Le requérant demande l’exclusion des éléments de preuve obtenus en violation des articles 7, 8, 10 b) et 24 (2) de la Charte canadienne des droits et libertés. Comme argument subsidiaire, il soutient que l’intimée ne devra pas bénéficier de la présomption légale prévue à l’alinéa 258 (1) c) du Code criminel.

 

 

QUESTIONS 1 et 2 – L’ordre en vertu du paragraphe 254 (2) C. cr. et le critère d’immédiateté

Le droit

[19]        Le paragraphe 254 (2) C. cr. prévoit ce qui suit :

Contrôle pour vérifier la présence d’alcool ou de drogue

254 (2)  L’agent de la paix qui a des motifs raisonnables de soupçonner qu’une personne a dans son organisme de l’alcool ou de la drogue et que, dans les trois heures précédentes, elle a conduit un véhicule — véhicule à moteur, bateau, aéronef ou matériel ferroviaire — ou en a eu la garde ou le contrôle ou que, s’agissant d’un aéronef ou de matériel ferroviaire, elle a aidé à le conduire, le véhicule ayant été en mouvement ou non, peut lui ordonner de se soumettre aux mesures prévues à l’alinéa a), dans le cas où il soupçonne la présence de drogue, ou aux mesures prévues à l’un ou l’autre des alinéas a) et b), ou aux deux, dans le cas où il soupçonne la présence d’alcool, et, au besoin, de le suivre à cette fin :

  1. a) subir immédiatement les épreuves de coordination des mouvements prévues par règlement afin que l’agent puisse décider s’il y a lieu de donner l’ordre prévu aux paragraphes (3) ou (3.1);
  2. b) fournir immédiatement l’échantillon d’haleine que celui-ci estime nécessaire à la réalisation d’une analyse convenable à l’aide d’un appareil de détection approuvé. [Le Tribunal souligne.]

[20]         L’alinéa 10 b) de la Charte se lit comme suit :

Arrestation ou détention

  1. Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention :
  2. a)  (…)
  3. b)  d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat et d’être informé de ce droit [.]

[21]        Il est bien établi que lorsque les critères énoncés au paragraphe 254 (2) sont remplis, des agents de la paix peuvent détenir une personne sans que cette personne puisse bénéficier de son droit à un avocat[7].

[22]        En effet, dans l’arrêt Thomsen[8], la Cour suprême du Canada a statué que même si les individus assujettis aux ordonnances de se soumettre à des tests de dépistage en vertu du paragraphe 254 (2) sont détenus, ils ne bénéficient pas du droit à un avocat. La privation de ce droit constitutionnel prévu à l’alinéa 10 b) de la Charte est justifiée en vertu de l’article 1 de la Charte. On a décidé que le droit des détenus à un avocat dans ce contexte doit céder le pas à l’intérêt de la société de combattre ce fléau qu’est l’alcool au volant.

[23]        Le fait que selon le paragraphe 254 (2), les individus doivent se soumettre aux tests de dépistage immédiatement est essentiel au raisonnement de la Cour suprême, parce qu’on y trouve l’assurance que les individus ne seront détenus que peu de temps. En ce sens, l’immédiateté est le corollaire de la suspension du droit à un avocat[9].

[24]        Ceci est tellement vrai qu’au cours des années, on a élaboré une définition du terme immédiat, que l’on trouve au paragraphe 254 (2) et qui souligne l’importance de ne pas suspendre indûment le droit à un avocat.

[25]        Dans R. v. Quansah[10], la Cour d’appel de l’Ontario résume l’état du droit comme suit :

45   In sum, I conclude that the immediacy requirement in s. 254(2) necessitates the courts to consider five things. First, the analysis of the forthwith or immediacy requirement must always be done contextually. Courts must bear in mind Parliament’s intention to strike a balance between the public interest in eradicating driver impairment and the need to safeguard individual Charter rights.

46   Second, the demand must be made by the police officer promptly once he or she forms the reasonable suspicion that the driver has alcohol in his or her body. The immediacy requirement, therefore, commences at the stage of reasonable suspicion.

