce cas que d’une décision du ministère public. Clayton Ruby faisant référence à cet arrêt en tire le principe suivant[35] :
On the other hand, and consistent with the criticism above, when sentences that arise from offences committed within the same investigation are imposed at different times, the total of all sentences should be considered in applying the totality principle. The Crown cannot use the fact that they have proceeded by way of separate indictments to avoid the totality principle.
C’est ainsi que, dans l’arrêt Sidwell, la Cour d’appel du Manitoba rappelait à juste titre qu’une peine antérieure pouvait être utile pour établir, comme ici d’ailleurs, les efforts entrepris de réhabilitation.
[37] Il ressort donc que le juge aurait dû limiter l’analyse de la totalité aux seules peines qui étaient devant lui et à la partie non purgée de la peine antérieure, ce qui, ici, avait peu d’impact puisqu’il ne restait que quatre mois. Cela ne signifie pas pour autant que la peine antérieure ne constitue pas un élément pertinent pouvant être pris en compte dans le prononcé de la peine. C’est ainsi que, dans l’arrêt Sidwell, la Cour d’appel du Manitoba rappelait à juste titre qu’une peine antérieure pouvait être utile pour établir, comme ici d’ailleurs, les efforts entrepris de réhabilitation[37]. Il n’est pas dit, non plus, que dans certaines circonstances exceptionnelles, la prise en compte ne puisse pas être plus importante afin de respecter certains principes de l’imposition de la peine, que ce soit celui de la proportionnalité, de la totalité ou de l’individualisation. Il s’agit, comme toujours en matière de peine, d’une analyse contextuelle qui devra notamment prendre en compte la nature de la peine antérieure, le temps écoulé entre les peines, la nature des infractions et le moment où elles ont été commises.
[38] En l’espèce, compte tenu de ces différents facteurs, et notamment du fait que les infractions qu’il devait juger étaient antérieures à celles ayant donné lieu à la peine antérieure, le juge était justifié d’en tenir compte. Son erreur toutefois est de l’avoir fait comme si la peine antérieure était devant lui et de supputer que, si tel avait été le cas, la peine totale aurait vraisemblablement été de l’ordre de 10 ans. Non seulement une telle façon de faire n’est pas conforme à l’économie du principe de totalité, mais elle amenait le juge à tirer des conclusions sur des faits dont il n’était ni saisi ni informé.
[39] Ajoutons enfin que, sans égard à ce qui précède, même si le juge avait eu raison de prendre en compte de cette façon la peine de 2016, il s’avère qu’une peine totale de 12 ans ne s’éloignait pas, à tout le moins pas de manière suffisante, de la peine infligée dans ces circonstances ni ne mettait en péril la possibilité de réhabilitation de l’intimé[38], pour justifier d’écarter le caractère consécutif des peines.
[40] Le juge de première instance devait donc déclarer que les peines dans les dossiers concernant X et Y seraient purgées de manière consécutive.