La règle des confessions vise à atteindre un juste équilibre entre les droits individuels et les intérêts de la société qui sont en jeu dans le cadre d’un interrogatoire policier : d’une part, la protection de l’accusé contre un interrogatoire policier irrégulier et, d’autre part, le fait d’offrir aux autorités la marge de manœuvre dont elles ont besoin pour poser les questions difficiles en vue de mener à bien les enquêtes criminelles.
[4] L’on a souvent dit qu’une application appropriée de la règle des confessions vise à atteindre un juste équilibre entre les droits individuels et les intérêts de la société qui sont en jeu dans le cadre d’un interrogatoire policier : d’une part, la protection de l’accusé contre un interrogatoire policier irrégulier et, d’autre part, le fait d’offrir aux autorités la marge de manœuvre dont elles ont besoin pour poser les questions difficiles en vue de mener à bien les enquêtes criminelles (R. c. Oickle, 2000 CSC 38, [2000] 2 R.C.S. 3, par. 33). Pour atteindre ce juste équilibre, il est essentiel de comprendre l’incidence de l’absence d’une mise en garde sur le caractère volontaire à l’étape qui précède la détention et, plus particulièrement, sur les considérations liées à l’équité qui sous‑tendent la règle des confessions.
[69] Notre Cour a souligné à maintes reprises que la règle des confessions, correctement cernée, vise à établir un équilibre entre, d’une part, le droit de l’accusé de garder le silence et son droit à la protection contre l’auto‑incrimination et, d’autre part, les objectifs légitimes de l’État en matière d’application de la loi dans le cadre d’enquêtes criminelles (Hebert, p. 176‑177 et 180; Oickle, par. 33; Singh, par. 43 et 45). J’ajouterais que ces droits et intérêts, bien qu’ils semblent souvent contradictoires, visent tous à préserver la confiance du public envers l’administration de la justice pénale, ce qui aide les juges de première instance à trouver le bon point d’équilibre. Pour que justice soit rendue, il faut reconnaître que les droits de l’accusé sont importants, mais pas illimités. Il faut également donner aux policiers une marge de manœuvre pour qu’ils mènent à bien les enquêtes criminelles, sans toutefois laisser leur comportement sans surveillance. En effet, pour atteindre le juste équilibre entre ces objectifs, il faut trouver ce point de convergence, ce qui a été décrit de façon utile comme étant la [traduction] « finalité » de la règle des confessions (D. M. Paciocco, P. Paciocco et L. Stuesser, The Law of Evidence (8e éd. 2020), p. 425; voir aussi Vauclair et Desjardins, no 38.23). Dans la recherche de cet équilibre, la loi impose à la Couronne le lourd fardeau de prouver le caractère volontaire hors de tout doute raisonnable, ce qui protège grandement l’accusé à toutes les étapes d’une enquête criminelle. Contrairement au fardeau qu’impose la Charte, où l’accusé doit démontrer une violation selon la prépondérance des probabilités, la règle des confessions confère dès le départ une protection accrue à l’accusé, car le fardeau exigeant d’établir le caractère volontaire incombe à la Couronne.
La règle est guidée par des préoccupations de fiabilité et d’équité, et elle s’applique différemment selon le contexte.
Même si les questions de fiabilité et d’équité sont souvent étroitement liées, la mise en garde policière est habituellement considérée comme une question d’équité.
[70] La règle est guidée par des préoccupations de fiabilité et d’équité, et elle s’applique différemment selon le contexte. Comme l’a expliqué le juge Iacobucci dans l’arrêt Oickle, bien que la théorie de l’oppression et celle de l’encouragement s’attachent principalement à la fiabilité, d’autres aspects de la règle des confessions, tels que la présence de menaces ou de promesses, l’exigence d’un état d’esprit conscient ou le recours à des ruses policières, peuvent tous priver injustement l’accusé de son droit de garder le silence (par. 69‑71; Rothman c. La Reine, 1981 CanLII 23 (CSC), [1981] 1 R.C.S. 640, p. 682‑683 et 688, le juge Lamer; Hebert, p. 171‑173; Whittle, p. 932; R. c. Hodgson, 1998 CanLII 798 (CSC), [1998] 2 R.C.S. 449, par. 21‑22; Singh, par. 34). Une déclaration peut être jugée involontaire et donc être écartée parce qu’elle n’est pas fiable et qu’elle soulève la possibilité d’une fausse confession, ou parce qu’elle a été obtenue injustement et qu’elle va à l’encontre du principe interdisant l’auto‑incrimination et du droit de garder le silence, quel que soit le contexte. Elle peut être écartée si elle a été obtenue en raison d’un comportement des policiers « [qui] ne respecte pas les valeurs socio‑morales qui sont à la base même du système pénal » (J. Fortin, Preuve pénale(1984), no 900).
