Procureur général du Québec c. Luamba, 2024 QCCA 1387

[9] Le litige ne met pas en cause les interceptions routières faites dans le cadre d’un programme structuré (p. ex., un programme de contrôles routiers ponctuels tel un barrage routier). Il ne vise pas non plus les interceptions faites par des agents de la paix autres que des policiers[10]. Bref, il ne concerne qu’une pratique bien précise, soit l’interception par un policier du conducteur d’un véhicule automobile de façon totalement discrétionnaire.

La Cour conclut que l’arrêt Dedman a reconnu un pouvoir policier de common law limité, à savoir celui d’intercepter des véhicules au hasard dans le cadre d’un programme structuré (« aux fins visées par le programme R.I.D.E. »). La Cour est en outre d’avis que l’arrêt Ladouceur n’a pas élargi ce pouvoir policier de common law.

[31]      La reconnaissance de pouvoirs policiers en common law est bien encadrée. Dans l’arrêt Fleming, la juge Côté, pour la Cour suprême, appelle à la prudence avant de se prononcer sur l’existence de tels pouvoirs. Elle mentionne que « la primauté du droit exige que ces pouvoirs policiers soient strictement limités afin de protéger les libertés individuelles »[36]. Puisque l’établissement et la restriction de ceux-ci relèvent des législateurs, « les tribunaux doivent agir avec prudence lorsqu’ils sont appelés à se prononcer sur l’existence en common law de pouvoirs policiers proposés »[37]. Cependant, les tribunaux « ne peuvent abdiquer le rôle qui leur incombe d’adapter progressivement des règles de common law lorsqu’il existe des lacunes législatives »[38]. Or, il vaut de souligner que, dans les arrêts Hufsky etLadouceur, il n’y avait pas de lacune législative à combler puisque le pouvoir policier contesté était fondé sur le par. 189a(1) du Code de la route ontarien. C’est donc à ce pouvoir d’origine législative que s’intéressaient ces deux arrêts et non à une règle issue de la common law.

Il arrive donc que des dispositions législatives ou des règles de droit prévoyant un pouvoir discrétionnaire portent nécessairement atteinte aux droits garantis par la Charte, et ce, même si elles n’autorisent pas expressément une telle atteinte[68]. Dans de tels cas, c’est généralement la loi ou la règle de droit elle-même qui doit être examinée au regard de la Charte[69].

[50]      La question de savoir si l’art. 636 C.s.r. est la source du profilage racial dans les interceptions routières sans motif requis est déterminante sur l’issue du pourvoi. Le PGQ ne conteste pas la preuve selon laquelle il y a du profilage racial lors d’interceptions routières effectuées en vertu de l’art. 636 C.s.r., mais, à son avis, cela n’entraîne pas l’invalidité constitutionnelle de la disposition, car c’est le comportement illégal des policiers dans son application qui en est la cause. La distinction est importante au chapitre de la réparation.