Les peines minimales obligatoires non seulement haussent le plancher des peines imposées pour un crime donné, mais elles ont également un effet inflationniste sur celles-ci, ce qui est le cas relativement au crime de distribution de pornographie juvénile
[41] Les peines minimales obligatoires non seulement haussent le plancher des peines imposées pour un crime donné, mais elles ont également un effet inflationniste sur celles-ci.
[42] La juge Arbour, dans R. c. Morrisey, fait état de cette tendance dans les termes suivants :
75 […] Par conséquent, je suis d’avis que les peines minimales obligatoires prescrites pour les infractions liées aux armes à feu doivent servir de plancher haussant les peines généralement imposées et fixant ainsi une nouvelle sanction minimale applicable au délinquant dit « le moins répréhensible » dont la conduite est visée par ces dispositions. Le minimum obligatoire ne doit pas devenir la peine usuelle infligée à tous les délinquants, à la seule exception du délinquant de la pire espèce qui commet l’infraction dans les circonstances les plus odieuses. Cette approche aurait non seulement pour effet de contrecarrer l’intention qu’avait le législateur en édictant ces mesures législatives particulières, mais contreviendrait en outre aux principes généraux de détermination de la peine qui visent à instaurer un régime juste et équitable de détermination de la peine et ainsi à contribuer à la réalisation des objectifs visés par l’infliction de sanctions criminelles.
76 À mon avis, conformément aux indications données par la jurisprudence de notre Cour, l’approche qu’il convient d’adopter pour déterminer la validité constitutionnelle des peines minimales obligatoires consiste à donner effet à l’intention du législateur d’augmenter les peines généralement imposées, sauf lorsque l’impossibilité faite par la loi d’infliger des peines inférieures au minimum prescrit porte atteinte au droit garanti par l’art. 12 de la Charte, dans les cas où le respect de la sanction minimale obligatoire entraînerait l’infliction d’une peine qui serait non seulement inappropriée — ce qui est autorisé par la Constitution — mais qui serait de surcroît exagérément disproportionnée par rapport à la sanction qui serait appropriée. La recherche de la peine appropriée n’est pas une tâche effectuée dans l’abstrait. Elle se base dans une large mesure sur les diverses peines infligées jusque-là à des délinquants dans une situation analogue et, pour cette raison, elle évolue au fil du temps et pourrait en venir à refléter l’augmentation générale des peines entraînée par l’application appropriée des peines minimales obligatoires prescrites pour certains types d’infractions. À cet égard, je suis en désaccord avec le juge Quinn qui, dans R. c. Scozzafava, [1997] O.J. No. 5804 (QL) (Div. Gén.), une affaire d’homicide involontaire perpétré avec l’usage d’une arme à feu, a affirmé, au par. 33, que l’existence de la peine minimale de quatre ans ne devrait pas se traduire par une augmentation générale proportionnelle des peines, par rapport à l’éventail des peines infligées dans les décisions antérieures à 1996.[44]
[Soulignements ajoutés]
[43] La Cour d’appel de la Colombie-Britannique, dans R. v. B.C.M., fait également le même constat :
[31] While the views of Arbour J. are not precedentially authoritative, the sentencing judge was entitled to adopt them as a logical and appropriate statement of the interaction between minimum sentences and the traditional sentencing principles, notably proportionality, which requires that similar offenders receive similar sentences. A minimum sentence does not oust that fundamental principle. The search for a fit sentence is still guided by similar sentences imposed in the past on similarly situated offenders. Nevertheless, a mandatory minimum sentence introduces a higher starting point and therefore a narrower range within which that principle will operate. The notion of a fit sentence must be adjusted accordingly if the principle of proportionality is to remain operative.