[71] Même si les questions de fiabilité et d’équité sont souvent étroitement liées, la mise en garde policière est habituellement considérée comme une question d’équité, comme le souligne l’arrêt Morrison, cité en l’espèce par le juge du procès. Je suis d’accord avec le procureur général du Nouveau‑Brunswick que l’absence d’une mise en garde policière ne mine habituellement que très peu la fiabilité d’une déclaration. Le simple fait qu’une personne n’ait pas été mise en garde ne signifie pas en soi que sa confession ou sa déclaration est peu fiable. Cela dit, dans certaines situations, l’absence de mise en garde peut exacerber l’influence pernicieuse des menaces, des incitations ou de l’oppression, ce qui peut contribuer à miner la fiabilité d’une déclaration. Dans la plupart des cas, il est plutôt question d’équité, dans le sens où l’absence d’une mise en garde peut injustement priver quelqu’un de sa capacité à faire un choix libre et utile de parler ou non à la police, même si, en tant que suspect, il est exposé à un risque juridique.
[72] Toutefois, la mise en garde ne règle pas toutes les questions soulevées par la règle des confessions. La raison pour laquelle l’absence d’une mise en garde n’est pas un facteur déterminant du caractère volontaire est qu’une mise en garde vise à corriger un déséquilibre informationnel lorsqu’une personne détenue ou arrêtée est dans un état de vulnérabilité accrue — ce qui est une question d’équité —, tandis que le caractère volontaire englobe un [traduction] « faisceau de valeurs » plus large guidé par la fiabilité et l’équité (Oickle, par. 70, citant J. H. Wigmore, Evidence in Trials at Common Law(Chadbourn rev. 1970), vol. 3, § 826, p. 351). Bien qu’il ne fasse aucun doute que l’équité — qui découle du droit de garder le silence et du privilège contre l’auto‑incrimination reconnus en common law — joue un rôle important dans la règle moderne, la jurisprudence et la doctrine donnent à penser qu’il serait erroné de laisser l’équité prévaloir dans l’analyse au détriment d’autres valeurs (Boudreau, p. 269‑270; Oickle, par. 47; Singh, par. 35; S. Penney, « Theories of Confession Admissibility : A Historical View » (1998), 25 Am. J. Crim. L. 309, p. 373‑379; J. D. Grano, « Voluntariness, Free Will, and the Law of Confessions » (1979), 65 Va. L. Rev. 859, p. 914). La règle des confessions vise également à empêcher que les défendeurs innocents fassent de fausses confessions et à protéger les suspects des tactiques policières abusives. Il s’agit d’objectifs distincts qui, chacun à sa façon, sont pris en considération dans les facteurs liés aux menaces ou aux encouragements, à l’oppression et aux ruses. Ces préoccupations demeurent, même lorsqu’une mise en garde a été adéquatement faite et comprise. Une analyse contextuelle est nécessaire pour offrir aux suspects une protection adéquate qui s’étend au‑delà de celle qu’offre la mise en garde à elle seule, un point reconnu dans l’arrêt Boudreau.
