[69] Dans R. c. Lavigne[50], l’arrêt phare en matière de confiscation des produits de la criminalité, la juge Deschamps écrit que les modifications apportées au Code criminel et pertinentes à l’appel ont notamment pour objet de s’attacher aux produits de la criminalité et de neutraliser les organisations criminelles et les contrevenants en les privant des fruits de leurs crimes.
[70] Le but est la confiscation des produits de la criminalité. Mais cette avenue n’est pas toujours praticable : le bien peut notamment avoir été utilisé, transféré, transformé, être introuvable, etc. Dans ces situations, le législateur prévoit que le juge peut imposer une amende en remplacement de la confiscation. L’amende est égale à la valeur du bien. Elle tient lieu, en effet, de confiscation. Le juge jouit d’un pouvoir discrétionnaire quant à : (a) la décision ou non d’imposer une amende; et (b) la détermination de la valeur du bien. Ce processus doit s’appuyer sur la preuve :
35 L’amende, comme le texte le dit, est égale à la valeur du bien. L’équivalence entre la valeur du bien et le montant de l’amende est d’ailleurs inhérente à la notion de « remplacement ». L’amende tient en effet lieu de confiscation. Pour qu’il s’agisse d’un véritable remplacement, la valeur doit être équivalente. Le pouvoir discrétionnaire du tribunal s’applique et à la décision d’infliger ou non une amende et à la détermination de la valeur du bien. Ce processus doit s’appuyer sur la preuve et, lorsqu’il est complété, le tribunal ne peut pas prendre en considération la capacité de payer du contrevenant pour ne pas infliger l’amende ou pour en diminuer le montant.[51]
[71] Les cours canadiennes ont appliqué ces enseignements. À titre d’exemple, dans R. c. Grenier[52], la Cour a refusé d’augmenter le montant de l’amende imposée parce que la preuve ne permettait pas d’évaluer le montant obtenu par l’intimée au titre des fruits de sa criminalité. Dans R. c. Dieckmann[53], la Cour d’appel de l’Ontario a refusé d’augmenter l’amende imposée à l’intimé parce que la preuve n’avait pas établi la proportion dans laquelle il aurait, avec ses deux conspirateurs décédés, bénéficié de la fraude de 5,1 millions de dollars. Dans R. c. Dwyer[54], la Cour d’appel de l’Ontario a réduit une amende de 207 700 $ à 10 700 $ parce que la preuve de la valeur du bien était déficiente.
[72] En l’espèce, il appert que l’appelant a rendu à la victime le produit de la criminalité (ou une partie de celui-ci) dans le contexte d’un recours civil. Il n’y a donc pas matière à confiscation de ce bien puisqu’il a été remis à son propriétaire avant le procès sur la détermination de la peine ni, par conséquent, à l’imposition d’une amende compensatoire. Le but de la disposition en cause est d’empêcher un contrevenant de bénéficier des fruits de son crime. S’il n’en a pas bénéficié en raison de la remise du bien à la victime, la confiscation et l’amende compensatoire n’ont plus leur raison d’être.
[73] L’erreur du juge de première instance consiste à s’être emmuré dans l’idée que la fraude de 710 940,58 $, pour laquelle l’appelant a reconnu sa culpabilité, est la seule mesure de quantification de la confiscation et de l’amende compensatoire. Lorsque l’avocate de l’intimée a évoqué le remboursement fait par l’appelant à la victime dans le contexte de l’action civile, le juge est intervenu et il a dit de façon lapidaire :
Maître, vous savez très bien, vous connaissez les règles, la vieille maxime, que le tribunal ne tient pas le civil en état et vice-versa.[55]
[74] Cette erreur a notamment empêché le juge de connaître le montant du remboursement fait à la victime. Il s’est ainsi placé dans l’impossibilité d’exercer son pouvoir discrétionnaire, de déterminer s’il est opportun d’imposer une amende et, le cas échéant, de décider si le montant de l’amende compensatoire doit correspondre au montant de la fraude.
[75] En raison des circonstances particulières de cette affaire, le juge aurait dû tenir compte du fait que l’appelant n’a pas bénéficié de tous les fruits du crime commis.
[76] Dans son mémoire d’appel, l’appelant reconnaît qu’une amende compensatoire de 28 555,23 $ pouvait lui être imposée dans les circonstances. Vu cette admission, il y a lieu pour la Cour de casser l’ordonnance apparaissant au paragraphe 110 du jugement et de lui substituer une amende du montant admis par l’appelant. L’appelant jouira d’un délai de 36 mois à compter de sa libération conditionnelle pour payer l’amende infligée.