Il faut corriger l’affirmation du juge voulant que l’alinéa 320.21a) C.cr. exige l’infliction d’une amende en sus de toute autre peine. Le texte énonce une peine minimale et non une peine obligatoire. Le choix législatif d’inclure une peine minimale d’amende a l’effet d’exclure la possibilité d’une peine suspendue suivant l’alinéa 731(1)a) C.cr.
[43] À titre de remarque liminaire, et bien que cela ne soit pas soulevé, il faut corriger l’affirmation du juge voulant que l’alinéa 320.21a) C.cr. exige l’infliction d’une amende en sus de toute autre peine. Le texte énonce une peine minimale et non une peine obligatoire. Le choix législatif d’inclure une peine minimale d’amende a l’effet d’exclure la possibilité d’une peine suspendue suivant l’alinéa 731(1)a) C.cr. Une peine minimale d’emprisonnement est aussi prévue en cas de récidive (voir les al. 320.21b) et c) C.cr.), ce qui élimine, dans ces cas, la possibilité d’un emprisonnement dans la collectivité.
[44] Cela étant, la peine de l’appelant comporte donc, en plus de l’emprisonnement, une amende de 1 000 $ et une interdiction de conduire pendant trois ans, des mesures qui sont des peines : R. c. Rodgers, 2006 CSC 15 (CanLII), [2006] 1 R.C.S. 554, par. 63. Par conséquent, cela est pertinent dans l’évaluation de la totalité de la peine composée de plusieurs mesures punitives : R. c. Simard, 2024 QCCA 835, par. 71; R. c. Simoneau, 2017 QCCA 1382, par. 42; R. c. Czornobaj, 2017 QCCA 907, par. 71; R. c. Cloud, 2016 QCCA 567, par. 75.
[45] L’appelant est également soumis à des restrictions importantes pour la conduite d’un véhicule depuis le dépôt des accusations, le 9 juillet 2020 jusqu’en février 2022, moment où l’interdiction de conduire a été considérablement assouplie pour se limiter essentiellement à entre 22 h et 4 h ainsi que le samedi et le dimanche. Dans l’ordonnance de mise en liberté en appel, les conditions ont été davantage assouplies sans opposition du ministère public : R. c. Rondeau, 2023 QCCA 841.
[46] L’interdiction de conduire ou les restrictions à l’utilisation d’un véhicule pendant les procédures sont des éléments pouvant être pris en compte : R. c. Basque, 2023 CSC 18; R. c. Suter, 2018 CSC 34 (CanLII), [2018] 2 R.C.S. 496.
L’emprisonnement avec sursis a été introduit dans le Code criminel afin d’offrir une solution de rechange à l’incarcération. En clair, des individus qui auraient autrement purgé une peine en détention pouvaient, si les critères étaient respectés, purger cette peine dans la collectivité. La mesure est donc destinée aux délinquants qui méritent une peine de prison et non à ceux à qui on pourrait souhaiter une probation plus sévère.
[49] En 1996, l’emprisonnement avec sursis a été introduit dans le Code criminel afin d’offrir une solution de rechange à l’incarcération.En clair, des individus qui auraient autrement purgé une peine en détention pouvaient, si les critères étaient respectés, purger cette peine dans la collectivité. La mesure est donc destinée aux délinquants qui méritent une peine de prison et non à ceux à qui on pourrait souhaiter une probation plus sévère : R. c. Proulx, 2000 CSC 5 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 61, par. 55-56, 94.
[50] Cette peine a fait l’objet de débats et, à partir de 2007, le Parlement a retiré la possibilité d’y recourir pour un nombre important d’infractions, dont la conduite dangereuse causant la mort. En 2022, il a modifié de nouveau la loi pour éliminer en grande partie les limitations introduites en 2007, ce qui permettait dorénavant d’infliger cette peine pour la conduite dangereuse causant la mort.
[51] Ainsi, malgré la mort qui résulte de la conduite délinquante, le législateur laisse la porte ouverte à ce que des mesures substitutives à l’emprisonnement en milieu carcéral soient prononcées.
[52] À mon avis, les décisions pointées par l’appelant, et reprises dans l’arrêt R. c. Ferland, 2009 QCCA 1168, confirment que la peine d’emprisonnement avec sursis fait partie de la mosaïque des peines appropriées. Certes, comme le souligne l’intimé, le législateur a augmenté la peine maximale pour l’infraction. Il omet cependant de considérer que le législateur a également réintégré la possibilité de purger la peine dans la collectivité. Or, ces choix législatifs se complètent. Ils ne peuvent être restreints par des règles ou des principes inflexibles établis par les tribunaux.
La décision d’attribuer un poids important aux objectifs de dénonciation et de dissuasion générale ne peut pas avoir l’effet de déconsidérer les choix législatifs.