[73] La règle énoncée dans l’arrêt Boudreau a résisté à l’épreuve du temps. En décidant que l’absence d’une mise en garde constitue un facteur important, mais pas déterminant dans l’analyse du caractère volontaire, la Cour a confirmé que la règle des confessions devrait demeurer souple pour tenir compte de la complexité de la réalité des enquêtes policières. Le juge Rand a constaté à juste titre que ce serait une [traduction] « grave erreur d’imposer aux méthodes habituelles d’enquêtes criminelles un carcan étroit de règles artificielles » (p. 270). Pendant de nombreuses années, cette approche a permis de trouver un équilibre entre l’intérêt de la société à ce que les crimes fassent l’objet d’une enquête et les droits individuels, et ce, même à mesure que la Cour a élargi son interprétation de la règle des confessions pour tenir compte des notions plus larges d’équité. Dans l’arrêt Boudreau, les juges ont conclu que, dans l’arrêt Gach c. The King, 1943 CanLII 32 (SCC), [1943] R.C.S. 250, le juge Taschereau s’était exprimé sous forme de remarque incidente lorsqu’il a déclaré que toutes les confessions sont inadmissibles en l’absence d’une mise en garde appropriée. Dans un ouvrage de doctrine, le juge F. Kaufman de la Cour d’appel du Québec a par la suite critiqué l’arrêt Gach. Il estimait que le droit y était mal interprété et que l’arrêt [traduction] « balayait quarante ans de jurisprudence canadienne et établissait une rigidité jusqu’alors inconnue » (The Admissibility of Confessions (3e éd. 1979), p. 144).
Il existe des raisons d’équité pour lesquelles la mise en garde revêt une importance plus grande une fois qu’une personne devient un suspect.
Des considérations liées à l’équité peuvent s’appliquer lorsqu’une personne est un suspect et que l’application du critère du suspect est une manière utile de déterminer si une personne accusée peut avoir été injustement privée de son droit de garder le silence.
Lorsque le tribunal arrive à la conclusion qu’une personne était un suspect, l’absence d’une mise en garde policière ne constitue pas simplement un facteur à prendre en considération parmi d’autres. Il s’agit plutôt d’une preuve prima facie d’un déni injuste du choix de parler ou non à la police, et le tribunal doit trancher explicitement la question de savoir si l’omission a entraîné une injustice dans les circonstances. Ce facteur ne doit pas se perdre dans l’ensemble des autres considérations. Il sert plutôt à mettre en doute l’équité de la déclaration, et la Couronne doit en traiter à la lumière de l’ensemble des circonstances pertinentes pour déterminer si l’accusé a choisi librement de parler. Pour s’acquitter de son fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable qu’une déclaration était volontaire, la Couronne devra réfuter cette preuve prima facie d’injustice.
Cet ajustement doit être interprété en fonction de l’imposition des fardeaux de présentation et de persuasion.
[78] À l’instar du procureur général du Nouveau‑Brunswick, j’estime que le poids à accorder à l’absence d’une mise en garde se situera sur une échelle. À une extrémité, l’importance accordée au fait de ne pas mettre en garde une personne qui n’est pas impliquée dans le crime — par exemple la personne qui se trouve au coin de la rue — sera habituellement négligeable. L’absence relative de vulnérabilité chez une personne qui n’est pas impliquée dans le crime ou chez un témoin qui est interrogé par la police signifie qu’il ne sera habituellement pas nécessaire d’établir qu’il y a eu mise en garde pour démontrer que les déclarations étaient volontaires. Exiger que la police mette en garde chaque personne à qui elle pose des questions dans le cadre d’une enquête criminelle, même lorsque ces questions sont posées dans un poste de police, serait — comme l’a souligné à juste titre la Cour d’appel en l’espèce — une norme impossible à appliquer. Elle limiterait indûment l’intérêt sociétal plus large à ce que les crimes fassent l’objet d’une enquête, en écartant des déclarations fiables obtenues équitablement dans des circonstances qui ne l’exigent pas.
[79] À l’autre extrémité de l’échelle, la vulnérabilité des détenus et le risque juridique auquel ils sont exposés consolident la nécessité d’une mise en garde policière. L’équité exige qu’ils connaissent leur droit à l’assistance d’un avocat et, par extension, leur droit de garder le silence, de manière à ce qu’ils puissent faire le « choix éclairé » de participer ou non à l’enquête (j’emprunte l’expression « choix éclairé » à l’arrêt Singh, par. 33). L’équilibre que les tribunaux cherchent à atteindre dans l’application de la règle des confessions dans ce contexte les amène à faire primer la protection des droits de la personne détenue sur l’intérêt que la société a à ce que les enquêtes criminelles soient menées à bien. Le poids accordé à l’absence d’une mise en garde dans ces circonstances, bien qu’il ne s’agisse pas d’un facteur déterminant du caractère volontaire en raison de l’analyse contextuelle exigée, se situera à l’extrémité supérieure de l’échelle (voir Singh, par. 33).
