La preuve tend-elle à démontrer qu’il y a eu un problème de fonctionnement ou d’utilisation incorrecte de l’alcootest pouvant susciter un doute raisonnable et priver la poursuite du bénéfice des présomptions prévues à l’article 258(1)c) du Code criminel?
ANALYSE
[23] L’accusée soumet que les problèmes qu’elle a identifiés au cours de la prise des échantillons d’haleine au moyen de l’alcootest sont de la nature à constituer une mauvaise utilisation de l’appareil et ainsi à susciter un doute raisonnable, empêchant la poursuite de bénéficier des présomptions de l’article 258(1)c) du Code criminel.
[24] Notre Cour d’appel dans l’arrêt récent de Cyr-Langlois[2] a réanalysé ce que la Cour suprême entendait dans l’arrêt St-Onge Lamoureux[3] en ce qui concerne le mauvais fonctionnement ou la mauvaise utilisation d’un alcootest.
[25] Bien que la cour soit divisée quant aux résultats en ce qui concerne la nature de la preuve à soumettre en défense et le fardeau à satisfaire par un accusé pour contrer les présomptions de l’article 258(1)c) du Code criminel, les trois juges s’entendent au sujet des principes.
[26] La juge Hogue mentionne, après une revue des propos de la juge Deschamps dans St-Onge Lamoureux, que le fardeau de l’accusée est le suivant :
[38] Je retiens de ces motifs que l’accusé qui veut écarter les présomptions d’exactitude et d’identité du taux d’alcoolémie doit offrir une preuve tendant à démontrer un problème de fonctionnement ou d’utilisation de l’alcootest susceptible d’en influencer le résultat (suffisamment sérieux pour soulever un doute raisonnable sont les mots employés par la juge Deschamps au paragraphe 59) sans toutefois avoir à démontrer que ce problème a entraîné un résultat inexact dans les faits.
[39] Ainsi, ce ne seront pas tous les problèmes de fonctionnement ou d’utilisation qui permettront d’écarter les présomptions. Ils devront être suffisamment sérieux pour soulever un doute raisonnable.
[40] Le problème de fonctionnement ou d’utilisation de l’alcootest que la preuve tendra à démontrer pourra, dans certains cas, être tel que son influence possible sur la fiabilité des résultats sera évidente. Il existe toutefois certains autres problèmes dont l’influence possible ne s’imposera pas d’emblée. En de tels cas, l’accusé devra offrir une preuve additionnelle démontrant que le problème en est un susceptible d’avoir un impact sur la fiabilité des résultats.
[41] Cette preuve n’est toutefois pas aussi onéreuse qu’une preuve de causalité réelle, l’accusé n’ayant qu’à soulever un doute que le problème est susceptible d’affecter la fiabilité des résultats du test. La nuance peut sembler ténue, mais elle est importante
[42] Cette preuve pourra être offerte par le biais d’un expert retenu par l’accusé, mais il ne s’agit pas là d’une condition impérative. Le technicien qualifié ayant administré le test pourra certainement l’offrir également.
[43] Cela devrait surtout se présenter lorsque le problème en est un de mauvaise utilisation de l’alcootest puisqu’il est difficile d’imaginer un problème de fonctionnement de l’appareil qui ne serait pas susceptible d’affecter le résultat.[4]
[27] Son collègue, le juge Chamberland résume les principes énoncés de l’arrêt St-Onge Lamoureux au sujet de l’article 258(1)c) du Code criminel ainsi :
[60] Depuis l’arrêt St-Onge Lamoureux, il est acquis que la preuve requise pour écarter les présomptions d’exactitude et d’identité de l’alinéa 258(1)c) du Code criminel en est une « tendant à démontrer le mauvais fonctionnement ou l’utilisation incorrecte de l’alcootest approuvé ». Rien de plus, rien de moins, sinon que la preuve doit avoir « directement trait » à l’appareil ou à son utilisation, et le problème de fonctionnement ou d’utilisation, être « objectivement [identifiable] » et suffisamment sérieux pour mettre en doute la fiabilité des résultats de l’alcootest.[5]
(Références omises)
[28] Et leur collègue, la juge Bélanger, quoique dissidente quant au résultat, est d’accord relativement aux principes énoncés par la juge Hogue en ce qui concerne la notion des problèmes de fonctionnement ou de l’utilisation de l’alcootest[6].
[29] Qu’en est-il en l’espèce?
L’ABSENCE D’UN SYSTÈME D’ALIMENTATION SANS INTERRUPTION (ASI)
[30] L’accusée soumet que le fait que l’appareil se soit éteint pendant quelques secondes au moment de la panne d’électricité démontre l’absence d’utilisation d’un système d’alimentation sans interruption, ce qui est recommandé par le manuel.
[31] La technicienne qualifiée a clairement expliqué que l’appareil est branché à un bloc multiprises avec protecteur de surtension.
[32] Lorsqu’interrogée sur l’utilisation du système ASI, elle ne pouvait ni infirmer ni affirmer qu’il y avait existence d’un tel système, si ce n’est, la présence du bloc multiprises avec protecteur de surtension.
[33] Est-ce que ce bloc protecteur agit également comme ASI, la technicienne ne peut affirmer ou infirmer ce fait.
[34] Par ailleurs, outre le fait que la défense souligne cette note du guide qui mentionne : « l’utilisation d’un système d’alimentation sans interruption (ASI) est recommandée afin de permettre de poursuivre l’utilisation de l’alcootest en cas de panne électrique. »[7], aucune autre preuve n’est administrée à ce sujet et rien ne permet d’éclairer le Tribunal au sujet de l’utilité de ce système ASI.
