Les conséquences découlant de la distribution de matériel de pornographie juvénile sont énormes et peuvent infliger de grandes souffrances aux victimes, sans parler de l’impact sur toute la société. Nous devons en être conscients et nous montrer sévères envers ceux qui s’en rendent coupables.
[41] L’exploitation sexuelle des enfants, et la violence sexuelle qui y est généralement associée sont des comportements hautement répréhensibles que la société réprime fortement. Les dommages qu’ils peuvent causer sont importants et souvent, malheureusement, laissent des cicatrices permanentes. De surcroît, ceux qui en sont victimes comptent parmi les plus vulnérables de notre société compte tenu de leur âge et de l’état de dépendance dans lequel ils se trouvent.
[42] L’avènement et le développement des nouvelles technologies ont tristement contribué à la prolifération de la pornographie juvénile[22], une des formes que revêtent l’exploitation sexuelle des enfants et la violence qui leur est faite.
[43] Je ne veux pas reprendre tout ce que les tribunaux ont dit de l’exploitation sexuelle des enfants au cours des dernières années, mais le message véhiculé par la Cour suprême dans l’arrêt Friesen[23], ainsi que certains propos qu’elle y tient, méritent d’être rappelés. Quoique je reconnaisse volontiers que la juge de première instance ne pouvait en avoir connaissance, cet arrêt ayant été rendu après le prononcé de la peine en l’instance, il demeure que le message qui y est communiqué s’inscrit dans la foulée de messages semblables lancés par des tribunaux d’appel, dont notre Cour[24]. De même, malgré le fait que l’infraction commise était celle d’avoir eu des contacts sexuels avec un enfant, ce que la Cour suprême y affirme s’applique mutatis mutandis aux infractions commises par l’intimé.
[44] Elle rappelle d’abord à quel point les crimes sexuels impliquant des enfants sont graves et doivent être dénoncés :
[5] Troisièmement, nous envoyons le message clair que les infractions d’ordre sexuel contre des enfants sont des crimes violents qui exploitent injustement leur vulnérabilité et leur causent un tort immense ainsi qu’aux familles et aux collectivités. Il faut imposer des peines plus lourdes pour ces crimes. Les tribunaux doivent infliger des peines proportionnelles à la gravité des infractions d’ordre sexuel contre des enfants et au degré de responsabilité du délinquant, à la lumière des initiatives du législateur en matière de détermination de la peine et du fait que la société comprend mieux le caractère répréhensible et la nocivité de la violence sexuelle à l’endroit des enfants. Les peines doivent être le reflet fidèle du caractère répréhensible de la violence sexuelle faite aux enfants de même que du tort profond et continu qu’elle cause aux enfants, aux familles et à la société en général.
[45] Puis, elle reconnaît sans ambages que les nouvelles technologies ont ouvert la voie à de nouvelles formes de violence sexuelle et y contribuent, donnant comme exemple la diffusion en ligne de films ou d’images de violence sexuelle exercée contre un enfant :
[48] La technologie peut aussi transformer sur le plan qualitatif les infractions d’ordre sexuel contre des enfants. Par exemple, la diffusion en ligne de films ou d’images de violence sexuelle contre un enfant reproduit la violence sexuelle initiale à l’endroit de l’enfant car ce dernier vit en sachant que d’autres personnes peuvent accéder aux films ou aux images, qui peuvent à tout moment refaire surface dans sa vie (R. c. Sharpe, 2001 CSC 2, [2001] 1 R.C.S. 45, par.92; R. c. S. (J.), 2018 ONCA 675, 142 O.R. (3d) 81, par.120).
[49] Tant le législateur que les tribunaux ont commencé à réagir à l’ampleur, aux nouvelles formes et à l’évolution qualitative de la violence sexuelle contre des enfants. Le législateur entendait se mettre au diapason de cette évolution en modifiant les dispositions en matière de détermination de la peine applicables aux infractions d’ordre sexuel contre des enfants (K.R.J., par. 103). Les tribunaux sont eux aussi passés par une [traduction] « période d’apprentissage » pour comprendre à la fois l’ampleur et les effets de la violence sexuelle contre des enfants, et la détermination de la peine a évolué pour s’adapter à la fréquence de ces crimes (R. c. F. (D.G.), 2010 ONCA 27, 98 O.R. (3d) 241, par. 21).
Puis, plus loin, traitant spécifiquement de la pornographie juvénile, elle ajoute :
[51] Les droits fondamentaux protégés par le régime législatif créant les infractions d’ordre sexuel contre des enfants sont l’autonomie personnelle de ceux-ci, leur intégrité physique et sexuelle, leur dignité et leur égalité. Notre Cour a reconnu l’importance de ces droits dans Sharpe, une affaire de production de pornographie juvénile. Comme l’a dit notre Cour, la production de pornographie juvénile traumatise les enfants et porte atteinte à leur autonomie et à leur dignité en les traitant comme des objets sexuels, leur causant des torts qui peuvent les marquer pour la vie (par. 92, la juge en chef McLachlin, et par. 185, les juges L’Heureux-Dubé, Gonthier et Bastarache). La violence sexuelle faite aux enfants est donc répréhensible car elle envahit leur autonomie personnelle, porte atteinte à leur intégrité physique et sexuelle et met gravement à mal leur dignité (voir Sharpe, par. 172, 174, 185, les juges L’Heureux-Dubé, Gonthier et Bastarache).