[80] Entre ces deux extrêmes, dans des circonstances où la police interroge un suspect qui n’est pas détenu sans lui faire une mise en garde, je souscris à l’opinion de longue date selon laquelle l’absence de cette dernière n’est pas fatale, mais qu’elle constitue un facteur important pour juger du caractère volontaire (voir de façon générale Kaufman, p. 142‑146). L’importance accordée à l’absence d’une mise en garde sera également considérable pour tenir compte du risque de vulnérabilité et d’exploitation d’un déficit informationnel, à moins qu’il puisse être démontré que, dans les circonstances, comme je l’expliquerai plus en détail ci‑après, le caractère volontaire ne fait aucun doute. Cela s’appuie de façon progressive sur les motifs utiles formulés par la juge Charron sur ce point dans l’arrêt Singh. Pour assurer une protection adéquate et fondée sur des principes en application de la règle des confessions, l’analyse définitive doit prendre tout particulièrement en considération le risque accru auquel est exposé un suspect et, par conséquent, sa vulnérabilité, par rapport à ceux d’une personne qui n’est pas impliquée dans le crime. Bien que des contacts entre la police et les citoyens entraînent parfois un changement dans le statut d’une personne au cours d’un interrogatoire, les enquêteurs ont l’habitude de détecter les signes qui éveillent leurs soupçons. Il s’agirait alors du bon moment pour mettre la personne interrogée en garde afin d’éviter la possible exclusion de ses déclarations au procès.
[81] La première étape dans l’évaluation de l’importance de l’absence d’une mise en garde par la police est donc de déterminer si la personne était un suspect. Je souscris à la suggestion du procureur général du Nouveau‑Brunswick selon laquelle des considérations liées à l’équité peuvent s’appliquer lorsqu’une personne est un suspect et que l’application du critère du suspect est une manière utile de déterminer si une personne accusée peut avoir été injustement privée de son droit de garder le silence (voir Oland, par. 42; Smyth, p. 34, citant Boudreau). Cette suggestion est également conforme aux énoncés de notre Cour selon lesquels « la règle des confessions s’applique chaque fois qu’une personne en situation d’autorité interroge un suspect » (Oickle, par. 30). Le critère, tel que le propose le procureur général du Nouveau‑Brunswick, est le suivant : y a‑t‑il des faits objectivement discernables connus de l’agent qui procède à l’interrogatoire au moment où se déroule celui-ci qui pourraient amener un enquêteur raisonnablement compétent à conclure que la personne interrogée est impliquée dans l’infraction criminelle visée par l’enquête (voir Morrison, par. 50; Oland, par. 43‑46; Smyth, p. 34‑36; Wong, par. 64; Merritt, par. 39; Higham, par. 5‑7)?
[82] Le critère est objectif et comprend à la fois une évaluation des faits objectivement discernables connus au moment de l’interrogatoire et l’interaction entre la police et la personne interrogée. Les questions ciblées, surtout lorsqu’elles donnent à penser que la personne interrogée est impliquée de façon répréhensible dans le crime, peuvent indiquer que la personne est un suspect. Cependant, elles peuvent également avoir d’autres objectifs légitimes, selon les circonstances. Le juge de première instance est le mieux placé pour déterminer si la police cherchait simplement à évaluer la réaction d’une personne à certaines questions ou si l’interrogatoire correspond davantage à celui d’un véritable suspect. Bien qu’un interrogatoire qui a lieu à l’initiative des policiers n’indique pas, en soi, qu’une personne est un suspect, il peut s’agir d’un signe qu’elle est considérée comme telle lorsqu’il est combiné à d’autres indications. Cela dit, des questions qui provoquent de l’anxiété ou de l’inconfort ou même qui insinuent la culpabilité ne signifient pas nécessairement qu’une personne est un suspect. La nature de l’interaction entre la police et la personne ainsi que son lien avec les faits objectivement vérifiables sont donc pertinents pour l’application du critère du suspect.