[78] Ce n’est pas non plus en leur [les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale] attribuant un poids important pour un crime donné que les tribunaux peuvent de cette façon exclure des choix pénologiques que le législateur lui-même n’a pas exclus. Les tribunaux ne peuvent créer des points de départ ou des minimums contraignants : R. c. McDonnell, 1997 CanLII 389 (CSC), [1997] 1 R.C.S. 948; R. c. Proulx, 2000 CSC 5 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 61; R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6 (CanLII), [2010] 1 R.C.S. 206, R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13 (CanLII), [2012] 1 R.C.S. 433; R. c. Lacasse, 2015 CSC 64 (CanLII), [2015] 3 R.C.S. 1089.
R. c. Harbour, 2017 QCCA 204, par. 78.
[54] Dans Parranto, la majorité de la Cour suprême rappelle « que les points de départ et les fourchettes de peines sont des outils et non des carcans… » : R. c. Parranto, 2021 CSC 46, par. 37.
[55] Par ailleurs, « une cour d’appel provinciale joue un double rôle “en matière de contrôle de la cohérence, de la stabilité et de la pérennité de la jurisprudence tant en droit criminel qu’en droit civil” » : R. c. Parranto, 2021 CSC 46, par. 14 (référence omise).
Il n’est pas contesté que la peine doit à la fois punir le crime et le délinquant.
[58] À ce sujet, s’appuyant sur l’arrêt Bissonnette, l’intimé a suggéré à l’audience que la réhabilitation ne peut devenir l’objectif sentenciel prédominant pour l’appelant en raison de son profil positif, puisque cet objectif « vise à réformer le contrevenant en vue de sa réintégration dans la société, afin qu’il devienne un citoyen respectueux des lois » :R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23, par. 48.
[59] D’abord, d’un point de vue juridique, c’est l’ordonnance de probation qui est traditionnellement considérée comme une mesure de réinsertion sociale : R. c. Proulx, 2000 CSC 5 (CanLII), [2000] 1 RCS 61, par. 37. La peine d’emprisonnement dans la collectivité est une mesure qui a un caractère punitif plus marqué. Quoiqu’il en soit, l’erreur du juge est d’avoir, dans les faits, évacué tout objectif de réhabilitation pour des raisons inexpliquées. Le juge écrit de manière un peu énigmatique en renvoyant vaguement à l’arrêt R. c. Scraire, 1998 CanLII 12604 (C.A.Q.), que : « une peine avec sursis ne s’avérera appropriée que lorsque l’ensemble des facteurs atténuants favorise réellement la réhabilitation du prévenu. Il ne s’agit pas d’un tel cas en l’espèce. » : R. c. Rondeau, 2023 QCCS 1829, par. 59.
[60] Il ressort clairement de sa décision que la conséquence tragique, soit la mort de la victime, est le facteur pour lequel le juge refuse d’ordonner l’emprisonnement dans la collectivité. Or, il s’agit du crime uniquement. Il n’est pas contesté que la peine doit à la fois punir le crime et le délinquant : R. c. Gladue, 1999 CanLII 679 (CSC), [1999] 1 R.C.S. 688, par. 80; R. c. Parranto, 2021 CSC 46, par. 113.
[61] Le juge explique le caractère tragique de l’événement, notamment qu’il en résulte la mort d’un être humain et un impact douloureux pour la famille de la victime.
Le juge s’attarde uniquement à punir l’infraction. Il s’agit d’une erreur de principe qui est aggravée par le fait d’avoir exclu, sans motifs, l’objectif de réhabilitation. Il s’agit de la seconde erreur de principe.
[68] Puis, discutant de la suggestion de l’emprisonnement avec sursis, le juge pose comme premier obstacle que la peine doit être « raisonnable dans les circonstances de l’espèce en tenant compte de la gravité des conséquences qu’entraîne la conduite de [l’appelant] » : R. c. Rondeau, 2023 QCCS 1829, par. 58 (je souligne).
[69] On comprend de ses motifs que le juge aurait pu envisager de retenir la suggestion d’emprisonnement avec sursis si les facteurs atténuants favorisaient la réhabilitation. Il écrit :
[59] Deuxièmement, le Tribunal ne peut ignorer que le législateur augmente la durée de la peine possible de 14 ans à la prison à perpétuité, ce qui signifie qu’en semblable matière, le principe de dissuasion générale et de dénonciation demeure des considérations primordiales en semblable matière. D’ailleurs, dans l’arrêt Paré, la Cour d’appel réfère à l’arrêt Scraire qui énonce qu’une peine avec sursis ne s’avérera appropriée que lorsque l’ensemble des facteurs atténuants favorise réellement la réhabilitation du prévenu. Il ne s’agit pas d’un tel cas en l’espèce.
