Fontaine c. R., 2017 QCCA 1730
La négligence criminelle : une infraction d’intention objective
[25] Depuis l’arrêt Tutton[28], il est de jurisprudence constante au Canada que la notion de négligence définie par l’article 219 du Code criminel n’est pas un concept tenant à la mens rea; il s’agit plutôt d’un standard objectif de faute. La mens rea réfère à l’état d’esprit coupable nécessaire à la preuve d’un crime. Or, la négligence ne requiert pas cette démonstration, bien qu’une preuve en ce sens puisse être utile. La négligence criminelle est une norme de faute objective qui caractérise un écart de la norme de diligence d’une personne raisonnable dans les mêmes circonstances. En droit criminel, cet écart doit être marqué, tandis qu’au chapitre de la négligence criminelle telle que définie par l’article 219, la jurisprudence veut que l’écart soit « marqué et important »[29]. La notion de négligence criminelle ne désigne pas un éventail informe de comportements criminels. Il s’agit plutôt d’un terme technique. Le standard plus sévère qu’elle commande s’applique qu’il s’agisse de négligence criminelle causant la mort, de négligence criminelle causant des lésions corporelles ou d’homicide involontaire coupable par négligence criminelle.
L’écart « marqué et important » versus « marqué »
[26] Les appelants ont fortement insisté sur le fait que la juge du procès omet à répétition d’ajouter les termes « et important » à « écart marqué » lorsqu’elle mentionne le standard de faute applicable en matière de négligence criminelle. Sur cette base, ils prétendent qu’elle n’a pas appliqué une norme de faute suffisamment exigeante pour le type d’infractions ici reprochées. Cette prétention doit échouer. Dans ses motifs, la juge réfère en deux occasions, et plus particulièrement dans ses conclusion finales, à un « écart marqué et important » comme standard objectif de faute. De plus, elle fait explicitement référence à l’arrêt J.F., où la Cour suprême met l’accent sur la différence entre les infractions de négligence criminelle visées par l’article 219 du Code criminel, soit celles qui requièrent la preuve d’un « écart marqué et important », et les autres infractions de négligence, celles pour lesquelles la preuve d’un « écart marqué » suffit pour asseoir un verdict de culpabilité. Le standard de l’écart marqué et important n’est pas une formule sacramentelle qui imposerait la répétition constante des mêmes deux adjectifs. C’est un standard de droit substantiel. Le défaut de toujours utiliser les adjectifs en question ne signifie pas que le standard approprié a été incorrectement appliqué. En somme, l’argument selon lequel la juge se serait mal dirigée quant à la norme de faute applicable en matière de négligence criminelle est dénué de fondement.
[27] La Cour suprême a souligné que l’écart marqué et l’écart marqué et important comportent des degrés de gravité différents, de même qu’il existe une différence entre l’écart marqué propre au droit criminel et le simple écart susceptible d’engager la responsabilité civile d’une partie. Ces différences de degré ne peuvent être mesurées au moyen d’une règle, d’un thermomètre ou de tout autre instrument étalonné. Les termes « marqué et important » sont de simples adjectifs utilisés pour paraphraser et interpréter l’expression « insouciance déréglée ou téméraire » de l’article 219 du Code criminel. Ils ne peuvent pas servir à fixer une échelle de gravité objective qui soit déterminante d’un cas à l’autre. Tant le comportement que la faute doivent s’apprécier de façon entièrement contextuelle par le juge des faits. En l’espèce, la juge était pleinement consciente de la norme de faute applicable et à la lumière de celle-ci, elle a procédé à une analyse minutieuse des faits particuliers de l’affaire[30].