[83] Lorsque le tribunal arrive à la conclusion qu’une personne était un suspect, l’absence d’une mise en garde policière ne constitue pas simplement un facteur à prendre en considération parmi d’autres. Il s’agit plutôt d’une preuve prima facie d’un déni injuste du choix de parler ou non à la police, et le tribunal doit trancher explicitement la question de savoir si l’omission a entraîné une injustice dans les circonstances (voir Oland, par. 42). Ce facteur ne doit pas se perdre dans l’ensemble des autres considérations. Il sert plutôt à mettre en doute l’équité de la déclaration, et la Couronne doit en traiter à la lumière de l’ensemble des circonstances pertinentes pour déterminer si l’accusé a choisi librement de parler. Pour s’acquitter de son fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable qu’une déclaration était volontaire, la Couronne devra réfuter cette preuve prima facie d’injustice.
[84] Cet ajustement doit être interprété en fonction de l’imposition des fardeaux de présentation et de persuasion, fardeaux qui, aux fins du critère de l’état d’esprit conscient, sont expliqués comme suit par les auteurs Lederman, Fuerst et Stewart, ¶8.119, citant Ward, p. 41, et R. c. Lapointe and Sicotte (1983), 1983 CanLII 3558 (ON CA), 9 C.C.C. (3d) 366 (C.A. Ont.), p. 383, conf. par 1987 CanLII 69 (CSC), [1987] 1 R.C.S. 1253 :
[traduction] Un dernier élément à prendre en considération dans l’analyse du critère de l’état d’esprit conscient est l’imposition du fardeau de présentation et du fardeau (légal) de persuasion. Dans la mesure où l’accusé est peut‑être la seule personne qui a connaissance de ces questions de nature subjective, le fardeau de présenter suffisamment d’éléments de preuve pour soulever la question devrait lui incomber. [. . .] Lorsque l’accusé a présenté suffisamment d’éléments de preuve pour en faire une question litigieuse, la Couronne doit alors convaincre le juge de première instance que la déclaration était, hors de tout doute raisonnable, volontaire.
[85] À la lumière de ces observations utiles et en en élargissant l’application au‑delà du contexte de l’état d’esprit conscient, et conformément au conseil de la juge Charron sur les mises en garde dans l’arrêt Singh, je propose de considérer l’absence d’une mise à garde faite à un suspect comme une preuve prima facie qu’un accusé a été injustement privé de son choix de parler ou non à la police. Cela suffit pour faire de l’absence d’une mise en garde une question litigieuse que la Couronne doit réfuter afin d’établir le caractère volontaire de la déclaration hors de tout doute raisonnable.
Au cours du contre‑interrogatoire des témoins de la police ou en entendant le témoignage de l’accusé lui‑même, il se peut que l’on découvre que ce dernier était dans un état de vulnérabilité accrue ou exposé à un risque accru, parce qu’il était détenu ou qu’il était considéré comme un suspect et qu’il n’avait pas reçu de mise en garde, en dépit du fait qu’il était soupçonné d’avoir commis un crime. Cela suffit pour semer un doute quant au caractère volontaire des propos de l’accusé au sens des arrêts Whittle et Oickle, c’est‑à‑dire un doute quant au fait que l’accusé avait la capacité de comprendre ce qui était dit et que sa déclaration pourrait servir de preuve et qu’il n’y avait aucune autre considération connue portant atteinte au caractère volontaire.
Dans ces circonstances, il convient que le juge des faits entreprenne une analyse contextuelle pour déterminer si une injustice a été commise qui vicie le caractère volontaire en privant l’accusé du droit de garder le silence.
En commettant une inconvenance, habituellement en dissimulant le risque auquel est exposé le suspect pour encourager sa coopération, la police peut injustement priver le suspect de son droit de garder le silence. En termes clairs, la déclaration doit être écartée si le subterfuge des policiers choque la collectivité.
[86] Au cours du contre‑interrogatoire des témoins de la police ou en entendant le témoignage de l’accusé lui‑même, il se peut que l’on découvre que ce dernier était dans un état de vulnérabilité accrue ou exposé à un risque accru, parce qu’il était détenu ou qu’il était considéré comme un suspect et qu’il n’avait pas reçu de mise en garde, en dépit du fait qu’il était soupçonné d’avoir commis un crime. Cela suffit pour semer un doute quant au caractère volontaire des propos de l’accusé au sens des arrêts Whittle et Oickle, c’est‑à‑dire un doute quant au fait que l’accusé avait la capacité de comprendre ce qui était dit et que sa déclaration pourrait servir de preuve et qu’il n’y avait aucune autre considération connue portant atteinte au caractère volontaire. L’accusé s’est donc acquitté de son fardeau de présentation pour faire de l’absence d’une mise en garde une « question litigieuse ». Afin de respecter son fardeau de persuasion, la Couronne doit ensuite convaincre le juge de première instance, hors de tout doute raisonnable, que la déclaration était néanmoins volontaire.