[46] Cet arrêt de la Cour suprême s’inscrit d’ailleurs en droite ligne avec d’autres décisions dans lesquelles les tribunaux ont lancé un message semblable, notamment l’affaire Ibrahim dans laquelle notre Cour a rappelé en ces termes les dommages susceptibles d’être causés par la pornographie juvénile :
[52] Ce qu’il faut réprimer, c’est le tort fait aux enfants. Pour chacune des photos et chacune des vidéos, un enfant ou un bébé a souffert. Plus il y a de matériel, plus cela a contribué au mal que l’on veut réprimer. Plus le matériel est pernicieux, plus les enfants ont souffert. L’abus se perpétue chaque fois que le matériel est distribué. La description faite du matériel par l’expert en sexologie qui a témoigné à la demande de l’appelant démontre un tort important et inacceptable fait aux enfants et aux bébés. Le traitement qu’ils ont subi est non seulement dégradant, mais aussi cruel tant physiquement que psychologiquement. La nature et la quantité du matériel devaient être tenues en compte par le juge pour les deux infractions. Il ne commet pas d’erreur lorsqu’il affirme que « […] le descriptif de certains fichiers démontre tout leur caractère offensant, blessant ou outrageant envers la dignité humaine. »[25]
[47] L’arrêt Ibrahim donnait lui-même suite à l’arrêt Régnier, rendu la même année et auquel réfère la juge de première instance, dans lequel, au nom de la Cour, le juge Bouchard déclare désuète la fourchette de peines de six mois à deux ans traditionnellement applicable aux infractions d’accès, de possession et de distribution de pornographie juvénile. Traitant des modifications législatives apportées aux dispositions liées à la pornographie juvénile au cours des quinze dernières années, il écrit :
[40] À mon avis, il est temps de donner plein effet à la volonté du législateur. Les fourchettes de peine n’étant rien d’autre que des outils destinés à faciliter les tâches des juges d’instance, je ne vois aucune raison valable de continuer à appliquer par mimétisme jurisprudentiel des précédents rendus à une époque ne reflétant plus le monde d’aujourd’hui.
Et plus loin
[44] En première instance, le juge a retenu une fourchette de peines dont le plafond est de deux ans pour les crimes de possession et de distribution de pornographie juvénile. La peine minimale pour le crime de distribution étant d’un an d’emprisonnement depuis le 1er novembre 2005, je m’explique mal comment le haut de la fourchette ne devrait être que de deux ans. L’augmentation des peines minimales devant servir de plancher établissant un nouveau seuil minimal, il y a longtemps que cette fourchette de peine aurait dû être revue à la hausse.
[Références omises]
[48] Bref, de récents arrêts rappellent que les crimes liés à la pornographie juvénile sont graves, impliquent de véritables victimes, causent des torts importants et méritent l’imposition d’une peine reflétant ces constats. Ce sont d’ailleurs ces constats qui, déjà en 2005, conduisent le législateur à prévoir que les objectifs de dénonciation et de dissuasion doivent être priorisés en cette matière (art. 718.01 C.cr.) :
Objectif — infraction perpétrée à l’égard des enfants
718.01 Le tribunal qui impose une peine pour une infraction qui constitue un mauvais traitement à l’égard d’une personne âgée de moins de dix-huit ans accorde une attention particulière aux objectifs de dénonciation et de dissuasion d’un tel comportement.
Objectives — offences against children
718.01 When a court imposes a sentence for an offence that involved the abuse of a person under the age of eighteen years, it shall give primary consideration to the objectives of denunciation and deterrence of such conduct.
[49] Cette priorisation qu’impose l’article 718.01 a été ainsi décrite par le juge Kasirer (alors juge de notre Cour) :
[108] […] l’idée qu’une préséance relative doit être donnée à la dénonciation et à la dissuasion dans la pondération discrétionnaire des objectifs menée par le tribunal, sans pour autant exclure les autres objectifs du processus de détermination de la peine. Autrement dit, le juge doit donner « substantial weight », ou « primary importance », aux objectifs, de dénonciation et dissuasion, sans que cela écarte la considération des autres objectifs, dont le potentiel de réhabilitation.
La préséance relative de ces objectifs conditionne la mise en équilibre des principes, en plaçant d’autres objectifs, dont la réhabilitation, quelque peu en retrait.[26]
[…]
[74] Il me paraît en effet indéniable que la distribution de pornographie juvénile contribue davantage à l’exploitation sexuelle des enfants que l’accession ou la possession, et ce bien que ces infractions demeurent tout de même des exemples de violence et d’exploitation sexuelle particulièrement répréhensibles. Elle multiplie de façon exponentielle la possibilité que les photographies et les fichiers soient utilisés, regardés et même redistribués. Une photographie ou un fichier distribué est hors contrôle, il devient disponible à qui veut bien y accéder, et cela pour un temps indéfini. Il peut d’ailleurs se multiplier à l’infini. Les conséquences découlant de la distribution de matériel de pornographie juvénile sont donc énormes et peuvent infliger de grandes souffrances aux victimes, sans parler de l’impact sur toute la société. Nous devons en être conscients et nous montrer sévères envers ceux qui s’en rendent coupables.