[32] For example, in this case, the introduction of the mandatory minimum sentence of one year for making child pornography significantly shrinks the range of sentencing options. It excludes consideration of a suspended sentence and probation under s. 731, or a conditional sentence under s. 742.1 of the Code. The only remaining sentencing options are terms of imprisonment between the staturory minimum of one year and the statutory maximum of ten years. Thus, the least culpable offender in the least serious circumstances, who might have received a more lenient sentence prior to Bill C-2, will now be sentenced to one year in prison. It would be inconsistent with proportionality if worse offenders in more serious circumstances, who might have received a one year sentence prior to Bill C-2, continue to be sentenced to one year under the new regime. The principle that similar offenders should receive similar sentences requires acknowledgement that a minimum sentence has a proportionate inflationary effect on the balance of the sentencing range.[45]
[Soulignements ajoutés]
[44] En première instance, le juge a retenu une fourchette de peines dont le plafond est de deux ans pour les crimes de possession et de distribution de pornographie juvénile. La peine minimale pour le crime de distribution étant d’un an d’emprisonnement depuis le 1er novembre 2005, je m’explique mal comment le haut de la fourchette ne devrait être que de deux ans[46]. L’augmentation des peines minimales devant servir de plancher établissant un nouveau seuil minimal[47], il y a longtemps que cette fourchette aurait dû être revue à la hausse.
L’utilisation de plus en plus facile d’Internet, non pas une excuse pour les délinquants, mais un mal à éradiquer de manière pressante
[58] Il est clair, à la lumière de ces extraits, que la distribution de pornographie juvénile via Internet contribue davantage à l’exploitation sexuelle des enfants que la simple possession. Ce fait, qui me semble incontestable, est largement documenté au niveau international.
[59] Il est maintenant établi que l’Internet, non seulement facilite les communications entre les producteurs de pornographie juvénile et les victimes potentielles[57], mais également entre les amateurs de ce contenu menant ainsi à la création de véritables « communautés »[58]. Or, ces communautés créent une fausse impression d’acceptation sociale et de normalité qui diminue l’inhibition des consommateurs[59]. En outre, la prolifération de matériel de pornographie juvénile sur l’Internet tend à désensibiliser les consommateurs et à stimuler la demande vers du contenu toujours plus extrême et violent[60].
[60] Les autorités internationales qui ont étudié ces enjeux reconnaissent que l’augmentation de la disponibilité des contenus par l’expansion constante de l’Internet constitue une menace accrue pour les enfants et qu’il importe de prendre les mesures à l’échelle internationale et nationale pour lutter contre ce fléau[61].
[61] En résumé, la distribution de pornographie juvénile est un crime plus grave que la simple possession et le juge a commis une erreur de principe en imposant une peine d’emprisonnement de même durée pour ces deux crimes.
La réhabilitation n’est pas le facteur le plus important en matière d’infractions sexuelles à l’endroit d’une personne mineure
[67] Il ressort de la jurisprudence des différentes cours d’appel au Canada que la réhabilitation n’est pas le facteur le plus important en matière d’infractions sexuelles à l’endroit d’une personne mineure. Il faut plutôt mettre l’accent sur la dénonciation et la dissuasion[65].
[68] La juge Bich, dans R. c. Bergeron[66], rappelle ce principe dans les termes suivants :
[87] On doit certainement reconnaître ici les efforts déployés par l’intimé, dont on peut dire en effet qu’il est en bonne voie de réhabilitation, mais l’on ne saurait ignorer le caractère répugnant du crime et la réprobation qui doit le marquer. En l’occurrence, l’objectif de dénonciation et de dissuasion doit emporter l’imposition d’une peine destinée à exprimer clairement cette réprobation.
[88] Or, la juge de première instance, quoiqu’elle ait fait état de cet objectif, ne lui a pas donné la portée qu’il méritait ni ne lui a accordé l’attention qui s’imposait et son jugement semble plutôt une manière de le contourner. Il n’y a pas à l’en blâmer, la situation actuelle de l’intimé, qui s’est réformé, pouvant en effet soulever une certaine sympathie, qui ne peut cependant pas avoir préséance ici et ne pouvait justifier l’imposition d’une peine hors fourchette et indûment clémente.
[Soulignements ajoutés]
[69] Traitant plus précisément de pornographie juvénile, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique réitère l’importance de mettre l’accent sur les principes de dénonciation et de dissuasion :
[49] Similarly, in my opinion, the sentencing judge correctly identified the appropriate range of sentences for possession of child pornography. I accept that based on the cases the range of sentences for possession of child pornography is broad, but as the judge recognized, courts have over the years developed a greater appreciation of the harm caused to children by its manufacture, distribution and possession. More recent cases place greater emphasis on denunciation and deterrence and sentences have tended to increase.[67]
[Soulignement ajouté]
[70] La Cour d’appel de l’Alberta tient des propos au même effet :
[2] The sentencing judge gave careful consideration to the facts and to the aggravating and mitigating circumstances. He correctly concluded that deterrence was the primary consideration in sentencing for offences involving predatory crimes against children. Denunciation was the secondary consideration, followed by rehabilitation.[68]
[71] Le juge de première instance écrit qu’« il ne fait aucun doute que les objectifs à viser sont ceux de la dénonciation et de la dissuasion, tant personnelle que collective »[69]. À la lumière des extraits jurisprudentiels précités, il va de soi qu’il ne commet pas d’erreur en affirmant cela.