[87] Dans ces circonstances, il convient que le juge des faits entreprenne une analyse contextuelle pour déterminer si une injustice a été commise qui vicie le caractère volontaire en privant l’accusé du droit de garder le silence. Ce peut être le cas lorsqu’il y a une preuve de ruse policière, par exemple lorsque l’absence d’une mise en garde résulte d’un manquement délibéré ou d’une tactique délibérée visant à manipuler le suspect de manière à ce qu’il pense que rien n’est en jeu (voir, p. ex., R. c. Crawford, 1995 CanLII 138 (CSC), [1995] 1 R.C.S. 858, par. 25; Auclair c. La Reine, 2004 CanLII 24201 (QC CA), [2004] R.J.Q. 767 (C.A.), par. 41; M. (D.), par. 45; Higham, par. 22). En commettant une inconvenance, habituellement en dissimulant le risque auquel est exposé le suspect pour encourager sa coopération, la police peut injustement priver le suspect de son droit de garder le silence. En termes clairs, la déclaration doit être écartée si le subterfuge des policiers choque la collectivité. Cependant, même si la situation n’atteint pas ce niveau, amener la personne interrogée à croire que, en tant que simple témoin, elle ne risque rien et que ses déclarations ne serviront pas de preuve contre elle pourrait en fin de compte empêcher leur admission : [traduction] « . . . la capacité de faire un choix utile demeure pertinente en présence d’une ruse », écrivent les auteurs Lederman, Fuerst et Stewart, « et l’exclusion s’impose lorsqu’il y a un doute raisonnable quant au caractère volontaire de la confession à cet égard » (¶8.126). J’aimerais souligner qu’il y a une différence entre le fait d’induire une personne en erreur quant à l’étendue du risque auquel elle est exposée et refuser de dire à une personne qu’elle est une suspecte. La police n’a pas à fournir de détails sur l’état de l’enquête pourvu que l’information essentielle soit communiquée et qu’il n’y ait aucune stratégie de subterfuge (R. c. Campbell, 2018 ONCA 837, 366 C.C.C. (3d) 346, par. 8‑9).
[88] Bien que la Couronne n’ait pas à la faire, la démonstration que l’accusé était en fait subjectivement au courant de son droit de garder le silence ou des conséquences de ses déclarations constituera une preuve convaincante que l’absence d’une mise en garde n’a pas miné le caractère volontaire. Dans ce cas, il n’y a tout simplement pas de doute sur l’équité qui pourrait découler de l’absence de mise en garde, car le suspect dispose de l’information nécessaire pour choisir de parler ou de garder le silence. Par exemple, dans les affaires Pepping, R. c. Boothe, 2016 ONCA 987, et R. c. Blackmore, 2017 BCSC 2682, citées par la Cour d’appel, les déclarations ont été jugées volontaires malgré l’absence d’une mise en garde. Dans chacune de ces décisions, la cour a conclu que le suspect était au courant des conséquences de ses déclarations. Parmi les éléments qui portent à croire qu’un suspect peut être au courant de son droit de garder le silence ou des conséquences de ses déclarations, mentionnons de manière non exhaustive la conscience d’être enregistré (R. c. Leblanc, 2001 CanLII 12528 (C.A. Qc), par. 17), des indications établissant que le suspect dirige la conversation (Boothe, par. 20 (CanLII)), une connaissance de l’objet de l’enquête policière et du présumé rôle du suspect dans l’enquête (M. (D.), par. 45; Leblanc, par. 26), et l’exercice du droit de garder le silence en refusant de répondre aux questions de la police (M. (D.), par. 46). J’aimerais souligner que ces décisions n’appuient pas la proposition selon laquelle la Couronne doit prouver hors de tout doute raisonnable la connaissance subjective du droit de garder le silence ou qu’une preuve de la connaissance écarte le critère établi de l’état d’esprit conscient. Elles indiquent plutôt que, en présence d’une preuve que l’accusé connaissait son droit de garder le silence ou les conséquences de ses déclarations, le poids accordé à l’absence d’une mise en garde devient moins important, car il existe d’autres indications fortes du caractère volontaire. Un empressement de parler, comme dans l’affaire Pepping (par. 6), peut servir, ou non, à prouver le caractère volontaire, selon les circonstances. Une personne peut sembler empressée de parler soit parce qu’elle a un véritable intérêt à le faire, soit parce qu’elle a peur ou se sent contrainte de le faire.