47   Third, « forthwith » connotes a prompt demand and an immediate response, although in unusual circumstances a more flexible interpretation may be given. In the end, the time from the formation of reasonable suspicion to the making of the demand to the detainee’s response to the demand by refusing or providing a sample must be no more than is reasonably necessary to enable the officer to discharge his or her duty as contemplated by s. 254(2).

48 Fourth, the immediacy requirement must take into account all the circumstances. These may include a reasonably necessary delay where breath tests cannot immediately be performed because an ASD is not immediately available, or where a short delay is needed to ensure an accurate result of an immediate ASD test, or where a short delay is required due to articulated and legitimate safety concerns. These are examples of delay that is no more than is reasonably necessary to enable the officer to properly discharge his or her duty. Any delay not so justified exceeds the immediacy requirement.

49   Fifth, one of the circumstances for consideration is whether the police could realistically have fulfilled their obligation to implement the detainee’s s. 10(b) rights before requiring the sample. If so, the « forthwith » criterion is not met. [Le Tribunal souligne.]

[26]        Ce qui ressort est qu’immédiat doit être compris selon son sens ordinaire, mais qu’en certaines circonstances, on peut interpréter cette expression avec souplesse. À noter que la période visée commence dès l’éveil des soupçons[11].

[27]        Un exemple d’une occasion qui nécessite une interprétation souple du terme immédiat est quand il faut attendre d’administrer le test pour s’assurer d’obtenir un résultat valable. Un autre est quand un policier ne dispose pas d’un ADA lorsqu’il formule les soupçons et ordonne au suspect de se soumettre à un test de dépistage. La Cour d’appel du Québec a établi clairement qu’on ne s’attend pas à ce que chaque véhicule patrouille au Québec soit muni d’un ADA. Le fait d’avoir attendu l’appareil, rendant nécessaire un certain délai, n’invalide donc pas automatiquement la demande qui pourrait être considérée immédiate. Tout est une question de circonstances[12].

[28]        On entend fréquemment dire que le critère de l’immédiateté est satisfait dans la mesure où le test est administré dans un délai de 15 minutes de l’éveil des soupçons. Avec respect, ceci n’est pas exact et provient d’une mauvaise interprétation de la jurisprudence. Même si souvent, une demande qui n’est pas instantanée mais qui est faite en dedans de 15 minutes respectera le critère de l’immédiateté, le Tribunal précise que ce n’est pas le calcul des minutes qui importe[13]. Chaque cas est un cas d’espèce qui doit être analysé selon les critères établis dans la jurisprudence et qui sont résumés dans Quansah[14].

[…]

[44]        Le Tribunal est persuadé que la preuve démontre que les policiers avaient  la possibilité, de façon réaliste, de respecter l’obligation de mettre en application les droits du requérant prévus à l’alinéa 10 b) de la Charte pendant l’attente. Cette possibilité existait. Comme l’a dit la juge Abella dans Taylor, « [d]es droits constitutionnels ne sauraient être écartés sur la base de suppositions d’impossibilité pratique[21] ».

[45]        On se rappelle que le droit constitutionnel prévu à  l’alinéa 10 b) de la Charte comporte deux volets : l’obligation d’informer le détenu de son droit à l’assistance d’un avocat et celle de faciliter l’accès à l’avocat. Le volet informationnel débute immédiatement après l’arrestation ou la mise en détention. Il n’y a absolument rien qui empêchait le policier d’aviser le requérant de son droit à l’assistance d’un avocat. Le requérant aurait pu ensuite décider s’il voulait se prévaloir de ce droit malgré les contraintes potentielles liées à la confidentialité.

[46]        Le Tribunal note que même s’ils étaient plaidés comme deux enjeux distincts, la confidentialité et la sécurité sont reliées dans ce contexte. Le Tribunal comprend des représentations de l’intimée que le danger de rester debout sur l’accotement pourrait expliquer pourquoi les policiers ne pouvaient pas laisser le requérant seul dans le véhicule pour contacter un avocat.  En d’autres termes, ce sont les préoccupations liées à la sécurité qui créent, selon l’intimée, certains obstacles quant à la confidentialité. Mais il n’y avait aucune crainte reliée à la sécurité en tant que telle, comme on peut le voir dans les dossiers où le détenu est agressif ou violent, ou que d’autres citoyens instaurent un climat d’insécurité sur la scène de l’intervention.

