R. c. Duhaime, 2017 QCCQ 10554 

 

Le traumatisme craniocérébral (TCC) dont a été victime l’accusé il y a plusieurs années et les conséquences de celui-ci sur ses fonctions cognitives sont-ils de nature à repousser la preuve d’intention qui se présume du refus clairement exprimé?

 

ANALYSE

Intention criminelle de refuser

[22]        L’accusé soutient dans un premier temps que la poursuite n’a pas présenté une preuve hors de tout doute raisonnable de son intention de refuser de se soumettre à l’ordre donné. Plus précisément, il soutient qu’étant incapable de prendre une bonne décision, d’avoir un bon jugement, il n’a pas pu former l’intention requise afin de commettre l’infraction de refus prévu à l’article 254(5) du Code criminel. Il a refusé, soutient-il, mais pas de façon volontaire.

[23]        Il est utile de se rappeler les éléments essentiels de l’infraction prévue à l’article 254(5) du Code criminel, résumé dans l’arrêt Lewko[4]de la Cour d’appel de la Saskatchewan qui fait autorité à ce chapitre :

[9]    The elements of the offence that the Crown must prove beyond a reasonable doubt are three.  First, the Crown must prove the existence of a demand having the requirements of one of the three types mentioned in ss. (2) and (3).  Second, the Crown must prove a failure or refusal by the defendant to produce the required sample of breath or the required sample of blood (the actus reus).  Third, the Crown must prove that the defendant intended to produce that failure (the mens rea).

[10]   The proof by the Crown of the three elements (and the defendant’s questioning of that proof by combatting the allegations of the prosecution without introducing any further issue) may be looked upon as the first stage of the proceedings.  Once the Crown has established the three elements of the offence in question, the defendant is presumed guilty and must be so found unless the defendant raises a defence.  That brings us to what may be looked upon as the second stage in the proceedings, namely, the presentation by the defendant of his/her justifications or excuses – his/her defences.  (I use the term “defence” in the narrow sense – for the distinction between the broad and the narrow senses see Glanville Williams, Textbook of Criminal Law (London: Stevens & Sons, 1983) (2d ed.) at 50-51.)  In the case of the subject offence, a defendant is able to present not only a defence ordinarily cognizable by law, but a defence constituted by any excuse that is “reasonable”.  This is the effect of the use of the phrase “without reasonable excuse” in the context of s. 254(5).

[24]        Dans la présente affaire, les deux premiers éléments ne sont pas contestés; l’ordre a été validement donné et le refus a été exprimé par l’accusé de façon non équivoque. Malgré les explications répétées, il a clairement manifesté qu’il ne suivrait pas les policiers au poste pour se soumettre à l’évaluation. Il a répété qu’il voulait s’en aller chez lui.

[25]        L’omission de se soumettre à l’ordre validement donné par un policier doit être volontaire et intentionnelle. Ainsi, un individu qui fait défaut de se conformer à un ordre malgré des tentatives réelles et sérieuses n’aura pas formé l’intention requise pour commettre l’infraction.

[26]        Par ailleurs, lorsque le refus de se soumettre à l’ordre est clairement énoncé, l’intention coupable se présume[5]. Cette présomption peut être réfutée par l’accusé en soulevant un doute quant à son intention.

[27]        Dans la présente affaire, l’accusé a énoncé clairement son refus de suivre les policiers pour procéder à l’évaluation requise. Il explique son refus par la peur d’être incarcéré s’il suit les policiers et son désir de ne pas mettre en péril la visite prévue le lendemain avec ses enfants.

[28]        Bien qu’il soit agité, volubile et qu’il manifeste des difficultés de concentration, tant le témoignage du policier que celui de l’accusé convainquent le Tribunal qu’il comprenait bien ce qui se passait.

[29]        Durant les épreuves de coordination des mouvements, il écoute les directives et collabore. Le policier Chamberland confirme qu’il est difficile de garder son attention, mais qu’il reformule, insiste et que l’accusé écoute. L’accusé confirme qu’il comprenait ce qu’il devait faire, mais oubliait toujours une chose. Par exemple, il marchait talon à talon, mais oubliait de compter ses pas.