En résumé
[89] En somme, la règle des confessions fait toujours porter sur la Couronne l’ultime fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable le caractère volontaire de la déclaration d’un accusé à une personne en situation d’autorité. Lorsqu’un accusé remet en question le caractère volontaire en ce qui a trait à un interrogatoire par la police durant lequel il n’a pas été mis en garde, la première étape consiste à déterminer s’il était ou non un suspect. Si oui, l’absence de mise en garde est une preuve prima facie d’un déni inéquitable de choix, mais elle n’est pas déterminante pour trancher la question. Il s’agit d’une preuve crédible de l’absence du caractère volontaire sur laquelle la cour doit se pencher directement. Selon les circonstances, elle peut être pertinente pour certains facteurs énumérés dans l’arrêt Oickle de même que pour toutes les autres considérations qui se rapportent au caractère volontaire. Toutefois, l’absence de mise en garde n’est pas décisive et la Couronne peut malgré tout se décharger de son fardeau si l’ensemble des circonstances le permet. Elle n’a pas à prouver que l’accusé a compris subjectivement le droit au silence ou les conséquences de sa prise de parole, mais, si elle peut le faire, cela constituera généralement une preuve convaincante du caractère volontaire de la déclaration. Si les circonstances donnent à penser que la police a tiré profit d’un manque d’information, cela pèsera lourdement en faveur d’une conclusion selon laquelle la déclaration n’était pas volontaire. Cependant, si la Couronne est en mesure de prouver que le suspect a conservé la capacité d’exercer son libre choix vu l’absence de signes de menaces ou d’encouragement, d’oppression, de l’absence d’un esprit conscient ou de ruse policière, cela suffira pour qu’elle se décharge de son fardeau de prouver que la déclaration était volontaire et remédier à l’absence de mise en garde qui avait entaché le processus.
La question de la détention psychologique est régie par les trois facteurs dont il est question dans l’arrêt Grant et réaffirmés dans l’arrêt Le.
[103] Monsieur Tessier rappelle que, dans les circonstances de la présente cause, il a été interrogé dans un poste de police après qu’une personne en situation d’autorité lui eut demandé de s’y présenter. Il prétend qu’il était plus qu’un suspect; à son avis, il a été détenu psychologiquement par le sergent White, de sorte que l’omission de l’informer de son droit à l’assistance d’un avocat sans délai constituait une violation du droit garanti à l’al. 10b) de la Charte. De plus, il soutient que les déclarations recueillies durant les deux premiers entretiens auraient dû être écartées de la preuve en application du par. 24(2) de la Charte.
[104] Monsieur Tessier soutient que le juge du procès a recouru aux mauvais facteurs pour guider son analyse de la détention, se fondant à tort sur des considérations décrites dans l’arrêt R. c. Moran (1987), 1987 CanLII 124 (ON CA), 36 C.C.C. (3d) 225 (C.A. Ont.), et réaffirmées dans l’arrêt R. c. Seagull, 2015 BCCA 164, 323 C.C.C. (3d) 361. Il ajoute que, suivant une application appropriée des arrêts Grant et R. c. Le, 2019 CSC 34, [2019] 2 R.C.S. 692, il a été détenu psychologiquement. La Cour d’appel a noté qu’il n’était pas nécessairement erroné de se fonder sur les facteurs recensés dans les arrêts Moran et Seagull, à condition que ceux énoncés dans l’arrêt Grant soient examinés de manière exhaustive pour répondre à la question ultime relative à la détention.