[72] Le juge fait ensuite état des efforts de réhabilitation de l’intimé qui a participé à
23 rencontres avec une sexologue référée par son avocat, et ce, à la suite d’un engagement de sa part contracté un peu plus d’une semaine après son arrestation.
[73] Reste que l’auteur du rapport présentenciel note que « [d]ans son cas [celui de l’intimé], il semble être question d’une conscientisation embryonnaire, qui aurait avantage à être approfondie ». On trouve également le passage suivant dans l’évaluation sexologique déposée au dossier :
Nous croyons qu’il serait important que monsieur Régnier soit davantage sensibilisé à la compréhension qu’il fait de son délit ainsi que les facteurs qui ont précipités ses agir [sic]. Il a tendance à minimiser sa responsabilité et à éviter de se remettre en question en prétextant qu’il avait une dépendance.
[74] Le juge, à n’en pas douter, pouvait tenir compte de la réinsertion sociale de l’intimé et diminuer la peine que ce dernier aurait dû autrement recevoir. Le problème ici est que le juge considère qu’il ne se trouve pas dans une situation où il doit considérer une peine de pénitencier[70] alors que c’est clairement le cas. Ce faisant, il impose à l’intimé une peine « indûment clémente »[71] qui ne reflète aucunement la gravité tant objective que subjective des crimes commis.
[75] À mon avis, les efforts de réhabilitation de l’intimé, quoique méritoires, ne sauraient justifier la peine de 18 mois d’emprisonnement qui lui a été imposée.
La protection des enfants, en tant que valeur essentielle de toute société organisé.
[76] Le juge qui impose une peine joue un rôle de premier plan dans notre système de justice pénale[72]. Il jouit à ce titre d’un large pouvoir discrétionnaire qui commande une grande retenue de la part des tribunaux d’appel[73].
[77] Pour cette raison et aussi parce que le principe de détermination de la peine demeure un processus fortement individualisé[74], il n’appartient pas à cette cour de déterminer dans l’abstrait ce qui devrait être pour l’avenir la fourchette de peines applicable en matière de pornographie juvénile.
[78] Au terme de la présente analyse, je crois pouvoir affirmer cependant que la forte réprobation sociale qu’inspire le crime de distribution de pornographie juvénile ne saurait s’accommoder d’une fourchette dont le plafond est de deux ans. Les juges doivent, dans les cas appropriés, se sentir libres de sévir au-delà de ce seuil. La protection des enfants, en tant que valeur essentielle de toute société organisée, commande qu’il en soit ainsi comme le rappelait la juge Otis, en 1998, dans R. c. L.(J.-J.)[75] :
Il est des crimes qui témoignent des valeurs protégées par une collectivité humaine à un moment déterminé de son histoire et qui, à la faveur de l’évolution des sociétés, deviennent finalement périmés. Il en va différemment des crimes d’ordre sexuel commis sur des enfants en bas âge. Même avant que des lois pénales répressives ne sanctionnent ces délits, la protection des enfants constituait l’une des valeurs essentielles et pérennisées par la plupart des sociétés organisées. La fragmentation de la personnalité d’un enfant à l’époque où son organisation naissante ne laisse voir qu’une structure défensive très fragile, engendrera – à long terme – la souffrance, la détresse et la perte d’estime de soi. S’il est une intolérance dont une société saine ne doive jamais s’émanciper c’est bien celle qui concerne les abus sexuels commis sur de jeunes enfants.
[Soulignements ajoutés]
[79] Pour tous ces motifs, je suggère d’accueillir l’appel du ministère public et de substituer à la peine de 18 mois imposée par le juge pour les accusations de distribution de pornographie juvénile (chefs 6, 7 et 8) une peine de 36 mois, les autres ordonnances demeurant en vigueur.