R. c. Rondeau, 2023 QCCS 1829, par. 59 (je souligne; références omises).
[70] Malheureusement, la décision n’explique aucunement pourquoi les facteurs atténuants ne favorisent pas réellement la réhabilitation de l’appelant.
[71] Le fait d’ancrer dans les conséquences de l’infraction l’exclusion de l’emprisonnement avec sursis (voir R. c. Rondeau, 2023 QCCS 1829, par. 21, 44, 58, 61 et 63) est une erreur puisque le décès est, par nécessité, toujours présent dans le cas d’une conduite dangereuse causant la mort. Le juge s’attarde uniquement à punir l’infraction. Il s’agit d’une erreur de principe qui est aggravée par le fait d’avoir exclu, sans motifs, l’objectif de réhabilitation. Il s’agit de la seconde erreur de principe. Ces deux erreurs ont eu une incidence sur la peine et elles justifient l’intervention de la Cour.
[72] Il faut souligner au passage une autre erreur du juge, soit d’avoir écarté les décisions d’instance et d’appel dans l’affaire Czornobaj, bien que cette erreur pourrait, dans certaines circonstances, ne pas avoir d’impact. Il faut rappeler que rien ne justifie d’exclure cette jurisprudence qui fait partie « de façon générale [du] condensé des peines minimales et maximales déjà infligées par des juges du procès » : R. c. Parranto, 2021 CSC 46, par. 17.
S’il est vrai, comme le souligne le juge de la peine, que le législateur a augmenté la peine maximale et qu’il a, comme le souligne l’intimé, intégré une déclaration de principe à l’article 320.12 C.cr. énonçant, entre autres, que « la protection de la société est favorisée par des mesures visant à dissuader quiconque de conduire un moyen de transport de façon dangereuse ou avec les capacités affaiblies par l’effet de l’alcool ou d’une drogue, car ce type de comportement représente une menace pour la vie, la sécurité et la santé des Canadiens », je rappelle de nouveau que le législateur a rétabli la possibilité d’ordonner l’emprisonnement avec sursis pour l’infraction de conduite dangereuse causant la mort
[73] S’il est vrai, comme le souligne le juge de la peine, que le législateur a augmenté la peine maximale et qu’il a, comme le souligne l’intimé, intégré une déclaration de principe à l’article 320.12 C.cr. énonçant, entre autres, que « la protection de la société est favorisée par des mesures visant à dissuader quiconque de conduire un moyen de transport de façon dangereuse ou avec les capacités affaiblies par l’effet de l’alcool ou d’une drogue, car ce type de comportement représente une menace pour la vie, la sécurité et la santé des Canadiens », je rappelle de nouveau que le législateur a rétabli la possibilité d’ordonner l’emprisonnement avec sursis pour l’infraction de conduite dangereuse causant la mort.
[75] D’abord, et cela n’est aucunement nié, je dois rappeler la proposition de la Cour suprême voulant que la dissuasion demeure importante en matière de conduite automobile : R. c. Proulx, 2000 CSC 5 (CanLII), [2000] 1 R.C.S. 61, par. 129. Néanmoins, l’objectif ne peut ignorer les circonstances. Dans l’arrêt Proulx, la conduite en cause était incontestablement différente et la responsabilité morale beaucoup plus grave. La conduite de Proulx apparaît plus grave. Après avoir consommé de l’alcool et, tout en connaissant le mauvais état mécanique du véhicule, Proulx l’avait conduit de manière erratique, talonnant les véhicules devant lui et tentant des dépassements dangereux sans avertissement alors que la chaussée était glissante et que la circulation en sens inverse était dense.
[76] En l’espèce, avec raison, le juge conclut que le comportement de l’appelant ne requiert pas le même degré d’opprobre social. Il détermine que la responsabilité morale de l’appelant est au plus bas.
Tout en admettant que le profil positif d’un délinquant ne règle pas tous les aspects de la peine appropriée et n’emporte pas dans tous les cas la clémence sans considération pour les aspects aggravants, un profil positif ne peut pas, comme semble le suggérer l’intimé, jouer contre un délinquant.
[77] Tout en admettant que le profil positif d’un délinquant ne règle pas tous les aspects de la peine appropriée et n’emporte pas dans tous les cas la clémence sans considération pour les aspects aggravants, un profil positif ne peut pas, comme semble le suggérer l’intimé, jouer contre un délinquant. Contrairement à la conclusion du juge, il est patent que la réhabilitation militait en faveur de la peine proposée par l’appelant. L’arrêt Simard illustre sans doute un autre cas où le profil très positif du délinquant, de sa prise de conscience et de sa contrition sincère ont fait que la juge chargée de la peine dans cette affaire avait prononcé une peine d’emprisonnement avec des modalités qui permettaient de maintenir ces acquis tout en répondant aux objectifs punitifs : R. c. Simard, 2024 QCCA 835, par. 25 et 62.