[105] En l’espèce, la question de la détention psychologique est régie par les trois facteurs dont il est question dans l’arrêt Grant et réaffirmés dans l’arrêt Le. Une telle détention existe lorsqu’un individu est légalement tenu d’obtempérer à un ordre ou à une sommation de la police, ou lorsqu’une « personne raisonnable se trouvant dans la même situation [que cet individu] se sentirait obligée de le faire » et l’emmènerait « à conclure qu’elle n’est pas libre de partir » (Grant, par. 30‑31; Le, par. 25; Parent, p. 460‑461). Il faut tenir compte de trois facteurs et les mettre en balance pour déterminer si une personne a été détenue psychologiquement : premièrement, les circonstances à l’origine du contact avec la police telles que la personne en cause a dû raisonnablement les percevoir; deuxièmement, la nature de la conduite des policiers; troisièmement, les caractéristiques ou la situation particulières de la personne selon leur pertinence (Grant, par. 44; Le, par. 31).
[106] Appliquant ces facteurs, je suis d’avis de rejeter la prétention de M. Tessier selon laquelle il était détenu psychologiquement et de confirmer la conclusion du juge du procès sur ce point.
[107] Chacun des trois facteurs énoncés dans l’arrêt Grant milite contre la conclusion selon laquelle M. Tessier était détenu. Le contact initial a pris la forme d’une enquête générale, et M. Tessier n’a pas pu se sentir isolé pour une enquête ciblée puisqu’il savait que d’autres personnes étaient aussi interrogées. Monsieur Tessier s’est rendu au détachement par ses propres moyens. Certes, la situation a changé quand le sergent White a posé une série de questions pointues qui laissaient entendre que la police soupçonnait que M. Tessier était impliqué de manière répréhensible, mais une personne raisonnable dans sa situation ne se serait pas sentie tenue d’obtempérer dans les circonstances. Monsieur Tessier était conscient que les policiers enquêtaient sur l’homicide de son ami et, lorsqu’il a été interrogé, il a fourni un récit disculpatoire et cherché à diriger les soupçons dans une autre direction. Jamais le sergent White n’a déclaré ou laissé entendre que M. Tessier ne serait pas libre de partir. Au contraire, après avoir nié toute participation de sa part, M. Tessier a profité du moment pour calmer le jeu en allant dehors fumer une cigarette. Monsieur Tessier était clairement libre de quitter la salle d’interrogatoire et, fait crucial, il a refusé de coopérer en fournissant un échantillon d’ADN à son retour après avoir consulté son ami.
[108] Le fait que l’entretien se soit déroulé au poste de police ne donne pas lieu, à lui seul, à une détention (Parent, p. 476‑477; voir aussi R. c. Pomeroy, 2008 ONCA 521, 91 O.R. (3d) 261; R. c. Hawkins, 1993 CanLII 140 (CSC), [1993] 2 R.C.S. 157, inf. (1992), 1992 CanLII 7125 (NL CA), 102 Nfld. & P.E.I.R. 91 (C.A.T.‑N.‑L.)). L’analyse contextuelle prescrite par les arrêts Grant et Le exige un examen de l’ensemble des circonstances. La présence de M. Tessier au détachement a été demandée, et non exigée. La tenue décontractée du sergent White ainsi que son attitude permissive quant aux déplacements de M. Tessier était de nature à réduire le sentiment qu’il devait obtempérer. L’entretien s’est terminé cordialement, avec l’invitation de M. Tessier aux policiers à se rendre chez lui et son choix d’être reconduit là où se trouvait son véhicule par le sergent White.
[109] Même s’il a fait l’objet d’une surveillance, M. Tessier a été autorisé à quitter le détachement sans être escorté. Il n’a laissé paraître aucune vulnérabilité particulière qui suggérerait qu’une personne raisonnable se serait sentie tenue d’obtempérer aux demandes ou aux directives de la police. Au moment de l’interrogatoire, il était une personne adulte qui a fait montre d’une conscience aiguë de son statut par rapport aux policiers.
[110] En ce qui a trait à ses interactions avec les policiers après le premier entretien, il est à noter que M. Tessier a téléphoné au sergent White à plusieurs reprises et qu’il s’est rendu au détachement de son propre gré et à ses propres conditions. Monsieur Tessier initiait les contacts et ne pouvait pas plausiblement prétendre se sentir détenu lorsqu’il est retourné au détachement de la GRC et qu’il a accompagné les agents jusqu’à sa maison.
[111] Puisque M. Tessier n’a pas été détenu psychologiquement, il ne saurait prétendre à la violation de ses droits protégés par la Charte. Son droit à l’assistance d’un avocat n’a pas été violé. Je suis d’avis de confirmer la conclusion du juge du procès sur ce point.