La pandémie est une circonstance exceptionnelle au sens de l’arrêt Jordan.
[6] L’unique question en appel concerne le rejet de la requête en arrêt des procédures fondée sur l’alinéa 11b) de la Charte qui met en cause les répercussions de la pandémie de COVID-19 sur les délais pour tenir le procès. Il est accepté par toutes les parties, à bon droit, que la pandémie est une circonstance exceptionnelle au sens de l’arrêt Jordan. La question soulevée ne concerne que l’effet attribuable à la pandémie sur les délais au-delà de la cessation temporaire des activités judiciaires. Puisque la requête en autorisation d’appel sur des questions de fait complète l’avis d’appel, il y a lieu de l’accueillir.
[43] Premièrement, je rappelle que dans l’arrêt Rice, une formation de cinq juges a laissé entendre que le délibéré en cours d’instance pouvait avoir une incidence sur les plafonds, étant de nature à freiner la progression d’un dossier ou encore, démontrant en soi la complexité de l’affaire : R. c. Rice, 2018 QCCA 198, par. 86.
Au Québec, la majorité de la Cour a conclu que le délai causé par un délibéré en cours d’instance peut être déduit du plafond.
[45] Dans l’arrêt St-Pierre, la Cour note que la Cour suprême a confirmé l’arrêt Thanabalasingham sur une autre question : 2020 CSC 18 (CanLII), [2020] 2 R.C.S. 413. Elle souligne aussi que, dans K.G.K., s’intéressant au délai du délibéré final et non en cours d’instance, la Cour suprême a exclu le délibéré final du plafond, ce qu’avait suggéré la Cour dans l’arrêt R. c. Rice, 2018 QCCA 198, par. 41, tout en laissant à l’accusé, mais uniquement pour le délibéré final, la possibilité de démontrer qu’il était nettement plus long que raisonnablement nécessaire : R. c. K.G.K., 2020 CSC 7 (CanLII), [2020] 1 R.C.S. 364, par. 4, 54.
La tardiveté de cette procédure ne peut être comprise autrement, dans les circonstances, que par un manque de diligence et elle ne peut pas profiter à la défense.
[48] Enfin, troisièmement, je constate que l’appelant n’a jamais annoncé sa requête avant le jour de la reprise, le 15 février, qu’il l’a déposée près de trois semaines plus tard et qu’elle ne sera plaidée que le 10 mars. La tardiveté de cette procédure ne peut être comprise autrement, dans les circonstances, que par un manque de diligence et elle ne peut pas profiter à la défense: R. c. Boulanger, 2022 CSC 2, par. 5; R. c. J.F., 2022 CSC 17, par. 33. Bref, un juge pourrait légitimement conclure que les délais suivant le 15 février sont manifestement créés par cette procédure. Au surplus, cet attentisme a une autre conséquence dans l’analyse et j’y reviendrai.
Pour qualifier les efforts entrepris, je rappelle que dans l’arrêt Cody, la Cour suprême énonce que le critère est celui de la raisonnabilité.
[54] Pour qualifier les efforts entrepris, je rappelle que dans l’arrêt Cody, la Cour suprême énonce que le critère est celui de la raisonnabilité :
Toutefois, le critère applicable est la raisonnabilité : pour satisfaire à l’obligation de diligence raisonnable, le ministère public n’a pas à épuiser toutes les solutions imaginables en vue de remédier à l’événement en question.
R. c. Cody, 2017 CSC 31 (CanLII), [2017] 1 R.C.S. 659, par. 54.
[55] Évidemment, la solution doit répondre au cas particulier : R. c. J.B., 2019 QCCA 761, par. 28; R. c. A.E., 2019 QCCA 1865, par. 44.
[56] En l’espèce, nul ne conteste que l’événement distinct et exceptionnel touchait l’ensemble du système de justice et que le dossier de l’appelant n’était pas le seul visé et auquel on devait apporter une solution. La période litigieuse représente la période qui s’écoule après la reprise.
[57] Dans la présente affaire, la « preuve » nécessaire pour évaluer la nature de ce délai n’est pas contestée et repose entièrement sur le déroulement même de la journée du 28 juillet, dont personne ne nie l’objectif et la procédure suivie pour y parvenir. En effet, passé cette date, absolument aucune autre circonstance n’est venue compliquer, allonger ou autrement modifier le délai jusqu’au 15 février. Le lien causal est clair et manifeste.
[58] Je suis d’avis que l’initiative de la Cour du Québec, dans ce district, selon sa réalité propre, a répondu raisonnablement à la situation. Manifestement, l’incapacité de fixer le dossier sous le plafond de 18 mois après la reprise en juillet est due à l’exercice qui a forcé la Cour à trouver des dates pour tous les dossiers. Certes, il est possible de soulever, après coup, qu’absolument tout n’a pas été fait ou considéré, mais le critère est la raisonnabilité. Certainement, on peut critiquer la méthode d’appeler les dossiers selon l’ordre alphabétique qui, en rétrospective, n’était pas la meilleure. On aurait souhaité un délai plus court, sans doute. Néanmoins, compte tenu de toutes les circonstances du dossier, y compris l’attentisme de l’appelant, le juge pouvait conclure que suivi les efforts étaient raisonnables et cela ne justifie pas l’intervention en appel.
[59] La situation était évidente pour tous, y compris l’appelant. En effet, son mutisme lors de la séance du 28 juillet ainsi que l’absence de requête avant le 15 février 2021 confirment que lui-même jugeait que rien de plus ne pouvait être fait au-delà de l’initiative raisonnable de la Cour du Québec en Estrie pour remettre au rôle les dossiers dont le cheminement avait été stoppé par la pandémie.