[47]        Dans Lauzier[22], l’agent a invoqué la confidentialité pour justifier sa décision de ne pas avoir offert à l’accusé la possibilité de consulter un avocat sur les lieux de l’intervention. Ce motif n’a pas été retenu :

 … Le manque de confidentialité n’est pas une raison pour ne pas offrir à la personne détenue d’exercer son droit de consulter un avocat. Lorsque le manque de confidentialité est une réalité incontournable, il appartient à la personne détenue de choisir si elle désire quand même exercer son droit dans ce contexte ou si elle préfère l’exercer plus tard en toute confidentialité.[23]

[48]        L’intimée a encouragé le Tribunal à considérer qu’après l’arrestation du requérant, quand il a enfin été avisé de son droit à un avocat, il a décidé de ne pas se  prévaloir de ce droit. Il est vrai que dans certaines décisions, « l’exercice ultérieur du droit à un avocat et la facilité à l’exercer » sont des facteurs qui sont considérés pour déterminer s’il y avait « une possibilité réaliste et non seulement théorique de communiquer avec un avocat [24] ». Mais dans les circonstances de ce dossier, ceci n’est pas déterminant.  Comme dans R. c. Turcotte[25], lorsque l’accusé refuse le droit à l’avocat « le mal est fait, il a échoué le test à l’ADA[26] ». Personne ne peut savoir comment le requérant aurait réagi si ses droits avaient été respectés pendant l’attente que soit livré l’ADA.

[49]        Dans le dossier qui nous occupe, les agents ignoraient complètement que pendant l’attente de 19 minutes entre l’éveil des soupçons et l’administration du test de dépistage, ils étaient obligés, dans la mesure du possible, de respecter l’obligation de mettre en application les droits du requérant prévus à l’alinéa 10 b) de la Charte pendant l’attente. Et le Tribunal est convaincu, après examen de l’ensemble des circonstances, que cette possibilité existait.

QUESTION 3            – Article 8 de la Charte

[53]        L’article 8 de la Charte se lit comme suit :

  1. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

[54]        Les échantillons d’haleine constituent la preuve corporelle et l’obtention par l’État des échantillons constitue une saisie sans mandat. En principe, les saisies sans mandat sont abusives, sauf si elles sont autorisées par la loi[28]. C’est le paragraphe 254 (2) qui établit les critères justifiant la demande de fournir un échantillon d’haleine pour analyse par ADA.

[55]        La demande de fournir un échantillon d’haleine pour analyse à l’aide d’un ADA qui ne respecte pas l’exigence d’immédiateté prévue au paragraphe 254 (2) est invalide et ne constitue pas une demande prévue par la loi.

[56]        Puisque le critère d’immédiateté n’a pas été respecté dans le cas qui nous occupe, les résultats obtenus par l’appareil de dépistage sont le fruit d’une fouille abusive, en violation de l’article 8 de la Charte.

[57]        Qui plus est, l’agent Muylaert a admis que c’est l’échec du requérant au test de dépistage qui était à la base de ses motifs raisonnables de croire que le requérant conduisait avec les facultés affaiblies, justifiant ainsi son arrestation et l’ordre d’aller au poste pour fournir des échantillons d’haleine aux fins d’analyse par alcootest. L’agent a témoigné très clairement que n’eût été de l’échec, il n’aurait pas arrêté le requérant.

[58]        En l’espèce,  puisque le résultat d’échec sur l’ADA a été obtenu en ne respectant  pas le critère d’immédiateté et en violation de l’article 8 de la Charte, ce résultat ne pouvait pas figurer parmi les motifs raisonnables justifiant la demande de l’alcootest. La demande faite en vertu du paragraphe 254 (3) est donc aussi invalide, et les résultats sont eux aussi le fruit d’une fouille abusive.