[35] Ce que la preuve révèle, est que la panne d’électricité a eu un bref effet sur l’appareil en l’éteignant et le rallumant presque aussitôt lorsque la génératrice s’est actionnée.
[36] La technicienne fait état d’un délai d’environ cinq secondes entre les deux événements.
[37] La technicienne constate par la suite qu’elle a perdu les données relatives à l’accusée puisqu’elles n’apparaissent plus à l’écran et elle doit donc les entrer à nouveau.
[38] Elle décide de recommencer une nouvelle séquence complète avec deux autres tests puisqu’elle ne peut plus inscrire le deuxième test dans la séquence qu’elle a débuté. Il s’agit d’une décision qui relève de son expertise et qui est même favorable à l’accusée, puisqu’ainsi elle décale les tests dans le temps.
[39] Cela étant, rien dans la preuve ne démontre si la panne d’électricité constitue une baisse de tension ou un black-out pouvant entraîner un effet quelconque sur l’appareil.
[40] La preuve révèle que pour les deux autres tests administrés par la suite, l’appareil fonctionnait normalement. Toutes les séquences et tests de contrôle étaient conformes à ce qu’ils devaient être.
[41] La défense ne table que sur le fait que cette panne n’aurait pas dû affecter le fonctionnement de l’appareil et qu’en se faisant, il s’agit d’une utilisation incorrecte.
[42] Le Tribunal ne peut accéder à ce syllogisme simple qui n’est fondé que sur une note d’un manuel, sans aucune explication sur les conséquences de l’absence d’un ASI. Cette note consiste en une recommandation pour les pannes d’électricité, sans plus.
[43] Le fait que la technicienne ne peut expliquer pourquoi l’appareil s’est éteint soudainement et entraîné la perte des informations du premier test, qui néanmoins se retrouvent dans la mémoire de l’appareil, ne permet pas de conclure à une utilisation incorrecte de l’appareil.
[44] Il s’agit d’un événement imprévu. Rien ne démontre un mauvais fonctionnement de l’appareil par la suite et que ceci constitue en soi, une utilisation incorrecte due à l’absence de système ASI.
LA PÉRIODE D’ATTENTE DE 15 MINUTES
[45] Dans le manuel, il est recommandé d’attendre 15 minutes avant d’administrer le premier test pour s’assurer de l’absence de vomissement, régurgitation, éructation ou de quelques autres problèmes de nature gastrique chez le sujet qui pourraient affecter la fiabilité des résultats obtenus. Le témoignage de la technicienne démontre qu’elle applique cette règle d’observation de 15 minutes.
[46] L’accusée soumet que le premier test inscrit au certificat à 4 h 28 ne s’est pas déroulé dans les 15 minutes après la panne de courant et de la décision de la technicienne de reprendre une séquence complète de deux tests.
[47] Dans le cadre du contre-interrogatoire, il y a peut-être eu une certaine confusion relativement aux heures précises des tests, puisqu’à un certain point la technicienne répondait que le deuxième test a eu lieu à 4 h 24 et les parties en sont restées à cette heure mentionnée alors que ceci n’est pas exact.
[48] La preuve a révélé clairement et les documents produits le démontrent, qu’en fait, à 4 h 24, la technicienne a commencé sa série de vérifications pour le deuxième test qui a été administré à 4 h 28.
[49] Donc, dans la présente affaire la séquence est la suivante :
– Test numéro 1 : 4 h 10;
– Panne de courant : 4 h 14;
– Test numéro 2 : 4 h 28;
– Test numéro 3 : 4 h 48.
[50] Dans les faits, il s’est écoulé 14 minutes après la panne et l’administration du premier test à 4 h 28. La preuve révèle plus particulièrement qu’il y a eu 18 minutes entre le premier test à 4 h 10 et le deuxième test à 4 h 28 ou 39 minutes depuis l’arrivée au poste.
[51] La technicienne n’a pas jugé bon d’attendre 15 minutes pour ce deuxième test puisque la période d’observation préalable au premier test, soit celui de 4 h 10 était déjà acquise et il n’y avait donc pas utilité d’attendre à nouveau 15 minutes, avant d’administrer ce deuxième test, qui dans les faits, se retrouvait à être le premier inscrit au certificat.
[52] La seule obligation d’un délai de 15 minutes prévu par le Code criminel est celle qu’on retrouve à l’article 258(1)c)(ii) où il doit y avoir un intervalle d’au moins 15 minutes entre les deux échantillons prélevés.
[53] Dans la présente affaire, il y a eu entre le premier test et le deuxième, au moins 18 minutes et un autre 20 minutes avant le troisième test. Ainsi, pour chacun des tests, l’intervalle d’au moins 15 minutes est respecté.
[54] Par ailleurs, compte tenu de l’objectif poursuivi par la recommandation d’une période d’observation de 15 minutes avant d’administrer le premier test sur un sujet, le Tribunal considère que dans la présente affaire, cette période d’observation était déjà largement satisfaite avant l’administration du deuxième test à 4 h 28.
[55] Dans les circonstances, l’accusée n’a pas démontré une utilisation incorrecte de l’appareil et le Tribunal n’a aucun doute quant aux résultats d’alcoolémie qu’il considère valables. Compte tenu des présomptions, l’accusée avait une alcoolémie supérieure à la limite permise au moment de la conduite de son véhicule automobile.
POUR TOUS CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
DÉCLARE l’accusée coupable du seul chef de la dénonciation.