[30]        Ses souvenirs de la soirée sont clairs et cohérents. Il se souvient de ce qui l’a amené à se faire intercepter et qu’il était mécontent puisqu’il s’agissait de sa troisième interception cette journée-là. Lorsqu’il est sommé de se soumettre aux épreuves de coordination des mouvements, il comprend très bien que les policiers soupçonnent qu’il est « gelé ». Il tente de les convaincre qu’il est « correct ».

[31]        Avant même que les policiers le mettent en étant d’arrestation et le somment de se soumettre à une évaluation plus approfondie au poste, il manifeste déjà son exaspération et son désir de retourner chez lui.

[32]        Lorsque le policier Chamberland lui donne l’ordre en vertu de l’article 254(3.1) du Code criminel et lui explique les conséquences d’un refus, l’accusé l’interrompt fréquemment. Pendant 14 minutes, le policier lui répète l’importance de le suivre au poste et d’obtempérer à l’ordre ainsi que les conséquences de refuser. Mais rien n’y fait, l’accusé veut retourner chez lui. Sans l’expliquer au policier sur le moment, il énonce à l’audience ses motifs de refuser de suivre les policiers. Il veut éviter d’être détenu comme par le passé et risquer de ne pouvoir profiter de la rencontre prévue avec ses enfants.

[33]        Le Tribunal ne retient pas, compte tenu de l’ensemble des circonstances, que l’accusé n’a pas compris les conséquences d’un refus. Comme l’agent Chamberland l’a fait tout au long de l’intervention, il a pris la peine d’expliquer à plusieurs reprises ce qu’un refus allait occasionner. Le témoignage de l’accusé ne soulève pas de doute à cet égard.

[34]        Bien qu’il ait été plus anxieux et plus stressé par les évènements, l’ensemble de la preuve convainc le Tribunal que l’accusé comprenait bien ce qui se passait et a délibérément refusé d’obtempérer à l’ordre donné. Malgré ses difficultés de concentration et d’exécution de tâches complexes, l’accusé a manifesté au cours de l’intervention une bonne compréhension de ce qui se passait et est demeuré cohérent tout au long de l’intervention. Ses réactions et ses réponses ont toujours été congruentes avec le déroulement des évènements.

[35]        Le témoignage du neuropsychologue, qui souligne les problèmes neurocognitifs importants chez l’accusé et son jugement probablement détérioré par la combinaison de son état et d’éléments affectifs et anxiogènes, ne modifie pas la conclusion factuelle que ce dernier a intentionnellement refusé de se soumettre à l’ordre du policier. Bien qu’il soit possible qu’il n’ait pas pris la « meilleure » décision dans les circonstances, il a compris ce qui se passait et a volontairement refusé d’obtempérer.

Excuse raisonnable

[36]        L’accusé soulève dans un deuxième temps qu’il avait une excuse raisonnable de refuser de donner suite à l’ordre du policier. Selon lui, ses difficultés de compréhension des conséquences d’un refus constituent une excuse raisonnable.

[37]        L’excuse raisonnable est généralement définie par la jurisprudence comme étant la survenance de circonstances qui rendent l’obéissance à l’ordre donné extrêmement difficile ou représentant un risque substantiel pour la santé de l’individu.

[38]        Or l’excuse soulevée ici relève d’un tout autre ordre. La difficulté de compréhension des conséquences du refus, si tant est qu’elle est révélée par la preuve, réfère à une défense quant à la preuve de l’intention coupable plutôt qu’à une excuse raisonnable.

[39]        Le ministère public a déposé le certificat d’analyse[6] de la substance saisie lors de la fouille sommaire de l’accusé qui a révélé qu’il s’agissait de cannabis.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[40]        DÉCLARE l’accusé coupable d’avoir fait défaut d’obtempérer à un ordre que lui avait donné un agent de la paix aux termes de l’article 254(3.1) du Code Criminel;

[41]        DÉCLARE l’accusé coupable d’avoir eu en sa possession du cannabis.